Cour d’Appel de Versailles, 12 février 2013
Cour d’Appel de Versailles, 12 février 2013

Type de juridiction : Cour d’Appel

Juridiction : Cour d’Appel de Versailles

Thématique : Requalification du Bachelor en contrat de travail : enjeux et implications juridiques

Résumé

Le Bachelor de la deuxième édition de l’émission a été requalifié en contrat de travail à durée indéterminée. Les participants, soumis à des règles strictes, étaient sélectionnés par des castings rigoureux, démontrant que leur activité était encadrée par l’employeur. Les contraintes imposées, telles que l’isolement et les horaires fixés, indiquaient une relation de subordination. Bien que le Bachelor ait revendiqué le statut d’artiste interprète, cela n’a pas été retenu, car l’émission ne présentait pas les caractéristiques d’une œuvre de fiction. Enfin, les demandes de dommages-intérêts ont été limitées par la prescription quinquennale.

Après les candidates, le Bachelor lui-même a obtenu la requalification de sa participation à l’émission du même nom, en contrat de travail à durée indéterminée. Steven S. a été le Bachelor de la deuxième édition de ce jeu, enregistrée pendant cinq semaines, à compter du 1er novembre 2003, puis diffusée, dans les semaines qui ont suivi, sur la chaîne de télévision M6.

Qualification en Contrat de travail

Le contrat de travail est le contrat par lequel une personne accomplit une prestation de travail, sous la subordination d’une autre, moyennant une rémunération. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.

Sur la réalité de la prestation de travail, il était établi que les participants à cette émission présentée comme une émission de téléréalité, dans laquelle ils étaient censés montrer leur véritable personnalité et exposer au public, leurs sentiments les plus intimes, étaient sélectionnés par une série de castings, visant, notamment, à mieux connaître, au moyen de “screen tests” et autres tests leurs personnalités et à déterminer leurs capacités physiques et psychologiques. La sélection rigoureuse des candidats, les exigences qui étaient posées dans le règlement du jeu démontraient que la société W9 PRODUCTIONS attendait des personnes retenues, une prestation particulière très encadrée, contraignante où elles se trouvaient une large partie de leur temps sous le regard des caméras et qui était destinée à s’inscrire dans une activité à finalité économique.

Les entraves apportées à leur liberté d’aller et venir, l’obligation de se rendre dans un lieu tenu secret, de ne pas quitter leur lieu de résidence, la privation de l’utilisation de leur téléphone portable, de l’accès à internet, à la radio et la télévision, l’interdiction d’entrer en contact avec des personnes extérieures à celles impliquées dans l’émission et l’existence d’un synopsis de tournage ou de consignes précises données aux participants pour organiser leurs activités, les rencontres entre les candidates et le Bachelor, leurs faits et gestes dans les moindres détails, les privant de toute spontanéité ne permettaient pas de considérer qu’il s’agissait d’une situation de réalité ou d’un divertissement mais bien d’un travail pour le compte d’un employeur.

Sur le versement d’une rémunération (condition du contrat de travail), il ressortait clairement des éléments de l’espèce que la société W9 PRODUCTIONS a versé des gains à toutes les participantes, même aux “candidates remplaçantes”, qu’elle a également pris à sa charge tous les frais de déplacement et d’hébergement et assuré au “Bachelor” le paiement d’un voyage d’une valeur de 5 000 euros avec “l’élue de son coeur”. Plus particulièrement, s’agissant de Steven S., celui-ci a, en outre signé un avenant au contrat de participation, au terme duquel la société W9 PRODUCTIONS s’engageait à lui verser, à l’issue de chaque “Cérémonie de la Rose”, une somme de 872 euros, soit, au total, 7 014 euros. Il a bien, dans ces conditions, été versé une rémunération au Bachelor.

Sur l’existence d’un lien de subordination, tant le règlement du jeu que les déclarations du Bachelor démontraient que l’employeur posait des exigences qui allaient au-delà du simple encadrement de toute activité humaine organisée, à but ludique. Il a été rappelé que les participants étaient privés de contacts avec l’extérieur, se voyaient fixer des horaires détaillés pour les repas et les activités, devaient porter des tenues imposées et avoir des comportements convenus lors d’un certain nombre de rencontres.

De plus, le règlement de jeu prévoit qu’en cas d’infraction aux règles de confidentialité, le Bachelor pouvait être condamné à payer un dédommagement financier immédiat de 20 000 euros, sans préjudice d’une action en dommages et intérêts et de l’élimination du candidat ne respectant pas le règlement.

Qualification en CDI

En application de l’article L.1242-12 du code du travail, le contrat de travail du Bachelor était un contrat à durée indéterminée à temps complet, aucune indication précise n’étant portée sur les heures de travail et aucun motif de recours n’étant mentionné pouvant permettre de retenir l’existence d’un contrat de travail à durée déterminée. Le contrat ayant été rompu du fait de la fin du tournage de l’émission, donc du fait de l’employeur, la rupture du contrat de travail s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Salarié mais non artiste interprète

Toutefois, le statut d’artiste interprète n’a pas été retenu, ni l’application de la Convention collective des artistes interprètes engagés pour la réalisation d’émissions télévisées.

Le Bachelor revendiquait le statut d’artiste-interprète en estimant que l’émission était une oeuvre de fiction, scénarisée, faisant l’objet d’un montage précis, réalisé au sortir d’un casting drastique et utilisant les moyens traditionnels de la fiction, tels la voix off ou le flash back. Si le Bachelor avait pu faire preuve de beaucoup de spontanéité, avait dû suivre des directives précises, tant dans sa manière de se comporter que de s’habiller et que des scènes devaient être répétées, il ne pouvait pour autant être sérieusement soutenu que les règles posées pour le déroulement du jeu s’assimilaient à un scénario, faute d’intrigue, d’un cheminement vers un dénouement posé à l’avance et de dialogues vraiment construits. De surcroît le candidat n’a fait état d’aucune compétence ou formation pour exercer le métier d’artiste-interprète.

Prescription acquise

Le montant des dommages intérêts accordé au Bachelor a été limité en raison de la prescription quinquennale édictée par l’article L.3245-1 du code du travail. En effet, le contrat de participation au jeu indiquait un enregistrement devant débuter le 1er novembre 2003 pour une durée de cinq semaines et donc s’achevant, au plus tard, le 7 décembre 2003. Or, le Bachelor n’a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre que le 27 février 2009, soit passé un délai de cinq ans suivant la fin de la relation contractuelle, alors qu’il disposait en réalité de tous les éléments pour saisir la juridiction avant cette date. Les demandes relatives aux rappels de salaires, aux heures supplémentaires et au repos compensateur ont été jugées prescrites (tout comme l’indemnité compensatrice de préavis, qui a valeur de salaire, et des congés payés y afférents).

Absence de travail dissimulé

Le travail dissimulé n’a pas non plus été retenu : le caractère intentionnel du délit ne pouvant se déduire du seul recours à un contrat de travail inadapté.

Pour rappel, le travail dissimulé recouvre trois situations. Est réputé être un travail dissimulé le fait pour tout employeur : 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement des formalités de déclarations sociales (DUE …) relatif à la déclaration préalable à l’embauche ; 2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité relative à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail ; 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Mots clés : Audiovisuel et droit du travail

Thème : Audiovisuel et droit du travail

A propos de cette jurisprudence : juridiction :  Cour d’appel de Versailles | Date. : 12 fevrier 2013 | Pays : France

 


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