Type de juridiction : Cour d’Appel
Juridiction : Cour d’Appel de Versailles
Thématique : Requalification d’un contrat de travail dans la téléréalité
→ RésuméUn candidat de l’Ile de la tentation a réussi à faire requalifier sa participation en contrat de travail. Ce contrat repose sur trois éléments : une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination. Malgré le caractère ludique de l’émission, le candidat a mis à disposition sa personne et son temps pour la production, ce qui constitue une prestation de travail. La société TF1 PRODUCTION a exercé un contrôle sur les participants, imposant des règles strictes et des sanctions. En conséquence, le contrat a été requalifié en CDI, entraînant un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
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Contrat de travail et téléréalité
Un nouveau candidat de l’Ile de la tentation a obtenu la requalification de sa participation en contrat de travail. Le contrat de travail suppose la réunion de trois éléments, une prestation de travail, une rémunération en contrepartie de celle-ci et un lien de subordination entre les parties, en vertu duquel le salarié exécute son travail sous l’autorité et le contrôle de l’employeur qui dispose d’un pouvoir de directive et de sanction à son égard.
La notion de contrat de travail -qu’aucune disposition légale ne définit- n’implique pas nécessairement l’exercice par le salarié d’une activité professionnelle ; de même, le droit ne prend pas en compte la motivation personnelle, propre à chaque contractant ; il importe peu, en effet, que ce dernier fournisse sa prestation par plaisir ou par devoir, ces éléments demeurant étrangers à la sphère juridique.
En revanche, le contrat de travail traduit l’ aliénation consentie par un individu, de ses qualités et de ses compétences personnelles -qu’il s’agisse de sa force de travail, de ses dons voire de sa personne, c’est à dire de son temps et de sa liberté- dès lors que tous ces éléments sont mis en oeuvre pour le compte et dans l’intérêt d’un tiers, en vue de la production d’un bien ayant une valeur économique.
En l’espèce, quel que soit le caractère apparemment ludique ou futile de l’activité de l’ appelant durant l’expérience personnelle que celui-ci a décidé de vivre, en participant à la série de « l’Ile de la tentation », la mise à disposition de la société TF1 PRODUCTION, par le candidat, de sa personne, de son temps et de sa vie privée pour l’élaboration précisément de cette série télévisée, vendue ensuite à la chaîne télévisuelle TF1, caractérisait donc bien une prestation de travail.
Sur le lien de subordination, la société TF1 PRODUCTION ne conteste pas que le déroulement, non seulement du tournage, mais également de la vie même des participants, pendant leur séjour sur l’île, était prévu dans une « bible », certes, destinée à l’équipe technique de l’émission mais témoignant précisément de l’emploi du temps des intéressés et déterminant l’activité, les horaires et les attitudes auxquels devaient se soumettre les participants.
En effet, le candidat était placé sous l’autorité du producteur, conformément aux clauses de son règlement et de l’annexe de celui-ci, intitulée « autres obligations ». Il s’était engagé ainsi à se prêter aux jeux et activités divers auxquels la production lui demanderait de participer, acceptant d’être filmé de jour ou de nuit ; qu’il avait également accepté que soient déterminés exclusivement par le producteur, son séjour et ses conditions de vie, au point que les vêtements et accessoires emportés par lui sur l’île devaient avoir reçu l’accord du producteur.
Le candidat, comme les autres participants, n’était pas libre d’interrompre sa participation à sa guise, mais devait au contraire, poursuivre celle-ci en toute circonstance, sauf accord du producteur ou survenance du décès d’un proche. Le producteur, de son côté, disposait d’un pouvoir de contrainte et de sanction envers le participant puisqu’il lui était possible de d’ infliger à celui-ci « une amende » en cas de violation de son obligation de confidentialité ou de le renvoyer à Paris » sans avoir à se justifier, dès lors que « son attitude devenait incompatible avec le règlement ».
Quels que soient les termes juridiques dont la société TF1 PRODUCTION qualifie ces prérogatives du producteur -résiliation unilatérale ou clause pénale- force est de constater que les dispositions en cause attribuent au producteur des pouvoirs destinés à sanctionner le comportement d’un subordonné. Le contrat liant le candidat à la société TF1 PRODUCTION avait, en définitive, pour objet et pour effet de mettre à la charge du premier, l’obligation de suivre les activités prévues et organisées par la seconde.
Sur la rémunération, depuis son départ de Paris jusqu’à son retour dans cette ville et pendant l’intégralité du séjour sur « l’île de la tentation », le candidat a vu tous ses frais de transport, d’hébergement et de repas, pris en charge par la société TF1 PRODUCTION. Cette prise en charge correspond à un ensemble d’ avantages en nature, caractérisant une rémunération ; que la société TF1 PRODUCTION n’est pas fondée à soutenir que la participation du candidat a été effectuée à titre gratuit.
Prescription de l’action des candidats
Les demandes à caractère salarial formées par le candidat s’avéraient prescrites. En effet, l’article L 3245-1 du code du travail -dans sa rédaction applicable à l’époque des faits- énonçait que le paiement du salaire se prescrit par cinq ans. Le candidat a participé au tournage en avril 2005 et n’a saisi le conseil de prud’hommes qu’en décembre 2011. Il était donc prescrit du chef de toutes ses prétentions à caractère salarial visant au paiement de sommes à titre de salaires, d’heures supplémentaires, de repos compensateur et de préavis.
Requalification en CDI
Le contrat requalifié, ne comportant pas les mentions spécifiques prévues par la loi pour établir l’existence d’un contrat à durée déterminée ou d’un contrat à temps partiel, doit être considéré comme constituant un contrat à durée indéterminée à temps complet. En outre, ce contrat ayant été rompu par la fin du tournage de la série, donc, du fait de l’employeur, la rupture contractuelle intervenue s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, intervenu sans le respect de la procédure légale prévue en matière de licenciement.
A ce dernier titre, le candidat disposant de moins de deux ans d’ancienneté, est en droit de prétendre, en vertu de l’article L 1235-5, au versement par la société TF1 PRODUCTION de l’indemnité prévue à l’article L 1235-2, d’un montant égal, au maximum, à un mois de salaire.
S’agissant du calcul de la durée du temps de travail, doit être pris en considération le fait que le candidat, comme les autres participants, devait, non seulement, participer au tournage des scènes destinées à être télévisées, mais également, se prêter, en dehors des caméras, aux diverses activités programmées par le producteur. La « bible » démontre que le réveil des participants était aussi programmé, ce qui prouve que les intéressés n’étaient pas totalement privés de sommeil. En outre, l’organisation du tournage et de l’émission faisait que tous les participants n’étaient pas sollicités ensemble par le producteur, de telle sorte que les intéressés ne se tenaient pas 24 heures sur 24 à la disposition de celui-ci ou de son équipe, mais se trouvaient tout au plus, assujettis -en dehors de leur temps de participation telle que définie par le « règlement »- à une forme d’ astreinte, les tenant, isolés, sur le site, prêts à répondre aux demandes du producteur. En conclusion, le « salaire de référence » s’établissait sur la base de 11 jours de travail, à raison de 112 heures de travail, donc, par semaine (16 heures x 7), dont, 77 heures supplémentaires hebdomadaires (112-35).
Mots clés : Téléréalité
Thème : Téléréalité
A propos de cette jurisprudence : juridiction : Cour d’appel de Versailles | Date. : 6 mai 2014 | Pays : France
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