Cour d’appel de Versailles, 14 février 2019
Cour d’appel de Versailles, 14 février 2019

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Versailles

Thématique : Transformation des groupes de presse et licenciements économiques

Résumé

Face à une chute chronique de son chiffre d’affaires, un groupe de presse peut se réorganiser et procéder à des licenciements économiques pour préserver sa compétitivité. Cette réorganisation, même sans difficultés économiques immédiates, peut être justifiée si elle vise à anticiper des problèmes futurs liés à l’évolution technologique. Les juges doivent vérifier le caractère réel du motif économique, en tenant compte de la situation du groupe dans son ensemble. La presse, confrontée à une baisse structurelle des ventes et à une concurrence accrue, doit s’adapter pour survivre, comme l’illustre le cas de Mondadori France.

Afin d’enrayer la chute chronique de son chiffre d’affaires et face à une baisse importante de ses ventes de supports imprimés et donc de son chiffre d’affaires, un groupe de presse est en droit, en vue de préserver sa compétitivité, de se réorganiser et de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris de mettre en place des licenciements économiques.

Réorganisation de l’entreprise

Une réorganisation de l’entreprise, lorsqu’elle n’est pas liée à des difficultés économiques ou des mutations technologiques, peut constituer une cause économique de licenciement à condition qu’elle soit effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise ou pour prévenir des difficultés économiques liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l’emploi.

Sauvegarde de la compétitivité

La sauvegarde de la compétitivité ne se confond pas avec la recherche de l’amélioration des résultats, et, dans une économie fondée sur la concurrence, la seule existence de la concurrence ne caractérise pas une cause économique de licenciement.

Appréciation au niveau du groupe

Lorsqu’une entreprise fait partie d’un groupe, les difficultés économiques de l’employeur doivent s’apprécier tant au sein de la société, qu’au regard de la situation économique du groupe de sociétés exerçant dans le même secteur d’activité, sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national.

Data à laquelle apprécier le motif économique

Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

Le motif économique doit s’apprécier à la date du licenciement mais il peut être tenu compte d’éléments postérieurs à cette date permettant au juge de vérifier si la réorganisation était nécessaire ou non à la sauvegarde de la compétitivité.

Obligation du juge prud’homal

Le juge prud’homal est tenu de contrôler le caractère réel et sérieux du motif économique du licenciement, de vérifier l’adéquation entre la situation économique de l’entreprise et les mesures affectant l’emploi ou le contrat de travail envisagées par l’employeur, mais il ne peut se substituer à ce dernier quant aux choix qu’il effectue dans la mise en œuvre de la réorganisation.  La rupture résultant du refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail, imposée par l’employeur pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement économique.

Indicateurs économiques objectifs

Les juges ont validé le plan de licenciements économiques de la société Mondadori France qui a procédé à la réorganisation de ses titres TV et confier à un prestataire spécialisé l’intégralité de la saisie des grilles de programmes ainsi que l’élaboration des pages de programmes, tout en conservant la maîtrise du contenu à valeur ajoutée.

Le marché de la presse TV a régressé de plus de 25 % en 10 ans et ce malgré l’augmentation de l’offre de télévision et celle de la consommation télévisuelle. Tous les rapports financiers s’accordent pour considérer qu’il s’agit d’une baisse structurelle, liée essentiellement à la présence d’internet, qui permet la diffusion d’une information gratuite, accessible à tout moment, et qui est considéré comme plus attractif pour les annonceurs. L’importance de la crise économique et financière, intervenue en 2008, a aggravé cette situation entraînant une baisse en volume des ventes de magasines TV et une baisse en valeur du marché.

Le nombre élevé de magazines télé (12 titres en 2012) en fait en outre un marché particulièrement concurrentiel. Depuis la crise de 2008, les différents titres télévision ont connu un effondrement de leur diffusion (notamment s’agissant de la vente en kiosque) générant une chute constante des recettes publicitaires au profit de la télévision et de l’affichage sur internet. S’il n’est pas contesté que le marché publicitaire était reparti à la hausse en 2010 et 2011, il n’en est pas moins vrai que la presse magazine n’en a bénéficié qu’à la marge : les pages publicité chutaient de 27 % entre 2005 et 2011 pour l’ensemble de la presse et de 22 % pour la presse magazine. La diffusion entre 2010 et 2011 était toujours en recul de 2,5 %.

Cette baisse en volume l’était également en valeur puisque, selon l’institut de recherche et d’études publicitaires (IREP) le secteur d’activité de la presse magazine subissait une chute des recettes publicitaires dans les proportions suivantes : i) sur la période 2004-2011, de 22,6 %, soit de 1 559 millions d’euros à 1 206 millions d’euros ; ii) entre 2008 et 2009, de 18 %, soit de 1 417 millions d’euros à 1 161 millions d’euros ; iii) et entre 2011 et 2012, de 5,5 %, soit de 1 206 millions d’euros à 1 140 millions d’euros. Par ailleurs, il relevait que sur l’année 2011, plus de 360 pages de publicité avaient été supprimées par rapport à l’année précédente, représentant 7,5 % des investissements en volume.

Dans le même temps, la presse TV, qui représente 40 % de la presse magazine, subissait une baisse de sa diffusion payée de plus de 23 %. Elle vendait ainsi 715 987 401 exemplaires en 2011 contre 882 967 029 exemplaires en 2004, baisse qui se poursuivait en 2012, pour 4,42 %.

Concernant en particulier les titres de presse Mondadori, positionnés sur le segment de marché le plus concurrentiel, la diffusion du titre Télé star passait de 1 274 151 exemplaires en 2005 à 1 037 959 exemplaires en 2011 (soit -18,5 %), tandis que, sur la même période, la diffusion de Télé poche passait de 731 566 exemplaires à 514 518 exemplaires (soit -29,7 %).

A cet effondrement des revenus, s’est ajoutée une augmentation régulière des coûts d’exploitation en raison, d’une part, de la hausse du prix du papier et des coûts d’impression et, d’autre part, de l’augmentation des coûts postaux. L’augmentation des tarifs postaux a représenté, entre 2011 et 2012, 6,2 % pour les titres Télé star et Télé poche et que celle des prix du papier a représenté, pour la même période, 7 % d’augmentation pour le titre Télé star et 5,4 % pour le titre Télé poche.

Le chiffre d’affaires du groupe Mondadori a chuté de 22,9 % au cours de la période 2007-2011, ce qui présente 448 millions d’euros. Son résultat d’exploitation chutait, pour sa part, de 51,5 % (-138,5 millions d’euros). Cette baisse se poursuivait en 2012, le chiffre d’affaires du groupe perdant encore 6 % (-8,6 % à périmètre constant) par rapport à 2011 et le résultat avant impôt de 49 %.

En conclusion, le groupe Mondadori et sa filiale Mondadori Magazine France se trouvaient confrontés, au moment de l’engagement de la procédure de licenciement, et depuis plusieurs années, à un net ralentissement de ses résultats économiques et à une baisse de son chiffre d’affaires. La restructuration était donc légitime pour répondre à l’évolution du secteur, maintenir son niveau de compétitivité et enrayer la chute chronique de son chiffre d’affaires, étant rappelé qu’au regard du marché (désaffection de la presse papier et développement de l’internet) les experts s’accordent à dire qu’aucune perspective de développement ou de conquête de nouveaux clients n’était envisageable.

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