Cour d’appel de Versailles, 25 novembre 2024, RG n° 22/00830
Cour d’appel de Versailles, 25 novembre 2024, RG n° 22/00830

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Versailles

Thématique : Harcèlement sexuel et responsabilité de l’employeur : enjeux de la protection des salariés en milieu professionnel.

Résumé

Présentation de la société et du contrat de travail

La société Synergee France, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre, est une société par actions simplifiée spécialisée dans le conseil en informatique et l’organisation administrative, ainsi que dans la conception et la diffusion de logiciels. Mme [D] [R] a été engagée par la société AGT, qui a ensuite fusionné avec Synergee France, en tant que chargée de communication et marketing à partir du 1er septembre 2015, avec un salaire brut mensuel de 3 004,94 euros.

Arrêt de travail et inaptitude

Mme [R] a été en arrêt de travail pour maladie du 27 octobre 2017 au 12 avril 2018. À l’issue d’une visite médicale de reprise, elle a été déclarée inapte à tout poste de travail dans l’entreprise, avec dispense de reclassement. La société Synergee France a alors convoqué Mme [R] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, qui a eu lieu le 5 avril 2018, et a notifié son licenciement pour inaptitude le 9 avril 2018.

Procédure judiciaire

Le 28 janvier 2019, Mme [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre pour contester la validité de son licenciement et demander réparation pour harcèlement sexuel. L’Association Européenne contre les Violences Faites aux Femmes au Travail (AVFT) a également intervenu dans l’affaire, demandant des dommages-intérêts pour l’employeur. Le jugement du 18 janvier 2022 a condamné Synergee France à verser des dommages-intérêts à Mme [R] pour harcèlement sexuel et non-respect des obligations de sécurité et de prévention.

Appel de la société Synergee France

La société Synergee France a interjeté appel du jugement, demandant l’infirmation de la décision en ce qui concerne les dommages-intérêts et la requalification du licenciement de Mme [R] en licenciement pour cause réelle et sérieuse. Elle a également contesté la recevabilité de l’intervention de l’AVFT.

Arguments de Mme [R] et de l’AVFT

Mme [R] a demandé la confirmation du jugement initial, en insistant sur le harcèlement sexuel dont elle a été victime, et a sollicité une augmentation des dommages-intérêts pour non-respect des obligations de sécurité et de prévention. L’AVFT a également demandé la confirmation de sa recevabilité et une augmentation des dommages-intérêts pour préjudice moral.

Conclusions de la cour

La cour a confirmé que Mme [R] avait été victime de harcèlement sexuel, ce qui a conduit à sa dégradation de santé et à son licenciement. Elle a déclaré le licenciement nul, condamnant Synergee France à verser des dommages-intérêts pour harcèlement, ainsi que pour non-respect des obligations de sécurité et de prévention. La cour a également ordonné le remboursement des indemnités de chômage versées à Mme [R] et a statué sur les frais de justice.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-3

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 25 NOVEMBRE 2024

N° RG 22/00830 –

N° Portalis DBV3-V-B7G-VCBK

AFFAIRE :

S.A.S. SYNERGEE

C/

[D] [R]

ASSOCIATION CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES AU TRAVAIL

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Janvier 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 19/00143

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Isabelle JOULLAIN

Me Maude BECKERS

Me Mylène HADJI

Expédition numérique délivrée à FRANCE TRAVAIL

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.S. SYNERGEE

N° SIRET : 528 294 994

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentant : Me Isabelle JOULLAIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1481

APPELANTE

****************

Madame [D] [R]

née le 15 Juin 1989 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentant : Me Maude BECKERS, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 141

ASSOCIATION CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES AU TRAVAIL

N° SIRET : 340 096 528

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Mylène HADJI, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 25 Septembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Mme Florence SCHARRE, Conseillère chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence SINQUIN, Présidente,

Mme Florence SCHARRE, Conseillère,

Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,

Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

FAITS ET PROCÉDURE

La société Synergee France est une société par actions simplifiée, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le n° 528 294 994. exploite des activités de conseil en informatique et organisation administrative, de conception, d’édition et de diffusion de logiciels.

Par contrat à durée indéterminée en date du 10 juillet 2015, Mme [D] [R] a été engagée par la société AGT, aux droits de laquelle est intervenue ensuite par l’effet d’une fusion la société Synergee France, en qualité de chargée de communication et marketing (marketing manager, statut cadre, coefficient 115, niveau 2.2) à compter du 1er septembre 2015.

Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [D] [R] exerçait ses fonctions à [Localité 6] (92) et percevait un salaire moyen brut de 3 004,94 euros par mois.

La relation de travail était régie par les dispositions de la convention collective des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils.

Du 27 octobre 2017 au 12 avril 2018, Mme [R] a été placée en arrêt de travail pour cause de maladie.

A l’issue d’une visite médicale de reprise en date du 12 mars 2018, Mme [R] a été déclarée inapte à tout poste de travail au sein de l’entreprise, assortie d’une dispense de reclassement.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 27 mars 2018, la société Synergee France a convoqué Mme [R] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 5 avril 2018.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 9 avril 2018, la société Synergee France a notifié à Mme [D] [R] son licenciement pour inaptitude avec dispense de reclassement.

Par requête introductive reçue au greffe le 28 janvier 2019, Mme [D] [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre d’une demande tendant à ce que son licenciement pour inaptitude soit jugé nul et à obtenir la réparation de son préjudice subi du fait d’une situation de harcèlement sexuel.

L’Association Européenne contre les Violences Faites aux Femmes au Travail (ci-après l’association AVFT) est intervenue volontairement à l’instance et a sollicité la condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts.

Par jugement en date du 18 janvier 2022, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :

– fixé le salaire mensuel brut moyen de Mme [R] sur les douze derniers mois à la somme de 3 004,94 euros ;

– dit que le licenciement de Mme [R] n’est pas nul ;

– condamné la société Synergee France à payer à Mme [R] les sommes de :

30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel ;

15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de prévention ;

15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité.

– condamné la société Synergee France à payer à l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail la somme de 2 000 euros à titre de réparation de son préjudice moral ;

– ordonné à la société Synergee France d’afficher dans l’entreprise le présent jugement sous astreinte de 25 euros par jour de retard à compter de 8 jours après sa notification ;

– débouté Mme [R] de ses autres demandes ;

– débouté la société Synergee France de ses demandes reconventionnelles ;

– condamné la société Synergee France à payer à Mme [R] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société Synergee France à payer à l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société Synergee France aux dépens.

Par déclaration remise au greffe le 14 mars 2022, la société Synergee France a interjeté appel de ce jugement.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 28 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Synergee France, appelante et intimée à titre incident, demande à la cour de :

– déclarer l’appel interjeté par la société Synergee France recevable ;

– le déclarer bien fondé.

En conséquence,

– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a :

dit que le licenciement de Mme [R] n’est pas nul ;

débouté Mme [R] de ses autres demandes.

Et statuant à nouveau :

A l’égard de Mme [R] :

– déclarer que le licenciement de Mme [R] repose sur une cause réelle et sérieuse ;

– débouter Mme [R] de son appel incident ainsi que de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

A l’égard de l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail :

– au principal, se déclarer incompétent pour connaître de la demande et renvoyer la cause devant le tribunal judiciaire de Nanterre ;

– subsidiairement, dire l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail irrecevable en son intervention volontaire ;

– très subsidiairement, débouter l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail de ses demandes ;

– débouter l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail de son appel incident ainsi que de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

– condamner l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail à payer à la société Synergee France la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.

A l’égard de Mme [R] et de l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail :

– condamner Mme [R] et l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, in solidum, à payer à la société Synergee France une somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’instance ;

– condamner Mme [R] et l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, in solidum, aux entiers dépens d’instance.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 29 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, Mme [D] [R], intimée et appelante à titre incident, demande à la cour de :

Sur l’exécution du contrat de travail :

– confirmer le jugement du 18 janvier 2022 en ce qu’il a :

fixé sa rémunération mensuelle brute à la somme de 3 004,94 euros bruts ;

condamné la société Synergee France à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel ;

ordonné à la société Synergee France d’afficher dans l’entreprise le jugement de première instance sous astreinte de 25 euros par jour de retard à compter de 8 jours après sa notification ;

– confirmer sur le principe le jugement en ce qu’il a condamné la société au titre de ses obligations de sécurité et de prévention mais le réformer sur le quantum, et statuant à nouveau, condamner la société Synergee France à lui verser les sommes suivantes :

30 000 euros au titre de l’obligation de sécurité ;

30 000 euros au titre de l’obligation de prévention ;

Sur la rupture du contrat de travail :

– constater que le conseil de prud’hommes n’a pas su caractériser ni tirer les conséquences de la nullité du licenciement de Mme [R].

En conséquence et statuant à nouveau,

– requalifier son licenciement pour inaptitude en licenciement nul.

– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [R] de ses demandes relatives au licenciement nul et, statuant à nouveau, condamner la société Synergee France à lui verser les sommes suivantes :

50 000 euros nets au titre de la nullité de son licenciement ;

9 014,82 euros bruts au titre de son indemnité compensatrice de préavis en application des articles L. 1234-1 et L. 5213-9 du code du travail, outre 901,48 euros au titre des congés payés y afférent.

– confirmer sur le principe mais réformer sur le quantum le jugement en ce qu’il ne lui a alloué que la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau, condamner la société Synergee France à hauteur de 3 000 euros à ce titre.

En tout état de cause,

– confirmer le jugement rendu le 18 janvier 2022 en ce qu’il a condamné la société Synergee France aux dépens.

A titre reconventionnel, condamner la société à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 1er août 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, l’AVFT, intimée et appelante à titre incident, demande à la cour de :

– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a déclaré l’AVFT recevable en son intervention volontaire et bien fondée ;

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il a condamné la société Synergee France à réparer le préjudice moral de l’AVFT ;

– infirmer le jugement sur le quantum de la réparation octroyée à l’AVFT ;

– et condamner la société Synergee France à payer à l’AVFT la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

– confirmer la condamnation de la société Synergee France au paiement de 1 500 euros à l’AVFT au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Synergee France à verser 2 000 euros à l’AVFT au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Synergee France de ses demandes reconventionnelles ;

– débouter la société Synergee France de sa demande de condamnation de l’AVFT pour procédure abusive ;

– faire droit aux demandes de Mme [R].

La clôture de l’instruction a été prononcée le 26 juin 2024.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement rendu le 18 janvier 2022 par le conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il a jugé recevable l’intervention volontaire de l’AVFT recevable et condamné la société Synergee France à payer à l’AVFT la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi par l’association.

Le CONFIRME également concernant la condamnation de la société Synergee France à la somme de 30 000 euros au titre des dommages et intérêts pour harcèlement, les dépens et les sommes allouées au titre de l’article 700 du code de procédure civile tant à Mme [D] [R] qu’à l’AVFT ;

INFIRME le jugement pour le surplus, statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT nul le licenciement de Mme [D] [R] ;

CONDAMNE la société Synergee France à payer à Mme [D] [R] la somme de 18 029,64 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant de la nullité du licenciement ;

CONDAMNE la société Synergee France à payer à Mme [D] [R] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés par l’employeur ;

CONDAMNE la société Synergee France à payer à Mme [D] [R] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de prévention du harcèlement par l’employeur ;

REJETTE la demande de publication du présent arrêt ;

ORDONNE le remboursement par la société Synergee France aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme [R], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage ;

CONDAMNE la société Synergee France à payer à Mme [D] [R] la somme de 9 041,82 euros au titre de son indemnité compensatrice de préavis et celle de 901,48 euros au titre des congés payés y afférent ;

ORDONNE la remise des documents sociaux conformes au présent arrêt ;

CONDAMNE la société Synergee France à payer à Mme [D] [R] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

CONDAMNE la société Synergee France à payer à l’AVFT la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

CONDAMNE la société Synergee France aux dépens en cause d’appel.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Laurence SINQUIN, Présidente et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 


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