Cour d’appel de Versailles, 7 mars 2024
Cour d’appel de Versailles, 7 mars 2024

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Versailles

Thématique : Achat sur une Marketplace : la plateforme responsable en cas d’incendie ?

Résumé

La société Établissements Darty et Fils, opérant une marketplace, n’est pas responsable des produits défectueux vendus par des tiers. Son rôle se limite à mettre en relation acheteurs et vendeurs, à sécuriser les paiements et à faciliter la communication. Dans l’affaire des gyropodes, un incendie a été causé par un défaut de fabrication, mais Darty n’avait pas connaissance de ce problème et n’était pas tenue de contrôler la qualité des produits. Les époux [X] et la Macif n’ont pas réussi à prouver une faute de Darty, entraînant le rejet de leurs demandes en justice.

Une Marketplace n’est pas responsable des produits défectueux ou à l’origine d’un incendie achetés par ses clients. Une place de marché se borne à assurer la mise en relation de consommateurs avec des vendeurs, offrant aux intéressés un espace de vente, transmettant les commandes au vendeur, recevant et garantissant les paiements qu’elle reversait déduction faite d’une commission, et permettant un dialogue entre acquéreur et vendeur via une messagerie.

Affaire Darty

La société Établissements Darty et Fils exploite un site internet éponyme sur lequel se trouve une place de marché (marketplace) qui met en relation des vendeurs, professionnels ou particuliers, et des acquéreurs.

Elle offre aux consommateurs un choix étendu de produits et de partenaires sélectionnés par ses soins, et permet à ces derniers de proposer une offre élargie.

Sur son site internet, il était mentionné que ces vendeurs étaient professionnels et rigoureusement sélectionnés par elle même. Il était indiqué également que les vendeurs garantissaient un accompagnement de qualité, de l’achat à l’après-vente des appareils, et aussi, sous les mots « comment ça fonctionne ‘ » que les produits étaient commercialisés par les vendeurs partenaires de la société Etablissements Darty et Fils, qui se contentait de sécuriser les paiements et d’offrir les services d’une messagerie destinée au suivi des commandes permettant de signaler une anomalie affectant celles-ci.

Il en résulte que la société Etablissements Darty et Fils se bornait à assurer la mise en relation de consommateurs avec des vendeurs, offrant aux intéressés un espace de vente, transmettant les commandes au vendeur, recevant et garantissant les paiements qu’elle reversait déduction faite d’une commission, et permettant un dialogue entre acquéreur et vendeur via une messagerie. Elle n’avait qu’un rôle passif dans la commercialisation des produits vendus sur le marketplace, laquelle était, de la publication de l’offre sur le site au service après-vente, sous la maîtrise exclusive de la société venderesse ; la société Etablissements Darty et Fils n’intervenait que pour assurer le fonctionnement unifié du site s’agissant des paiements, de la messagerie ou des litiges. Ses engagement ne portaient donc que sur le bon déroulement de la transaction commerciale. Enfin, la société Etablissements Darty et Fils ne sélectionnait les vendeurs que sur leur niveau de service et non pas sur la qualité de leurs produits, dont les fiches étaient exclusivement rédigées par eux : elle ne contrôlait ni ne garantissait la qualité desdits produits. Les conditions générales de la marketplace Darty.com mentionnaient d’ailleurs que le service consistait en un ensemble d’outils permettant aux acheteurs, après s’être inscrits sur le site, de se mettre en relation avec les vendeurs afin de passer des commandes, et que les transactions effectuées via le service pour les besoins de l’achat de produits étaient conclues directement entre l’acheteur et le vendeur, la société Etablissements Darty et Fils étant étrangère aux ventes.

Dans ces conditions, il faut considérer que les époux [X] et la société Etablissements Darty et Fils n’étaient pas liés par une convention, les intéressés étant de simples utilisateurs du site, et que l’intimée n’était nullement tenue aux garanties applicables au vendeur. La facture du gyropode datée du 15 juin 2017, émise au nom de la société The Compagny, ne laissait subsister à cet égard aucune ambiguïté. La responsabilité que pourrait encourir l’intimée ne saurait dès lors être que de nature délictuelle. Les appelants doivent en conséquence démontrer une faute de l’intéressée pour prospérer en leurs demandes.

La loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, transposant la directive 2000/31, définit le commerce électronique comme « l’activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique, la fourniture de biens et de services ». Elle précise qu’entrent également dans le champ du commerce électronique les services tels ceux qui consistent à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d’accès et de récupération de données, d’accès à un réseau de communication ou d’hébergement d’informations.

L’article L 111-7 III du code de la consommation impose aux opérateurs de plate-forme de préciser clairement les conditions du service mais aussi la qualité de l’annonceur et les obligations des parties en matière civile et fiscale.

Il qualifie d’opérateur de plate-forme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

1° Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;

2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service.

Il dispose que tout opérateur de plate-forme en ligne est tenu de délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente sur :

1° Les conditions générales d’utilisation du service d’intermédiation qu’il propose et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des contenus, des biens ou des services auxquels ce service permet d’accéder ;

2° L’existence d’une relation contractuelle, d’un lien capitalistique ou d’une rémunération à son profit, dès lors qu’ils influencent le classement ou le référencement des contenus, des biens ou des services proposés ou mis en ligne ;

3° La qualité de l’annonceur et les droits et obligations des parties en matière civile et fiscale, lorsque des consommateurs sont mis en relation avec des professionnels ou des non-professionnels.

(…)

Ce texte ne rend donc pas la société qui exploite le site responsable d’éventuels défauts des produits qui s’y vendent.

En application de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 :

(…)

2. Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.

(…)

5. La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants :

– si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénom, adresse électronique ; si le notifiant est une personne morale : sa forme sociale, sa dénomination sociale, son adresse électronique ; si le notifiant est une autorité administrative : sa dénomination et son adresse électronique. Ces conditions sont réputées satisfaites dès lors que le notifiant est un utilisateur inscrit du service de communication au public en ligne mentionné au même 2, qu’il est connecté au moment de procéder à la notification et que l’opérateur a recueilli les éléments nécessaires à son identification;

– la description du contenu litigieux, sa localisation précise et, le cas échéant, la ou les adresses électroniques auxquelles il est rendu accessible ; ces conditions sont réputées satisfaites dès lors que le service de communication au public en ligne mentionné audit 2 permet de procéder précisément à cette notification par un dispositif technique directement accessible depuis ledit contenu litigieux ;

– les motifs légaux pour lesquels le contenu litigieux devrait être retiré ou rendu inaccessible ; cette condition est réputée satisfaite dès lors que le service de communication au public en ligne mentionné au même 2 permet de procéder à la notification par un dispositif technique proposant d’indiquer la catégorie d’infraction à laquelle peut être rattaché ce contenu litigieux ;

7. Les personnes mentionnées aux 1 et 2 ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu’elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

Au cas d’espèce, il n’est aucunement démontré que la société Etablissements Darty et Fils avait connaissance des défauts affectant les gyropodes qui étaient en vente sur le site, mis en exergue dans le rapport d’expertise du 26 novembre 2018 mettant en cause un défaut de fabrication de la batterie ; elle n’était pas davantage tenue d’opérer des contrôles à ce sujet. Elle n’avait pas non plus à révéler l’identité du fabricant.

Dans ces conditions, M. et Mme [X] et la Macif échouent dans l’administration de la preuve d’une faute qui aurait été commise par la société Etablissements Darty et Fils, et c’est à juste titre que le tribunal a rejeté leurs demandes. Le jugement est confirmé.

Irrecevabilité de l’appel

La société Etablissements Darty et Fils considère que l’appel formé par la Macif et les consorts [X] n’est pas recevable, puisqu’ils ont obtenu gain de cause en première instance et n’ont pas exposé de raisons justifiant la poursuite de l’appel.

Recevabilité de l’appel

Il est rappelé que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, et que l’appel est donc recevable malgré le rejet des demandes en première instance.

Arguments des appelants

Les appelants soutiennent que la société Etablissements Darty et Fils a commis une faute en mettant en vente des gyropodes sans révéler l’identité du fabricant, en ne contrôlant pas ces matériels, et en ne respectant pas ses obligations de conformité et de sécurité.

Arguments de la société Etablissements Darty et Fils

La société Etablissements Darty et Fils soutient qu’elle n’a commis aucune faute, étant simplement un intermédiaire sur sa marketplace, et qu’elle ne peut être tenue responsable des défauts des produits vendus sur son site.

Responsabilité de la société Etablissements Darty et Fils

La société Etablissements Darty et Fils n’est pas responsable des défauts des produits vendus sur sa marketplace, en vertu de la loi sur la confiance dans l’économie numérique qui protège les hébergeurs en ligne.

Rejet des demandes

Les demandes des appelants sont rejetées, faute de preuve d’une faute commise par la société Etablissements Darty et Fils. Le jugement est confirmé et les appelants sont condamnés aux dépens d’appel.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 61B

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 07 MARS 2024

N° RG 21/03024

N° Portalis DBV3-V-B7F-UP2R

AFFAIRE :

[F], [P], [I] [X]

C/

S.A.S.U. ETABLISSEMENTS DARTY ET FILS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Mars 2021 par le TJ de CHARTRES

N° chambre : 01

N° RG : 19/01129

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Franck LAFON

Me Christophe DEBRAY

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEPT MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE ,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [F], [P], [I] [X]

né le [Date naissance 5] 1978 à [Localité 7]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Madame [C], [R], [G] [D] épouse [X]

née le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

MACIF

RCS de NIORT sous le n° D 781 452 511

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentant : Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618

Représentant : Me Anne HILTZER HUTTEAU, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1321, substituée par Me Sophie GRES

APPELANTS

S.A.S.U. ETABLISSEMENTS DARTY ET FILS

N° SIRET : 542 086 616

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627

Représentant : Me Florence MONTERET AMAR, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0184

INTIMEE

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 octobre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Gwenael COUGARD, Conseiller chargé du rapport et Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence PERRET, Président,

Madame Gwenael COUGARD, Conseiller,

Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme FOULON,

FAITS ET PROCEDURE

M. et Mme [X] sont propriétaires d’un pavillon situé [Adresse 3], qu’ils ont assuré auprès de la Macif.

Le 28 avril 2017, M. [X] s’est porté acquéreur de deux gyropodes sur le site internet de la société Etablissements Darty et Fils, vendus par la société The Compagny aux droits de laquelle vient la société GC Distribution, pour un montant de 219 euros chacun.

Le 7 juin 2017, vers 17 h 30, un incendie est survenu dans le sous-sol du pavillon alors que l’un des gyropodes était branché et en cours de chargement.

La Macif a missionné immédiatement son expert, le Cabinet Texa, lequel, aux termes de ses premières investigations, constatait que les batteries avaient totalement fondu contrairement à d’autres éléments du gyropode.

Aucun accord n’ayant pu intervenir sur les responsabilités, M. et Mme [X] et leur assureur, la Macif, ont sollicité la désignation d’un expert judiciaire.

C’est dans ces conditions que suivant ordonnance de référé rendue le 11 décembre 2017, le président du tribunal de grande instance de Chartres a désigné M. [N], en qualité d’expert, qui a été remplacé par ordonnance du 13 février 2018 par M. [H], qui a déposé son rapport le 26 novembre 2018.

Par exploits en date du 24 mai 2019, M. et Mme [X] et la société Macif ont assigné la société GC Distribution venant aux droits de la société The Compagny et la société établissements Darty et Fils devant le tribunal de grande instance de Chartres en vue de les voir condamner au paiement de diverses sommes.

Par jugement daté du 31 mars 2021, le tribunal judiciaire de Chartres a :

– déclaré recevables et bien fondés la Macif ainsi que M. et Mme [X] en leurs demandes ;

– déclaré la société GC Distribution venant aux droits de la société The Compagny responsable de l’incendie survenu le 7 juin 2017 ;

– condamné la société GC Distribution venant aux droits de la société The Compagny à payer à M. et Mme [X] la somme de 24 813,82 euros au titre de leurs préjudices ;

– condamné la société GC Distribution venant aux droits de la société The Compagny à payer à la Macif la somme de 57 604,73 euros au titre de son recours subrogatoire ;

– débouté la Macif et M. et Mme [X] de leurs demandes à l’encontre de la société Etablissements Darty et Fils ;

– dit que l’ensemble des condamnations portera intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l’assignation en ouverture de rapport ;

– ordonné la capitalisation des intérêts pour ceux échus depuis plus d’une année ;

– condamné la société GC Distribution venant aux droits de la société The Compagny au paiement de la somme de 1 500 euros à M. et Mme [X], en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société GC Distribution venant aux droits de la société The Compagny au paiement de la somme de 1 500 euros à la Macif, en application de l’article 700 du code de procédure civile;

– condamné la société GC Distribution venant aux droits de la société The Compagny au paiement de la somme de 1 500 euros à la société Etablissements Darty et Fils, en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société GC Distribution venant aux droits de la société The Compagny, aux entiers dépens ;

– ordonné l’exécution provisoire de la décision.

Par déclaration en date du 11 mai 2021, la Macif et M. et Mme [X] ont interjeté appel de ce jugement.

Ils demandent à la cour, dans leurs dernières écritures notifiées le 29 juillet 2021, de :

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il les a déboutés de leurs demandes à l’encontre de la société Etablissements Darty et Fils ;

– juger la société Etablissements Darty et Fils responsable de l’incendie survenu le 7 juin 2017 ;

– condamner la société Etablissements Darty et Fils à payer à la Macif la somme de 57 604,73 euros au titre de son recours subrogatoire ;

– condamner la société Etablissements Darty et Fils à payer à M. et Mme [X] la somme de 27 940,90 euros au titre de leurs préjudices ;

– juger que l’ensemble des condamnations portera intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l’assignation en ouverture de rapport ;

– ordonner la capitalisation des intérêts pour ceux échus depuis plus d’une année ;

– condamner la société Etablissements Darty et Fils au paiement de la somme de 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Etablissements Darty et Fils aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Lafon conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par ses dernières écritures notifiées le 26 octobre 2021, la société Etablissements Darty et Fils, qui soutient que l’appel est irrecevable, prie la cour de :

– débouter la Macif, M. et Mme [X] de leurs demandes à son encontre ;

– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Subsidiairement, si la cour estimait que les Etablissements Darty et fils ont commis une faute, en réformant le jugement entrepris,

– juger que cette hypothétique faute ne saurait constituer pour les époux [X] qu’une perte de chance d’au plus 5 % d’avoir acquis un gyropode par un autre biais que la « marketplace » Darty et/ou d’une autre marque que celle commercialisée par la société The Compagny ;

Et y ajoutant :

– condamner tous succombants à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner tous succombants aux entiers dépens, dont le montant sera directement recouvré par Maître Christophe Debray conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 septembre 2023.

SUR QUOI :

La société Etablissements Darty et Fils considère que l’appel formé par la Macif et les consorts [X] n’est pas recevable, puisque ces derniers ont obtenu gain de cause en première instance, qu’ils n’exposent pas les raisons justifiant que l’appel soit poursuivi, et qu’ils ne pouvaient dès l’origine agir contre elle-même qui n’a pas la qualité de vendeur, fabricant ou producteur.

Il résulte de la lecture du jugement dont appel que les demandeurs, M. et Mme [X] et la Macif, avaient sollicité la condamnation de la société GC Distribution et de la société Etablissements Darty et Fils au paiement des sommes dues, et que les demandes formées à l’encontre de cette dernière ont été intégralement rejetées. Il faut nécessairement en déduire que les demandeurs, de ce dernier chef, ont succombé, peu important qu’ils disposent par ailleurs d’un autre débiteur, à savoir la société GC Distribution. Par ailleurs, le fait- à le supposer établi- que leurs demandes formées à l’encontre de la société Etablissements Darty et Fils soient mal fondées ne constitue nullement une cause d’irrecevabilité de leur appel. Il sera rappelé qu’en droit, aux termes de l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou défendre un intérêt déterminé. L’appel est donc recevable.

Les appelants font grief à l’arrêt de les avoir déboutés de leurs prétentions à l’encontre de la société Etablissements Darty et Fils. Ils soutiennent que :

– les époux [X] sont liés à cette société par un contrat, de même que celle-ci l’est à la société GC Distribution et eux-mêmes à ladite société, si bien que la responsabilité que l’intimée peut encourir est de nature contractuelle ; elle a commis une faute en mettant en vente des gyropodes sans révéler l’identité du fabricant sur son site internet, sur les factures et la notice, et en n’effectuant aucun contrôle sur ces matériels ; ils produisent un rapport de la Commission européenne selon lequel 50 types de gyropodes présentaient un risque d’incendie ; à leurs yeux, la société Etablissements Darty et Fils est un intermédiaire sur lequel repose une obligation d’information ;

– sur le fondement des articles L 411-1 et L 421-3 du code de la consommation, la société Etablissements Darty et Fils est débitrice d’une obligation de conformité et de sécurité, qui est une obligation de résultat ;

– subsidiairement, sur le fondement de l’article 1241 du code civil, sa responsabilité délictuelle peut être engagée.

La société Etablissements Darty et Fils, quant à elle, soutient que les appelants étaient empêchés à son encontre dès l’origine de leur démarche, puisque le gyropode a été vendu par la société The Compagny, alors même que pour sa part elle n’a commis aucune faute, ayant la qualité d’hébergeur de l’exploitant d’une « marketplace » qu’elle définit comme une plate-forme sur internet mettant en relation des acheteurs et des vendeurs ; sur le fondement de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, elle fait plaider que les hébergeurs ne peuvent voir leur responsabilité civile ou pénale engagée à raison des informations stockées s’ils n’avaient pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicite ou si, dès le moment où ils en ont eu connaissance, ils ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible.

Sur ce,

La société Établissements Darty et Fils exploite un site internet éponyme sur lequel se trouve une place de marché (marketplace) qui met en relation des vendeurs, professionnels ou particuliers, et des acquéreurs.

Elle offre aux consommateurs un choix étendu de produits et de partenaires sélectionnés par ses soins, et permet à ces derniers de proposer une offre élargie. Sur son site internet, il était mentionné que ces vendeurs étaient professionnels et rigoureusement sélectionnés par elle même. Il était indiqué également que les vendeurs garantissaient un accompagnement de qualité, de l’achat à l’après-vente des appareils, et aussi, sous les mots « comment ça fonctionne ‘ » que les produits étaient commercialisés par les vendeurs partenaires de la société Etablissements Darty et Fils, qui se contentait de sécuriser les paiements et d’offrir les services d’une messagerie destinée au suivi des commandes permettant de signaler une anomalie affectant celles-ci.

Il en résulte que la société Etablissements Darty et Fils se bornait à assurer la mise en relation de consommateurs avec des vendeurs, offrant aux intéressés un espace de vente, transmettant les commandes au vendeur, recevant et garantissant les paiements qu’elle reversait déduction faite d’une commission, et permettant un dialogue entre acquéreur et vendeur via une messagerie. Elle n’avait qu’un rôle passif dans la commercialisation des produits vendus sur le marketplace, laquelle était, de la publication de l’offre sur le site au service après-vente, sous la maîtrise exclusive de la société venderesse ; la société Etablissements Darty et Fils n’intervenait que pour assurer le fonctionnement unifié du site s’agissant des paiements, de la messagerie ou des litiges. Ses engagement ne portaient donc que sur le bon déroulement de la transaction commerciale. Enfin, la société Etablissements Darty et Fils ne sélectionnait les vendeurs que sur leur niveau de service et non pas sur la qualité de leurs produits, dont les fiches étaient exclusivement rédigées par eux : elle ne contrôlait ni ne garantissait la qualité desdits produits. Les conditions générales de la marketplace Darty.com mentionnaient d’ailleurs que le service consistait en un ensemble d’outils permettant aux acheteurs, après s’être inscrits sur le site, de se mettre en relation avec les vendeurs afin de passer des commandes, et que les transactions effectuées via le service pour les besoins de l’achat de produits étaient conclues directement entre l’acheteur et le vendeur, la société Etablissements Darty et Fils étant étrangère aux ventes.

Dans ces conditions, il faut considérer que les époux [X] et la société Etablissements Darty et Fils n’étaient pas liés par une convention, les intéressés étant de simples utilisateurs du site, et que l’intimée n’était nullement tenue aux garanties applicables au vendeur. La facture du gyropode datée du 15 juin 2017, émise au nom de la société The Compagny, ne laissait subsister à cet égard aucune ambiguïté. La responsabilité que pourrait encourir l’intimée ne saurait dès lors être que de nature délictuelle. Les appelants doivent en conséquence démontrer une faute de l’intéressée pour prospérer en leurs demandes.

La loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, transposant la directive 2000/31, définit le commerce électronique comme « l’activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique, la fourniture de biens et de services ». Elle précise qu’entrent également dans le champ du commerce électronique les services tels ceux qui consistent à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d’accès et de récupération de données, d’accès à un réseau de communication ou d’hébergement d’informations.

L’article L 111-7 III du code de la consommation impose aux opérateurs de plate-forme de préciser clairement les conditions du service mais aussi la qualité de l’annonceur et les obligations des parties en matière civile et fiscale.

Il qualifie d’opérateur de plate-forme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

1° Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;

2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service.

Il dispose que tout opérateur de plate-forme en ligne est tenu de délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente sur :

1° Les conditions générales d’utilisation du service d’intermédiation qu’il propose et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des contenus, des biens ou des services auxquels ce service permet d’accéder ;

2° L’existence d’une relation contractuelle, d’un lien capitalistique ou d’une rémunération à son profit, dès lors qu’ils influencent le classement ou le référencement des contenus, des biens ou des services proposés ou mis en ligne ;

3° La qualité de l’annonceur et les droits et obligations des parties en matière civile et fiscale, lorsque des consommateurs sont mis en relation avec des professionnels ou des non-professionnels.

(…)

Ce texte ne rend donc pas la société qui exploite le site responsable d’éventuels défauts des produits qui s’y vendent.

En application de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 :

(…)

2. Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.

(…)

5. La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants :

– si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénom, adresse électronique ; si le notifiant est une personne morale : sa forme sociale, sa dénomination sociale, son adresse électronique ; si le notifiant est une autorité administrative : sa dénomination et son adresse électronique. Ces conditions sont réputées satisfaites dès lors que le notifiant est un utilisateur inscrit du service de communication au public en ligne mentionné au même 2, qu’il est connecté au moment de procéder à la notification et que l’opérateur a recueilli les éléments nécessaires à son identification;

– la description du contenu litigieux, sa localisation précise et, le cas échéant, la ou les adresses électroniques auxquelles il est rendu accessible ; ces conditions sont réputées satisfaites dès lors que le service de communication au public en ligne mentionné audit 2 permet de procéder précisément à cette notification par un dispositif technique directement accessible depuis ledit contenu litigieux ;

– les motifs légaux pour lesquels le contenu litigieux devrait être retiré ou rendu inaccessible ; cette condition est réputée satisfaite dès lors que le service de communication au public en ligne mentionné au même 2 permet de procéder à la notification par un dispositif technique proposant d’indiquer la catégorie d’infraction à laquelle peut être rattaché ce contenu litigieux ;

7. Les personnes mentionnées aux 1 et 2 ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu’elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

Au cas d’espèce, il n’est aucunement démontré que la société Etablissements Darty et Fils avait connaissance des défauts affectant les gyropodes qui étaient en vente sur le site, mis en exergue dans le rapport d’expertise du 26 novembre 2018 mettant en cause un défaut de fabrication de la batterie ; elle n’était pas davantage tenue d’opérer des contrôles à ce sujet. Elle n’avait pas non plus à révéler l’identité du fabricant.

Dans ces conditions, M. et Mme [X] et la Macif échouent dans l’administration de la preuve d’une faute qui aurait été commise par la société Etablissements Darty et Fils, et c’est à juste titre que le tribunal a rejeté leurs demandes. Le jugement est confirmé.

L’équité ne commande pas d’allouer une somme à la société Etablissements Darty et Fils en application de l’article 700 du code de procédure civile.

M. et Mme [X] et la Macif seront condamnés aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, par arrêt contradictoire mis à disposition,

CONFIRME le jugement en date du 31 mars 2021 ,

Y ajoutant,

REJETTE la demande de la société Etablissements Darty et Fils en application de l’article 700 du code de procédure civile ,

CONDAMNE M.[F] [X], Mme [C] [X] et la Macif aux dépens d’appel, qui seront recouvrés par Maître Debray conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame F. PERRET, Président et par Madame K. FOULON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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