Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Orléans
Thématique : Vulnérabilité et rétention : un examen des droits des étrangers en situation de santé fragile
→ RésuméContexte de l’affaireM. [Y] [D], un ressortissant afghan né en 1993, a été hospitalisé dans un établissement public de santé mentale. La préfecture de la Loire-Atlantique a décidé de le placer en rétention administrative, une mesure qui a été contestée par son avocat, Me Mahamadou KANTE, en raison de l’état de vulnérabilité psychologique de M. [Y] [D]. Ordonnance du juge des libertésLe 15 janvier 2025, le juge des libertés et de la détention a rendu une ordonnance constatant l’illégalité du placement en rétention administrative de M. [Y] [D]. Il a ordonné la mainlevée de cette mesure, considérant que l’état de santé de l’intéressé n’avait pas été pris en compte de manière adéquate lors de la décision de rétention. Appel de la préfectureLe 16 janvier 2025, la préfecture de la Loire-Atlantique a interjeté appel de l’ordonnance, soutenant que la mesure d’hospitalisation pouvait être levée à tout moment et que la rétention pouvait être reprise lorsque l’état de santé de M. [Y] [D] le permettrait. Arguments des partiesL’avocat de M. [Y] [D] a souligné que la décision de placement en rétention n’avait pas pris en compte l’état de vulnérabilité de son client, tandis que le préfet a affirmé que l’état de santé de M. [Y] [D] était compatible avec la rétention. La cour a dû examiner la légalité de la décision de placement en rétention et la compatibilité de l’état de santé de M. [Y] [D] avec cette mesure. État de santé de M. [Y] [D]Des éléments médicaux ont été présentés, indiquant que M. [Y] [D] souffrait de troubles mentaux graves, rendant sa rétention administrative incompatible avec ses besoins de soins. La cour a noté que son comportement instable et ses accès de violence avaient été observés peu après son placement en rétention. Décision de la courLa cour a déclaré recevable l’appel de la préfecture, mais a infirmé l’ordonnance du 15 janvier 2025 en ce qui concerne l’illégalité du placement en rétention. Elle a constaté que l’état de santé de M. [Y] [D] était incompatible avec la poursuite de sa rétention administrative et a ordonné la fin de cette mesure. Conséquences de la décisionLa cour a laissé les dépens à la charge du Trésor et a ordonné la remise immédiate de l’ordonnance à la préfecture, à M. [Y] [D] et à son avocat. La décision a été signée par la présidente de chambre et le greffier présent lors du prononcé. |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’ORLÉANS
Rétention Administrative
des Ressortissants Étrangers
ORDONNANCE du 17 JANVIER 2025
Minute N° 55
N° RG 25/00147 – N° Portalis DBVN-V-B7J-HEM6
(1 pages)
Décision déférée : ordonnance du tribunal judiciaire d’Orléans en date du 15 janvier 2025 à 12H09
Nous, Hélène GRATADOUR, présidente de chambre à la cour d’appel d’Orléans, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de [W] [C] [U], greffier stagiaire en pré-affectation sur poste, aux débats et au prononcé de l’ordonnance,
APPELANT :
LA PRÉFECTURE DE LA LOIRE-ATLANTIQUE
non comparante, non représentée ;
INTIMÉ :
M. [Y] [D]
né le 1er septembre 1993 à [Localité 3] (Afghanistan), de nationalité afghane
convoqué à personne à l’établissement public de santé mentale [2], où il est actuellement hospitalisé
comparant, assisté de Me Mahamadou KANTE, avocat au barreau d’Orléans ;
assisté de [S] [R], interprète en langue anglaise, ayant prêté serment et son concours lors de l’audience et du prononcé ;
MINISTÈRE PUBLIC : avisé de la date et de l’heure de l’audience ;
À notre audience publique tenue au Palais de Justice d’Orléans, le 17 janvier 2025 à 14 H 00 ;
Statuant en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code ;
Vu l’ordonnance rendue le 15 janvier 2025 à 12H09 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d’Orléans ordonnant la jonction des procédures de demande de prolongation par la préfecture et de recours contre l’arrêté de placement en rétention administrative par le retenu, constatant l’illégalité du placement en rétention et mettant fin à la rétention administrative de M. [Y] [D] ;
Vu l’appel de ladite ordonnance interjeté le 16 janvier 2025 à 19H17 par la préfecture de la Loire-Atlantique ;
Vu les pièces complémentaires de la préfecture de la Loire-Atlantique reçues au greffe le 16 janvier 2025 à 18h49 ;
Après avoir entendu :
– Me Mahamadou KANTE, en sa plaidoirie ;
– M. [Y] [D], en ses observations, ayant eu la parole en dernier ;
AVONS RENDU ce jour l’ordonnance publique et contradictoire suivante :
Il résulte de l’article 66 de la Constitution et de l’article L. 743-9 du CESEDA que le juge doit s’assurer que l’étranger est pleinement informé de ses droits et placé en état de les faire valoir lorsqu’il se trouve placé en rétention administrative.
Aux termes de l’article L. 743-12 du CESEDA, en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles, le magistrat du siège du tribunal judiciaire saisi d’une demande sur ce motif ou qui relève d’office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du placement ou du maintien en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter substantiellement atteinte aux droits de l’étranger dont l’effectivité n’a pu être rétablie par une régularisation intervenue avant la clôture des débats.
Selon l’article L. 741-3 du CESEDA, « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration exerce toute diligence à cet effet ».
Sur la régularité du maintien en rétention administrative concomitamment à la mesure d’hospitalisation sous contrainte
Moyens :
En première instance, le conseil de M. [Y] [D] a soulevé l’absence de prise en compte de l’état de vulnérabilité de l’intéressé par le préfet de la Loire-Atlantique dans sa décision de placement en rétention administrative du 9 janvier 2025, notifiée le 10 janvier 2025 à 8h49.
Le premier juge a accueilli ce moyen en considérant qu’à la lecture du résultat d’enquête, il apparaissait que M. [Y] [D] tenait des propos logorrhéiques et paraissant incohérents, et qu’il s’en déduisait un état très fragile psychologiquement, avec des accès de violences fréquents. En présence de cet élément, mis en perspective avec la motivation de l’arrêté de placement en rétention administrative qui aurait pris en compte cette vulnérabilité mais en aurait injustement déduit qu’elle ne s’opposait pas à une rétention administrative, alors que l’administration se devait de procéder à de plus amples recherches sur la compatibilité de l’état de santé de M. [Y] [D] avec une telle mesure, le premier juge a considéré que les dispositions de l’article L. 741-4 du CESEDA n’avaient pas été respectées, a constaté l’illégalité du placement et en a ordonné la mainlevée.
Le préfet de la Loire-Atlantique conteste les motifs retenus par le premier juge, et considère que la mesure d’hospitalisation prononcée par la préfète du Loiret peut être levée à tout moment, ce qui justifie de solliciter l’infirmation de l’ordonnance et la reprise de la rétention lorsque l’état de santé de M. [Y] [D] le permettra de nouveau.
En ces termes, le préfet de la Loire-Atlantique a lui-même mis au débat, de manière contradictoire, la question de la compatibilité de l’état de santé de M. [Y] [D] avec sa rétention administrative.
Or, cette problématique n’est pas la même que celle résultant du défaut de prise en compte de l’état de vulnérabilité en application de l’article L. 741-4 du CESEDA : il s’agit d’un état de fait, pouvant être soulevé à tout moment de la rétention et soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond, tandis que le défaut de prise en compte de la vulnérabilité vise à contester la légalité interne de la décision de placement.
La cour se prononcera, en tout état de cause, sur ces deux moyens.
Réponse de la Cour :
Sur le défaut de prise en compte de l’état de vulnérabilité du retenu dans la décision de placement, il résulte des dispositions de l’article L. 741-4 du CESEDA que « La décision de placement en rétention prend en compte l’état de vulnérabilité et tout handicap de l’étranger. Le handicap moteur, cognitif ou psychique et les besoins d’accompagnement de l’étranger sont pris en compte pour déterminer les conditions de son placement en rétention ».
Ainsi que l’a rappelé le premier juge dans son ordonnance du 15 janvier 2025, l’absence de prise en compte, par l’autorité administrative, de l’état de vulnérabilité de la personne au moment du placement en rétention ne peut être suppléé par l’évaluation réalisée par les agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration pendant la mesure (1ère Civ., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-17.283).
La méconnaissance de l’article L. 741-4 doit amener à constater l’illégalité du placement en rétention administrative, indépendamment de la compatibilité de l’état de santé du retenu avec une telle mesure, et de l’accès aux soins dans le lieu de rétention administrative.
En l’espèce, il est constaté que le préfet a motivé sa décision de placement en rétention administrative du 9 janvier 2025 en considérant qu’il ne ressortait ni des déclarations de l’intéressé, ni des éléments de son dossier qu’il présenterait un état de vulnérabilité ou un handicap s’opposant à un placement en rétention durant le temps strictement nécessaire à la mise en ‘uvre de son éloignement et que même si l’enquête réalisée par la police aux frontières le 9 décembre 2024 indiquait que M. [Y] [D] semblait très fragile psychologiquement, l’irresponsabilité pénale n’avait pas été prononcée à son encontre et son état de santé n’avait pas empêché son incarcération du 10 juillet 2024 au 10 janvier 2025.
Le préfet a ainsi motivé sa décision au regard des éléments portés à sa connaissance à la date d’édiction de la décision de placement, tout en prenant en considération la possibilité pour l’intéressé de faire l’objet d’une évaluation de son état de vulnérabilité lors de son arrivée au centre ; ce qui amènerait nécessairement à envisager, en tant que de besoin, une adaptation des conditions de maintien au centre, ou une abrogation de la mesure en cas d’incompatibilité médicalement constatée.
Au regard de ces éléments, il ne saurait être considéré que le préfet n’a pas tenu compte de l’état de vulnérabilité de M. [Y] [D] dans sa décision de placement en rétention.
Il convient toutefois de se prononcer sur la compatibilité effective de l’état de santé du retenu avec un maintien en rétention administrative, compte-tenu des éléments médicaux portés à la connaissance de la cour.
La cour dispose à cet égard d’un pouvoir souverain d’appréciation des éléments qui lui sont soumis, en vue de conclure ou non à la compatibilité de l’état de santé du retenu avec sa rétention administrative (en ce sens, 2ème Civ., 15 mars 2001, pourvoi n° 99-50.045).
En l’espèce, M. [Y] [D] a été placé en rétention administrative le 10 janvier 2025 à 8h49, alors que le préfet avait estimé son état de santé compatible avec une telle mesure.
Au préalable, l’intéressé a été entendu le 9 décembre 2024 par des agents de la police aux frontières, l’audition se concluant en ces termes, après un discours particulièrement dense et décousu : « celui-ci passe des larmes, puis la colère pour terminer par des menaces verbales de s’en prendre à nous ou les autres personnes qui ne le comprennent pas. Il semble très fragile psychologiquement avec des accès de violences fréquentes ».
Peu de temps après son arrivée au centre de rétention administrative d'[Localité 4], le caractère instable de l’intéressé s’est confirmé avec un placement à l’isolement pour des comportements violents le 13 janvier 2025. Il a d’ailleurs été conduit le même jour au centre hospitalier [2] à [Localité 1] pour y être admis à la suite d’un arrêté préfectoral portant admission en soins psychiatriques.
L’arrêté fait état de troubles mentaux se manifestant par des troubles du comportement à type de persécution, un discours décousu et délirant avec une hétéro agressivité et une agitation psychomotrice dans un contexte de rupture de traitement. Cette décision s’appuie, conformément aux dispositions du code de la santé publique, sur un certificat médical dont le contenu fait état de la nécessité des soins rendant nécessaire une admission en soins psychiatriques.
Le préfet de la Loire-Atlantique lui-même, en sollicitant dans sa déclaration d’appel une reprise de la rétention lorsque l’état de santé de M. [Y] [D] le permettra, a reconnu que l’état de santé du retenu est, à ce jour, incompatible avec une mesure de rétention administrative.
Enfin, si la préfecture a produit, le 16 janvier 2025, un certificat médical du même jour dont il résulte que l’hospitalisation n’est plus nécessaire, force est de constater que les éléments repris par le médecin ne correspondent pas à l’attitude du retenu lors de l’audience de ce jour ;
La pièce médicale précitée décrit M. [Y] [D] comme une personne souriante, avec une humeur adaptée, répondant à l’humour et à la réassurance, avec un contact respectueux et adapté ainsi qu’un discours fluide, organisé et sincère.
A l’audience de ce jour, l’intéressé a tenu des propos incohérents et un discours décousu, peu compréhensible car passant rapidement d’un sujet à l’autre sans lien logique. Par ailleurs, il a fait preuve d’une attitude agressive, et a exprimé une ranc’ur particulièrement prononcée envers la justice, en se tournant vers l’équipe juridictionnelle, et la pointant du doigt, s’exprimant en ces termes : « shame ».
Force est de constater que les troubles psychiques de l’intéressé sont manifestes et qu’au regard des pièces du dossier, mis en corrélation avec son attitude à l’audience, il doit être considéré que des soins sont nécessaires et qu’aucun traitement adapté ne pourrait lui être délivré dans le cadre de la rétention administrative : cette mesure étant même susceptible d’aggraver son état et de représenter un danger, tant pour le personnel du CRA que pour les autres retenus.
PAR CES MOTIFS,
DÉCLARONS recevable l’appel interjeté par la préfecture de la Loire-Atlantique ;
INFIRMONS l’ordonnance du 15 janvier 2025, en ce qu’elle a constaté l’illégalité du placement en rétention administrative ;
Statuant à nouveau :
CONSTATONS l’incompatibilité de l’état de santé de M. [Y] [D] avec la poursuite de sa rétention administrative ;
METTONS fin à la rétention administrative de l’intéressé ;
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor ;
ORDONNONS la remise immédiate d’une expédition de la présente ordonnance à la préfecture de la Loire-Atlantique, à M. [Y] [D] et son conseil, et au procureur général près la cour d’appel d’Orléans ;
Et la présente ordonnance a été signée par Hélène GRATADOUR, présidente de chambre, et [W] [C] [U], greffier présent lors du prononcé.
Fait à Orléans le DIX SEPT JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ, à heures
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
[W] [C] [U] Hélène GRATADOUR
Pour information : l’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien la rétention et au ministère public. Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification. Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
NOTIFICATIONS, le 17 janvier 2025 :
La préfecture de la Loire-Atlantique, par courriel
M. le procureur général près la cour d’appel d’Orléans, par courriel
M. [Y] [D] , copie remise par PLEX à l’établissement public de santé mentale [2],
Me Mahamadou KANTE, avocat au barreau d’Orléans, copie remise par PLEX
L’interprète L’intéressé L’avocat de l’intéressé
Laisser un commentaire