Cour d’appel de Versailles, 29 janvier 2025, RG n° 22/04866
Cour d’appel de Versailles, 29 janvier 2025, RG n° 22/04866

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Versailles

Thématique : Interdiction d’accès et garanties d’assurance : enjeux et interprétations

Résumé

Contexte de l’affaire

La société Le Rendez-vous enchanté gère un restaurant asiatique situé à [Adresse 2] (78). Le 18 octobre 2016, elle a souscrit une police d’assurance multirisque professionnelle « Acajou Signature » n°B18002320 auprès des Assurances du Crédit Mutuel Iard (ACM), via la Banque CIC Est, incluant une garantie pour les pertes d’exploitation.

Mesures gouvernementales et impact sur l’activité

À partir du 15 mars 2020, des arrêtés ministériels ont interdit aux restaurants de recevoir du public en raison de la pandémie de Covid-19. En réponse à cette situation, le groupe Crédit Mutuel a proposé une prime de relance mutualiste, versant 20.000 euros à la société Le Rendez-vous enchanté sans contrepartie.

Demande d’indemnisation

Le 20 janvier 2021, la société a mis en demeure les ACM de couvrir les pertes d’exploitation subies. En retour, les ACM ont affirmé que les conditions de la garantie n’étaient pas remplies et ont résilié le contrat le 21 juillet 2021. En mai 2021, Le Rendez-vous enchanté a assigné les ACM et la Banque CIC Est devant le tribunal de commerce de Versailles.

Jugement du tribunal de commerce

Le 29 juin 2022, le tribunal a mis hors de cause la Banque CIC Est et le CIC, a déclaré la clause d’exclusion inopposable à la société, et a condamné les ACM à indemniser Le Rendez-vous enchanté pour ses pertes d’exploitation entre le 15 mars 2020 et le 18 mai 2021, avec une provision de 55.000 euros. La demande de dommages et intérêts a été rejetée.

Appel des Assurances du Crédit Mutuel

Les ACM ont interjeté appel le 21 juillet 2022, demandant l’infirmation du jugement, arguant que les conditions de la garantie n’étaient pas remplies et que la clause d’exclusion était applicable. Elles ont également contesté la reconnaissance de la perte d’exploitation.

Arguments de la société Le Rendez-vous enchanté

Le Rendez-vous enchanté a soutenu que la garantie était mobilisable, affirmant que la fermeture de son établissement était due à des mesures administratives liées à la pandémie. Elle a contesté la validité de la clause d’exclusion, arguant qu’elle n’était pas conforme aux exigences légales.

Analyse des conditions d’application de la garantie

La cour a examiné les conditions générales du contrat, précisant que l’interdiction d’accès se réfère à une impossibilité totale d’accéder aux locaux, ce qui n’était pas le cas durant les périodes de restrictions. Les mesures gouvernementales n’ont pas constitué une interdiction d’accès au sens contractuel.

Validité de la clause d’exclusion

La clause d’exclusion relative aux dommages causés par les micro-organismes a été jugée valide et opposable. La cour a constaté que le Covid-19, en tant que virus, était inclus dans la définition de micro-organisme, rendant la clause applicable au litige.

Responsabilité de l’assureur

Le Rendez-vous enchanté a allégué un manquement de l’assureur à son devoir d’information et de conseil. Cependant, la cour a déterminé que l’assurée avait reçu toutes les informations nécessaires lors de la souscription du contrat et n’avait pas été induite en erreur.

Dépens et frais irrépétibles

La société Le Rendez-vous enchanté a été condamnée aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à verser 5.000 euros aux ACM pour les frais irrépétibles.

Conclusion de la cour

La cour a infirmé le jugement initial, déclarant que la garantie des pertes d’exploitation n’était pas mobilisable et que la clause d’exclusion était valide. Le manquement de l’assureur à son devoir d’information n’a pas été établi, et toutes les demandes de la société Le Rendez-vous enchanté ont été rejetées.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 58E

Chambre commerciale 3-1

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 JANVIER 2025

N° RG 22/04866 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VKXC

AFFAIRE :

S.A. ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL (ACM IARD)

C/

S.A.R.L. LE RENDEZ-VOUS ENCHANTE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Juin 2022 par le Tribunal de Commerce de Versailles

N° chambre : 1

N° RG : 2021F00432

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Oriane DONTOT

Me Marie-Laure ABELLA

TC VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A. ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL (ACM IARD)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & TEYTAUD SALEH, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me Serge PAULUS, Plaidant, avocat au barreau de Strasbourg

APPELANTE

****************

S.A.R.L. LE RENDEZ-VOUS ENCHANTE

RCS Versailles n° 792 221 368

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie-Laure ABELLA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 443 et Me Kérène RUDERMANN, Plaidant, avocat au barreau de Paris

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 Novembre 2024, Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, conseillère, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,

Madame Bérangère MEURANT, Conseillère,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT

EXPOSE DES FAITS

La société Le Rendez-vous enchanté exploite un restaurant asiatique situé [Adresse 2] (78).

Le 18 octobre 2016, elle a souscrit auprès de la société Assurances du crédit mutuel Iard (ci-après les ACM), par l’intermédiaire de la Banque CIC Est, une police d’assurance multirisque professionnelle « Acajou Signature » n°B18002320 comportant une garantie des pertes d’exploitation.

Par arrêtés des 14 et 15 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, le ministère des solidarités et de la santé a fait interdiction aux restaurants et débits de boissons de recevoir du public, à compter du 15 mars 2020.

Le groupe Crédit mutuel a proposé de verser une « prime de relance mutualiste » à ses assurés bénéficiant d’une police d’assurance multirisque professionnelle. A ce titre, la somme de 20.000 euros a été versée à la société Le Rendez-vous enchanté, sans contrepartie, ni renonciation.

Par lettre du 20 janvier 2021, le conseil de la société Le Rendez-vous enchanté a mis en demeure les ACM de garantir les pertes d’exploitation subies par sa cliente.

Par courrier du 19 février 2021, les ACM ont répondu que les conditions de mobilisation de la garantie des pertes d’exploitation n’étaient pas remplies et qu’en tout état de cause, une clause d’exclusion empêchait l’indemnisation du dommage. L’assureur a résilié le contrat le 21 juillet 2021.

Par actes des 19 et 20 mai 2021, la société Le Rendez-vous enchanté a assigné la société Crédit industriel et commercial (CIC) et les ACM devant le tribunal de commerce de Versailles afin de voir mobiliser la garantie souscrite.

Puis, par acte du 4 octobre 2021, la société Le Rendez-vous enchanté a assigné en intervention forcée la Banque CIC Est devant le tribunal de commerce de Versailles.

Par jugement du 29 juin 2022, le tribunal de commerce de Versailles a pour l’essentiel :

– mis hors de cause la Banque CIC Est et le Crédit industriel et commercial ;

– dit que la clause d’exclusion prévue au contrat n’est pas opposable à la société Le Rendez-vous enchanté ;

– condamné les ACM à garantir la société Le Rendez-vous enchanté de sa perte d’exploitation au titre des périodes allant du 15 mars 2020 au 14 juin 2020 et du 30 octobre 2020 au 18 mai 2021 ;

– condamné les ACM à payer à titre provisionnel à la société Le Rendez-vous enchanté la somme de 55.000 euros ;

– débouté la société Le Rendez-vous enchanté de sa demande de dommages et intérêts ;

– ordonné une expertise et commis pour y procéder M. [J] avec mission telle que décrite et détaillée au dispositif de la décision ;

– renvoyé la cause et les parties à l’audience du 14 décembre 2022 à 14 heures ;

– réservé l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– réservé les dépens.

Par déclaration du 21 juillet 2022, les ACM ont interjeté appel de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 4 décembre 2023, elles demandent à la cour de :

– infirmer le jugement sauf en ce qu’il a mis hors de cause la Banque CIC Est et le CIC et en ce qu’il a débouté la société Le Rendez-vous enchanté de sa demande de dommages et intérêts ;

statuant à nouveau,

– juger que la société Le Rendez-vous enchanté ne démontre pas que les conditions de la garantie perte d’exploitation au titre du contrat Acajou Signature sont réunies ;

– déclarer la clause d’exclusion invoquée applicable et opposable à la société Le Rendez-vous enchanté ;

– juger que la société Le Rendez-vous enchanté ne démontre pas l’existence d’un préjudice indemnisable par son assureur et avoir déclaré son sinistre dans le délai de 5 jours ouvrés ;

– déchoir la société Le Rendez-vous enchanté de toute garantie au titre du décret du 30 octobre 2020 du fait de sa déclaration tardive ;

– mettre à néant la condamnation provisionnelle prononcée à hauteur de 55.000 euros au profit de la société Le Rendez-vous enchanté et dire n’y avoir lieu à expertise ;

plus généralement et en tout état de cause,

– débouter la société Le Rendez-vous enchanté de l’ensemble de ses demandes ;

– juger que la cour n’est saisie d’aucun appel incident relatif à la demande de dommages et intérêts rejetée par le tribunal ;

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Le Rendez-vous enchanté de sa demande de dommages et intérêts ;

– condamner la société Le Rendez-vous enchanté au paiement d’une indemnité de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel en accordant à Me Dontot, avocate, le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 2 juillet 2024, la société Le Rendez-vous enchanté demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné les ACM à mobiliser sa garantie perte d’exploitation et à l’indemniser à ce titre et exclu l’opposabilité d’une quelconque clause d’exclusion ;

– l’infirmer en ce qu’il a considéré que le formalisme de la clause d’exclusion était conforme à la loi et que le virus Covid-19 était un micro-organisme ;

– juger que les ACM engagent leur responsabilité contractuelle faute de ne pas avoir respecté leurs obligations de conseil et d’information ;

statuant à nouveau sur ces derniers points,

– juger que la clause d’exclusion ne respecte par le formalisme exigé par la lettre du code des assurances ;

– réputer non écrite la clause d’exclusion ;

– juger que le virus Covid-19 ne peut être considéré comme un micro-organisme ;

– déclarer inopposable la clause d’exclusion prévue dans la police ACM ;

– condamner les ACM à l’indemniser de sa perte d’exploitation ;

en conséquence,

– condamner les ACM à lui payer la somme de 180.000 euros à titre d’indemnisation, soit la somme de 125.000 euros en tenant compte de la provision de 55.000 euros d’ores et déjà versée ;

– condamner les ACM à lui payer la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi que les entiers dépens (en ce compris les frais d’expertise judiciaire).

La clôture de l’instruction a été prononcée le 4 juillet 2024.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l’article 455 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, dans la limite de sa saisine,

Infirme le jugement en ses dispositions déférées à la cour ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que la garantie des pertes d’exploitation du contrat d’assurance multirisque professionnelle ‘Acajou Signature’ souscrit par la société Le Rendez-vous enchanté auprès de la société Assurances du Crédit Mutuel Iard n’est pas mobilisable ;

Dit qu’en toute hypothèse la société Assurances du Crédit Mutuel Iard est fondée à opposer à la société Le Rendez-vous enchanté la clause d’exclusion dont est assortie la garantie des pertes d’exploitation ;

Dit que le manquement de la société Assurances du Crédit Mutuel Iard à son devoir de conseil et d’information n’est pas établi ;

Déboute en conséquence la société Le Rendez-vous enchanté de toutes ses demandes ;

Condamne la société Le Rendez-vous enchanté aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction au bénéfice de Me Oriane Dontot, JRF & Associés ;

Condamne la société Le Rendez-vous enchanté à verser à la société Assurances du Crédit Mutuel Iard la somme globale de 5.000 euros en application de l’article 700 du code procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier La Présidente

 


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