Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Toulouse
Thématique : Responsabilité de l’employeur et inaptitude : un cas de manquement à l’obligation de sécurité au travail
→ RésuméLe cas de Mme [L] illustre un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur. Embauchée en 2002, elle a subi un accident de travail en 2017, entraînant une inaptitude déclarée en 2019. Licenciée pour inaptitude, elle a contesté son licenciement, arguant qu’il résultait d’un manquement de la société Neodis à sa responsabilité de sécurité. Le tribunal a reconnu la faute inexcusable de l’employeur, confirmant que l’inaptitude de Mme [L] était liée à cet accident. En conséquence, la société a été condamnée à verser des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que pour manquement à l’obligation de formation.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Toulouse
RG n°
22/04341
ARRÊT N° 2024/256
N° RG 22/04341
N° Portalis DBVI-V-B7G-PEYW
CP/ND
Décision déférée du 17 Novembre 2022
Conseil de Prud’hommes
Formation de départage de TOULOUSE
(F 20/01010)
S. LOBRY
Section Activités Diverses
S.A.S. NEODIS
C/
[I] [P] épouse [L]
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT CINQ OCTOBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE
***
APPELANTE
S.A.S. NEODIS
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Sébastien HERRI de la SELARL HERRI, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
Madame [I] [P] épouse [L]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Emmanuelle DESSART de la SCP SCP DESSART, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Marie MONROZIES-MOREAU de la SELARL LUMIO AVOCATS, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 Octobre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. PARANT, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.
Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BRISSET, présidente
M. DARIES, conseillère
C. PARANT,magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffière, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C. BRISSET, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre
Mme [I] [P], épouse [L], (ci-après dénommée Mme [L]) a été embauchée le 18 septembre 2002 par la Sarl Les Comptoirs du Monde en qualité de préparateur de commandes suivant contrats de travail à durée déterminée.
La relation s’est poursuivie à durée indéterminée à compter du 1er avril 2003.
Le 31 mai 2011, le contrat de Mme [L] a été transféré à la SAS Neodis.
Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [L] occupait le poste de chef d’équipe.
Le 23 janvier 2017, Mme [L] a été victime d’une chute sur les lieux du travail ; la déclaration d’accident du travail fait état d’une contusion du rachis cervical et d’un traumatisme crânien.
Elle a été placée en arrêt de travail le jour de l’accident et n’a jamais repris le travail.
A l’issue des périodes de suspension, Mme [L] a été examinée par le médecin du travail qui a déclaré, lors de la visite de reprise du 5 novembre 2019, Mme [L] inapte à son poste, précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Après avoir été convoquée par courrier du 13 novembre 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 22 novembre 2019, Mme [L] a été licenciée le 26 novembre 2019 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par décision du 10 décembre 2019, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Haute Garonne a attribué à Mme [L] un taux d’invalidité de 70%, dont 4% au titre du taux professionnel.
Mme [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse le 29 juillet 2020.
Par jugement de départition du 17 novembre 2022, le conseil de prud’hommes de Toulouse a :
– révoqué d’office l’ordonnance de clôture,
– dit que le licenciement de Mme [L] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamné la société Neodis à payer à Mme [L] les sommes suivantes :
24 500 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
2 000 € de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de formation et d’adaptation,
– dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire au sens de l’article R. 1454-28 du code du travail s’élève à 1 750 €,
– rappelé que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire en ce qu’elle ordonne le paiement de sommes au titre de rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l’article R. 1454-14 du code du travail,
– ordonné l’exécution provisoire pour le surplus,
– ordonné d’office à la société Neodis de rembourser à Pôle Emploi les éventuelles indemnités de chômage versées à la salariée du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement; dans la limite de six mois d’indemnités de chômage,
– ordonné à la société Neodis de délivrer à Mme [L] un certificat de travail rectifié faisant mention d’une période d’emploi du 18 septembre 2002 au 26 novembre 2019,
– condamné la société Neodis à payer à Mme [L] la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Neodis aux entiers dépens.
Par déclaration du 16 décembre 2022, la société Neodis a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 30 novembre 2022, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
Par jugement du 8 mars 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Toulouse a reconnu la faute inexcusable de la société Neodis comme étant à l’origine de l’accident survenu le 23 janvier 2017 et a ordonné une expertise médicale avant dire droit sur l’indemnisation des préjudices.
Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 8 mars 2024, auxquelles il est expressément fait référence, la société Neodis demande à la cour de :
– réformer la décision entreprise,
– débouter Mme [L] de toutes ses demandes,
– juger que le licenciement de Mme [L] revêt une cause réelle et sérieuse,
– la condamner aux entiers dépens.
Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 25 juillet 2024, auxquelles il est expressément fait référence, Mme [L] demande à la cour de :
– confirmer le jugement, à l’exception du montant de dommages et intérêts alloués en réparation du manquement de l’employeur à son obligation de formation et d’adaptation, et porter ce montant à la somme de 10 500 €,
– débouter la société Neodis de l’ensemble de ses demandes,
– en tout état de cause, lui allouer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne pourra pas être inférieure à 6 mois de salaire, soit 10 500 €,
– condamner la société Neodis aux entiers dépens, outre 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.
– à titre subsidiaire, si le licenciement est jugé fondé, lui allouer au titre de l’irrégularité de procédure, la somme de 1750 €.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 20 septembre 2024.
Sur le licenciement
Il a été rappelé dans l’exposé du litige que Mme [L] a été licenciée pour inaptitude
et impossibilité de reclassement par lettre du 26 novembre 2019.
Mme [L] fonde, notamment, sa demande de paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le moyen selon lequel son inaptitude à l’emploi constatée par le médecin du travail le 5 novembre 2019 trouve son origine dans un manquement de la société Néodis à son obligation de sécurité.
Il est rappelé qu’en application de l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et que, lorsque l’inaptitude du salarié trouve son origine dans un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En l’espèce, il résulte du certificat d’accident du travail initial du 23 janvier 2017 que Mme [L] a été victime, ce 23 janvier 2017, d’une contusion du rachis cervical et d’un traumatisme crânien consécutifs à une chute survenue sur les lieux du travail.
Dans sa déclaration d’accident du travail, constaté par son préposé, M. [H], la société Néodis indique que c’est en traversant le dépôt que Mme [L] s’est ‘pris les pieds’ dans un flexible au sol entraînant sa chute puis est venue ‘taper la tête’ contre une porte à proximité. Cette déclaration contredit l’assertion de la société Néodis selon laquelle l’accident serait survenu sans témoin.
Mme [K], appelée en urgence auprès de Mme [L] peu de temps après sa chute , a délivré à cette dernière une attestation du 13 février 2019 selon laquelle, lors de son intervention, Mme [L] était complètement désorientée, ne sachant ni où elle était ni ce qui lui était arrivé ; dans l’attente de l’arrivée des pompiers, intervenus 20 à 30 minutes plus tard, Mme [L] a perdu connaissance et elle a été stimulée par Mme [K], cette dernière lui parlant constamment et lui prenant les mains jusqu’à l’arrivée des pompiers.
Devant les services de gendarmerie, le représentant légal de la société Néodis a expliqué, le 2 mars 2017, que, le 23 janvier précédent, Mme [L] chef d’équipe, avait chuté dans l’entrepôt et s’était cogné la tête contre une porte en métal.
S’il a contesté toute responsabilité de la société Néodis dans la survenance de cette chute, il a reconnu qu’au moment du passage de Mme [L], les salariés utilisaient des agrafeuses à air comprimé reliées aux tubes d’air par des câbles et que Mme [L] n’avait pas levé le pied pour enjamber le tuyau et, qu’après l’accident, la société a reçu des attaches pour ancrer les tuyaux au plafond avec un enrouleur pour éviter que les tuyaux touchent le sol.
Contrairement à ce qu’a soutenu le responsable de la société Néodis devant les services de gendarmerie, un autre accident était déjà survenu dans cet entrepôt, comme en atteste Mme [D], qui certifie avoir subi un accident du travail le 31 juillet 2009 au même endroit que Mme [L] ; elle indique avoir trébuché à cause d’un tuyau d’air comprimé qui entravait le passage, son accident lui ayant occasionné une fracture du doigt dont elle justifie par la production d’un certificat médical.
Les circonstances de la chute sont ainsi parfaitement caractérisées et ses conséquences sur l’état de santé de Mme [L] sont établies par les nombreuses pièces médicales qu’elle verse aux débats.
S’il est exact que, comme le soutient la société Néodis, les examens pratiqués sur la personne de Mme [L] dans les suites de l’accident n’ont pas permis de relever de lésions organiques, pour autant les médecins consultés par Mme [L], notamment les neurologue et psychiatre qui l’ont suivie, ont relevé les graves conséquences de ce traumatisme crânien consécutif à la chute sur la santé psychique de Mme [L], nécessitant une lourde prise en charge médicamenteuse, une aide familiale constante et ayant entraîné, outre un arrêt de travail continu jusqu’à la déclaration d’inaptitude, la reconnaissance d’un taux d’incapacité permanente de 70 % dont 4 % pour le taux professionnel par la caisse de sécurité sociale de la Haute Garonne. Ses amis et voisins attestent également de la grave détérioration de son état de santé à la suite de sa chute.
Comme le conseil de prud’hommes, la cour constate que la société Néodis ne produit pas le document unique d’évaluation des risques professionnels qu’elle avait l’obligation d’établir et d’actualiser aux fins d’évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs liés, notamment, à l’aménagement de leur lieu de travail et à indiquer les mesures de prévention mises en oeuvre.
Elle ne produit aucune pièce contredisant les éléments précis et circonstanciés versés aux débats par Mme [L] qui établissent que son inaptitude est directement liée, au moins partiellement, au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ; ce dernier ne justifie pas en effet des mesures par lesquelles il a assuré la sécurité de sa salariée alors qu’au sol se trouvait un câble constituant un obstacle à la marche de la salariée au sein de l’entrepôt et qu’une chute était déjà survenue au même endroit en raison d’un tuyau d’air comprimé qui entravait le passage.
La cour ajoute que le pôle social du tribunal judiciaire de Toulouse a reconnu la faute inexcusable de l’employeur dans la survenance de l’accident dans son jugement du 8 mars 2023 non frappé d’appel de ce chef.
Il en résulte que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a déclaré le licenciement de Mme [L] dénué de cause réelle et sérieuse au motif que l’inaptitude de la salariée trouvait son origine dans le manquement de la société Néodis à son obligation de sécurité.
La cour estime que le conseil de prud’hommes a fait une parfaite application de la loi à la situation de l’espèce en allouant à Mme [L], en application de l’article L.1235-3 du code du travail, la somme de 24 500 € à titre de dommages et intérêts, somme correspondant à 14 mois de salaire (salaire moyen 1 750 €) en considération de l’ancienneté de la salariée, soit 17 ans, de son âge, soit 56 ans, en réparation du préjudice moral et financier résultant de la perte d’emploi, Mme [L] justifiant de la perception d’allocations versées par Pôle Emploi puis par France Travail jusqu’en 2024.
Le jugement dont appel sera encore confirmé en ce qu’il a ordonné, par application de l’article L.1235-4 du code du travail, le remboursement des indemnités de chômage versées à la salariée du jour du licenciement au jour du jugement dans la limite de 6 mois d’indemnités.
Sur le surplus des demandes
La cour confirmera également le jugement déféré qui a alloué à Mme [L] la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif au manquement de la société Néodis à son obligation de formation et d’adaptation à l’emploi de l’article L. 6321-1 du code du travail.
Le manquement est en effet caractérisé, la société Néodis ne justifiant que d’une seule participation de la salariée à une action de formation ‘gestes et postures’ d’une durée de 7 heures le 14 novembre 2011, ce, alors qu’elle comptabilisait une ancienneté de 17 ans et qu’elle avait été promue chef d’équipe.
Le conseil de prud’hommes a parfaitement évalué le préjudice découlant de ce manquement en lui allouant la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par Mme [L], l’absence d’adaptation à l’emploi en dehors de la formation très réduite visée ci-dessus, constituant un obstacle supplémentaire à celui résultant de son état de santé.
La société Néodis qui perd le procès sera condamnée aux dépens d’appel et au paiement de la somme de 3 000 € en remboursement des frais irrépétibles de l’instance d’appel, le jugement entrepris étant confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
y ajoutant,
Condamne la société Néodis à payer à Mme [I] [P], épouse [L], la somme de 3 000 € en remboursement des frais irrépétibles de l’instance d’appel,
Condamne la société Néodis aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par C. BRISSET, présidente, et par C. DELVER, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
C. DELVER C. BRISSET
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