Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Versailles
Thématique : Responsabilité du gestionnaire de réseau électrique en cas de surtension dommageable
→ RésuméPropriétaire et Sinistre ÉlectriqueM. [P] [N] est propriétaire d’une maison à [Localité 6] et est assuré par la société Aviva assurances, devenue Abeille. Le 1er janvier 2015, un incident sur le réseau électrique a causé des dommages à plusieurs équipements électriques, y compris une pompe à chaleur. Déclaration et ExpertiseM. [N] a signalé le sinistre à son assureur, qui a mandaté le cabinet Eurexo pour une expertise. Une réunion d’expertise a eu lieu le 29 janvier 2015, mais la société Enedis, bien que convoquée, n’a pas assisté à cette réunion. Rapport d’Expertise et IndemnisationLe 12 février 2015, le cabinet Eurexo a rendu un rapport évaluant les dommages à 14.178 euros, attribués à une rupture du neutre ayant provoqué une surtension. La société Abeille a indemnisé M. [N] à hauteur de 12.818 euros. Médiation et Action en JusticeFace à l’absence de réponse de la société Enedis, Abeille a saisi le médiateur national de l’énergie, qui a recommandé une indemnisation de 12.102,98 euros. En avril 2017, Abeille et M. [N] ont assigné Enedis devant le tribunal de commerce de Nanterre. Jugement du TribunalLe 28 mars 2018, le tribunal a déclaré recevables les demandes d’Abeille et de M. [N], condamnant Enedis à payer 12.442,23 euros, tout en déboutant M. [N] de ses demandes de dommages et intérêts. Enedis a interjeté appel. Arrêt de la Cour d’AppelLe 19 septembre 2019, la cour d’appel de Versailles a infirmé le jugement, déboutant Abeille et M. [N] de leurs demandes et condamnant Abeille à payer 1.500 euros à Enedis. M. [N] et Abeille ont formé un pourvoi en cassation. Intervention de la Cour de CassationLe 10 novembre 2021, la Cour de cassation a suspendu la procédure en attendant une réponse de la CJUE concernant la responsabilité du gestionnaire de réseau. La CJUE a statué le 24 novembre 2022, considérant Enedis comme un « producteur » au sens de la directive sur la responsabilité des produits défectueux. Décision de la Cour de CassationLe 13 avril 2023, la Cour de cassation a annulé l’arrêt de la cour d’appel, renvoyant l’affaire devant une autre formation de la cour d’appel de Versailles et condamnant Enedis aux dépens. Procédures en CoursEn juin 2023, Enedis a saisi la cour d’appel de Versailles, et les procédures ont été jointes. En septembre 2024, Enedis a demandé l’infirmation du jugement de 2018, tandis que M. [N] et Abeille ont demandé sa confirmation. Régime de ResponsabilitéEnedis soutient que seule la responsabilité du fait des produits défectueux s’applique, tandis qu’Abeille et M. [N] invoquent la responsabilité contractuelle. La cour a conclu qu’Enedis est responsable en tant que producteur d’électricité. Preuve des DommagesAbeille et M. [N] ont présenté des preuves des dommages, y compris des rapports d’expertise et des factures. Enedis a contesté la preuve des dommages, mais la cour a retenu que les preuves étaient suffisantes pour établir le lien de causalité. Indemnisation DemandéeAbeille a demandé 12.818 euros pour les dommages, tandis que M. [N] a demandé 1.504,98 euros pour un découvert de garantie et un préjudice de jouissance. La cour a examiné les demandes et les justifications fournies. Résistance Abusive et HonorairesAbeille et M. [N] ont demandé des dommages pour résistance abusive, mais la cour a rejeté cette demande. Concernant les honoraires d’expertise, la cour a également débouté la demande d’Abeille. Décision Finale de la CourLa cour a infirmé le jugement de 2018 en ce qui concerne la recevabilité des demandes et a condamné Enedis à payer 9.117,23 euros à Abeille. Enedis a également été condamnée aux dépens d’appel et à verser 5.000 euros à Abeille et M. [N] pour les frais irrépétibles. |
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 56C
Chambre commerciale 3-1
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 22 JANVIER 2025
N° RG 23/03705 – N° Portalis DBV3-V-B7H-V4W5
+ 23/06313
AFFAIRE :
S.A. ENEDIS
C/
[P] [N]
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Mars 2018 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 6
N° RG : 2017F00814
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Oriane DONTOT
Me Anne-Laure DUMEAU
TC NANTERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT DEUX JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
DEMANDERESSE devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d’un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 13 avril 2023 (pourvoi n° E 19-25.035) cassant et annulant l’arrêt rendu par la 12ème chambre de la cour d’appel de Versailles (RG n° 18/03077) le 19 septembre 2019.
S.A. ENEDIS
RCS Nanterre n° 444 608 442
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & TEYTAUD SALEH, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me Salomé-Jézabel SALFATI-GANANCIA & Me Marine GUGUEN du cabinet ARISTEE AVOCATS, Plaidants, avocats au barreau de Paris
****************
DEFENDEURS DEVANT LA COUR DE RENVOI
Monsieur [P] [N]
[Adresse 2]
[Localité 6]
S.A. ABEILLE IARD & SANTE anciennement dénommée AVIVA ASSURANCES
RCS Nanterre n° 306 522 665
[Adresse 1]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentés par Me Anne-Laure DUMEAU de la SELAS ANNE-LAURE DUMEAU & CLAIRE RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628 et Me Clémence CARRADU & Me Sabine LIEGES de la SELARL COLBERT, Plaidants, avocats au barreau de Paris
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 Novembre 2024, Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, conseillère, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,
Madame Bérangère MEURANT, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT
EXPOSE DES FAITS
M. [P] [N] est propriétaire d’une maison d’habitation à [Localité 6], pour laquelle il est assuré auprès de la société Aviva assurances, devenue Abeille Iard & Santé (ci-après Abeille). Le 1er janvier 2015, un incident d’alimentation sur le réseau électrique a endommagé plusieurs de ses équipements électriques ainsi que la pompe à chaleur équipant sa maison.
M. [N] a déclaré le sinistre à son assureur, lequel a mandaté le cabinet Eurexo en qualité d’expert. Une réunion d’expertise amiable s’est tenue le 29 janvier 2015, à laquelle la société Enedis, bien que convoquée, n’a pas participé.
Le 12 février 2015, le cabinet Eurexo a rendu un rapport indiquant que les dommages subis par les appareils électriques de M. [N], évalués à 14.178 euros, résultent d’une rupture du neutre ayant entraîné une surtension.
La société Abeille a indemnisé M. [N] à hauteur de 12.818 euros.
Aucune suite n’ayant été donnée aux différentes réclamations adressées à la société Enedis, la société Abeille a saisi le médiateur national de l’énergie. Par recommandation du 20 juillet 2016, ce dernier a recommandé à la société Enedis d’indemniser la société Abeille à hauteur de 12.102,98 euros TTC.
Par courrier du 14 décembre 2016, la société Abeille a vainement sollicité de la société Enedis le versement de cette somme.
Par acte du 7 avril 2017, la société Abeille et M. [N] ont assigné la société Enedis devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de la voir condamner au paiement de diverses sommes.
Par jugement du 28 mars 2018, le tribunal a :
– déclaré recevables les demandes formées par la société Abeille et M. [N] au visa de l’article 1147 ancien, devenu article 1231-1, du code civil ;
– condamné la société Enedis à payer à la société Abeille la somme de 12.442,23 euros ;
– débouté M. [N] de ses demandes de dommages et intérêts ;
– débouté la société Abeille et M. [N] de leur demande de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive ;
– condamné la société Enedis à payer à la société Abeille et à M. [N] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonné l’exécution provisoire du jugement ;
– condamné la société Enedis aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration du 30 avril 2018, la société Enedis a interjeté appel limité de ce jugement.
Par arrêt du 19 septembre 2019, la cour d’appel de Versailles a :
– infirmé le jugement en toutes ses dispositions, sauf celles qui ont débouté la société Abeille et M. [N] de leurs demandes indemnitaires, notamment au titre de la résistance abusive ;
et, statuant à nouveau,
– débouté la société Abeille et M. [N] de leurs demandes ;
– condamné la société Abeille à payer à la société Enedis la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Abeille aux dépens de première instance et d’appel, avec droit de recouvrement direct, par application de l’article 699 du code de procédure civile.
M. [N] et la société Abeille ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
Par arrêt du 10 novembre 2021, la Cour de cassation a sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne (la CJUE) ait répondu à la question préjudicielle posée dans le pourvoi n°20-17.368 et portant sur l’interprétation de l’article 2 et de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 1990.
La CJUE a répondu à la question préjudicielle par un arrêt du 24 novembre 2022 (C-691/21) dont il ressort que :
« l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374 (‘) doit être interprété en ce sens que : le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité doit être considéré comme étant un « producteur », au sens de cette disposition, dès lors qu’il modifie le niveau de tension de l’électricité en vue de sa distribution au client final. »
Par arrêt du 13 avril 2023, la Cour de cassation a :
– cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 septembre 2019 par la cour d’appel de Versailles ;
– remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Versailles autrement composée ;
– condamné la société Enedis aux dépens ;
– rejeté la demande formée par la société Enedis sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Enedis à payer à M. [N] et à la société Abeille la somme globale de 3.000 euros.
La Cour de cassation a repris à son compte l’avis de la CJUE sur la qualité de producteur du distributeur d’électricité et elle a considéré que la cour d’appel, qui avait retenu que la preuve d’un dommage et d’un lien de causalité entre la surtension et le dommage n’était pas rapportée, n’avait pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile, en n’examinant pas tous les éléments de preuve et en particulier la facture de la société Abadias, intervenue pour le remplacement de la pompe à chaleur, indiquant que la machine était sous tension au moment de la surtension, que quasiment tous les éléments électroniques étaient « HS » et qu’au vu des dégâts électriques, un remplacement à l’identique de la machine était préconisé.
Par déclarations des 2 et 7 juin 2023, la société Enedis a saisi la cour d’appel de Versailles. Les deux procédures ont fait l’objet d’une jonction suivant ordonnance du 20 juin 2023.
Par dernières conclusions n°4 remises au greffe et notifiées par RPVA le 11 septembre 2024, la société Enedis demande à la cour de :
– infirmer le jugement du 28 mars 2018 en ce qu’il l’a condamnée à payer à la société Abeille la somme de 12.442,23 euros sur le fondement de la responsabilité contractuelle ainsi qu’à verser à M. [N] et à la société Abeille la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes à ce titre ;
– le confirmer en ce qu’il a débouté la société Abeille de sa demande tendant au remboursement des honoraires du cabinet Eurexo, débouté M. [N] de ses demandes d’indemnisation au titre du découvert de garantie et du préjudice de jouissance et débouté la société Abeille et M. [N] de leurs demandes au titre de la résistance abusive ;
– statuant à nouveau, débouter la société Abeille et M. [N] de leur demande de condamnation formée à son encontre sur le fondement de la responsabilité contractuelle dès lors que sa responsabilité relève de la responsabilité du fait des produits défectueux, dont les conditions d’engagement ne sont pas satisfaites, à titre subsidiaire, les débouter de leur demande sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, à défaut de faute qui lui soit imputable distincte du défaut de produit, à titre très subsidiaire, débouter la société Abeille de sa demande d’indemnisation au titre des dommages, dès lors que la preuve des dommages n’est pas rapportée et que leur chiffrage est remis en cause, et de sa demande au titre de la note d’honoraires du cabinet Eurexo comme étant mal fondée, débouter M. [N] de ses demandes au titre du découvert de garantie et du préjudice de jouissance comme étant mal fondées et débouter la société Abeille et M. [N] de leur demande au titre de la résistance abusive, à titre infiniment subsidiaire, si par exceptionnel la cour venait à prononcer une condamnation à son encontre au titre des dommages allégués, déduire du montant des dommages la franchise de 500 euros prévue à l’article 1386-2 du code civil dans sa rédaction alors applicable ;
– en tout état de cause, débouter la société Abeille et M. [N] de leur demande de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile, les condamner in solidum à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de Me Oriane Dontot, JRF & Associés, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions n°4 remises au greffe et notifiées par RPVA le 18 septembre 2024, M. [N] et la société Abeille demandent à la cour de :
– confirmer le jugement du 28 mars 2018 en ce qu’il a déclaré recevables leurs demandes présentées sur le fondement de la responsabilité contractuelle et en ce qu’il a condamné la société Enedis au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
– l’infirmer en ce qu’il a :
– condamné la société Enedis à payer à la société Abeille la somme de 12.442,23 euros au principal, à M. [N] et à la société Abeille la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté la société Abeille de sa demande tendant à l’indemnisation du coût de l’intervention du cabinet Eurexo ;
– débouté M. [N] de ses demandes ;
– débouté la société Abeille et M. [N] de leur demande tendant à la condamnation de la société Enedis en raison de sa résistance abusive ;
statuant à nouveau,
à titre principal,
– condamner la société Enedis à payer à la société Abeille la somme de 13.871,53 euros à titre de dommages intérêts ;
– condamner la société Enedis à payer à M. [N] la somme 1.504,98 euros en réparation de son préjudice de jouissance et de son découvert de garantie ;
– condamner la société Enedis à leur payer la somme de 3.000 euros au titre de la résistance abusive ;
– condamner la société Enedis à leur payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
à titre subsidiaire,
– condamner la société Enedis à payer à la société Abeille la somme de 12.818 euros à titre de dommages intérêts ;
– condamner la société Enedis à leur payer la somme de 11.053,53 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
en tout état de cause,
– condamner la société Enedis aux dépens, qui seront recouvrés par Me Dumeau conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 19 septembre 2024.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l’article 455 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré recevables les demandes formées par la société Abeille Iard & Santé et M. [P] [N] au visa de l’article 1147 ancien, devenu article 1231-1, du code civil, et en ce qu’il a condamné la société Enedis à payer à la société Abeille Iard & Santé la somme de 12.442,23 euros ;
Le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société Enedis à payer à la société Abeille Iard & Santé la somme de 9.117,23 euros ;
Condamne la société Enedis aux dépens d’appel, dont distraction au bénéfice de Me Anne-Laure Dumeau ;
Condamne la société Enedis à verser à la société Abeille Iard & Santé et à M. [P] [N] la somme globale de 5.000 euros en application de l’article 700 du code procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;
Déboute la société Enedis de sa demande de ce chef.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier La Présidente
Laisser un commentaire