Cour d’appel de Versailles, 19 novembre 2024, RG n° 23/05704
Cour d’appel de Versailles, 19 novembre 2024, RG n° 23/05704

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Versailles

Thématique : Responsabilité de l’avocat et manquement au devoir de conseil dans le cadre d’une stratégie de défense.

Résumé

Constitution de la SCI

Par acte sous seing privé du 26 novembre 1976, M. [Z] [S] et Mme [I] [Y], alors mariés, ont créé une société civile immobilière nommée [12]. Chacun détenait 50 parts sur un total de 100, avec pour objet l’acquisition et la gestion de parcelles de terre à [Localité 7] (Sarthe), où des bâtiments industriels ont été construits.

Divorce et plainte pour faux

M. [S] et Mme [Y] ont divorcé le 15 novembre 1983. En mai 2001, M. [S] a déposé une plainte pour faux, alléguant que ses signatures sur des actes de cession de parts de la SCI [12] à Mme [Y] et à leur fille, Mme [X] [Y], avaient été imitées.

Jugement du tribunal correctionnel

Le 19 avril 2005, le tribunal correctionnel de Bobigny a relaxé Mmes [I] et [X] [Y] des accusations de faux. M. [S] s’est ensuite désisté de son appel, poursuivant le litige sur le plan civil.

Décisions de la cour d’appel

Le 15 janvier 2010, la cour d’appel de Paris a condamné la SCI [12] et Mmes [I] et [X] [Y] à verser 97 068,09 euros à M. [S] pour les revenus de ses parts de 1997 à 2000, tout en ordonnant une expertise en écriture pour vérifier l’authenticité des signatures des actes de cession.

Expertise et jugement ultérieur

Le 9 septembre 2011, la cour a confirmé que les signatures de M. [S] étaient fausses, le rétablissant dans ses droits de propriété. Une expertise a été ordonnée pour vérifier les comptes de la SCI, qui avait vendu ses actifs, dont un entrepôt, pour 1 230 000 euros.

Procédure de liquidation judiciaire

Le 17 octobre 2013, le tribunal de grande instance de Bobigny a ouvert une procédure de liquidation judiciaire contre la SCI [12]. Le passif déclaré s’élevait à 991 736,55 euros, incluant une créance de M. [S] de 876 903,85 euros.

Appel et cassation

Le 21 janvier 2015, la cour d’appel a déclaré M. [S] irrecevable dans ses demandes. Cet arrêt a été partiellement cassé par la Cour de cassation en mai 2016. En janvier 2018, M. [S] a de nouveau été déclaré irrecevable dans sa demande de paiement.

Actions du liquidateur

La société [8], en tant que liquidateur, a assigné Mmes [Y] pour les condamner à supporter le passif de la SCI et à restituer 1 753 807,71 euros. Le 12 janvier 2021, la cour d’appel a confirmé la condamnation de Mme [I] à restituer cette somme et a prononcé une faillite personnelle à son encontre.

Conflit entre Mme [X] [Y] et son avocate

Mme [X] [Y] a assigné son avocate, Mme [D] [W], pour manquement à ses instructions, notamment en ne formant pas un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 12 janvier 2021. Le tribunal de Nanterre a débouté Mme [Y] de ses demandes en juillet 2023.

Appel de Mme [Y]

Mme [Y] a interjeté appel du jugement, demandant la condamnation de Mme [W] à lui verser 941 401,23 euros, ainsi que des dommages et intérêts. Mme [W] a demandé la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.

Décision de la cour d’appel

La cour a confirmé le jugement en toutes ses dispositions, condamnant Mme [Y] aux dépens et à verser 3 000 euros à Mme [W] au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La cour a également statué sur les limites de la saisine et la responsabilité de l’avocat.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63B

Chambre civile 1-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 19 NOVEMBRE 2024

N° RG 23/05704 – N° Portalis DBV3-V-B7H-WAT6

AFFAIRE :

[X] [Y]

C/

[D]

[W]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 juillet 2023 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Nanterre

Expéditions exécutoires

Copies certifiées conformes

délivrées le : 19/11/24

à :

Me Jacques-michel FRENOT

Me Jérôme DEPONDT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX-NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

APPELANTE

Madame [X] [Y]

née le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 13]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Jacques-michel FRENOT de la SCP FRENOT & ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, vestiaire : P0322

Plaidant : Me Jerome GUICHERD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0322

****************

INTIMÉE

Madame [D] [W]

née le [Date naissance 3] 1962 à [Localité 10]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentant : Me Jérôme DEPONDT de la SCP IFL Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0042

Plaidant : Me Pierre LACLAVIERE,avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0042

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 17 septembre 2024, Madame Agnès PACCIONI, Magistrate placée, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe JAVELAS, Président,

Madame Anne THIVELLIER, Conseillère,

Madame Agnès PACCIONI, Magistrate placée,

qui en ont délibéré,

Greffière lors des débats : Madame Céline KOC

Greffière placée lors du prononcé de décision : Madame Gaëlle RULLIER

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 26 novembre 1976, M. [Z] [S] et Mme [I] [Y] à l’époque mariés, ont constitué une société civile immobilière dénommée [12] dont ils détenaient chacun 50 parts sur les 100 parts que constituait le capital social et ayant pour objet l’acquisition, la gestion, l’administration et la mise à disposition de parcelles de terre situées à [Localité 7] (Sarthe) sur lesquelles ont été édifiés des bâtiments à usage industriel ou d’entrepôt.

M. [S] et Mme [Y] ont divorcé le 15 novembre 1983.

M. [S] a déposé plainte pour faux consécutivement à l’invocation d’actes sous seing privé du 21 mai 2001 aux termes desquels il avait été cédé 49 parts de la SCI [12] à Mme [I] [Y] et une part à la fille de celle-ci, Mme [X] [Y], estimant que ses paraphes et sa signature apposés sur lesdits actes avaient été imités.

Par jugement du 19 avril 2005, le tribunal correctionnel de Bobigny, saisi par M. [S] par citation directe, a relaxé Mmes [I] et [X] [Y] des chefs de faux et usage de faux au titre de ces actes de cession du 21 mai 2001. Par la suite, M. [S] s’est désisté de son acte d’appel au titre du jugement précité, poursuivant le litige sur le plan civil.

Par arrêt du 15 janvier 2010, la cour d’appel de Paris, confirmant partiellement le jugement rendu le 3 juin 2008 par le tribunal de grande instance de Bobigny saisi par M. [S], a condamné la SCI [12] et Mmes [I] et [X] [Y] à payer à M. [S] la somme totale de 97 068,09 euros au titre des revenus de ses parts dans la SCI pour les années 1997 à 2000 et a ordonné, avant-dire droit sur les demandes relatives à l’inopposabilité des cessions de parts sociales constatées par les deux actes du 21 mai 2001, une expertise en écriture afin de vérifier l’authenticité des signatures apposées sur lesdits actes de cession.

Par arrêt du 9 septembre 2011, la cour d’appel de Paris, à la suite du rapport d’expertise en écriture déposé le 21 juin 2010, a jugé que les signatures supposées apposées par M. [S] au bas des actes de cession de parts sociales étaient fausses, a rétabli M. [S] dans ses droits de propriétaire et a ordonné avant-dire droit une mesure d’expertise aux fins de vérifier les comptes de la SCI [12], puisque dans le même temps, l’ensemble des actifs de la SCI [12] avait été vendu, notamment l’entrepôt le 30 mars 2011, pour un montant de 1 230 000 euros.

Le rapport d’expertise, déposé le 30 mai 2013, a notamment chiffré, à partir des relevés bancaires de la SCI [12] de 2001 au 30 juin 2011, les sommes prélevées par Mme [I] [Y] pour un montant net de 954 145,22 euros et relevé que la somme de 730 000 euros versée hors la vue du notaire lors de la vente dudit entrepôt n’avait pas été portée sur le compte de la SCI [12] du [9].

Le 17 octobre 2013, le tribunal de grande instance de Bobigny a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la SCI [12] et désigné la société [11] en qualité de liquidateur, prise en la personne de M. [O] [K], remplacé ultérieurement par la société [8].

Le passif déclaré entre les mains de la société [11] s’est élevé à la somme de 991 736,55 euros dont une créance de M. [S] d’un montant de 876 903,85 euros représentant 50 % du produit de cession des biens immobiliers de la SCI [12] et des loyers perçus sur la période de 2004 à 2011.

Le 21 janvier 2015, la cour d’appel de Paris, statuant en ouverture de rapport, a constaté l’intervention de la société [11] en sa qualité de liquidateur de la SCI [12] et a déclaré M. [S] irrecevable ou mal fondé en ses demandes soit qu’elles n’aient pas été reprises dans le dispositif de ses conclusions, soit qu’il réclamait l’indemnisation d’un préjudice subi par la SCI [12] pour lequel le liquidateur avait seul qualité à agir.

Cet arrêt a été cassé partiellement par la Cour de cassation le 19 mai 2016, et par un arrêt du 11 janvier 2018, la cour d’appel de Paris, statuant sur renvoi après cassation, a déclaré M. [S] irrecevable en sa demande en paiement de la somme de 876 903,85 euros au titre de son préjudice.

Dans le même temps, la société [8], en sa qualité de liquidateur, a assigné Mmes [Y] devant le tribunal de grande instance de Bobigny aux fins notamment de les voir condamner solidairement à supporter la totalité du passif de la SCI [12] et à lui restituer la somme totale de 1 753 807,71 euros détournée de la SCI.

Par arrêt du 12 janvier 2021, la cour d’appel de Paris a confirmé toutes les dispositions du jugement rendu le 27 avril 2017 par le tribunal de grande instance de Bobigny qui avait notamment déclaré recevables les actions en enrichissement injustifié et en responsabilité personnelle formées par la société [8], condamné Mme [I] [Y] à restituer à la société [8], en sa qualité de liquidateur de la SCI [12], la somme de 1 753 807,71 euros avec intérêts au taux légal, prononcé à l’encontre de Mme [I] [Y] une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans, et condamné Mme [X] [Y] à payer à la société [8] la somme de 730 000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal.

A la suite à cet arrêt, Mme [X] [Y] a mandaté Mme [D] [W], avocate au barreau de Paris.

Mme [X] [Y], estimant que Mme [W] n’avait notamment pas exécuté ses instructions en ne formant pas un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt du 12 janvier 2021 qui l’a condamnée de manière erronée à payer à M. [K] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [12] la somme de 730 000 euros à titre de dommages et intérêts, a par acte du 4 mars 2022, fait assigner Mme [D] [W] devant le tribunal judiciaire de Nanterre.

Par jugement du 5 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

– débouté Mme [Y] de l’ensemble de ses demandes,

– débouté Mme [W] de sa demande de condamnation de Mme [Y] à lui verser des dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la procédure,

– condamné Mme [Y] aux dépens avec faculté de recouvrement direct au profit de Me Depondt (SCP IFL avocats) conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– condamné Mme [Y] à verser à Mme [W] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– rappelé que le présent jugement est exécutoire à titre provisoire.

Mme [Y] a interjeté appel de ce jugement suivant déclaration du 28 juillet 2023 à l’encontre de Mme [W]. Aux termes de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 27 septembre 2023, elle demande à la cour de :

– la déclarer recevable et bien fondé en son appel,

– infirmer la décision entreprise en l’intégralité de ses dispositions,

Réformant et statuant à nouveau,

– condamner Me [W] à lui régler la somme de 941 401,23 euros, représentant le montant qui lui est réclamé par Me [K] ès qualités, qui découle de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 12 janvier 2021 et du détournement qu’elle aurait opéré au détriment de [12] à hauteur de 730 000 euros au titre des fautes commises par elle, génératrice du préjudice,

– condamner, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, Me [W] à lui payer la somme de 15 000 euros,

– condamner Me [W] aux dépens.

Mme [W], demande à la cour, aux termes de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 12 décembre 2023, de :

– déclarer Mme [Y] mal fondée en son appel et l’en débouter,

Par conséquent,

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

– débouter Mme [Y] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner Mme [Y] à lui payer une somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [Y] aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP IFL avocats conformément à l’article 699 du code de procédure civile pour ceux dont elle aurait fait l’avance sans avoir reçu provision.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 septembre 2024.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens soutenus par les parties, la cour se réfère à leurs écritures et à la décision déférée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

Dans les limites de la saisine,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne Mme [X] [Y] aux dépens d’appel dont distraction au profit de la SCP IFL AVOCATS ;

Condamne Mme [X] [Y] à payer à Mme [W] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

– prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Philippe JAVELAS, Président et par Madame Gaëlle RULLIER, Greffière placée auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière placée Le Président

 


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