Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Riom
→ RésuméLa Cour d’Appel de Riom a statué le 30 mai 2023 sur un litige entre les consorts [C] et M. [X] [T] concernant un bail rural. Les consorts [C] demandaient la résiliation du bail et l’expulsion de M. [X] [T] pour défauts de paiement et comportements nuisibles. Le tribunal paritaire des baux ruraux d’Aurillac avait rejeté leur demande, soulignant l’absence de demande d’actualisation des fermages. En appel, la Cour a confirmé ce jugement, notant que M. [X] [T] avait toujours réglé le montant initial et ordonnant une expertise pour évaluer la valeur locative de la propriété.
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Contexte de l’affaire
La Cour d’Appel de Riom a rendu un arrêt le 30 mai 2023 concernant un litige entre les consorts [C] et M. [X] [T] au sujet d’un bail rural. Les consorts [C] ont demandé la résiliation du bail et l’expulsion de M. [X] [T] pour défaut de paiement des fermages et des agissements nuisibles à l’exploitation. Le tribunal paritaire des baux ruraux d’Aurillac a rejeté leur demande, ordonnant une expertise pour évaluer la situation.
Procédure et jugement initial
Le bail avait été conclu en 1984 avec un prix de fermage fixé en litres de lait. Les consorts [C] ont réclamé des actualisations des fermages non payées par M. [X] [T], ce dernier ayant toujours réglé le montant initial convenu. Le tribunal a refusé la résiliation du bail et l’expulsion de M. [X] [T] en raison de l’absence de demande d’actualisation pendant de nombreuses années.
Appel et décision de la Cour d’Appel
Les consorts [C] ont fait appel de la décision du tribunal, demandant la résiliation du bail, l’expulsion de M. [X] [T] et le paiement des fermages dus. M. [X] [T] a contesté l’appel, arguant que les consorts [C] avaient renoncé à l’actualisation des fermages. La Cour d’Appel a confirmé la décision du tribunal, soulignant l’absence de demande d’actualisation pendant de nombreuses années et ordonnant une expertise pour évaluer la valeur locative de la propriété louée.
Décision finale
La Cour d’Appel a jugé recevables les demandes des consorts [C], confirmé le jugement initial et condamné les consorts [C] à payer des frais d’appel et à verser une somme à M. [X] [T] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
COUR D’APPEL
DE RIOM
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Du 30 mai 2023
N° RG 20/01247 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FOSI
-DA- Arrêt n° 261
[P] [C], [Z] [C], [F] [C] épouse [S], [U] [C] épouse [R], [K] [W] épouse [C] / [X] [T]
Jugement au fond, origine Tribunal paritaire des baux ruraux d’AURILLAC, décision attaquée en date du 27 Août 2020, enregistrée sous le n° 51-18-0000018
Arrêt rendu le MARDI TRENTE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
M. Philippe VALLEIX, Président
M. Daniel ACQUARONE, Conseiller
Mme Clémence CIROTTE, Conseiller
En présence de :
Mme Céline DHOME, greffier lors de l’appel des causes et du prononcé
ENTRE :
M. [P] [C]
[Adresse 8]
[Localité 22]
et
M. [Z] [C]
[Adresse 4]
[Localité 20]
et
Mme [F] [C] épouse [S]
[Adresse 9]
[Localité 21]
et
Mme [U] [C] épouse [R]
[Adresse 10]
[Localité 2]
et
Mme [K] [W] épouse [C]
[Adresse 5]
[Localité 2]
tous assistés de Maître Jean Antoine MOINS de la SCP MOINS, avocat au barreau D’AURILLAC
APPELANTS
ET :
M. [X] [T]
[Adresse 7]
[Localité 3]
assisté de Maître Pierre MERAL, avocat au barreau D’AURILLAC
INTIME
DÉBATS :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 27 mars 2023, en application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, les avocats ne s’y étant pas
opposés, devant M. VALLEIX et M. ACQUARONE, rapporteurs.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 30 mai 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par M. VALLEIX, président et par Mme DHOME, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
I. Procédure
Par acte sous signature privée du 25 novembre 1984, M. [A] [C] et Mme [M] [V] épouse [C] ont donné à bail à M. [B] [T] et Mme [L] [G] épouse [T] une grange et des prés aux lieux-dits « [Localité 26], « [Localité 27] » et « [Localité 24] » sur la commune de [Localité 25] (Cantal), pour une contenance totale de 10 hectares, moyennant un prix de fermage égal à la contre-valeur en espèces de 4 000 litres de lait soit 6 240 francs arrondis à 6 000 francs, payable en deux fractions de 3 000 francs les 25 mars et 25 septembre de chaque année.
Par un acte de même nature du 24 août 1993, M. et Mme [T] ont cédé ce bail à leur fils M. [X] [T] moyennant un prix porté à compter du 25 novembre 1993 à la contre-valeur en espèces de 5 500 litres de lait, soit une somme de 10 000 francs, payable de la même manière en deux fractions les 25 mars et 25 septembre de chaque année.
En leur qualité de propriétaires indivis venant aux droits de M. et Mme [C], Messieurs [P] et [Z] [C] et Mesdames [F] [C] épouse [S], [U] [C] épouse [R] et [K] [W] épouse [C] (les consorts [C]), ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d’Aurillac le 9 juillet 2018 aux fins de résiliation de bail et d’expulsion, en raison d’un défaut de paiement de fermages et des agissements du preneur.
Les parties ont été convoquées à l’audience de conciliation du 11 octobre 2018. À défaut de toute possibilité d’entente, la cause a été renvoyée au fond devant le tribunal paritaire en audience de jugement le 13 décembre 2018, et finalement retenue à l’audience du 16 avril 2020 après plusieurs renvois contradictoires.
À l’issue des débats le tribunal paritaire a statué comme suit par jugement du 27 août 2020 :
« Le tribunal paritaire des baux ruraux, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
DÉCLARE recevable la demande en paiement des fermages introduite par Messieurs [P] et [Z] [C] et Mesdames [F] [C] épouse [S], [U] [C] épouse [R] et [K] [W] épouse [C] à l’encontre de Monsieur [X] [T] ;
DÉBOUTE Messieurs [P] et [Z] [C] et Mesdames [F] [C] épouse [S], [U] [C] épouse [R] et [K] [W] épouse [C] de leur demande de résiliation de bail et d’expulsion dirigée contre Monsieur [X] [T] sur le fondement du défaut de paiement des fermages ;
ORDONNE une expertise et
COMMET pour y procéder Madame [Y] [I], expert inscrit sur la liste de la cour d’appel de RIOM, exerçant 11 avenue du 4 septembre à [Localité 23] avec pour mission de :
‘ visiter les parcelles affermées (section C parcelles [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 18], [Cadastre 19], [Cadastre 1] devenue [Cadastre 6] sur la commune de [Localité 25]) et le bâtiment objets du bail, les décrire en précisant le type du sol, le potentiel de fertilité, les types de cultures ou exploitation possibles, les caractéristiques hydriques et les contraintes d’exploitation, et en donner la consistance précise par comparaison avec le bail initial et se faire communiquer par les parties tous documents utiles à son information ;
‘ donner son avis motivé sur l’état d’entretien des biens loués ;
‘ vérifier la réalité des désordres allégués sur la parcelle [Cadastre 12] par Monsieur [T] et se faire remettre tous documents en lien avec ceux-ci ;
‘ dire si les désordres éventuellement constatés procèdent de la négligence des bailleurs dans le bon entretien du fonds ou d’un défaut d’entretien imputable au preneur ;
‘ décrire et évaluer les travaux nécessaires pour y remédier ;
‘ donner son avis sur la valeur locative de la propriété telle que louée actuellement, notamment en raison de la suppression d’une partie de la parcelle [Cadastre 1] devenue [Cadastre 6], et de l’état actuel de la parcelle [Cadastre 12] en fonction de ses conclusions sur son origine ;
‘ déterminer le montant du maximum légal du fermage compte-tenu de la superficie louée ;
‘ faire toutes observations utiles à la solution du litige ;
DIT que Monsieur [X] [T] devra consigner la somme de 2 500 € à valoir sur la rémunération de l’expert avant le 31 octobre 2020 ;
DIT que l’expert déposera son rapport dans un délai de cinq mois de la date de la consignation, après avoir adressé aux parties un pré-rapport et avoir répondu à leurs dires éventuels ;
SURSOIT à statuer sur la demande en paiement et sur la demande de résiliation de bail fondée sur les agissements du preneur formulées par Messieurs [P] et [Z] [C] et Mesdames [F] [C] épouse [S], [U] [C] épouse [R] et [K] [W] épouse [C] à l’encontre de Monsieur [X] [T] ;
SURSOIT à statuer sur les demandes des parties au titre des frais irrépétibles et des dépens. »
Dans les motifs de sa décision, après avoir écarté le moyen tiré de la prescription d’une partie de la dette de fermages, le tribunal paritaire a considéré que jusqu’au mois de mars 2018 les consorts [C], agissant par l’intermédiaire de Mme [U] [R], n’ont jamais réclamé à M. [X] [T] la réévaluation du fermage, et que d’après les échanges produits entre les parties à cette période « l’indexation aujourd’hui revendiquée n’a jamais été évoquée entre elles à la faveur d’autres circonstances. »
De ces éléments le tribunal tire les conclusions suivantes :
S’il est exact que les dispositions de l’article L.411-11 du code rural, qui fonde faction des demandeurs, est d’ordre public et s’imposent donc aux parties dans la relation contractuelle, il n’en demeure pas moins qu’il est patent que les consorts [C], pour le compte desquels il n’est pas contesté que Mme [R] a agi, n’ont pas entendu demander à M. [T] jusqu’en mars 2018 le fermage réévalué.
Il ressort également des autres échanges produits entre les parties à cette période que l’indexation aujourd’hui revendiquée n’a jamais été évoquée entre elles à la faveur d’autres circonstances.
Si, comme l’affirment les demandeurs, cette absence de demande par eux ne peut être assimilée par le Tribunal à une renonciation de leur part, renonciation qui doit effectivement être expresse, il n’en demeure pas moins qu’elle ne peut pas non plus fonder une demande de résiliation de bail à raison d’un défaut de paiement de deux fermages.
En effet, dans la mesure où l’indexation du fermage constitue un accessoire de ce fermage, la circonstance que le montant de la dette réclamée, et non honorée dans le délai de 3 mois de la délivrance de la mise en demeure, corresponde de fait au montant allégué de deux fermages par les bailleurs est inopérante.
Elle l’est d’autant plus qu’il ressort des écritures des demandeurs qu’à la date de la mise en demeure, le 13 mars 2018, les fermages tels qu’initialement fixés au bail et objet des réclamations émises et produites entre mars 2015 et mars 2017, ont été intégralement réglés par M. [T], qui a par là prouvé sa bonne foi contrairement à ce qu’allèguent les demandeurs, et a pu légitimement croire jusqu’à la délivrance de la mise en demeure que les bailleurs n’entendaient pas lui réclamer plus que le fermage initialement fixé.
Aussi, la demande en résiliation de bail ne peut donc prospérer et doit être rejetée.
Le tribunal paritaire a par ailleurs considéré que la contestation de M. [T] concernant le montant qui lui est réclamé, indépendamment du débat sur l’application de l’indexation, constituait « une raison sérieuse soulevée comme moyen tendant au débouté de la demande de résiliation et un chef de demande reconventionnelle en fixation du prix du fermage sur le fondement de l’article L. 411-31 du code rural et non une action en révision du montant du fermage autonome prévue à l’article L. 411-50 du code rural », moyennant quoi, n’ayant pas le même objet, elle n’était pas soumise aux délais impartis par ce texte.
Étant donné les nombreux désaccords entre les parties le premier juge a donc décidé d’ordonner une expertise pour déterminer notamment la valeur locative de la propriété louée.
Concernant les agissements nuisibles à l’exploitation reprochés au fermier, un débat opposait les parties au sujet de l’accès à une des parcelles louées, en conséquence de quoi le tribunal s’en est également remis sur cette question à l’expertise ordonnée.
***
Les consorts M. [P] [C], M. [Z] [C], Mme [F] [S], Mme [U] [R], et Mme [O] [C], ont régulièrement fait appel de ce jugement le 1er octobre 2020.
Dans leurs conclusions du 20 janvier 2022 les consorts [C] demandent à la cour de :
« Il est demandé à la Cour d’Appel :
Rejetant toutes fins, moyens et conclusions contraires,
Vu les articles L 411-11, 411-13, 411-14, 411-18, 411-50 et 411-31 et 415-4 du code rural et de la pêche maritime
Vu les articles 1622, 1765, 2224 du code civil,
DÉCLARER les consorts [C] recevables et bien fondés en leur appel du jugement rendu par le Tribunal Paritaire des baux ruraux d’AURILLAC en date du 27 aout 2020.
REFORMER le jugement rendu par le Tribunal Paritaire des baux ruraux d’AURILLAC en date du 27 août 2020.
En conséquence, PRONONCER la résiliation du bail rural, dont est titulaire Monsieur [X] [T], sur la propriété des concluants cadastrée section [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 18], [Cadastre 19], [Cadastre 6], commune de [Localité 25].
ORDONNER l’expulsion de Monsieur [X] [T] de la propriété des concluants cadastrée section [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 18], [Cadastre 19] et [Cadastre 6], Commune de [Localité 25], dans un délai de l5 jours à compter de la signification de l’arrêt à intervenir et à défaut, sous peine d’une astreinte d’un montant de 200 € par jour de retard passé ce délai.
DESIGNER tel expert qu’il plaira à la Cour d’Appel, pour établir les comptes de sortie.
CONDAMNER Monsieur [X] [T] à payer aux consorts [C] la somme de 1 335,10 € à titre de fermages dus arrêtés au 25 novembre 2021.
DÉBOUTER Monsieur [X] [T] de l’ensemble de ses fins demandes et conclusions, comme étant irrecevables et mal fondées.
CONDAMNER Monsieur [X] [T] à payer aux concluants la somme de 3 000 euros par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
CONDAMNER Monsieur [X] [T] aux entiers dépens. »
***
En réponse, dans des écritures du 5 janvier 2022, M. [X] [T] demande à la cour de :
« Vu le jugement du tribunal paritaire des baux Ruraux d’AURILLAC du 27 août 2020,
Vu les articles 32 et 546 du code de procédure civil,
Vu les articles L. 411-31 et L 411-11 du code rural,
Vu l’article 1104 du code civil,
Dire et juger irrecevable l’indivision [C] en son appel faute pour elle de justifier de sa qualité à agir en cause d’appel,
En conséquence,
Confirmer le jugement du tribunal paritaire des baux Ruraux d’AURILLAC en ce qu’il a débouté l’indivision [C] de leur demande en résiliation du bail et expulsion dirigée contre M. [X] [T] sur le fondement de défaut de paiement du fermage,
Réformer le jugement pour le surplus,
En conséquence,
Juger irrecevables et mal fondés les consorts [C] en leur demande en paiement de l’indexation des fermages,
Juger que l’indexation du fermage n’est pas contractuellement prévue à l’acte de cession de bail et que les dispositions de l’article L. 411-11 du code rural alors applicables ne prévoyait alors aucune indexation d’ordre public,
En tout état de cause, juger que l’indivision [C] a expressément renoncé au paiement de l’indexation du fermage,
Juger que la prescription est acquise pour l’arriéré de fermage portant sur la fraction due au 25 mars 2013 soit à hauteur de la somme de 291,16 euros
Juger que le montant du fermage initial convenu était de 10 000 Francs annuels soit 1 524,50 euros,
En conséquence,
Juger nulle et de nul effet la mise en demeure délivrée le 13 mars 2018 portant sur des montants erronés,
À titre infiniment subsidiaire, accorder des délais M. [T] pour s’acquitter des fermages échus en application des dispositions de l’article 1343-5 du code civil,
Débouter les consorts [C] de l’intégralité de leurs demandes fins et prétentions,
Condamner solidairement M. [P] [C], Mme [U] [R], Mme [K] [W] épouse [C], Mme [F] [S], M. [Z] [C] à payer et porter à M. [T] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens. »
***
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fait ici expressément référence au jugement entrepris ainsi, aux dernières conclusions déposées et aux explications orales des parties, étant précisé que le litige se présente céans de la même manière qu’en première instance.
L’affaire est venue devant la cour à son audience collégiale du lundi 24 janvier 2022. En raison de l’indisponibilité du conseil de M. [X] [T], elle a été contradictoirement renvoyée à l’audience du 27 mars 2023 lors de laquelle la cause a été entendue.
II. Motifs
1. Concernant la qualité à agir de l’indivision [C]
Dans ses écritures, à titre liminaire, M. [X] [T] « s’interroge » sur la qualité à agir en appel des consorts [C]. Il allègue à ce titre deux relevés MSA qui cependant, d’une part ne sauraient à eux seuls constituer une preuve du droit de propriété des appelants ; d’autre part n’apparaissent pas très fiables en ce que sur le relevé du 1er janvier 2019 c’est Mme [M] [C] qui est portée au titre de six parcelles, tandis que sur le relevé du 1er janvier 2021 c’est Mme [U] [C] qui est indiquée titulaire des mêmes parcelles. Et nulle explication n’est fournie sur ce qui a pu se passer entre 2019 et 2021.
Quoiqu’il en soit, les consort [C] produisent au dossier une attestation d’un notaire en date du 19 janvier 2022 disant que les biens, soit onze parcelles au total, appartiennent en indivision à Mme [U] [C], M. [P] [C], M. [Z] [C] et Mme [F] [C]. En réalité, c’est plutôt la situation de Mme [K] [W] épouse [C] qui apparaît curieuse puisque celle-ci est appelante alors que le document du notaire, reprenant d’ailleurs les termes identiques d’un précédent certificat d’hérédité du 3 mai 2018, ne fait nullement mention de cette personne.
En toute hypothèse, M. [T] ne demande pas la mise hors de cause spécialement de Mme [K] [W] épouse [C], et de toute manière cette question intéresse uniquement les appelants à qui il appartient de déterminer la qualité de chacun. En l’état du dossier, la cour considère que les consort [C] ensemble sont valablement appelants.
2. Sur la demande de résiliation du bail
Le bail d’origine avait été conclu par acte sous seing privé le 25 mars 1963 entre Mme [H] propriétaire et les époux [T] fermiers. À cette époque, le paiement du fermage était convenu moyennant le versement d’une somme annuelle de 350 Francs payable par moitié au 25 juillet et au 25 octobre. Les époux [T] devaient en outre fournir à Mme [H] diverses denrées, comme cela se faisait autrefois. Il doit être observé que ce contrat désigne les parcelles affermées sans mentionner toutes les références ni les surfaces. Naturellement chaque partie connaissait les lieux et savait à quoi s’en tenir, d’où cette absence de précision qui à l’époque ne gênait nullement la bonne application du contrat.
Le 1er octobre 1968 ce sont les époux [N] et [M] [C] qui ont loué le domaine agricole dans les mêmes conditions à M. [B] [T], succédant à son père [D] [T], étant précisé qu’une convention modificative avait eu lieu le 8 juillet 1964, fixant le prix du fermage à 781,66 Francs. Cet acte sous seing privé ne comporte pas plus de précisions que les précédents quant à la désignation des parcelles louées.
Dans un nouveau contrat sous seing privé du 25 novembre 1984, les époux [A] et [M] [C], bailleurs, et les époux [B] et [J] [T], fermiers, ont décidé d’annuler l’acte du 25 mars 1963, modifié le 8 juillet 1964 et le 1er octobre 1968, et de le remplacer par de nouvelles dispositions, à savoir : un bail à ferme sur des prés pour dix hectares est consenti aux fermiers à partir du 25 novembre 1984. Outre diverses modalités pratiques concernant l’entretien et l’exploitation des biens affermés, le bail est convenu moyennant un prix de fermage égal à la contre-valeur en espèces des 4 000 litres de lait, soit la somme arrondie de 6 000 Francs, payable en deux fractions de 3 000 Francs les 25 mars et 25 septembre de chaque année. Pas plus que les précédents, l’acte ne précise les références cadastrales des dix hectares loués.
Le 24 août 1993 les époux [B] et [J] [T] ont cédé le bail du 25 novembre 1984 à leur fils [X] [T], le bailleur intervenant à l’acte pour y donner son agrément complet et consentir à son exécution pure et simple, sous la réserve d’une modification du prix du fermage qui est contractuellement porté à la contre-valeur en espèces de 5 500 litres de lait, soit la somme de 10 000 Francs payable en deux fractions les 25 mars et 25 septembre de chaque année, soit la première fois le 25 mars 1994.
La demande de résiliation du bail présentée par les consort [C] au tribunal paritaire des baux ruraux d’Aurillac suivant requête du 9 juillet 2018, est fondé sur le défaut de paiement des fermages par M. [X] [T].
Il convient tout d’abord d’observer qu’à juste titre le tribunal paritaire a considéré que le fermage stipulé exigible par moitié le 25 mars et le 25 septembre de l’année en cours, était finalement dû en intégralité au 25 septembre [il est écrit par erreur dans le jugement 25 novembre], moyennant quoi aucune prescription n’entache la requête du 9 juillet 2018 faisant référence un solde de fermage pour la période du 25 novembre 2012 au 25 mars 2018, étant considéré que le fermage 2012 ‘ 2013 était échu au 25 novembre 2013, et que moins de cinq années se sont écoulées entre cette date et le 9 juillet 2018.
Ceci étant précisé, la dette dont il est question, d’après les termes de la mise en demeure adressée à M. [T] par le conseil des consort [C] le 13 mars 2018, reçue le 17 mars, intéresse en réalité le fermage réévalué en fonction des indices annuels successifs. En d’autres termes, M. [T] a réglé aux consorts [C], ainsi que le rappelle cette lettre, chaque année la somme de 1524,50 EUR sans appliquer les actualisations correspondantes qui sont actuellement régies par l’article L. 411-11 du code rural, lequel dispose notamment :
Le loyer des terres nues et des bâtiments d’exploitation est fixé en monnaie entre des maxima et des minima arrêtés par l’autorité administrative.
Ce loyer ainsi que les maxima et les minima sont actualisés chaque année selon la variation d’un indice national des fermages.
Il est exact qu’en application de ce texte, qui est d’ordre public, le fermage est constitué du montant initialement convenu, outre les actualisations légales d’année en année, sans qu’il soit possible de distinguer l’un de l’autre. En d’autres termes, chaque année le loyer dû par le fermier correspond au montant actualisé depuis l’année précédente.
La situation en l’espèce présente cependant une originalité en ce que ce sont les actualisations qui sont réclamées par les consort [C], dont le défaut fonde leur demande de résiliation du bail, alors que M. [T] n’a jamais manqué de régler chaque année le montant du loyer « de base ».
Il convient ici de rappeler, d’une part que les baux successifs depuis 1963 n’ont jamais contenu la moindre clause d’indexation ; d’autre part que l’actualisation automatique du loyer en vertu de l’article L. 411-11 du code rural, lorsque le prix du fermage est évalué en une quantité déterminée de denrées, est entrée en vigueur seulement le 1er janvier 1989. Précédemment ce texte ne prévoyait aucune modalité de révision légale, le montant du bail ne pouvait être révisé qu’à l’initiative d’une des parties, à chaque nouvelle période de neuf ans, et seulement en cas de modification de la quantité de denrées.
Désormais l’article L. 411-11 prévoit une actualisation chaque année selon la variation d’un indice national des fermages, dans les termes ci-dessus rapportés, mais ce n’était pas le cas lors de la conclusion du premier bail le 25 mars 1963, ni lors de sa modification le 1er octobre 1968, ni encore lorsque le nouveau contrat du 25 novembre 1984 a remplacé les précédents. Et le dernier acte daté du 24 août 1993, par lequel les époux [B] et [J] [T] transmettent le bail à leur fils [X], avec l’accord des époux [A] et [M] [C], est toujours conclu moyennant un prix de fermage calculé à partir de la contre-valeur en espèces de 5 500 litres de lait, de la même manière que lors de la convention conclue le 25 novembre 1984.
Or il résulte du dossier et des propres écritures des consort [C], qu’ils n’ont jamais, ni les précédents propriétaires avant eux, réclamé aux fermiers depuis l’origine la moindre actualisation du montant du loyer (cf. conclusions [C] page 17 : Il est vrai que le bailleur omettra de faire application de l’indexation, ce qui correspond d’ailleurs pour le bailleur à une perte de fermages qu’il aurait dû recevoir de la part du fermier depuis 1994, soit pendant près de 20 ans ! Mais ce n’est pas parce que le bailleur a omis de solliciter l’application de l’indexation des fermages, qu’il a renoncé à solliciter cette indexation).
L’on se trouve donc maintenant dans cette situation particulière où les consort [C], sortant de leur longue inertie, réclament d’emblée à M. [T], suivant mise en demeure du 13 mars 2018 la somme de 3310,15 EUR correspondant selon eux au total des fermages dus depuis le 25 novembre 2012 jusqu’au 25 mars 2018. Et c’est donc sur ce défaut qu’ils fondent maintenant leur demande de résiliation du bail.
Or si le bailleur est parfaitement en droit il est vrai de solliciter l’indexation, dans la limite de la prescription ci-dessus analysée ; pour autant sa volonté maintenant de tirer argument de sa propre inertie pour solliciter la résiliation du bail caractérise à sa charge un manquement à l’obligation de bonne foi, principe général qui s’impose en toutes circonstances, et spécialement en celle-ci.
Les consort [C] soutiennent encore que M. [T] n’exploite plus la parcelle [Cadastre 12] « depuis de très nombreuses années » et que le bâtiment agricole s’y trouvant est « en état d’abandon complet ». Ils ont fait dresser sur ce point un procès-verbal de constat le 24 février 2015 montrant une ancienne étable qui n’est manifestement plus utilisée et dont les aménagements intérieurs sont en très mauvais état ; de même les abords du lieu ne sont pas entretenus, comme en témoigne la présence d’un grand lierre qui prospère jusqu’à la toiture.
Cependant, M. [T] a fait lui-même dresser un constat le 18 juin 2019, confirmant l’état de délabrement de cette grange étable mais également l’extrême difficulté d’y parvenir en raison de l’encombrement du chemin d’accès en terre et de faible largeur, avec une pente à droite à fort dénivelé et un accotement droit non stabilisé. Il convient également d’observer qu’aucun état des lieux n’a jamais été dressé au fil des ans et des baux successifs, de sorte qu’il est impossible de savoir dans quelle situation se trouvaient cette parcelle, sa voie d’accès et le bâtiment qui y est édifié, à tout le moins lors du bail du 25 novembre 1984.
Dès lors, au vu de l’ensemble de ces éléments, il n’est pas possible d’imputer exclusivement au fermier le défaut d’entretien de la parcelle [Cadastre 12].
En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce que le tribunal paritaire a refusé de prononcer la résiliation du bail et l’expulsion de M. [X] [T].
3. Sur le montant du bail
Dans leur mise en demeure du 13 mars 2018 les consort [C] réclament à M. [T] la somme de 3320,15 EUR, correspondant selon eux aux actualisations manquées depuis le 25 novembre 2012.
Dans leurs conclusions céans ils ramènent cette somme à 1335,10 EUR, prenant en considération des sommes déjà réglées par M. [T] en 2019, 2020 et 2022.
Cependant, une nouvelle difficulté apparaît ici en ce que d’une part la cour n’est pas à même de déterminer la valeur des actualisations légales depuis l’année 2012, alors que M. [T] conteste fermement le calcul des consort [C], disant qu’il est affecté d’une « erreur flagrante » ; d’autre part le fermier se plaint de ce que la surface exploitée a été diminuée et ne correspond plus aux dix hectares prévus initialement.
Concernant les actualisations qui doivent être appliquées, seule une expertise permettra de les déterminer avec précision.
Concernant la surface exploitable, l’indivision [C], sous la signature de Mme [D] [C], dans une lettre du 6 avril 2014, indique à M. [X] [T] que le bail désormais porte seulement sur 8,6736 hectares, par les fait selon eux de l’abandon d’une partie de l’exploitation par le fermier, mais également de l’agrandissement d’une route qui empiéterait de quelques ares sur la parcelle [Cadastre 1] ; sur quoi M. [T] répond qu’il est empêché de jouir paisiblement des lieux dans leur totalité depuis 2011 en raison d’une difficulté d’accès à la parcelle [Cadastre 12], faisant suite à la construction voisine d’un parc photovoltaïque.
Ce point a déjà été examiné ci-dessus, la cour considérant que les difficultés d’accès à la parcelle [Cadastre 12] sont suffisamment établies par le constat dressé le 18 juin 2019, moyennant quoi si les choses demeurent en l’état, cette situation pourrait avoir une influence sur le montant du loyer.
En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce que le tribunal paritaire a jugé utile de procéder à une expertise afin de déterminer la valeur locative de la propriété telle que louée actuellement.
Il y a donc à confirmation intégrale du jugement.
2500 EUR sont justes pour l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Juge recevables les demandes des consort [C] ;
Confirme le jugement ;
Condamne les consorts [C] ensemble à payer à M. [X] [T] la somme de 2500 EUR en application de l’article 700 du code de procédure civile devant la cour d’appel ;
Condamner les consort [C] ensemble aux dépens d’appel.
Le greffier Le président
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