Cour d’appel de Versailles, 8 janvier 2025, RG n° 24/00145
Cour d’appel de Versailles, 8 janvier 2025, RG n° 24/00145

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Versailles

Thématique : Équilibre des charges de preuve en matière de temps de travail et de rémunération des heures supplémentaires.

Résumé

Engagement et rupture du contrat de travail

Mme [N] a été engagée par la société Craft Paris en tant que directrice de trafic et de qualité à partir du 1er juin 2002. À partir d’avril 2003, une convention de forfait annuel en jours a été intégrée à son contrat. Les parties ont convenu d’une rupture conventionnelle qui a pris effet le 24 juillet 2012.

Procédures judiciaires

Le 6 décembre 2013, Mme [N] a saisi le conseil de prud’hommes pour diverses demandes liées à l’exécution de son contrat de travail. Par un jugement du 12 mai 2017, le conseil a déclaré la convention de forfait en jours opposable à la salariée et a rejeté toutes ses demandes. La cour d’appel de Versailles a confirmé ce jugement le 11 avril 2019, sauf en ce qui concerne l’opposabilité de la convention de forfait, qu’elle a déclarée inopposable.

Décisions de la Cour de cassation

La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel le 6 janvier 2021, sauf sur le point concernant l’inopposabilité de la clause de forfait. Le 30 mars 2022, la cour d’appel de renvoi a confirmé le jugement initial et a condamné Mme [N] à payer des frais à la société Legend studios. Cependant, la chambre sociale de la Cour de cassation a de nouveau cassé cet arrêt le 15 novembre 2023, sauf en ce qui concerne le rejet de la demande de prime exceptionnelle pour 2011.

Demandes de Mme [N]

Dans ses dernières conclusions, Mme [N] a demandé à la cour d’infirmer le jugement et de condamner la société Legend studios à lui verser plusieurs sommes au titre de rappels d’heures supplémentaires, de congés payés, d’indemnités pour travail dissimulé, ainsi que des dommages-intérêts pour violation de ses droits au repos et à la vie privée.

Arguments de la société Legend studios

La société Legend studios a demandé à la cour d’écarter certaines conclusions de Mme [N] et de confirmer le jugement qui l’avait déboutée de ses demandes. Elle a également soutenu qu’elle ne pouvait pas produire d’éléments sur le temps de travail de Mme [N] en raison de l’inopposabilité de la convention de forfait.

Analyse des heures supplémentaires

La cour a examiné les éléments fournis par Mme [N] concernant ses heures de travail et a conclu qu’elle avait présenté des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre. L’employeur n’ayant pas produit d’éléments sur les heures de travail, la cour a décidé de faire droit à la demande de Mme [N] pour le paiement de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires.

Indemnités pour repos compensateurs et travail dissimulé

La cour a également accordé à Mme [N] une indemnité pour la contrepartie obligatoire en repos, ainsi que des congés payés afférents. En revanche, la demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé a été rejetée, la cour n’ayant pas établi que l’employeur avait agi intentionnellement pour se soustraire à ses obligations.

Dommages-intérêts pour atteinte aux droits

Mme [N] a obtenu des dommages-intérêts pour violation de son droit au repos et atteinte à sa vie privée, la cour ayant constaté que l’employeur n’avait pas respecté les limites légales de la durée du travail, ce qui avait causé un préjudice à la salariée.

Conclusion et décisions finales

La cour a ordonné à la société Legend studios de verser à Mme [N] des sommes significatives pour les heures supplémentaires, les repos compensateurs, ainsi que des dommages-intérêts. Elle a également condamné l’employeur aux dépens et a ordonné la remise d’un bulletin de salaire conforme à la décision.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

Chambre sociale 4-4

Renvoi après cassation

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 08 JANVIER 2025

N° RG 24/00145

N° Portalis DBV3-V-B7I-WJDW

AFFAIRE :

[F] [N]

C/

Société Legend studios

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 mai 2017 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Nanterre

Section : E

N° RG : F 13/03691

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Rachel SAADA

Me Blandine DAVID

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

DEMANDERESSE ayant saisi la cour d’appel de Versailles par déclaration enregistrée au greffe social le 15 janvier 2024 en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation du 15 novembre 2023 cassant et annulant l’arrêt rendu le 30 mars 2022 par la cour d’appel de Versailles

Madame [F] [N]

née le 4 juin 1965 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Rachel SAADA de la SELARL L’ATELIER DES DROITS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : W04

****************

DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI

Société Legend studios

N° SIRET : 552 038 887

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Blandine DAVID de la SELARL KÆM’S AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R110

Plaidant : Me Thierry ROMAND de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 8 novembre 2024, Monsieur Laurent BABY, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseillère,

et que ces mêmes magistrats en ont délibéré conformément à la loi,

Greffier, lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [N] a été engagée en qualité de directrice de trafic et de qualité par la société Craft Paris (anciennement dénommée SAS M Stories et McCann G Agency) devenue la société Legend studios le 1er juin 2002.

Une convention de forfait annuel en jours a été incluse dans le contrat de travail de la salariée à compter du mois d’avril 2003.

Les parties sont convenues d’une rupture conventionnelle du contrat de travail qui a pris effet le 24 juillet 2012.

Le 6 décembre 2013, Mme [N] a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes au titre de l’exécution du contrat de travail.

Par jugement du 12 mai 2017, le conseil de prud’hommes a dit que la convention individuelle de forfait en jours était opposable à la salariée et l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes.

Par un arrêt du 11 avril 2019 (n°RG 21/00691), la cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement sauf en ce qu’il a dit que la convention individuelle de forfait en jours était opposable à la salariée et, statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant, elle a :

. dit que la clause contractuelle relative au forfait annuel en jours est inopposable à la salariée,

. débouté les parties de leurs autres demandes.

Sur pourvoi de la salariée, la Cour de cassation a, par un arrêt du 6 janvier 2021 (pourvoi n°22-16.517), cassé et annulé l’arrêt du 11 avril 2019, sauf en ce qu’il a dit que la clause contractuelle relative au forfait en jours était inopposable à Mme [N].

Selon arrêt du 30 mars 2022 (n°RG 21/00691), la cour d’appel de renvoi a confirmé le jugement attaqué et y ajoutant, a condamné Mme [N] à payer à la société Legend studioss une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel, débouté les parties du surplus de leurs demandes et condamné Mme [N] aux dépens d’appel.

Par arrêt du 15 novembre 2023 (pourvoi n°22-16.517), la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt, sauf en ce qu’il rejette la demande de Mme [N] en paiement de la prime exceptionnelle pour l’année 2011, l’arrêt rendu le 30 mars 2022, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles, et remis, sauf sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Versailles autrement composée.

Les motifs de l’arrêt sont les suivants :

«  (‘) 9. Pour rejeter la demande en paiement d’heures supplémentaires, l’arrêt relève que la salariée allègue avoir travaillé d’avril 2008 à fin 2009 soixante-et-une heures hebdomadaires et douze heures un week-end sur deux, cinquante-cinq heures hebdomadaires durant le troisième trimestre 2010 et jusqu’à quarante-huit heures hebdomadaires durant le quatrième trimestre 2010 et l’année 2011, déduction faite des temps de formation. Il retient que ces allégations sont fondées sur de simples estimations de la durée de travail, de surcroît pour certaines très imprécises et hypothétiques.

10. L’arrêt retient également que les attestations produites par la salariée sont insuffisamment probantes en raison notamment de l’absence de toute constatation directe relative à ses conditions de travail ou parce qu’elles ne contiennent aucun élément chiffré sur les heures de travail en litige et que les cinq courriels envoyés par elle-même en 2008 et 2009 en milieu d’après-midi n’apportent aucune information sur ses heures de travail effectives. Il en conclut que l’intéressée ne présente pas d’éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement.

11. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que la salariée présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, a violé le texte susvisé.

(‘)

14. La cassation sur le deuxième moyen du pourvoi, du chef de la demande en paiement d’un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, entraîne par voie de conséquence la cassation des chefs de dispositif relatifs à la demande en paiement de dommages-intérêts pour violation du droit au repos, à la vie privée et familiale de la salariée et atteinte à la santé, qui s’y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.(…) ».

Mme [N] a saisi la présente cour d’appel de renvoi par acte du 15 janvier 2024.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 15 octobre 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [N] demande à la cour de :

. écarter la demande de rejet des conclusions d’appelante sur renvoi après cassation n° 2

. infirmer le jugement

Statuant à nouveau,

. condamner la société Legend studioss à verser à Mme [N] :

. 92 029,95 euros, subsidiairement 65 610,43 euros à titre de rappels d’heures supplémentaires

. 9 202,99 euros, subsidiairement 6 561,04 euros, à titre de congés payés incidents

. 93 054,14 euros à titre d’indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos

. 9 305,41 euros à titre de congés payés incidents

. 29 393,88 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

. 15 000 euros de dommages et intérêts pour violation du droit au repos et atteinte à la santé

. 30 000 euros de dommages et intérêts pour violation du droit à la vie privée et familiale

. 9 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

. ordonner la remise à Mme [N] d’un bulletin de salaire conforme aux condamnations, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, la cour se réservant la faculté de liquider l’astreinte

. condamner la société Legend studioss aux entiers dépens

. dire que les condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine de la juridiction prud’homale, avec capitalisation annuelle

. dire que les condamnations s’entendent nettes de CSG et de CRDS.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Legend studios demande à la cour de :

. écarter des débats les conclusions de Mme [N] signifiées en date du 29 septembre 2024

. confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [N] de l’ensemble de ses demandes de condamnation dirigées à l’encontre de la société Legend studioss ;

Y ajoutant

. débouter Mme [N] de l’ensemble de ses demandes ;

. condamner Mme [N] à verser à la société Legend studioss la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, dans les limites de la saisine, la cour :

Vu l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 30 mars 2022 (n°RG 21/00691),

Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 15 novembre 2023 (pourvoi n°22-16.517),

DIT sans objet la demande tendant à écarter des débats les conclusions de Mme [N] du 29 septembre 2024,

CONFIRME le jugement mais seulement en ce qu’il déboute Mme [N] de sa demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

INFIRME le jugement sur le surplus, étant précisé que le chef du dispositif qui dit que la convention individuelle de forfait en jours est opposable, et déboute la salariée de la prime exceptionnelle 2011, n’entre pas dans le champ de la saisine de la présente juridiction,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Legend studios à payer à Mme [N] les sommes suivantes :

. 92 029,95 euros bruts de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires accomplies entre 2008 et 2011, outre 9 202,99 euros au titre des congés payés afférents.

. 93 054,14 euros bruts au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour les années 2018 à 2011, outre 9 305,41 euros au titre des congés payés afférents,

. 2 000 euros de dommages-intérêts pour violation du droit au repos,

. 2 000 euros pour atteinte au droit à la vie privée et familiale,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,

DONNE injonction à la société Legend studios de remettre à Mme [N] un bulletin de salaire récapitulatif conforme à la présente décision,

REJETTE la demande d’astreinte,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

CONDAMNE la société Legend studios à payer à Mme [N] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Legend studios aux dépens de première instance et d’appel.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Dorothée Marcinek, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 


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