Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Versailles
Thématique : Légitimité des mesures coercitives en matière fiscale : entre présomptions de fraude et protection des droits individuels.
→ RésuméLe 6 mars 2024, la DNEF a demandé l’autorisation d’effectuer une visite domiciliaire dans des locaux potentiellement occupés par plusieurs sociétés, dont le GIE Wivetix services. Cette demande a été acceptée le 12 mars. Les visites ont eu lieu le 14 mars, suivies d’un recours de la société Vétosaintmax, qui s’est désistée. Une seconde demande de visite a été approuvée le 8 mars pour d’autres entités, avec des opérations similaires. Lors de l’audience du 24 septembre, Vétosaintmax a demandé l’infirmation des ordonnances, mais le tribunal a confirmé celles-ci, rejetant ses demandes et l’assignant aux dépens.
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COUR D’APPEL
DE VERSAILLES
Chambre civile 1-7
Code nac : 93 a
N°
N° RG 24/01942 – N° Portalis DBV3-V-B7I-WN27
jonction avec RG 24/01943
( loi n° 2008-776 du
04 août 2008 de modernisation
de l’économie)
Copies délivrées le :
à :
VETOSAINTMAX
Me MERCEY
DNEF
Me DI FRANCESCO
JLD
ORDONNANCE
Le 26 Novembre 2024
par mise à disposition au greffe
Nous, Delphine BONNET, Conseillère de chambre à la cour d’appel de Versailles, déléguée par ordonnance de monsieur le premier président pour statuer en matière de procédures fiscales (article L. 16 B), assistée de Madame Rosanna VALETTE, Greffière, avons rendu l’ordonnance suivante :
ENTRE :
VETOSAINTMAX SAS
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Thomas MERCEY, avocat au barreau de PARIS et par Me Vincent BRIAND, avocat au barreau de PARIS, et ayant pour avocat non présent Me Sarah VALDURIEZ, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 161
APPELANT
ET :
DIRECTION NATIONALE D’ENQUETES FISCALES
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Jean DI FRANCESCO de la SCP URBINO ET ASSOCIES avocats au barreau de Paris, P 0137, substitué par Me Nicolas NEZONDET, avocat au barreau de PARIS
INTIME
A l’audience publique du 24 septembre 2024 où nous étions Delphine BONNET, Conseillère de chambre à la cour d’appel de Versailles, assistée de Madame Rosanna VALETTE, Greffière, avons indiqué que notre ordonnance serait rendue ce jour;
Par requête présentée le 6 mars 2024, la Direction nationale des enquêtes fiscales (la DNEF) a demandé au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nanterre, l’autorisation de procéder à une mesure de visite domiciliaire dans les locaux et dépendances situés [Adresse 5] et/ou [Adresse 5], susceptibles d’être occupés par le GIE Wivetix services et/ou la SAS IVC Evidensia et/ou la SAS Eden Vet et/ou la SAS VO services et/ou la SAS Vetone Holding et/ou la SAS les Cerisiers.
Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nanterre a fait droit à cette requête par une ordonnance du 12 mars 2024.
Les opérations de visite et de saisies ont été réalisées le 14 mars 2024 et par une déclaration datée du 27 mars suivant et reçue le 28 mars, la société Vétosaintmax a formé un recours contre ces opérations, recours enregistré sous le n° RG 24/01944, et dont elle s’est ensuite désistée.
Le même jour, la société Vétosaintmax a formé un appel contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nanterre, appel enregistré sous le n° RG 24/01942.
Parallèlement, la DNEF a saisi, par requête du 6 mars 2024, le juge des libertés et de la détention de Versailles afin d’obtenir l’autorisation de procéder à une mesure de visite domiciliaire dans les locaux et dépendances situés[Adresse 4] susceptibles d’être occupés par [C] [X] et/ou [Y] [K] et/ou [U] [X] et/ou [G] [X] et/ou la société Alta Vet et/ou la SCI [Adresse 7] et/ou la société Clarelise 3000 et/ou la société Asshe Réseau Education sans Frontières et/ou la société Shackleton & Monkleigh et/ou la société Clarelise Mb.
Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Versailles a fait droit à cette requête par une ordonnance du 8 mars 2024.
Les opérations de visite et de saisies ont été réalisées le 14 mars 2024 et par une déclaration datée du 27 mars suivant et reçue le 28 mars, la société Vétosaintmax a formé un recours contre ces opérations, recours enregistré sous le n° RG 24/01945, et dont elle s’est ensuite désistée.
Le même jour, la société Vétosaintmax a formé un appel contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Versailles, appel enregistré sous le n° RG 24/01943.
Les affaires ont été appelées à l’audience du 24 septembre 2024 à laquelle la société Vétosaintmax a développé ses conclusions remises par RPVA le 17 septembre 2024 dans le dossier RG 24/01942 d’une part et le dossier RG 24/01943 d’autre part, rédigées en des termes similaires, conclusions auxquelles il est renvoyé s’agissant des moyens qui y sont formulés, et par lesquelles elle demande à la juridiction du premier président de :
– infirmer les ordonnances dont appel ;
– rejeter la requête de la DNEF à voir autoriser des visites et des saisies à son encontre en tous
les lieux visés par lesdites ordonnances ;
– annuler en conséquence les saisies subséquentes ;
– ordonner la restitution de l’ensemble des documents saisis et de tous supports les contenants ;
– ordonner la destruction de toute copie des documents saisis ;
– condamner le directeur général des finances publiques, représenté par le chef des services fiscaux chargé de la Direction nationale des enquêtes fiscales à lui payer la somme de 8 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Directeur général des finances publiques, développant les termes de ses conclusions remises à l’audience, conclusions auxquelles il est également renvoyé s’agissant des moyens qui y sont formulés, demande à la juridiction du premier président de :
– confirmer les ordonnances des 8 et 12 mars 2024 des juges des libertés et de la détention de Versailles et Nanterre ;
– rejeter toutes demandes, fins et conclusions ;
– condamner l’appelante au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
* sur la procédure
Il convient, dans le souci d’une bonne administration de la justice, d’ordonner la jonction des affaires enregistrées sous les n° RG 24/01942 et RG 24/01943, sous ce premier numéro de rôle.
* sur le fond
Selon, l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, lorsque l’autorité judiciaire, saisie par l’administration fiscale, estime qu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts, elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser l’administration des impôts, à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s’y rapportant sont susceptibles d’être détenus ou d’être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu’en soit le support. [‘]
La visite domiciliaire, telle que prévue à cet article suppose que soient caractérisées des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires par l’effet de l’un des agissements mentionnés à cet article.
Ainsi, l’administration n’est tenue de justifier que de simples présomptions et non pas du fait qu’il serait avéré que le contribuable visé par la mesure de visite domiciliaire se soustrait de manière effective à l’établissement ou au paiement des impôts précités. À cet égard, il n’appartient pas au juge des libertés et de la détention, non plus qu’à la juridiction de céans dans le cadre du présent appel, de caractériser la fraude évoquée, la mesure de visite domiciliaire étant précisément destinée à rapporter les éléments probatoires à cet égard.
La société Vétosaintmax fait valoir que la DNEF ne disposait d’aucun élément susceptible de constituer un faisceau d’indices permettant de présumer la commission d’une fraude. Elle ajoute qu’elle ne comprend pas l’intérêt d’engager une procédure aussi coercitive et privative de libertés
que celle prévue par l’article L 16B du livre des procédures fiscales alors même qu’elle faisait l’objet d’une vérification de comptabilité et que l’inspecteur serait arrivé au même résultat dans ce cadre. Elle estime que la mise en oeuvre de la procédure doit donc être considérée comme inutile et disproportionnée.
En l’espèce, il y a lieu de relever que la société Vétosaintmax ne conteste pas les éléments factuels retenus dans les deux ordonnances entreprises relatifs à la présentation de la société Vétosaintmax et aux liens existants avec le GIE Wivetix services auquel elle a adhéré le 28 février 2021. Elle ne conteste pas davantage les autres éléments de faits relatés dans les ordonnances dont appel.
A l’occasion de la vérification de comptabilité dont a été l’objet la société Vétosaintmax portant sur la période du 1er janvier 2020 au 30 septembre 2022, il a été constaté que celle-ci avait déposé deux liasses fiscales au titre de son exercice clos au 30 septembre 2022.
Les premiers fichiers d’écritures comptables déposés le 8 janvier 2023, établis sur la base d’une comptabilité non-clôturée, indiquent que le montant des frais de gestion facturés par le GIE Wivetix services, présents dans le compte 62266100, était de 175 083,13 euros HT tandis que les seconds fichiers d’écritures comptables déposés le 27 février 2023 indiquent un montant de frais de gestion facturés par ce même GIE de 249 707,53 euros.
Il a été remis au vérificateur notamment une facture du 1er février 2023 à destination de la société Vétosaintmax d’un montant de 183 835,35 euros TTC pour des prestations ‘recharges/GIE member ship fees 2020 to 2022″ alors que la société Vétosaintmax n’a adhéré au GIE que le 28 février 2021 ainsi qu’un facture du 30 mars 2023 du GIE d’un montant de 89 549,28 euros TTC pour des prestations ‘recharges/GIE member ship fees 2022 additional »
Les éléments recueillis dans le cadre d’un contrôle de facturation (droit d’enquête) auprès du GIE révèlent que le GIE n’a pas émis de factures correspondant aux coûts facturés à ses membres sur les années 2021 et 2022.
Par ailleurs, il n’a pas été justifié de la nature exacte des prestations réalisées.
Au vu de ces éléments et de ceux repris dans les ordonnances des juges des libertés et de la détention (pages 11 à 14), c’est à bon droit que le premier juge a retenu qu’il pouvait être présumé que la société Vétosaintmax avait majoré indûment ses charges, minorant ainsi sa base taxable à l’impôt sur les sociétés et ainsi qu’elle n’a pas procédé à la passation régulière de ses écritures comptables.
Ces éléments relevés lors de la procédure de contrôle justifient la procédure visée à l’article L 16 B du livre des procédures fiscales qui est liée exclusivement à la recherche de preuves et qui est totalement distincte de la procédure de contrôle prévue par l’article 47 du même livre, étant rappelé que la Cour de cassation a jugé que l’administration peut solliciter l’application de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales au cours d’une vérification fiscale (exemple : Cass. com., 24 mai 2011, pourvoi n° 10-15674).
Ainsi, compte tenu des présomptions de fraude mises en évidence, le juge des libertés et de la détention de Nanterre et celui de Versailles ont valablement retenu que la procédure de visite domiciliaire était justifiée en ce qu’elle permettait de rechercher la preuve de ces agissements et ainsi d’accéder à des documents de gestion quotidienne de l’entreprise ou relatifs à son organisation interne que le contribuable n’a pas l’obligation de remettre dans le cadre d’une procédure de contrôle classique.
Il convient enfin de rappeler que les dispositions de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, qui organisent le droit de visite des agents de l’administration des impôts et le recours devant le premier président de la cour d’appel, assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et du droit d’obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la décision prescrivant la visite avec les nécessités de la lutte contre la fraude fiscale, de sorte que l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et du domicile est proportionnée au but poursuivi. (Cass. com., 20 novembre 2019, n° 18-15.423).
C’est donc à bon droit que les juges des libertés et de la détention ont fait droit à chacune des requêtes de la DNEF. Les ordonnances sont par conséquent confirmées.
PAR CES MOTIFS
Ordonne la jonction des affaires enregistrées sous les n° RG 24/01942 et RG 24/01943, sous ce premier numéro de rôle ;
Confirme les ordonnances rendues les 8 et 12 mars 2024 par le juge des libertés et de la détention de Versailles d’une part et le juge des libertés et de la détention de Nanterre d’autre part ;
Rejette toutes les demandes de la société Vétosaintmax ;
Condamne la société Vétosaintmax aux dépens ;
Condamne la société Vétosaintmax à payer à M. le Directeur général des finances publiques la somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de notre ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées selon les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Le greffier, Le conseiller,
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