Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Saint-Denis
Thématique : Altercation entre journalistes : un accident du travail ?
→ RésuméUne altercation entre journalistes peut être considérée comme un accident du travail, à condition que le salarié prouve le lien entre l’événement et la lésion subie. Dans une affaire impliquant un journaliste de France Télévisions, ce dernier a déclaré un accident du travail suite à une dispute avec son rédacteur en chef. Cependant, la cour a jugé que la preuve de la matérialité de l’accident et de son lien avec la lésion n’était pas établie, entraînant le rejet de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur. L’accident n’a donc pas été caractérisé.
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Constitue un accident du travail, un évènement ou une série d’évènements, survenus à une ou des dates certaines, par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle constatée médicalement, que cette lésion soit physique ou psychique.
Une altercation verbale ou physique entre journalistes peut être qualifiée d’accident du travail. Toutefois, le lien de causalité entre l’événement et la lésion doit être apporté par le salarié.
Affaire France Télévisions
Un journaliste reporter d’images auprès de la société France Télévisions, a déclaré un accident du travail survenu consécutivement à une altercation verbale avec le rédacteur en chef.
La présomption d’imputabilité de l’accident au travail
Aux termes de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.
La présomption d’imputabilité de l’accident au travail posée par cet article ne joue qu’à la condition que le salarié, qui se dit victime, apporte la preuve de la matérialité de l’accident et de sa survenue aux temps et lieu du travail.
Cette preuve peut être rapportée par tous les moyens, mais les seules allégations de la victime, quelle que soit par ailleurs sa bonne foi, sont insuffisantes. Il revient ensuite à l’employeur qui entend contester cette présomption légale d’imputabilité de rapporter la preuve de l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.
Preuve de la relation entre la lésion et l’évènement
En l’occurrence, il est établi qu’un évènement brusque et soudain est survenu sur le lieu et au temps du travail. Pour autant, la tardiveté du certificat initial par rapport à la date de l’évènement dénoncé, l’absence de constatations médicales et de mention de l’accident sur le certificat médical initial et l’absence de tout autre fait accidentel empêchent d’établir avec certitude la relation entre la lésion et l’évènement qui en serait à l’origine.
Il ne résulte donc d’aucune pièce que la lésion du journaliste ait eu pour origine le fait accidentel dénoncé.
En conséquence, la juridiction a considéré que l’accident du travail n’était pas caractérisé, le salarié a été débouté de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société France Télévisions et de sa demande subséquente de majoration de la rente accident du travail.
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 19 MAI 2022
AFFAIRE : N° RG N° RG 20/00589 – N° Portalis DBWB-V-B7E-FLID ARRÊT N° A.P.
Code Aff. :
ORIGINE :JUGEMENT du Pole social du TJ de Saint-Denis en date du 12 Février 2020, rg n° 19/00332
APPELANTE :
S.A. FRANCE TELEVISIONS SA à conseil d’administration, prise en son établissement sis 12 rue René Demarne – 97490 SAINTE-CLOTILDE, prise en la personne de son représentant domicilié audit siège,
[…]
[…]
Représentants : Me Guillaume DE GERY de la SELARL GERY-SCHAEPMAN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION et Me Antoine SAPPIN de la SELARL CAPSTAN LMS, avocat au barreau de PARIS, substituée par Me Amandine TYSSANDIER
avocate au barreau de PARIS,
INTIMÉS :
Monsieur B X
[…]
97490 SAINTE-CLOTILDE
R e p r é s e n t a n t : M e I s a b e l l e C L O T A G A T I D E K A R I M d e l a S C P C A N A L E – G A U T H I E R – A N T E L M E – B E N T O L I L A , a v o c a t a u b a r r e a u d e SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
La Caisse générale de sécurité sociale de La Réunion (CGSSR)
[…]
97741 SAINT-DENIS CEDEX 9
Représentant : M. FABRICE Y, agent audiencier, muni d’un pouvoir
DÉBATS : En application des dispositions de l’article 946 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 08 mars 2022 devant la cour composée de :
Président : M. Alain LACOUR,
Conseiller : M. Laurent CALBO
Conseiller : Mme Aurélie POLICE,
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l’issue des débats, le président a indiqué que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 19 mai 2022.
ARRÊT : mis à disposition des parties le 19 MAI 2022
greffier lors des débats : Mme Nadia HANAFI,
LA COUR :
Exposé du litige :
M. B X, journaliste reporter d’images auprès de la société France Télévisions, a déclaré un accident du travail survenu le 24 février 2017 consécutivement à une altercation survenue le 2 décembre 2016 avec le rédacteur en chef.
La caisse générale de sécurité sociale de la Réunion a pris en charge l’accident au titre de la législation professionnelle.
Par requête du 20 mars 2018, M. X a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Réunion d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur suite à l’accident du travail du 24 février 2017.
L’affaire a été transférée le 1er janvier 2019 au pôle social du tribunal grande instance de Saint-Denis de la Réunion devenu tribunal judiciaire le 1er janvier 2020.
Par jugement rendu le 12 février 2020, le tribunal a reconnu l’existence de la faute inexcusable, dit que la rente servie à M. X sera majorée, fixé à la somme de 4 000 euros le montant de l’indemnité due à M. X et condamné la société au paiement des frais irrépétibles.
Appel de cette décision a été interjeté par la société France Télévisions par acte du 12 mars 2020, signifié à la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion par acte d’huissier du 24 juin 2020.
Par ordonnance du 3 novembre 2020, le juge chargé de l’instruction a dit recevable la question prioritaire de constitutionnalité présentée par la société France Télévisions mais a dit n’y avoir lieu de la transmettre à la Cour de cassation.
Vu les conclusions déposées par M. X le 2 mars 2021, auxquelles il s’est expressément référé lors de l’audience de plaidoiries du 8 mars 2022 ;
Vu les conclusions déposées par la société France Télévisions les 12 juin 2020 et 31 mai 2021, signifiées à la caisse générale de sécurité sociale le 24 juin 2020, auxquelles elle s’est expressément référée lors de l’audience de plaidoiries ;
La caisse générale de sécurité sociale de la Réunion, valablement représentée par M. Y, agent audiencier, s’en est oralement rapportée à la sagesse de la cour.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu’aux développements infra.
Sur ce :
A titre liminaire, il convient de relever que la société France Télévisions demande, dans ses dernières conclusions, l’annulation du jugement dont il est fait appel alors qu’elle ne développe au soutien aucun moyen de nullité.
En conséquence, la société France Télévisions sera déboutée de sa demande en nullité du jugement.
Aux termes de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.
En l’espèce, la société France Télévisions fait tout d’abord valoir que les conditions de reconnaissance d’un accident du travail ne sont pas réunies à défaut de caractérisation de la matérialité d’un accident et d’un lien de causalité entre le prétendu accident et la lésion. Elle conteste ensuite la commission de toute faute inexcusable, considérant n’avoir pu avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié.
M. X souligne que le présent litige ne concerne pas la prise en charge de l’accident au titre de la législation relative aux risques professionnels ou à l’inopposabilité de la décision de la caisse à l’employeur. Il considère que la société ne pouvait ignorer les agissements du rédacteur en chef, eu égard aux antécédents de ce dernier et aux alertes effectuées auprès de l’employeur qui n’a pris aucune mesure pour assurer la sécurité de ses salariés.
La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur suppose préalablement la caractérisation de l’accident du travail dont le salarié se dit victime. La société France Télévisions est donc parfaitement recevable à soutenir, au soutien de son appel, le caractère non professionnel de l’accident dont se prévaut M. X.
Selon l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.
Constitue un accident du travail, un évènement ou une série d’évènements, survenus à une ou des dates certaines, par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle constatée médicalement, que cette lésion soit physique ou psychique.
La présomption d’imputabilité de l’accident au travail posée par cet article ne joue qu’à la condition que le salarié, qui se dit victime, apporte la preuve de la matérialité de l’accident et de sa survenue aux temps et lieu du travail. Cette preuve peut être rapportée par tous les moyens, mais les seules allégations de la victime, quelle que soit par ailleurs sa bonne foi, sont insuffisantes. Il revient ensuite à l’employeur qui entend contester cette présomption légale d’imputabilité de rapporter la preuve de l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.
En l’espèce, M. X a fait parvenir à son employeur un courrier en date du 16 octobre 2017, afin de solliciter l’établissement d’une déclaration d’accident du travail. Il indique que son état de santé est consécutif à ses conditions de travail dégradées. Il précise que : ‘Tout a commencé le 02 décembre 2016, j’ai eu ce jour là des remontrances très brutales de la part d’un de mes responsables. Cette altercation s’est déroulée dans la rédaction télé en présence de mes collègues journalistes.
De janvier à février 2017 jusqu’à la veille de mon arrêt de travail, le 23 février 2017, j’ai subi divers faits intimidants à la suite desquels je me suis trouvé extrêmement choqué et éprouvé. A ce jour, je suis malheureusement toujours en arrêt de travail. Depuis le 01 juillet je suis en effet en mi-temps thérapeutique.’
La déclaration d’accident du travail établie le 24 octobre 2017 date l’accident au 24 février 2017 à 10 heures et précise que la nature de l’accident consiste en un syndrome dépressif réactionnel, un surmenage professionnel, une souffrance au travail et que la nature des lésions consiste en des ‘dépressions’.
Les certificats médicaux accompagnant la déclaration d’accident du travail, versés aux débats uniquement par l’employeur, ne précisent pas la nature des constatations médicales effectuées. En revanche, il ressort du certificat médical initial du 24 février 2017 que l’arrêt de travail est motivé pour cause de maladie professionnelle et non d’accident du travail.
Il ressort en effet de l’enquête administrative réalisée par la caisse que M. X a été mis en arrêt de travail par son médecin traitant le 24 février 2017 et que le 7 avril 2017, le salarié fera une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour un surmenage et un syndrome dépressif réactionnel, demande qui fera l’objet d’un refus. Il est relevé que M. X fera ensuite la demande de reconnaissance de l’accident du travail.
Auditionné au cours de cette enquête, M. X indique avoir défendu une collègue pendant une conférence de rédaction et qu’à la fin de cette conférence, ‘alors que je discutais avec ma collègue C F, Monsieur Z s’est violement adressé à moi, il était tellement en colère que je n’ai pas pu comprendre ce qu’il me disait, en fait il me reprochait d’avoir défendu ma collègue… J’ai d’abord demandé à Monsieur Z de se calmer et de parler normalement comme il se doit, en lui précisant que même mon père ne m’avait jamais parlé comme il le faisait. L’altercation s’est déroulée devant mes collègues, certains ont même fui la rédaction en pensant que tout allait dégénérer, d’ailleurs ma collègue C F a elle aussi eu peur et a quitté les lieux.
Monsieur Z était si près de moi que j’ai pensé qu’il allait m’agresser physiquement. Jamais quelqu’un ne m’avait parlé de cette façon. Je lui ai demandé des excuses que je n’ai pas obtenues.’
M. Z relate pour sa part les évènements de la façon suivante : ‘[…] Suite à cet entretien (au cours duquel le salarié aurait sollicité une promotion), le comportement de B a changé. Ces prises de parole ont été agacées et souvent agressives. L’usage dans le milieu journalistique veut que la conférence de rédaction soit le lieu d’échange d’opinions. Ces discussions peuvent être vives. [‘] A la fin de la conférence de rédaction du 2 décembre 2016, j’ai donc repris B qui ne comprenait pas pourquoi j’interrogeais une journaliste (C F) qui n’avait pas alimenté le site ‘Réunion Première’. Mes remarques ont été faites aux journalistes présents. Je me suis adressé à l’ensemble de la rédaction car ce problème est un problème récurrent que nous vivons au quotidien.
[‘] Ce jour-là, j’ai eu l’impression que B avait trouvé le prétexte d’internet et d’C pour en découdre avec moi alors que cela ne le concernait en rien. Le ton est monté comme il peut monter de temps en temps en rédaction, ni plus ni moins. Je ne pouvais pas le laisser dire n’importe quoi, j’étais en situation hiérarchique publique. Je ne pouvais pas le laisser mettre à mal notre organisation (qui est celle de toutes les rédactions). Je ne me souviens plus des termes exacts de notre différend si ce n’est cette phrase de B : ‘tu n’es pas mon père et tu ne me parles pas comme ça’, je lui ai répondu que j’étais son rédacteur en chef et que je me devais de débriefer le journal de la veille surtout quand il y avait eu des problèmes.
B était énervé, tellement énervé que j’ai quitté la salle de rédaction comme d’ailleurs d’autres journalistes puisque la réunion était finie. Je suis ensuite revenue le voir en salle de rédaction pour lui faire comprendre que cette situation d’énervement n’avait pas lieu d’être.’
Mme D,journaliste témoin des faits, atteste que : ‘alors que tout le monde se dirigeait vers la sortie, des éclats de voix se sont fait entendre. Mr Z, au ton méchant qu’il employait, houspillait Mr X. Je n’ai pas entendu précisément ce qu’il lui disait, mais je sais reconnaître un ton inadapté, méchant.
Nous sommes partis vaquer à nos occupations mais Mr X était étrangement silencieux, comme sous le coup de l’étonnement, de la déception et d’une émotion profonde. Depuis, j’ai observé que son état psychique se détériorait. Il venait travailler avec une boule d’angoisse qui lui nouait la gorge et cela n’a cessé d’empirer depuis lors.’
De nombreuses autres attestations décrivent le climat délétère qui existait à l’époque dans la rédaction, plusieurs journalistes ayant été sujets aux faits et propos déplacés de la part du rédacteur en chef. M. X fait lui-même référence, dans son courrier du 16 octobre 2017, à d’autres faits intimidants commis à son encontre en janvier et février 2017, soit préalablement à son premier arrêt de travail, sans que la teneur de ces faits ne soient explicités plus avant.
Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il est établi qu’un évènement brusque et soudain est survenu sur le lieu et au temps du travail en date du 2 décembre 2016. Pour autant, la tardiveté du certificat initial par rapport à la date de l’évènement dénoncé, l’absence de constatations médicales et de mention de l’accident du 2 décembre 2016 sur le certificat médical initial et l’absence de tout autre fait accidentel empêchent d’établir avec certitude la relation entre la lésion et l’évènement qui en serait à l’origine.
Il ne résulte donc d’aucune pièce que la lésion de M. X ait eu pour origine le fait accidentel dénoncé.
En conséquence, il y a lieu de dire que l’accident du travail n’est pas caractérisé et que M. X doit être débouté de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société France Télévions et de sa demande subséquente de majoration de la rente accident du travail.
Echouant à démontrer la faute de la société France Télévisions, M. X sera débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral.
Le jugement querellé sera donc infirmé en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement, par décision contradictoire,
Infirme le jugement rendu le 12 février 2020 par le tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Dit que la société France Télévisions sera déboutée de sa demande en nullité du jugement ;
Dit que l’accident du travail dont se prévaut M. X n’est pas caractérisé ;
Déboute M. X de sa demande de reconnaissance d’une faute inexcusable de la société France Télévisions ;
Déboute M. X de sa demande de majoration de la rente accident du travail ;
Déboute M. X de sa demande de dommages et intérêts ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. X aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par M. Lacour, président, et Mme Hanafi, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,
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