Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Orléans
Thématique : Prolongation de la rétention administrative : évaluation des menaces à l’ordre public et des perspectives d’éloignement.
→ RésuméIdentité de l’AppelantM. [Y] [M], né le 14 janvier 1993 à [Localité 2] et de nationalité algérienne, est actuellement en rétention administrative au centre de rétention d'[Localité 4]. Il est assisté par Me Anne-Catherine LE SQUER, avocat au barreau d’Orléans, et n’a pas demandé l’assistance d’un interprète. Contexte de la RétentionM. [Y] [M] a été placé en rétention administrative le 18 novembre 2024. Sa rétention a été prolongée à deux reprises, d’abord pour 26 jours le 22 novembre 2024, puis pour 30 jours le 18 décembre 2024. Ces prolongations ont été confirmées par le Premier Président de la Cour d’Orléans. Demande de Prolongation par la PréfectureLe 16 janvier 2025, la Préfecture du Calvados a demandé une troisième prolongation de la rétention, arguant que M. [Y] [M] ne pouvait pas être éloigné en raison de l’absence de documents nécessaires de son consulat et qu’il représentait une menace pour l’ordre public. Décision du Tribunal JudiciaireLe 17 janvier 2025, le juge du tribunal judiciaire d’Orléans a ordonné la prolongation de la rétention de M. [Y] [M] pour 15 jours supplémentaires, se basant sur l’article L.742-5 du CESEDA. Arguments de l’AppelantDans son appel, M. [Y] [M] a soutenu qu’il n’avait pas été reconnu par le consulat algérien lors d’une audition le 17 décembre 2024, ce qui rendait son éloignement impossible. Il a également affirmé ne pas constituer une menace pour l’ordre public, ayant purgé ses peines et disposant d’une adresse stable. Évaluation de la ProlongationLa Cour a examiné la demande de prolongation en se basant sur les critères de l’article L. 742-5 du CESEDA. Il a été constaté qu’il n’y avait pas de preuves que M. [Y] [M] ait fait obstruction à son éloignement ou qu’il ait demandé une protection contre l’éloignement. Perspectives de Délivrance de DocumentsLa Cour a noté que les démarches entreprises par l’administration pour obtenir des documents de voyage n’étaient pas concluantes. Les auditions consulaires n’avaient pas abouti à une reconnaissance de M. [Y] [M] par les autorités algériennes, rendant improbable une délivrance rapide des documents nécessaires. Menace pour l’Ordre PublicConcernant la menace pour l’ordre public, la Cour a pris en compte les antécédents judiciaires de M. [Y] [M], qui incluent plusieurs condamnations pour des faits graves. Ces éléments ont été jugés suffisants pour établir qu’il représentait une menace réelle et actuelle pour l’ordre public. Conclusion de la CourLa Cour a déclaré recevable l’appel de M. [Y] [M] mais a confirmé l’ordonnance du tribunal judiciaire d’Orléans, prolongeant la rétention administrative pour une durée de quinze jours supplémentaires. Les dépens ont été laissés à la charge du Trésor. |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’ORLÉANS
Rétention Administrative
des Ressortissants Étrangers
ORDONNANCE du 19 JANVIER 2025
Minute N°
N° RG 25/00190 – N° Portalis DBVN-V-B7J-HEO7
(4 pages)
Décision déférée : ordonnance du tribunal judiciaire d’Orléans en date du 17 janvier 2025 à 10h47
Nous, Sébastien EVESQUE, conseiller à la cour d’appel d’Orléans, agissant par délégation du premier président de cette cour, assisté de Alexis DOUET, greffier, aux débats et au prononcé de l’ordonnance,
APPELANT :
M. [Y] [M]
né le 14 Janvier 1993 à [Localité 2], de nationalité algérienne,
actuellement en rétention administrative au centre de rétention administrative d'[Localité 4] dans des locaux ne dépendant pas de l’administration pénitentiaire,
comparant par visioconférence , assisté de Me Anne-Catherine LE SQUER, avocat au barreau d’ORLEANS,
n’ayant pas solliciter l’assistance d’un interprète.
INTIMÉE :
LA PRÉFECTURE DU CALVADOS
non comparante, non représentée ;
MINISTÈRE PUBLIC : avisé de la date et de l’heure de l’audience ;
À notre audience publique tenue en visioconférence au Palais de Justice d’Orléans le 19 janvier 2025 à 10 H 00, conformément à l’article L. 743-7 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), aucune salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n’étant disponible pour l’audience de ce jour ;
Statuant en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code ;
Vu l’ordonnance rendue le 17 janvier 2025 à 10h47 par le tribunal judiciaire d’Orléans ordonnant la prolongation du maintien de M. [Y] [M] dans les locaux non pénitentiaires pour un délai maximum de quinze jours à compter du 17 janvier 2025 ;
Vu l’appel de ladite ordonnance interjeté le 17 janvier 2025 à 15h36 par M. [Y] [M] ;
Après avoir entendu :
– Me Anne-Catherine LE SQUER, en sa plaidoirie,
– M. [Y] [M], en ses observations, ayant eu la parole en dernier ;
AVONS RENDU ce jour l’ordonnance publique et réputée contradictoire suivante :
M. [Y] [M], né le 14 janvier 1993 à [Localité 2] et de nationalité algérienne a été placé en rétention administrative le 18 novembre 2024 puis transféré au Centre de rétention administrative d'[Localité 4] (Loiret).
Il a fait l’objet d’une première prolongation de sa rétention pour une durée de 26 jours par décision du 22 novembre 2024 et d’une deuxième prolongation pour un délai de 30 jours par une décision en date du 18 décembre 2024.
Ces décisions du juge du tribunal judiciaire d’Orléans ont été confirmées par ordonnances du Premier Président de la Cour de céans respectivement en date des 25 novembre 2024 et 20 décembre 2024.
Par requête en date du 16 janvier 2025, la Préfecture du Calvados sollicite une troisième prolongation de la mesure de rétention alléguant que M. [Y] [M]’:
– n’a pu être éloigné en raison du défaut de délivrance des documents nécessaires il son éloignement par le consulat dont il relève et dont la délivrance devrait intervenir à bref délai ;
– constituerait une menace pour l’ordre public.
Par son ordonnance rendue le 17 janvier 2025 à 10h47, le juge du tribunal judiciaire d’Orléans a ordonné la prolongation de cette rétention administrative de M. [Y] [M] dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire sur le fondement de l’article L.742-5 du CESEDA, et pour une durée de 15 jours supplémentaires.
Au soutien de son appel régulièrement formé le 17 janvier 2025 à 15h36, M. [Y] [M] expose :
– qu’il s’est rendu le 17 décembre 2024 à une audition consulaire et que le consulat algérien ne le reconnaît pas. Dès lors il n’existe pas selon lui de perspective d’éloignement à défaut de laisser passer pouvant être délivré dans le temps de la rétention ;
– qu’il ne présente pas une menace à l’ordre public. Les faits pour lesquels il a été condamné remontent à plus d’un an pour les plus récents, il a purgé ses peines, et il dispose d’une adresse stable au [Adresse 1] à [Localité 3].
Dans ses observations écrites la préfecture du Calvodos s’en rapporte au contenu de l’ordonnance contestée.
Sur ce’:
Aux termes de l’article L. 742-5 du CESEDA : « A titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :
1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;
2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :
a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;
b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;
3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.
Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.
L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.
Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.
Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours ».
Selon l’article L. 741-3 du CESEDA, « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration exerce toute diligence à cet effet ».
*
Il convient donc de vérifier le bien-fondé de la requête en prolongation de la préfecture du Loiret, étant précisé qu’il n’y a pas lieu de cumuler les situations prévues par les dispositions de l’article L. 742-5 du CESEDA.
En l’espèce, il n’est pas démontré que M. [Y] [M] ait, dans les quinze derniers jours de sa rétention, fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement dont il fait l’objet, ou qu’il ait, dans ce même dessein, présenté une demande de protection contre l’éloignement ou une demande d’asile.
S’agissant de la perspective de délivrance à brève échéance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé, il convient de vérifier la réalité de cette situation en appliquant la méthode du faisceau d’indices.
Ainsi, la Cour pourra notamment étudier les éléments suivants :
‘ L’absence de variations, s’agissant de la nationalité revendiquée par l’étranger ;
‘ La présence d’éléments d’identification, susceptibles de confirmer sa nationalité ;
‘ La présence d’anciens accords consulaires pour la délivrance d’un laissez-passer, ou d’un laissez-passer expiré ;
‘ Les échanges entre l’administration et les autorités consulaires, dont il pourrait résulter une volonté du consulat ou de l’ambassade de délivrer ce document de voyage ;
‘ Les procédures diligentées par les autorités consulaires en vue d’identifier l’étranger, et notamment la prévision d’auditions consulaires ;
Il est également pertinent d’apprécier ces indices au regard de l’évolution, dans le temps, de la situation auprès du consulat ou de l’ambassade. Ainsi, des démarches figées, sans aucune évolution favorable auprès des autorités consulaires, auront nécessairement pour effet de durcir l’appréciation des conditions de l’article L. 742-5 3° du CESEDA.
En l’espèce, la Cour constate que dans le cas de [Y] [M], qu’une audition consulaire avec les autorités algériennes a été organisée le, 17 décembre 2024 et le 8 janvier 2025, les services consulaires ont indiqué que l’audition n’était pas concluante et que les autorités algériennes compétentes avaient été saisies.
Ainsi, bien que l’administration ait engagé des démarches pertinentes, les éléments soumis à la Cour sont insuffisants pour considérer qu’il existe une perspective de délivrance à brève échéance d’un document de voyage. La prolongation ne saurait donc être autorisée sur le fondement de l’article L. 742-5 3° du CESEDA.
Pour l’application du septième alinéa de l’article L. 742-5 du CESEDA, créé par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, il appartient à l’administration de caractériser l’urgence absolue ou la menace pour l’ordre public.
Dans le cadre adopté par le législateur, la notion de menace à l’ordre public a pour objectif manifeste de prévenir, pour l’avenir, les agissements dangereux commis par des personnes en situation irrégulière sur le territoire national.
Selon une jurisprudence constante fixée par le Conseil d’Etat, la notion d’ordre public ou de la présence en France constituant une menace pour l’ordre public donne lieu à un contrôle entier ou normal du juge administratif ; celui de l’erreur d’appréciation. Ce contrôle se situe entre celui de l’erreur manifeste d’appréciation, et celui du contrôle de proportionnalité résultant de la jurisprudence Benjamin (CE, 19 mai 1933, n° 17413-17250).
Il y a lieu de procéder à ce même contrôle lors de l’examen des conditions de troisième et quatrième prolongation telles que résultant de la loi n° 2024-42 précitée.
Ainsi, le juge doit apprécier in concreto la caractérisation de la menace pour l’ordre public, au regard d’un faisceau d’indices prenant en compte la réalité, la gravité, et l’actualité de la menace, compte-tenu notamment de la récurrence ou de la réitération, et de l’ancienneté des faits reprochés.
Ces éléments doivent également être mis balance avec l’attitude positive de l’intéressé, traduisible notamment par son positionnement sur les faits, son comportement en détention, sa volonté d’indemniser les victimes ou encore ses projets de réinsertion ou de réhabilitation.
Enfin, le comportement du retenu dans le cadre de sa rétention administrative doit également être pris en compte avec le cas échéant, une analyse des circonstances ayant mené à un placement à l’isolement, ou à toute autre remontée d’incident le concernant.
En l’espèce, il ressort des pièces accompagnant la requête préfectorale que M. [Y] [M] a fait l’objet de plusieurs condamnations et de deux mesures d’interdiction définitive du territoire français prononcées en 2020 et 2021, à l’occasion de condamnations pour des faits de arrestation, enlèvement, séquestration, détention arbitraire suivie d’une libération avant le septième jours, vol en réunion, vol par ruse, vol par violence. Il a fait aussi l’objet une condamnation récente en date du 30 septembre 2024 pour des faits de vol en récidive commis le 27 septembre 2024.
Au regard de ces éléments, de la gravité des faits pour lesquels il a été incarcéré et de la condamnation récente, M. [Y] [M] présente, comme le relève justement le premier juge, un comportement délictueux récidiviste constitutif d’une menace pour l’ordre public considérée comme réelle, grave et actuelle.
Au surplus on ajoutera que les pièces produites montrent qu’il a fait usage d’alias pour dissimuler son identité ce qui établit sa volonté de ne pas se soumettre à un éloignement déjà ordonné de longue date, ce qui rend parfaitement inopérante une assignation à domicile.
La décision contestée est donc confirmée.
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