Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Toulouse
Thématique : Licenciement pour inaptitude : enjeux de la protection des salariés et du harcèlement moral dans le cadre des mandats représentatifs.
→ RésuméLe licenciement pour inaptitude de Mme [W] soulève des enjeux cruciaux concernant la protection des salariés et le harcèlement moral dans le cadre des mandats représentatifs. Après avoir été déclarée inapte par la médecine du travail, Mme [W] a contesté son licenciement, alléguant des actes de harcèlement moral et de discrimination liés à son rôle de déléguée du personnel. Malgré ses arguments, le conseil de prud’hommes a rejeté ses demandes, confirmant que son licenciement n’était pas entaché de nullité. Cette affaire met en lumière les défis auxquels sont confrontés les salariés protégés et l’importance d’un environnement de travail respectueux.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
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ARRÊT DU VINGT CINQ OCTOBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE
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APPELANTE
Mademoiselle [U] [W]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Antoine LOUNIS de la SELARL ERGASIA, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
INTIM »E
Association SERVICE PARITAIRE DE SANTE AUTRAVAIL DU TARN ‘SPSTT’
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Stéphanie ASSEMAT, de la Société CELENE, avocat au barreau d’ALBI
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Septembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant , M. DARIES, conseillère, faisant fonction de présidente, chargée du rapport et N. BERGOUNIOU, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles. Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. DARIES, conseillère faisant fonction de présidente
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
N. BERGOUNIOU, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffière, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par M. DARIES, conseillère faisant fonction de présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [U] [W] a été embauchée le 12 novembre 2013 par l’association Services interprofessionnel de santé au travail du Tarn (SIST) en qualité de technicienne en santé au travail suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des services de santé au travail interentreprises.
Le SIST est devenu l’association Services paritaires de santé au travail du Tarn (SPSTT).
Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [W] occupait le poste de technicienne hygiène et sécurité.
Mme [W] exerçait les mandats de déléguée du personnel suppléante et de membre titulaire du comité d’entreprise et a démissionné du poste de secrétaire du CE au 01-01-2018.
A compter du 22 janvier 2019, Mme [W] a été placée en arrêt maladie. Elle a bénéficié de plusieurs arrêts de prolongation jusqu’au 21 mars 2019.
A l’occasion d’une visite médicale de reprise du 22 mars 2019, la médecine du travail a déclaré Mme [W] inapte à son poste de travail, son état de santé faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Par procès verbal de consultation du 27 mars 2019, les délégués du personnel ont confirmé l’impossibilité de reclasser Mme [W], impossibilité qui lui a été notifiée le 28 mars 2019.
Par courrier du 29 mars 2019, l’association SPSTT a convoqué Mme [W] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 10 avril 2019.
Par procès verbal du 17 avril 2019, le comité d’entreprise a rendu un avis favorable au projet de licenciement de Mme [W].
L’association SPSTT a sollicité l’autorisation de procéder au licenciement pour inaptitude de Mme [W] auprès de l’Inspectrice du Travail le 18 avril 2019. Son licenciement a été autorisé par décision du 13 juin 2019, précision étant faite que si Mme [W] a exercé ses mandats activement notamment pour faire reconnaître l’existence de risques psycho-sociaux au sein du service de Santé au travail du Tarn, il n’est pas établi de lien entre les mandats détenus par la salariée et le projet de licenciement.
Mme [W] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 20 juin 2019.
Mme [W] a saisi le conseil de prud’hommes d’Albi le 28 avril 2021 pour contester son licenciement, juger qu’elle a été victime de harcèlement moral et discriminatoire, et demander le versement de diverses sommes.
Le conseil de prud’hommes d’Albi, section activités diverses, par jugement du 21 avril 2022, a :
– dit n’y avoir lieu à poser question préjudicielle au tribunal administratif de Toulouse sur la légalité du licenciement de Mme [W],
– débouté Mme [W] de sa demande de sursis à statuer,
– débouté Mme [W] de ses demandes au titre du harcèlement moral et de la discrimination liée au mandat électif,
– débouté Mme [W] de sa demande au titre de la nullité de son licenciement ainsi que de l’ensemble de ses demandes indemnitaires,
– dit en équité n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’association Services paritaires de santé au travail du Tarn,
– dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire,
– condamné Mme [W] aux dépens.
Par déclaration du 3 mai 2022, Mme [U] [W] a interjeté appel de ce jugement.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 7 juillet 2022, Mme [U] [W] demande à la cour de :
– la dire bien fondée en son appel,
– infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
– dire que la salariée a été victime d’agissements de harcèlement moral et discriminatoire,
– dire que la rupture du contrat de travail procédant d’une inaptitude résultant de tels agissements est frappée de nullité, en application des dispositions des articles L.1152-3, L.1132-1 et L.1241-5 du code du travail,
– condamner en conséquence l’association Services paritaires de santé au travail du Tarn au paiement des sommes suivantes :
4 775,26 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
477,52 euros à titre d’incidence congés payés.
– dire que les sommes susvisées produiront intérêts de droit à compter de la demande en justice, avec capitalisation, en application des articles 1231-6, 1231-7 et 1343-2 du code civil.
– condamner en outre l’association intimée au paiement des sommes suivantes :
10 080 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices soufferts du fait de l’exécution lourdement fautive du contrat de travail et des agissements de harcèlement moral discriminatoire,
30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement frappé de nullité, en application des dispositions de l’article L.1235-3-1 du code du travail,
71 628,90 euros à titre de dommages intérêts pour atteinte au statut protecteur,
2 000 euros à titre d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Très subsidiairement, dans l’hypothèse où la demande principale de reconnaissance de l’imputabilité de l’inaptitude aux agissements de harcèlement dont elle a été victime était écartée,
– vu les Articles L.1235-2, L.4622-8, D.4622-31 et R.4623-37 du code du travail, surseoir à statuer et saisir le tribunal administratif de Toulouse par voie de question préjudicielle, aux fins qu’il se prononce sur la légalité de la décision rendue le 19 juin 2019 par Madame l’inspectrice du travail ayant autorisé son licenciement à raison de son inaptitude médicale,
– condamner la société défenderesse aux dépens.
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 22 septembre 2022, l’association Service paritaire de santé au travail du Tarn demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [W] de l’intégralité de ses demandes. En conséquence,
– confirmer le jugement en ce qu’il a considéré que Mme [W] n’a été victime d’aucun fait susceptible d’être qualifié d’acte de harcèlement moral « discriminatoire »,
– confirmer le jugement en ce qu’il a considéré que le licenciement notifié à Mme [W] n’est pas entaché de nullité,
– en conséquence, débouter Mme [W] de ses demandes tendant à obtenir le paiement des sommes suivantes :
30 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la nullité du licenciement,
4 775,26 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis (montant brut),
477,52 euros d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis (montant brut),
10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral « discriminatoire».
– confirmer le jugement du en ce qu’il a considéré que Mme [W] ne peut prétendre à dommages et intérêts au titre de la violation du statut protecteur,
– en conséquence, débouter Mme [W] de sa demande tendant à obtenir le paiement de 71 628,90 euros à ce titre.
A titre subsidiaire,
– confirmer le jugement en ce qu’il a considéré que la demande/contestation de Mme [W] relative à la légalité de la décision d’autorisation de son licenciement par l’Inspection du Travail en date du 13 juin 2019 ne présente pas un caractère sérieux et ne détermine pas le bien fondé de ses demandes indemnitaires,
– en conséquence, rejeter la demande sursis à statuer de Mme [W] et sa demande de saisine du tribunal administratif de Toulouse par la voie d’une question préjudicielle.
En tout état de cause,
– rejeter la demande de Mme [W] tendant au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter Mme [W] de sa demande d’exécution provisoire,
– condamner Mme [W] au paiement d’une somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Après report, la clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance en date du 30 août 2024.
Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Mme [W] sollicite la nullité du licenciement au motif que son inaptitude a pour origine des agissements subis de la part de l’employeur depuis septembre 2017, de harcèlement moral et de discrimination en lien avec ses missions de représentation du personnel, lesquels ont eu une incidence sur ses conditions de travail et son état de santé.
Sur le harcèlement discriminatoire
Lorsqu’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude, l’administration doit vérifier que celle-ci est réelle et justifie son licenciement mais il ne lui appartient pas, dans l’exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude. Mais l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations, consistant en un harcèlement moral ou une discrimination syndicale.
En application de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L1154-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L1152-1 à L 1152-3 et L1153-1 à L 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il résulte de l’article L1132-1 du code du travail que constitue une discrimination syndicale le fait pour l’employeur d’écarter d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, de sanctionner, de licencier, d’exclure un salarié d’avantages accordés à d’autres salariés de l’entreprise placés dans une situation identique, ou de lui faire subir un traitement particulier notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation, pour des raisons liées à son appartenance syndicale.
L’article L 2141-5 du code du travail dispose : « Il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail. Un accord détermine les mesures à mettre en ‘uvre pour concilier la vie professionnelle avec la carrière syndicale et pour prendre en compte l’expérience acquise, dans le cadre de l’exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle. »
L’article L.1134-1 précise : « lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, un stage ou à une période de formation en entreprise où le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie à l’article premier dela loi du 27mai2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir donné ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utile’.
La démonstration de l’existence de la discrimination suppose qu’il soit établi qu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est ou ne l’aura été dans une situation comparable, sur le fondement de motifs illicites (âge, nationalité, race ethnie, sexe, situation de famille ou grossesse, conviction, handicap, appartenance syndicale, notamment).
Dans ce cadre, le principe ne fait pas toutefois obstacle aux différences de traitement, lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée.
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Mme [W] explique qu’elle a été confrontée à une situation sociale tendue au sein de l’association et que le comité d’entreprise se heurtait au refus régulier de réponse de l’employeur aux questions posées. Elle a démissionné du poste de sécrétaire du comité d’entreprise début 2018 du fait des difficultés de communication avec l’employeur.
Pour corroborer ses allégations, l’appelante se réfère à divers documents concernant les réunions du CE:
. un avis du CE du 26-09-2018 constatant notamment des difficultés afférentes au dialogue social au sein de l’association,
. un avis du CE sur les orientations stratégiques du SPSTT du 28-11-2018,
. un avis du CE du 18-12-2018 sur l’organisation temporaire à la suite du départ de 2 médecins,
. un document intitulé ‘dysfonctionnements du CE SPSTT ‘ pour la période de 2016 à juillet 2017, faisant état de défauts d’information et de certaines questions restées sans réponse,
. un procès-verbal de réunion du CE du 14-11-2018 soulignant que le dialogue social au sein du CE est particulièrement tendu à cette date et l’interrogation des élus sur l’intérêt du président d’instaurer un tel climat alors que le CE avait fait le pari de repartir sur un esprit de dialogue.
Sur la question du plan de formation 2019, M. [X], président, déclarait sur les demandes d’ajout de formation, qu’il se refusait à relancer une nouvelle consultation sur ce thème ‘surtout avec les élus actuels’,
. le procès-verbal de consultation du CE du 17-04-2019 sur le projet de licenciement de Mme [W] concluant: ‘ Les élus du comité d’entreprise du SPSTT ne peuvent que donner un avis favorable au projet de licenciement pour inaptitude de la salariée protégée [U] [W], en accord avec l’avis médical rendu par le Médecin du Travail Dr [K]. Toutefois, les élus signalent que cet avis favorable n’est en aucun cas un blanc-seing laissé aux instances dirigeantes du SPSTT.
Ils considèrent en effet que l’inaptitude de [U] [W] est liée au systéme en place dans le service. Les élus ont vu [U] [W] subir des pressions et traitements lui ayant causé une souffrance indéniable et des difficultés nombreuses et répétées à assumer ses fonctions d’élue du personnel et notamment de secrétaire du CE, fonction qu’elle a dû abandonner en cours de mandat pour préserver au mieux sa santé. Par ailleurs, avec ses collégues élus au Comité d’Entreprise et les représentants syndicaux, elle a oeuvré activement afin que le service, conformément à son obligation réglementaire, reconnaisse le risque psychosocial latent dans l’enceinte du SPSTT, risque psychosocial dont elle a au final fait les frais. »
Mme [W] produit également des attestations de:
– M.[V], médecin du travail, ayant remplacé Mme [W] comme secrétaire du CE: ‘- Situations de coprésidence du comité d’entreprise inscrites dans une durée supérieure à 1 an, avec le président et le directeur du SPSTT. A chaque réunion, en tant que secrétaire du CE, Mme [W] alertait sans succés sur cette situation. Ceci l’a contrainte en tant que secrétaire, dans les faits, à fonctionner en systéme illégal en contradiction avec ses missions. Mme [W] a à la suite de ça commencé à présenter des signes de découragement et des périodes d’épuisement.
-Pas de planification et anticipation possible pour l’élaboration conjointe de l’ordre du jour avec le président. Celui-ci se présentait de façon inopinée au service et Mme [W] devait interrompre son travail de THS pour répondre à l’injonction du président d’élaborer immédiatement l’ODJ.
-Après l’été 2017, plusieurs collégues ont cessé de lui dire bonjour. J’ai pu constater que le silence se faisait dans une pièce quand elle y entrait ce qui n’était pas le cas auparavant. Arrêt des pauses communes. A plusieurs reprises, le directeur est passé devant son bureau sans la saluer.
– Mme [W] a présenté à fréquence et intensité croissantes des pleurs, une irritabilité, elle était sur le qui-vive et a commencé à exprimer des propos empreints de désespoir. Ceci a entrainé sa démission de son poste de secrétaire du CE pour essayer de se soustraire à cette situation. Elle est restée élue de cette instance et je l’ai remplacée comme secrétaire. Elle m’a clairement exprimé que son poste et son investissement n’étaient pas reconnus par notre direction.
A l’été 2018 Mme [W] m’a rapporté avec une grosse inquiétude que le directeur est venu dans son bureau lui évoquer un projet de licenciement de 10 personnes du SST en lui demandant de n’en parler à personne. Elle m’a confiée avoir été manipulée et instrumentalisée. J’ai mis ce point à l’ordre du jour du CE suivant au cours duquel le directeur a expliqué qu’elle avait mal compris Mme [W] a pris ceci cornme une humiliation et une injustice publique.
A la suite de cette réunion, Mme [W] m’a à plusieurs reprises exprimé sa peur de toute entrevue seule avec le directeur. J’ai vu Mme [W] décliner progressivement avec du stress, une inquiétude et un désespoir croissants. Elle exprimait un discrédit sur sa personne.(..)’,
– Mme [N], infirmière en santé Travail depuis 2012 et secrétaire du CHSCT depuis 2015, déclare avoir été témoin d’un changement d’attitude de certains collègues et de la direction à la rentrée de septembre 2017 à l’égard de Mme [W], qui évitaient de la saluer en passant devant son bureau de même devant celui des délégués du personnel; elle a été informée du départ du médecin auprès duquel elle était rattachée après les autres membres de l’équipe. Elle écrit: ‘Mme [W] a subi de nombreuses pressions notamment dans sa mission de secrétaire du CE où elle me faisait part de demandes répétées de la direction pour modifier à l’envie les ODJ’. Elle ajoute avoir constaté que l’état de santé de Mme [W] se dégradait, ce qui s’est manifesté par une forme de repli puis d’irritabilité et des pleurs.
– M. [Y], technicien hygiène sécurité, délégué du personnel, indique que Mme [W], laquelle comme secrétaire du CE rédigeait conjointement les ODJ avec le président, a subi régulièrement des pressions et injonctions du président du CE pour modifier ou enlever certaines questions des ordres du jour, elle devait s’adapter à ses visites inopinées pour réaliser les ODJ et arrêter son travail de THS immédiatement pour répondre à son exigence et un sentiment de colère et de non respect de sa fonction était perçu par Mme [W] du fait de l’attitude du président de cette période en octobre 2016.
Il écrit également qu’après la rentrée de l’été 2017, Mme [W] n’était plus saluée dans son bureau à la prise de poste et elle a eu le sentiment d’être mise à l’écart, elle s’est détachée des pauses collectives.
Il ajoute qu’à l’été 2018, l’intéressée a été conviée ‘officieusement’ dans le bureau du directeur général, lequel lui a fait part d’un projet de licenciement de 10 personnes dont elle faisait partie et elle a sollicité l’inspection du travail qui lui a conseillé de mettre la question à l’ordre du jour de la réunion CE au cours de laquelle le directeur a dit qu’elle avait mal compris. Elle s’est sentie humiliée et discréditée. Toutes ces situations l’ont amenée à s’arrêter à plusieurs reprises et une inaptitude a été prononcée.
Enfin elle verse les éléments médicaux suivants:
– le Docteur [K], médecin du travail, certifie le 01-02-2019, que Mme [W] a eu du mal à se détacher de son investissement et n’a pas vu les choses progresser de façon positive, de telle sorte qu’elle a perdu en considération pour elle-même aussi elle doit se recentrer sur sa santé.
– le dossier médical:
. en août 2018, elle a fait part d’un mandat syndical prenant, d’une situation de service difficile et de l’absence de réponse au mal être des équipes,
. en janvier 2018, elle fait état de difficultés depuis l’arrivée du nouveau directeur, d’une mise à l’écart par les collègues et dit avoir abandonné la fonction de secrétaire du CE.
Les éléments de fait présentés par Mme [W], pris en leur ensemble, font supposer l’existence d’un harcèlement et d’une discrimination en raison de l’exercice par lui d’un mandat de représentation du personnel.
Il appartient à l’employeur de prouver que ses agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et toute discrimination.
L’employeur réfute tout manquement et toute discrimination en lien avec le mandat représentatif de l’appelante et réplique que les attestants n’ont pas été directement témoins des agissements prétendus.
Sur ce
– Sur le climat social
L’association considère que le comportement des élus a participé à la manifestation du conflit, ainsi en ne formalisant pas dans les compte-rendus de réunion les réponses apportées par le Président à leur question et elle produit notamment un courriel de M. [X] du 08-11-2018.
Il n’est pas contestable ni contesté à la lecture des documents relatifs aux réunions du CE que le climat social et les relations entre la direction et les élus étaient difficiles mais il n’est pas souligné de comportement plus particulier envers Mme [W].
Il ne peut qu’être remarqué que ce climat tendu perdurait plusieurs mois encore après la démission de l’intéressée de son poste de secrétaire tel qu’il s’évince du procès-verbal de réunion du 14-11-2018.
Si M. [V] a constaté que certaines personnes s’arrêtaient de parler quand Mme [W] et lui-même entraient dans une pièce, l’intimée dément que le directeur ait cessé de saluer Mme [W] et réplique ne pas avoir eu connaissance de ce que certains collègues ne l’auraient plus salué après l’été 2017, ce dont n’ont pu être témoins M. [V] et [Y], puisque ceux-ci travaillaient au rez-de-chaussée et que les bureaux de l’appelante et la direction étaient à l’étage.
Si ce changement d’attitude s’inscrit dans le climat général des relations entre les élus et/ou avec la direction, il n’est pas établi que les relations de Mme [W] et M. [X], directeur général à compter d’avril 2017, étaient particulièrement délétères au regard des échanges courtois produits par l’employeur, desquels il ressort une prise en considération des remarques ou demandes de l’appelante par son interlocuteur.
M. [A], ingénieur hygiène et sécurité, élu délégué pour le personnel cadre le 24-09-2015 en même temps que Mme [W], élue déléguée personnel non cadre, atteste que lors des réunions auxquelles il était présent, M. [X] n’a jamais eu de paroles agressives ni harceleuses envers Mme [W], ce qui est corroboré par M. [H], médecin.
– Sur la préparation de l’ordre du jour des réunions CE et les pressions de l’employeur
Les témoignages versés et non circonstanciés des attestants, ne précisant pas avoir personnellement constaté les pressions alléguées (‘Mme [W] faisant part de demandes répétées’), l’intéressée ne communique pas de document précis à cette fin.
L’association réplique que l’appelante ne s’est pas plainte d’une absence de planification ou d’anticipation pour l’élaboration conjointe de l’ordre du jour avec le président du SPSTT à savoir M. [Z], lequel a cessé ses fonctions le 10-04-2018, pas plus qu’elle devait s’adapter à ses injonctions dès qu’il était présent.
Elle produit à cet effet des courriels d’avril à novembre 2017, desquels il ressort des échanges cordiaux par lesquels M. [Z] répond positivement aux propositions de Mme [W] concernant l’ordre du jour de la réunion du CE ou propose quelques modifications sur les points à évoquer ou sollicite les disponibilités de Mme [W] pour participer à la réunion de préparation.
Ces documents ne démontrent aucune forme de pression.
– S’agissant d’une situation de ‘co-présidence’
l’association explique qu’à la suite de difficultés relationnelles entre les élus du CE et l’ancien directeur général M. [J], M. [Z] a présidé le CE pendant un an, étant assisté de M. [X], nouveau directeur général, lequel selon délégation de pouvoir du 04-04-2017 (versée aux débats), était habilité à présider, lorsque M. [Z] était absent.
La cour relève que les procès-verbaux du CE ne font pas état d’une éventuelle difficulté sur ce point ce d’autant qu’ils sont postérieurs à la démission de Mme [W] de son poste de secrétaire du CE.
– S’agissant des éléments médicaux
L’association réplique que le médecin du travail a retranscrit les déclarations de Mme [W] et que le fait de ne pas apprécier M. [X] n’induit pas des faits de harcèlement. Elle souligne que l’intéressée est diagnostiquée ‘anxio-dépressive depuis 2011″, ce qui exclut tout lien avec le contexte professionnel.
Au vu des éléments objectifs apportés par l’employeur, si le contexte d’un climat social difficile a pu avoir des incidences sur le ressenti de Mme [W] présentant certaines fragilités personnelles, la cour considère qu’il n’est pas caractérisé une situation de harcèlement moral ni même de discrimination en lien avec l’exercice des mandats à l’encontre de l’appelante, pouvant être à l’origine de l’inaptitude.
Sur la question préjudicielle subsidiaire
L’appelante allègue que le juge judiciaire est compétent, même si le délai de recours contentieux administratif est expiré, par voie de question préjudicielle, à interroger la juridiction administrative sur la légalité de la décision de l’inspection du travail.
Elle fait valoir que:
. elle bénéficie de la qualification professionnelle d’intervenant en prévention des risques professionnels (IPRP), lequel est membre de l’équipe pluridisciplinaire des Services de Santé au Travail Interentreprises (article L4622-8 du code du travail) car il participe à la préservation de la santé et de la sécurité des salariés,
. en tant que tel, lui sont reconnues des garanties statutaires, et notamment le licenciement d’un salarié de cette catégorie, qu’il soit protégé ou non, doit être précédé d’une consultation du comité interentreprises ou de la commission de contrôle ( article D 4622-31 du code du travail),
. il s’agit d’une garantie de fond rendant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Aussi elle argue que l’Inspection du Travail devait vérifier que cette garantie statutaire avait été respectée, ce qui n’a pas été le cas et dès lors, cette omission entache la décision d’un vice substantiel.
Elle sollicite donc le sursis à statuer et la saisine du tribunal administratif par voie de question préjudicielle afin qu’il se prononce sur la légalité de la décision d’autorisation du licenciement.
L’association conclut au débouté de la demande, en l’absence de caractère sérieux de la demande et de ce que les demandes indemnitaires de Mme [W] ne dépendent pas de la question de la légalité de l’autorisation du licenciement.
Sur ce
Le juge judiciaire doit apprécier le caractère sérieux de la contestation de la légalité de l’acte administratif et vérifier si l’examen de l’illégalité éventuelle est nécessaire à l’examen du litige puis éventuellement surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la juridiction administrative qui sera saisie de l’exception d’illégalité.
– Il n’est pas contesté que Mme [W] a la qualité d’intervenant en prévention des risques professionnels ( IPRP) et que des règles particulières s’appliquent pour garantir l’indépendance de cet intervenant dans l’exercice de sa mission.
S’il n’est pas justifié de la saisine de la commission de contrôle, en l’espèce, Mme [W], en tant que salariée protégée, est soumise à un statut protecteur spécifique attaché à ce statut pour lequel l’employeur a saisi le comité d’entreprise.
L’inspecteur du travail n’ignorait pas la qualité d’IPRP de l’intéressée ce d’autant qu’il souligne qu’elle a exercé ses mandats activement pour faire reconnaître l’existence de risques psycho-sociaux au sein du service de santé.
Comme l’a relevé le premier juge, la décision d’autorisation administrative a été rendue après enquête contradictoire et ‘considérant la régularité de la procédure interne de licenciement’, outre que la salariée n’a pas formé de recours devant le tribunal administratif contre la décision de l’inspecteur du travail.
– L’annulation éventuelle par le tribunal administratif d’une autorisation de licenciement donnée par l’inspection du travail produit les effets prévus à l’article L 2422-1 du code du travail sur le droit à réintégration et ouvre droit à l’indemnité prévue à l’article L 2422-4 du code du travail.
Outre que l’annulation d’une décision administrative ne rend pas automatiquement le licenciement nul et que le défaut d’avis de la commission de contrôle a pour effet de rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse ( non invoqué en subsidiaire), l’autorisation donnée n’a pas empêché la salariée de solliciter devant le juge judiciaire la nullité du licenciement au regard de manquements de l’employeur et de prétendre à une indemnisation au titre du harcèlement moral discriminatoire et de la violation du statut protecteur.
Dès lors, la question de la légalité de la décision administrative n’apparaît ni sérieuse ni déterminante pour la solution du litige.
Il n’y a donc pas lieu à surseoir à statuer ni à renvoi devant la juridiction administrative, par confirmation du jugement déféré.
Aussi l’appelante sera déboutée de ses demandes afférentes au prononcé d’un licenciement nul et à ses conséquences, de même qu’à celle de dommages et intérêts pour atteinte au statut protecteur, par confirmation du jugement déféré.
Sur les demandes annexes:
Mme [W], partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel.
Le jugement du conseil de prud’hommes sera confirmé en ce qu’il a condamné la salariée aux dépens et a débouté les parties de leur demande au titre des frais irrépétibles.
L’équité commande de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Mme [U] [W] aux dépens d’appel,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par M. DARIES, conseillère, faisant fonction de présidente, et par C. DELVER, greffière.
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