Cour d’appel de Versailles, 27 novembre 2024, RG n° 24/01323
Cour d’appel de Versailles, 27 novembre 2024, RG n° 24/01323

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Versailles

Thématique : Erreur matérielle et droit d’accès au juge : la recevabilité d’un recours contestée par des mentions erronées.

Résumé

Par jugement du 11 mars 2022, le conseil de prud’hommes de Nanterre a débouté Mme [B] de ses demandes contre la société Monoprix. Après une déclaration d’appel le 5 mai 2022, celle-ci a été déclarée caduque en raison d’une erreur de désignation. Mme [B] a ensuite déposé une nouvelle déclaration d’appel le 4 décembre 2023, mais celle-ci a été jugée irrecevable comme tardive. Toutefois, la cour a reconnu que l’erreur dans la notification du jugement avait empêché le délai d’appel de courir, permettant ainsi à Mme [B] de faire appel, ce que la cour a finalement accepté.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80O

Chambre sociale 4-4

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 27 NOVEMBRE 2024

N° RG 24/01323

N° Portalis DBV3-V-B7I-WP2L

AFFAIRE :

[I] [B]

C/

Société MONOPRIX

Décision déférée à la cour : Ordonnance du conseiller de la mise en état du 4 avril 2024

Chambre: 4-1

N° RG : 23/03408

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me David AMANOU

Me Cécile FOURCADE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SEPT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [I] [B]

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me David AMANOU de l’AARPI LDDA AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 108

Plaidant: Me Audrey CAGNIN, avocat au barreau de Paris

APPELANTE

DEMANDERESSE A LA REQUÊTE EN DÉFÉRÉ

****************

Société MONOPRIX

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Cécile FOURCADE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1815 substitué à l’audience par Me Guillaume MANGAUD, avocat au barreau de Paris

INTIMÉE

DÉFENDERESSE A LA REQUÊTE EN DÉFÉRÉ

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 4 octobre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par jugement du 11 mars 2022, notifié aux parties le 7 avril 2022, le conseil de prud’hommes de Nanterre (section encadrement) a :

. débouté Mme [B] de toutes ses demandes,

. débouté la société Monoprix de sa demande reconventionnelle,

. mis les éventuels dépens à la charge de la demanderesse.

Par déclaration du 5 mai 2022 la salariée interjeté appel de ce jugement à l’encontre de la société Monoprix Exploitation. Cette déclaration d’appel a été déclarée caduque par ordonnance du conseiller de la mise en état du 27 novembre 2023, confirmée par la cour d’appel de Versailles, sur déféré, le 4 septembre 2024, aux motifs que la déclaration d’appel que la salariée a formée le 5 mai 2022 a été dirigée contre « S.A.S. MONOPRIX (MPX) » et que ses conclusions ne comportaient de demandes qu’à l’encontre de la société Monoprix et non à l’encontre de Monoprix exploitation qui, seule intimée, avait constitué avocat.

Par une nouvelle déclaration adressée au greffe de la cour d’appel de Versailles le 4 décembre 2023, Mme [B] a interjeté appel du jugement du 11 mars 2022 à l’encontre de la société Monoprix.

Selon une ordonnance du 4 avril 2024, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Versailles a déclaré l’appel irrecevable comme tardif.

Par requête aux fins de déféré du 29 avril 2024, à laquelle il est expressément renvoyé pour l’énoncé complet des moyens, Mme [B] demande à la cour de :

. juger que la présente requête est parfaitement recevable,

. juger que les demandes formulées par Mme [B] sont bien fondées,

. juger que Mme [B] est recevable dans ses écritures,

. juger que conformément aux dispositions de l’arrêt du 13 avril 2023, le délai pour interjeter appel du jugement rendu le 11 mars 2022 n’a pas commencé à courir,

En conséquence

. réformer les dispositions de l’ordonnance d’incident du 4 avril 2024,

. juger que la déclaration d’appel de Mme [B] du 4 décembre 2023 et enregistrée sous le numéro de RG 23/3408 est parfaitement recevable,

. rejeter les arguments mis en avant par la société Monoprix,

. débouter la société Monoprix de ses demandes,

. dire et juger que les frais et dépens seront à la charge du trésor public.

Elle soutient que l’erreur dans sa déclaration d’appel initiale formée contre la seule société Monoprix exploitation, est imputable au conseil de prud’hommes, lequel, en première page du jugement fait mention une société inexistante, ce dont elle ne pourrait être tenue pour responsable sans que cela ne viole son droit d’accès au juge. Par ailleurs, la mention erronée dans l’identification de la société contenue dans l’acte de notification du jugement, reprise par l’appelante dans sa déclaration d’appel, fait obstacle à l’écoulement du délai d’appel.

Par conclusions du 11 septembre 2024, la société Monoprix, demande à la cour de :

. Confirmer l’ordonnance sur incident du 4 avril 2024, en ce qu’elle a prononcé l’irrecevabilité de la déclaration d’appel du 4 décembre 2023,

En tout hypothèse, statuant à nouveau

. Déclarer la société Monoprix recevable et bien fondé en son incident

Y faisant droit

. Déclarer irrecevable à l’égard de la société Monoprix la déclaration d’appel régularisée par Mme [B] le 4 décembre 2023 à l’encontre de la Société Monoprix, interjeté hors délai en violation de l’article 537 du code de procédure civile ;

. Déclarer irrecevable la déclaration d’appel régularisée par Mme [B] à l’encontre de la société Monoprix, compte tenu de la violation du principe de l’autorité de la chose jugée et du principe d’estoppel,

. Condamner Mme [B] aux dépens

. Rejeter les demandes formulées par Mme [B] devant la cour par voie de requête en déféré

Elle soutient trois moyens propres, selon elle, à déclarer irrecevable la déclaration d’appel de l’appelante :

. le caractère tardif de la déclaration d’appel faite plus d’un mois après la notification de la décision,

. l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 4 septembre 2024,

. la violation, par l’appelante, du principe d’estoppel mettant en évidence une contradiction entre les moyens qu’elle présentait à l’occasion de l’instance introduite dans le cadre d’une précédente déclaration d’appel et ceux qu’elle présente dans le cadre de la présente instance introduite par suite de sa déclaration d’appel du 4 décembre 2023.

MOTIFS

Sur le délai d’appel

Suivant l’article 538 du code de procédure civile, le délai de recours par une voie ordinaire est d’un mois en matière contentieuse.

En l’espèce, l’appelante a, le 4 décembre 2023, relevé appel de la décision du conseil de prud’hommes du 11 mars 2022, qui lui a été notifiée le 7 avril 2022. Dans cette déclaration d’appel du 4 décembre 2023, l’appelante a intimé cette fois la société SAS Monoprix.

Certes, l’appel formé par l’appelante date du 4 décembre 2023 alors que la décision qu’elle critique lui a été notifiée le 7 avril 2022 c’est-à-dire plus d’un mois avant.

La salariée expose néanmoins que le délai d’appel n’a pas couru en raison de ce que son appel initial a été mal dirigé contre la société Monoprix exploitation, par suite d’une erreur matérielle commise par le conseil de prud’hommes de Nanterre sur le numéro de Siret de la défenderesse. Elle se fonde en cela sur l’article 6-1 de la CEDH relatif au droit à un procès équitable et sur une jurisprudence de la Cour de cassation du 13 avril 2023.

Au cas d’espèce la première page du jugement critiqué mentionne :

« Société MONOPRIX,

N° SIRET : 552 083 297 02537

[Adresse 1] »

Or, le numéro de Siret ici mentionné correspond, non pas à celui de la société Monoprix mais à celui de la société Monoprix Exploitation alors pourtant que les parties s’accordent pour admettre que les demandes formées en première instance avaient bien été dirigées contre la seule société Monoprix.

Il s’agit donc d’une erreur manifeste, commise par le conseil de prud’hommes, dans le numéro de Siret de la société défenderesse, que la salariée a repris en relevant une première fois appel contre la décision dans sa déclaration d’appel du 5 mai 2022.

Or, il résulte de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit d’accès au juge, qu’un justiciable, fût-il représenté ou assisté par un avocat, ne saurait être tenu pour responsable du non-respect des formalités de procédure imputable à la juridiction. Dès lors, le délai d’appel ne peut pas courir contre la partie qui a reçu une notification du jugement effectuée par le greffe comprenant des mentions erronées sur l’identité des parties (Civ.2, 13 avril 2023, pourvoi n°21-21.242, publié).

Par conséquent, ainsi que le soutient à juste titre l’appelante, le délai d’appel n’a pas couru, dès lors que l’erreur du conseil de prud’hommes sur le numéro de Siret de la société défenderesse a été reprise dans la première déclaration d’appel de l’appelante ce qui a eu pour conséquence d’entraîner sa caducité.

Ainsi, la cour ayant précédemment constaté que la salariée appelante a reçu une notification du jugement effectuée par le greffe comprenant des mentions erronées sur l’identité de la société au regard de son numéro de Siret, imputable à la juridiction, qui a été reprise par l’appelante dans sa déclaration d’appel, il s’en déduit nécessairement, contrairement à ce qu’a retenu le conseiller de la mise en état, que le délai d’appel n’a pas couru.

Sur l’autorité de la chose jugée

L’article 480 du code de procédure civile énonce que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche. Le principal s’entend de l’objet du litige tel qu’il est déterminé par l’article 4.

L’article 481 prévoit que le jugement, dès son prononcé, dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche.

L’article 122 prescrit quant à lui que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel (‘) la chose jugée.

Pour invoquer l’autorité que la loi attribue à la chose jugée, il faut, entre autres conditions, que la demande soit entre les mêmes parties et formée pour elles ou contre elles en la même qualité et que la question tranchée ait le même objet.

En l’espèce, avant de relever appel du jugement du 11 mars 2022 par déclaration du 4 décembre 2023, l’appelante avait déjà une première fois interjeté appel contre cette même décision, le 5 mai 2022. Mais elle avait alors intimé la SAS Monoprix Exploitation, société juridiquement distincte de la SAS Monoprix, et qui n’était pas partie au litige.

Par une ordonnance du 27 novembre 2023, le conseiller de la mise en état a, dans la procédure susvisée, prononcé la caducité de cette déclaration d’appel.

Cette ordonnance a été confirmée, sur déféré, par la cour selon un arrêt du 4 septembre 2024. La cour avait, au visa des articles 4, 908, 911 et 954 du code de procédure civile, considéré que les demandes de la salariée n’étaient dirigées que contre la société Monoprix, laquelle n’avait pas constitué avocat, seule la société Monoprix Exploitation ayant été intimée dans le cadre cette première déclaration d’appel.

L’arrêt du 4 septembre 2024, à ce jour définitif en l’absence de pourvoi formé à son encontre, a tranché un litige opposant la salariée aux sociétés Monoprix Exploitation et son employeur, la SAS Monoprix, laquelle n’avait été appelée dans la cause que le 4 mai 2023, par suite d’une assignation en intervention forcée. La SAS Monoprix, prise en sa qualité d’employeur, était donc partie à la procédure, même si elle n’avait été mise en cause que postérieurement à la date à laquelle la première déclaration d’appel était déjà devenue caduque.

Dans le cadre de la présente instance, faisant suite à la déclaration d’appel du 4 décembre 2023, l’appelante, qui se dit salariée de la SAS Monoprix, a intimée cette dernière en qualité d’employeur.

Ainsi les deux affaires opposent-elles les mêmes parties en la même qualité.

En revanche, l’objet de la question tranchée par l’arrêt du 4 septembre 2024 est différent de celui aujourd’hui soumis à la cour. En effet, l’objet du litige tranché le 4 septembre 2024 était en lien avec des questions procédurales soulevées à l’occasion d’une instance introduite par une autre déclaration d’appel. La difficulté tenait en l’occurrence à ce que l’appel formé par la salariée avait été dirigé contre une société qui n’avait pas été appelée dans la cause en première instance. Tel n’est pas le cas de l’objet du présent litige qui se présente différemment puisque dans le cadre de ce litige, c’est bien la société présente en première instance qui a été intimée par cette seconde déclaration d’appel.

Le litige soumis à la cour dans l’instance qui a donné lieu à l’arrêt du 4 septembre 2024 d’une part puis dans la présente instance d’autre part n’ayant pas le même objet, le moyen de l’intimée tiré de l’irrecevabilité de l’appel comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée ne peut être accueilli.

Sur l’estoppel

La fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui sanctionne l’attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d’une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.

Ce principe ne sanctionne cependant pas d’une fin de non-recevoir la contradiction d’une partie effectuée au cours de deux procès successifs aux motifs que les actions sont distinctes ( (Soc. 22 sept. 2015, n° 14-16.947).

Cette fin de non-recevoir ne peut s’appliquer que lorsque les positions contraires sont adoptées au cours d’une même instance (Civ. 2e, 15 mars 2018, n° 17-21.991 F-P+B+I).

Or, au cas d’espèce, l’intimée se fonde sur les contradictions de la salariée en procédant à une comparaison entre les arguments qu’elle soulevait à l’occasion de la première instance (celle issue de sa déclaration d’appel du 5 mai 2022) et ceux qu’elle soulève dans le cadre de la présente instance (résultant de sa déclaration d’appel du 4 décembre 2024).

En procédant à une comparaison des arguments de la salariée entre deux instances distinctes, l’intimée soumet à la cour un moyen d’irrecevabilité inopérant.

En synthèse de ce qui précède, il convient d’infirmer l’ordonnance déférée et, statuant à nouveau de dire recevable la déclaration d’appel formée par la salariée le 4 décembre 2023 à l’encontre de la société Monoprix SAS, numéro de siret N°552.018.020, et de rejeter les fins de non-recevoir que lui oppose l’intimée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens du présent déféré seront mis à la charge de la société Monoprix.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :

INFIRME l’ordonnance déférée,

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

DIT recevable la déclaration d’appel formée par la salariée le 4 décembre 2023 à l’encontre de la société SAS Monoprix, Siret n° 552.018.020,

REJETTE les fins de non-recevoir opposées à Mme [B] par la SAS Monoprix,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

RENVOIE le dossier à la mise en état pour poursuite de la procédure,

CONDAMNE la SAS Monoprix aux dépens du présent déféré.

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Aurélie Prache, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » »’

La Greffière La Présidente

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon