Cour d’Appel de Versailles, 4 juillet 2018
Cour d’Appel de Versailles, 4 juillet 2018

Type de juridiction : Cour d’Appel

Juridiction : Cour d’Appel de Versailles

Thématique : Affaire Nulle Part Ailleurs Production

Résumé

La requalification des CDD d’usage en CDI peut être envisagée lorsque la durée de collaboration est excessive, comme l’illustre le cas d’une assistante-réalisateur ayant travaillé 20 ans pour Nulle Part Ailleurs Production. Toutefois, la prescription peut limiter cette action. En effet, les lois de 2008 et 2013 ont réduit le délai de prescription à 5 ans puis 2 ans, rendant irrecevables les demandes concernant les contrats antérieurs à 2009. Ainsi, la salariée a pu obtenir la requalification uniquement pour la période postérieure, soulignant l’importance de la connaissance des délais dans les actions en justice liées au contrat de travail.

Même si cela ne transparaît pas de la motivation des décisions des juridictions, une très longue durée de collaboration au moyen de CDD d’usage,  est un indice sérieux d’abus de la part de l’employeur. En la matière, le salarié peut toutefois être confronté à la prescription.

Emploi d’assistant réalisateur

Une assistante-réalisateur de la société Nulle Part Ailleurs Production (filiale de la société d’Edition de Canal Plus) a obtenu la requalification de ses nombreux CDD d’usage (20 ans de collaboration) en CDI.

Prescription acquise

L’employeur a soulevé avec succès l’irrecevabilité partielle de l’action de son ancienne salariée sur les CDD d’usage conclus avant 2009, sur le fondement des lois des 17 juin 2008 et 14 juin 2013 ayant successivement réduit le délai de prescription pour toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail à 5 ans puis 2 ans. En conséquence, le délai de prescription de l’action en requalification ne court pas nécessairement à compter du terme du dernier contrat et ne permet pas obligatoirement au salarié de demander la requalification de l’ensemble de sa relation de travail matérialisée par des contrats à durée déterminée successifs quelle que soit leur antériorité.

En effet, aux termes de l’article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Il en résulte que le délai de prescription d’une action en requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, fondée sur l’absence d’une mention au contrat, court à compter de la conclusion de ce contrat et à compter de l’expiration de ce contrat lorsque l’action est fondée sur le motif du recours par l’employeur à un contrat temporaire.

Si le délai de l’action en contestation de l’exécution et de la rupture du contrat est passé de 5 ans à 2 ans par la loi du 14 juin 2013, un régime transitoire a été prévu dans les termes suivants : « les dispositions du code du travail prévues au III et IV du présent article s’appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ».

En l’espèce, entre 1998 et juin 2008, la prescription trentenaire a commencé à courir, puis à compter de juin 2008 la prescription quinquennale s’est appliquée et, enfin, depuis le 17 juin 2013 (date de promulgation de la loi) le nouveau délai de 2 ans.

La salariée ayant saisi le conseil de prud’hommes par requête reçue le 6 novembre 2014, l’action en requalification des contrats était prescrite, en application des dispositions transitoires, pour la période antérieure au 6 novembre 2009.

Conditions du coemploi

La salariée n’a pas non plus obtenu la condamnation solidaire des sociétés d’Edition de Canal Plus et NPA Production par le fait qu’elles font partie du groupe CANAL +, la seconde étant la filiale détenue quasiment à 100 % par la première.

Hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l’égard du personnel employé par une autre société que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière.

Emploi permanent d’assistant réalisateur

Toutefois, pour la période postérieure à 2009, la salariée a obtenu gain de cause (requalification en CDI).  La salariée a travaillé au sein de la société NPA Production régulièrement en qualité d’assistante-réalisateur pendant des années, suivant les mêmes conditions (forfait de 8 heures journalières), sa mission consistant à seconder le réalisateur en veillant au bon déroulement du tournage dont il gère l’organisation. Or, les fonctions de premier assistant réalisateur sont inhérentes à la conception des émissions et essentielles pour la production d’un programme audiovisuel, ce qui constitue précisément l’activité de la société NPA Production. Ainsi, l’emploi en cause était rattaché à cette activité pérenne de l’entreprise, indépendamment de l’émission concernée et de son contenu et relevait de son activité normale et permanente.

S’il résulte de la combinaison des articles L. 1242-1, L. 1242-2, L. 1245-1 et D. 1242-1 du code du travail, que dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats à durée déterminée lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en oeuvre par la directive numéro 1999/70/CE du 28 juin 1999, en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l’utilisation de ces contrats est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné.

Ainsi, la détermination par accord collectif de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au contrat de travail à durée déterminée d’usage ne dispense pas le juge, en cas de litige, de vérifier concrètement l’existence de ces raisons objectives.

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