Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Versailles
Thématique : Harcèlement moral et conséquences sur la rupture du contrat de travail : enjeux de la responsabilité de l’employeur.
→ Résuméhtml
Engagement et évolution professionnelle de M. [F]M. [F] a été engagé par la société Bull en tant que salarié à durée indéterminée depuis le 14 octobre 1985. Cette entreprise, spécialisée dans le conseil en systèmes et logiciels informatiques, comptait plus de cinquante employés au moment de la rupture. En 2014, Bull a intégré le groupe Atos, et M. [F] a été promu Vice-Président « Escala et maintenance » en janvier 2015. Après un congé sabbatique de janvier à novembre 2016, il a été promu Vice-Président alliances en mars 2017. Arrêts maladie et démarches judiciairesM. [F] a été en arrêt maladie à plusieurs reprises, notamment du 25 janvier au 10 février 2019, puis du 18 avril au 20 mai 2019, et enfin du 2 au 31 octobre 2019. Le 1er mars 2019, il a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles pour faire constater un harcèlement moral et demander des paiements afférents. Il a également contesté son licenciement par une requête du 4 mars 2019, invoquant la violation de l’obligation de sécurité de l’employeur. Licenciement et jugement du conseil de prud’hommesM. [F] a été licencié le 2 juin 2020 pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après avoir été déclaré inapte définitivement par le médecin du travail. Le 9 novembre 2022, le conseil de prud’hommes a mis hors de cause les sociétés Atos SE et Atos International, a débouté M. [F] de sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse, et a condamné la société Bull à lui verser plusieurs sommes, notamment des rappels de bonus et une indemnité conventionnelle de licenciement. Appel et demandes des partiesM. [F] a interjeté appel le 8 décembre 2022, demandant la réformation du jugement sur plusieurs points, notamment la nullité de son licenciement qu’il attribue à des faits de harcèlement moral. De son côté, la société Bull a demandé l’infirmation du jugement, contestant les condamnations financières et sollicitant la mise hors de cause de la société Atos International. Éléments de harcèlement moralLe salarié a présenté des éléments de fait suggérant un harcèlement moral, notamment une dégradation de ses conditions de travail et une mise à l’écart progressive. Il a également signalé une dégradation de son état de santé, avec des arrêts de travail liés à des troubles dépressifs. L’employeur n’a pas réussi à prouver que ses actions étaient justifiées par des éléments objectifs. Décisions de la cour d’appelLa cour a déclaré nul le licenciement de M. [F] et a condamné la société Bull à lui verser des sommes importantes, y compris des dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour manquement à l’obligation de prévention. La cour a également ordonné le remboursement des indemnités de chômage versées au salarié et a statué sur les intérêts et les dépens. ConclusionLa décision de la cour d’appel a confirmé certaines condamnations tout en infirmant d’autres, notamment en ce qui concerne les demandes de M. [F] et de la société Bull. La cour a reconnu la réalité du harcèlement moral et a ordonné des réparations financières conséquentes pour M. [F]. |
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-4
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 JANVIER 2025
N° RG 22/03600
N° Portalis DBV3-V-B7G-VR3U
AFFAIRE :
[U] [F]
C/
Société BULL
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 9 novembre 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES
Section : E
N° RG : F19/00148
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Sylvie KONG THONG
Me Blandine DAVID
Copie numérique adressée à:
FRANCE TRAVAIL
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [U] [F]
né le 21 mars 1962 à [Localité 6]
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Sylvie KONG THONG de l’AARPI Dominique OLIVIER – Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0069
Plaidant : Me Thibaud SAINT SERNIN de la SCP SAINT SERNIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P525
APPELANT
****************
Société BULL
N° SIRET: 642 058 739
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Blandine DAVID de la SELARL KÆM’S AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R110
Plaidant : Me Damien DECOLASSE de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701
Société ATOS INTERNATIONAL
N° SIRET : 412 190 977
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentant : Me Blandine DAVID de la SELARL KÆM’S AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R110
Plaidant : Me Damien DECOLASSE de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 8 novembre 2024, Monsieur Laurent BABY, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [F] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 14 octobre 1985 par la société Bull.
Cette société est spécialisée dans le conseil en systèmes et logiciels informatiques. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de cinquante salariés. Elle applique la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
Au cours de l’année 2014, la société Bull a intégré le groupe Atos.
A compter du 1er janvier 2015, M. [F] a été promu au poste de Vice-Président « Escala et maintenance ».
De janvier à novembre 2016, M. [F] a bénéficié d’un congé sabbatique.
A compter de mars 2017, M. [F] a été promu au poste de Vice-président alliances.
M. [F] a été placé en arrêt maladie du 25 janvier 2019 au 10 février 2019.
Par requête du 1er mars 2019, M. [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles aux fins de constater l’existence d’un harcèlement moral et en paiement de demandes afférentes.
Puis, par requête du 4 mars 2019, il a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles aux fins de contester son licenciement, de constater l’existence d’un harcèlement moral, de constater la violation par l’employeur de son obligation de sécurité et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
M. [F] a été de nouveau placé en arrêt maladie du 18 avril 2019 au 20 mai 2019.
A compter du 1er juillet 2019, M. [F] a été promu au poste de responsable des partenariats internationaux
M. [F] a été placé en arrêt maladie du 2 au 31 octobre 2019.
Par requête du 13 décembre 2019, M. [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles aux fins de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur.
Par avis du 5 mars 2020, le médecin du travail a déclaré M. [F] inapte définitivement à tout poste.
Par lettre du 12 mai 2020, M. [F] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 27 mai 2020.
M. [F] a été licencié par lettre du 2 juin 2020 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par jugement du 9 novembre 2022, le conseil de prud’hommes de Versailles (section encadrement) a:
. mis hors de cause les sociétés Atos SE et Atos international
. débouté M. [F] de sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse
. condamné la société Bull SAS à payer à M. [F] les sommes suivantes :
. 21 703, 20 au titre du bonus du 1er septembre 2018
. 2 170, 32 euros au titre des congés payés afférents
. 14 279, 23 euros au titre du bonus du 2nd semestre 2019
. 1 427, 92 euros au titre des congés payés afférents
. 27 226, 23 euros au titre du bonus du 1er semestre 2020
. 2 722, 63 euros au titre des congés payés afférents
. 36 381 euros au titre du reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement
. 1 500 euros au titre de l’article 700
. ordonné l’exécution provisoire
. condamné la société Bull à payer à M. [F] les intérêts légaux sur ces sommes et leur capitalisation
. débouté M. [F] et la société Bull du reste de leurs demandes respectives.
Par déclaration adressée au greffe le 8 décembre 2022, M. [F] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 22 octobre 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [F] demande à la cour de :
. dire et juger M. [F] recevable et bien fondé en son appel ;
Y faisant pleinement droit,
. réformer le jugement en ce qu’il a :
. mis la société Atos international hors de cause,
. à titre principal, débouté M. [F] de sa demande de nullité du licenciement en ce que l’inaptitude trouvait son origine dans les faits de harcèlement moral subis et dénoncés judiciairement par le salarié ;
. subsidiairement, débouté M. [F] de sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
. débouté M. [F] de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis ;
. débouté M. [F] de sa demande de rappel de bonus du 1er semestre 2019 d’un montant de 16 075 euros, outre les 1 607,50 euros au titre des congés payés afférents ;
. partiellement fait droit à la demande de reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement mais refusé de l’octroyer à hauteur de 76 661 euros ;
. débouté M. [F] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral ;
. débouté M. [F] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la violation de l’obligation de prévention de l’employeur.
Statuant à nouveau,
A titre principal,
. dire et juger que le licenciement pour inaptitude trouve son origine dans les faits de harcèlement moral subis et dénoncés judiciairement par le salarié ;
. dire et juger que le licenciement est nul ;
En conséquence,
. condamner les sociétés Atos et/ou Bull à payer à M. [F] la somme de 490 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
Subsidiairement,
. dire et juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse
En conséquence,
. condamner les sociétés Atos et/ou Bull à payer à M. [F] la somme de 418 380 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En tout état de cause,
. condamner les sociétés Atos et/ou Bull à payer à M. [F] les sommes suivantes :
. 125 514 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
. 12 551 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents sur préavis,
. 7 572 euros au titre du rappel de bonus du 1er semestre 2019, outre 757 20 euros au titre des congés payés afférents.
. 108 606 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral subi
. 108 606 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice lié à la violation de l’obligation de prévention de l’employeur
. 107 912 euros au titre du reliquat de l’indemnité conventionnelle de licenciement
. 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, en ce compris, ceux éventuels d’exécution,
. confirmer le jugement en ce qu’il condamné la société Bull à payer à M. [F] les rappels de bonus suivants :
. 21 703,20 euros au titre du rappel de bonus du 1er semestre 2018, outre la somme de 2 170,32 euros au titre des congés payés afférents.
. 14 279,23 euros au titre du rappel de bonus du 2ème semestre 2019, outre les 1 427,92 euros au titre des congés payés afférents.
. 27 226,23 euros au titre du rappel de bonus du 1er semestre 2020, outre les 2 722,63 euros au titre des congés payés afférents.
. assortir les condamnations des intérêts au taux légal et prononcer la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1154 du Code Civil .
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Bull et la société Atos international demandent à la cour de :
1. La société Atos international sollicite de :
. constater l’absence d’effet d’évolutif de la déclaration d’appel de M. [F] s’agissant de la mise en cause de la société Atos international ;
. en toute hypothèse, mettre la société Atos international hors de cause ;
. condamner M. [F] à verser à la société Atos international la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
2. La société Bull SAS sollicite de :
. infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles le 9 novembre 2022 (RG n°19/00148) en ce qu’il a :
. condamné la société Bull SAS à payer à M. [F] les sommes suivantes :
. 21 703,20 euros au titre du bonus du 1er semestre 2018 ;
. 2 170,32 euros au titre des congés payés afférents ;
. 14 279,23 euros au titre du bonus du 2nd semestre 2019 ;
. 1 427,92 euros au titre des congés payés afférents ;
. 27 226,23 euros au titre du bonus du 1er semestre 2020 ;
. 2 722,63 euros au titre des congés payés afférents ;
. 36 381 euros au titre du reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
. 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
. ordonné l’exécution provisoire ;
. condamné la société Bull SAS à payer à M. [F] les intérêts légaux sur ces sommes et leur capitalisation ;
. débouté la société Bull SAS du reste de ses demandes.
Et à statuant à nouveau,
. débouter M. [F] de l’intégralité de ses demandes ;
. confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles le 9 novembre 2022 (RG n°19/00148) en l’ensemble de ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
. condamner M. [F] à verser à la société Bull la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONSTATE l’absence d’effet dévolutif du chef de la mise hors de cause de la société Atos International,
CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu’il condamne la société Bull à payer à M. [F] la somme de 21 703,20 euros au titre du rappel de part variable du 1er semestre 2018 et 2 170,32 euros au titre des congés payés afférents, 27 226,23 euros au titre du rappel de part variable du 1er semestre 2020 et 2 722,63 euros au titre des congés payés afférents, et la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement sur le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT nul le licenciement de M. [F],
CONDAMNE la société Bull à payer à M. [F] les sommes suivantes :
. 7 572 euros de rappel de part variable au titre du 1er semestre 2019, outre 757,20 euros au titre des congés payés afférents,
. 6 000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
. 2 000 euros de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de prévention du harcèlement moral,
. 490 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,
. 99 994,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 9 999,42 euros au titre des congés payés afférents,
. 42 213,80 euros de reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement,
DIT que les condamnations au paiement de sommes ayant une vocation indemnitaire sont assorties des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et que les condamnations au paiement des indemnités de rupture et des rappels de salaire sont assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes,
ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
DÉBOUTE M. [F] sa demande de rappel de part variable au titre du second semestre 2019,
ORDONNE le remboursement par la société Bull aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M. [F] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage en application de l’article L. 1235-4 du code du travail,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la société Bull à payer à M. [F] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Bull aux dépens de première instance et d’appel.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Dorothée Marcinek, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
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