Cour d’appel de Rennes, 16 octobre 2024, n° RG 21/03933
Cour d’appel de Rennes, 16 octobre 2024, n° RG 21/03933

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Rennes

Thématique : Licenciement pour faute grave pour abus de notes de frais

 

Résumé

Mme [J] [O] a été licenciée pour faute grave par la S.A.R.L. Société Brestoise de Menuiserie Isothermique (SBMI) en mars 2019, en raison d’abus de notes de frais et de commandes de matériel à des fins personnelles. Après avoir contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes, celui-ci a initialement jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cependant, la cour d’appel a infirmé ce jugement, considérant que les faits constituaient une faute grave, justifiant ainsi le licenciement. Mme [O] a été déboutée de toutes ses demandes et condamnée à verser des frais à la SBMI.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

16 octobre 2024
Cour d’appel de Rennes
RG n°
21/03933

8ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°424

N° RG 21/03933 –

N° Portalis DBVL-V-B7F-RY5W

S.A.R.L. SOCIETE BRESTOISE DE MENUISERIE ISOTHERMIQUE

C/

Mme [J] [O]

Sur appel du jugement du CPH de BREST du 30/04/2021 – RG F 19/213

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :17-10-24

à :

-Me Nicolas NARDIS

-Me Guillaume PLOUX

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 OCTOBRE 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,

Madame Anne-Laure DELACOUR, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 27 Juin 2024

devant Mesdames Nadège BOSSARD et Anne-Laure DELACOUR, magistrats tenant l’audience en la formation rapporteur, sans opposition des représentants des parties et qui ont rendu compte au délibéré collégial

En présence de Madame [G] [A], médiatrice judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 16 Octobre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

APPELANTE :

La S.A.R.L. SOCIETE BRESTOISE DE MENUISERIE ISOTHERMIQUE (SBMI) prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 9]

[Localité 2]

Représentée par Me Aude GOASDUFF substituant à l’audience Me Nicolas NARDIS de la SELARL LCE AVOCATS NOTAIRES, Avocats au Barreau de BREST

INTIMÉE :

Madame [J] [O]

née le 24 Mai 1963 à [Localité 6] (45)

demeurant [Adresse 4]

[Localité 3]

Ayant Me Guillaume PLOUX de la SCP DEBUYSER/PLOUX, Avocat au Barreau de QUIMPER, pour Avocat constitué

Mme [J] [O] a été engagée par la S.A.R.L. Société Brestoise de Menuiserie Isothermique (SBMI) suivant contrat à durée indéterminée (CDI) à compter du 29 juillet 2013 en qualité de secrétaire comptable/assistante de direction.

La relation de travail a évolué à compter du 27 juillet 2015 suite à un contrat de professionnalisation qui a permis à Madame [O] de devenir secrétaire de direction.

A compter du 29 janvier 2019, Madame[O] a été placée en arrêt de travail jusqu’au 12 février 2019, lequel a été prolongé jusqu’au 05 avril 2019.

Pendant l’absence de la salariée, l’employeur a demandé à un cabinet d’expert-comptable d’assurer la comptabilité courante.

Le 4 mars 2019, Mme [O] a été convoquée à un entretien préalable fixé le 14 mars, auquel elle s’est rendue.

Le 19 mars 2019, Mme [O] a été licenciée pour faute grave, motif pris d’avoir à titre personnel commandé du matériel et s’être fait rembourser des frais de restaurant, à des fins personnelles.

Le 7 novembre 2019, Mme [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Brest aux fins de :

‘ Dire et juger que le licenciement de Mme [O] est intervenu sans cause réelle et sérieuse,

‘ Condamner la SARL Société Brestoise de Menuiserie Isothermique à lui verser les sommes suivantes :

– 13.346, 96 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 13.346,96 € d’indemnité ‘en réparation des préjudices’,

– 1.668,37 € d’indemnité compensatrice du préavis,

– 1.667 € d’indemnité compensatrice des congés payés,

– 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– entiers dépens,

‘ Ecarter l’exécution provisoire de droit de la décision à intervenir.

La cour est saisie de l’appel régulièrement interjeté par la SARL Société Brestoise de Menuiserie Isothermique le 29 juin 2021 contre le jugement du 30 avril 2021, par lequel le conseil de prud’hommes de Brest a :

‘ Reçu Mme [O] en sa requête,

‘ Dit et jugé que le licenciement de Mme [O] est sans cause réelle et sérieuse,

‘ Condamné la SARL Société Brestoise de Menuiserie Isothermique à verser à Mme [O] les sommes suivantes :

– 1.668,37 € d’indemnité compensatrice du préavis,

– 1.667 € d’indemnité compensatrice des congés payés

– 13.346,96 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 1.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– entiers dépens, et y compris en cas d’exécution forcée, les éventuels honoraires et frais d’huissier,

‘ Disposé que les sommes allouées seront porteuses des intérêts de droit à compter de la demande en justice pour les montants à caractère salarial (date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation par la partie défenderesse, soit le 13 novembre 2019), à compter de la notification pour les dommages et intérêts,

‘ Débouté Mme [O] de sa demande d’indemnité ‘en réparation des préjudices’,

‘ Rappelé le cadre de l’exécution provisoire délimité par l’article R1454-28 du Code du travail, le salaire moyen mensuel pouvant valablement être fixé à la somme de 1.668,37 €,

‘ Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 28 septembre 2021 suivant lesquelles la SARL Société Brestoise de Menuiserie Isothermique demande à la cour de :

‘ Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Brest le 30 avril 2021 à l’encontre de la SARL Société Brestoise de Menuiserie Isothermique sauf en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande d’indemnité ‘en réparation des préjudices’

Par conséquent, et statuant à nouveau,

‘ Débouter Mme [O] de l’ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,

‘ Dire et juger que la rupture du contrat de travail de Mme [O] repose sur une faute grave,

‘ Débouter Mme [O] de l’intégralité de ses demandes, soit sa demande :

– indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,

– d’indemnité en réparation des préjudices,

– au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

‘ Condamner Mme [O] à rembourser la somme de 9.927,62 € au titre de ses achats personnels réglés par la société,

‘ Condamner Mme [O] à verser à SARL Société Brestoise de Menuiserie Isothermique la somme de :

– 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

– 5.000 € sur le fondement de l’article 32-1 du Code de procédure civile (action abusive)

‘ Condamner la même aux entiers dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 22 décembre 2021, suivant lesquelles Mme [O] demande à la cour de :

‘ Confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a dit et jugé que le licenciement de Mme [O] était intervenu sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

‘ Condamner la SARL Société Brestoise de Menuiserie Isothermique à lui verser les sommes suivantes :

– 13.346,96 € d’indemnité de licenciement intervenue sans cause réelle et sérieuse,

– 1.668,37 € d’indemnité compensatrice du préavis,

– 1.667 € d’indemnité compensatrice des congés payés sur le préavis,

– 13.346,96 € d’indemnité en réparation des préjudices,

– 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ Condamner la SARL Société Brestoise de Menuiserie Isothermique aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 6 juin 2024

Par application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, aux conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement pour faute grave :

En vertu de l’article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

La faute grave privative du droit aux indemnités de rupture est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle fait obstacle au maintien du salarié dans l’entreprise y compris pendant la durée du préavis.

En application des dispositions de l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Toutefois, l’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l’encontre du salarié et les conséquences que l’employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués, en examinant l’ensemble des motifs mentionnés dans la lettre.

En l’espèce, la lettre de licenciement du 19 mars 2019 mentionne :

(…) Durant votre absence, nous avons constaté plusieurs anomalies en ce qui concerne, notamment, les remboursements de frais.

En effet, nous avons relevé que de nombreux virements ont été réalisés sur votre compte bancaire personnel. L’objet des opérations correspond principalement à des remboursements de restaurants.

Les factures témoignent du fait que vous ne déjeuniez pas seule.

En effet, à titre d’exemple, le 28 janvier 2019, nous avons constaté que vous aviez consommé pour l’équivalent de deux personnes au restaurant Ship Inn, situé à [Localité 7].

La facture d’un montant de 84,50 euros, fait effectivement mention de deux boissons, deux entrées, deux plats ainsi que deux desserts.

Cette situation n’est pas isolée puisque nous relevons un remboursement de deux repas en date du 28 janvier 2019.

Les 11 et 18 janvier 2019, vous avez également produit deux factures Mc donald’s pour deux personnes.

Pourtant, nous ne nous vous avons jamais autorisé à vous rembourser ce type de dépenses.

Aussi, en cas de contrôle URSSAF; nous nous exposons à un redressement dans la mesure où les frais que vous avez engagés ne sont pas justifiés par la nature de vos fonctions.

Par ailleurs, vous avez sollicité un devis auprès de la Société QUEGUINER matériaux, que vous avez vous-même validé.

Nous avons reçu la facture correspondante, datée du 31 janvier 2019.

Toutefois, nous n’avons jamais réceptionné le matériel correspondant.

A notre demande, la Société QUEGUINER nous a édité le bon de retrait de ladite commande sur lequel apparaît la signature de votre compagnon, Monsieur [Z] [H].

Par ailleurs, la marchandise a été retirée un samedi, jour de fermeture de notre Société.

Il apparaît de toute évidence que vous avez réalisé cette commande pour votre compte personnel.

Par ailleurs, dans le cadre de l’arrêté des comptes, notre expert-comptable a réalisé que plusieurs factures ne correspondaient à aucun matériel utilisé par la Société.

La première, en date du 15 juillet 2018, correspond à des achats réalisés auprès de la Société Espace Emeraude, également retirés par votre compagnon.

La seconde, éditée le 22 juillet 2018, par la Société QUEGUINER correspond à du matériel pour Velux, équipement que notre Société n’installe pas.

Votre comportement est inacceptable et cause un préjudice financier à notre Société.

Cette situation rend impossible le maintien de nos relations contractuelles.

Par conséquent, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave.’

Il est ainsi reproché à Mme [O], d’une part d’avoir procédé au remboursement de frais de restaurant non-professionnels puisque les commandes correspondaient à deux personnes (en date des 11, 18 et 28 janvier 2019), et d’autre part d’avoir procédé à des commandes de matériel à des fins personnelles (bon de retrait Queguiner signé par le compagnon de la salariée M. [H] et récupéré un samedi, jour non-travaillé et achats du 15 et 22 juillet de matériels non-utilisés par la société, comme un Velux), la société SBMI précisant que ces faits ont été découverts par l’expert comptable pendant l’arrêt de travail de la salariée. L’employeur évoque ainsi des faits qualifiables, selon lui, d »abus de confiance’ au sens de l’article 314-1 du code pénal.

Selon l’article 3 du contrat de travail régularisé entre les parties le 27 juillet 2015, Mme [O], engagée comme secrétaire comptable/assistante de direction, s’engage à ‘ exercer de façon constante et exclusive les fonctions qui lui sont confiées par la société et à ne faire aucune opération de quelque nature que ce soit pour son compte personnel ou pour le compte d’un tiers’.

– sur les frais de restauration :

Il est reproché à Mme [O] d’avoir procédé, sans autorisation préalable, au remboursement sur son compte de frais de restauration, en date des 11 et 18 janvier 2019 ainsi que le 28 janvier 2019 (pour deux personnes).

Dans ses écritures, la société SBMI mentionne également d’autres frais de restauration en juin et juillet 2018. Elle précise que ces repas étaient sans rapport avec l’exercice des fonctions de Mme [O], à savoir secrétaire comptable.

Elle verse aux débats les tickets de caisse des repas concernés, ainsi que les relevés de compte de la société mentionnant des virements au profit de Mme [O].

Mme [O] ne conteste pas formellement ces frais, mais elle fait valoir l’existence d’un usage et d’un accord de l’employeur pour le remboursement des factures de restauration, le remboursement étant en outre réalisé par l’intermédiaire de la secrétaire comptable Mme [M]. Elle ajoute que ces frais sont en lien avec des déplacements commerciaux qu’elle pouvait réaliser pour le compte de l’entreprise.

Pour qu’une pratique d’entreprise acquière la valeur contraignante d’un usage, elle doit présenter les caractères cumulatifs de constance, de généralité et de fixité, permettant d’établir la volonté non équivoque de l’employeur de s’engager envers les salariés et de leur octroyer un avantage. L’écrit n’est toutefois pas une condition de validité de l’usage.

Le caractère général de l’usage implique que l’avantage bénéficie à l’ensemble des salariés ou tout au moins à une catégorie déterminée d’entre eux. En outre, pour devenir obligatoire pour l’employeur, il est nécessaire que l’avantage soit attribué un certain nombre de fois aux salariés d’une manière continue, un usage ne pouvant résulter d’un fait isolé. Enfin, l’avantage doit présenter une certaine fixité tant dans les conditions auxquelles les salariés peuvent y prétendre que dans ses modalités de calcul, les conditions d’attribution et de calcul de l’avantage devant obéir à des critères objectifs sans dépendre du pouvoir discrétionnaire de l’employeur.

C’est à celui qui se prévaut de l’existence et du caractère obligatoire d’un usage d’entreprise d’en rapporter la preuve.

En l’espèce, la cour constate que Mme [O] ne transmet aucune pièce telle que des attestations d’autres salariés, de nature à caractériser l’existence de l’usage d’entreprise qu’elle invoque.

Il n’est pas contesté que les repas facturés, dont les tickets de caisse sont versés aux débats par l’employeur, ont été remboursés à la salariée par des virements réalisés depuis le compte de la société qui sont conformes aux montants des repas. Les fonctions exercées à cette date par Mme [O] à savoir ‘responsable gestion et production’ ne justifiaient pas par elles-même des déplacements. En l’absence de motif professionnel, ces repas ne devaient pas être mis à la charge de l’employeur.

La cour considère ainsi que ces remboursements injustifiés de repas dont le caractère professionnel n’est pas établi sont bien constitutifs d’une faute grave de la part de la salariée.

– sur la commande de matériaux à des fins personnelles

Il est reproché à Mme [O] d’avoir commandé plusieurs produits pour son compte personnel : devis et facturation du 31 janvier 2019 de la société Gueguiner, et autres factures établies en juillet 2018.

Dans ses écritures, l’employeur évoque la location le 31 mai 2018 d’une mini pelle auprès de la société Locarmor, mise à disposition à son domicile personnel, ainsi que l’achat, à cette même date, pour son compte personnel, de matériel au sein du magasin Dispano de [Localité 5], ainsi que plusieurs achats réalisés en juillet 2018 : matériel de clôture auprès de la société Castrec le 15 juillet 2018 (ainsi que le 15 août 2018), chassis de velux auprès de l’établissement Gueguiner le 22 juillet 2018, plusieurs achats auprès du magasin Dispano de [Localité 5] le 31 juillet 2018, le 31 août 2018 et le 31 octobre 2018, et enfin la validation d’un devis de la société Gueguiner pour des menuiseries PVC le 19 novembre 2018, le tout pour un montant total de 9314,76 euros. La salariée défend que, ne recevant qu’exceptionnellement des primes, l’employeur avait décidé de la récompenser via des biens meubles, et que les justificatifs de dépenses étaient transmis à l’employeur, puis validés par celui-ci.

L’employeur conteste toute validation de sa part, et indique qu’il n’avait pas connaissance du remboursement par l’entreprise des factures d’achat. Il explique qu’il n’avait pas connaissance des biens achetés par Mme [O] qui ne transitaient pas par son stock, étant retirés directement chez le fournisseur ou livrés au domicile de la salariée, évoquant des manoeuvres qui lui permettaient de masquer ses agissements. Il ajoute que Mme [O] percevait bien des primes numéraires.

L’employeur verse aux débats les diverses factures afférentes aux achats réalisés, qui sont toutes établies au nom de la société SBMI, ainsi que les mails adressés par Mme [O] en qualité de ‘responsable gestion et production’ de la société SBMI à un salarié de la société Gueguiner Matériaux concernant les commandes de matériels, ainsi enfin que le devis de menuiserie PVC réalisé au nom de ‘[N]’, dont il n’est pas contesté qu’il s’agit du compagnon de Mme [O] ([H] [Z]), ancien salarié de la société SBMI en qualité de monteur-poseur.

La cour constate ainsi qu’en ce qui concerne la facture établie le 31 mai 2018 au nom de la société SBMI par la société Locarmor pour la location d’une mini pelle, l’adresse du chantier est celle du domicile de Mme [O] telle qu’elle figure sur les bulletins de salaire de celle-ci ([Adresse 1] à [Localité 8]) ; qu’il résulte en outre des pièces transmises que suite à la demande de Mme [O], un avoir du même montant a été établi par la société Locarmor, exclusivement au nom de cette dernière. De tels agissements suffisent ainsi à caractériser l’existence de manoeuvres de la part de Mme [O] qui a facturé au nom de son employeur la location de matériel pour lequel elle a finalement bénéficié d’un avoir.

Il en est de même des acquisitions effectuées auprès de la SAS Castrec, lesquelles sont facturées au nom de la société SBMI, alors que la facture n°12369 mentionne ‘pris par [Z]’ (qui est le prénom du compagnon de Mme [O]).

Comme pour les frais de restauration, la cour relève que Mme [O], qui ne conteste pas les virements effectués à son profit à la suite des achats ainsi réalisés pour son compte personnel, ne rapporte pas la preuve de l’usage qu’elle invoque quant à la ‘compensation’ de l’absence de prime par l’acquisition de biens meubles pour son compte personnel.

En l’absence de preuve de l’existence d’un usage d’entreprise, et dès lors que de tels remboursements – non mentionnés sur les bulletins de paie de la salariée – ne peuvent être assimilés à des avantages en nature, éléments de rémunération soumis à cotisations sociales, il n’est ainsi pas établi que l’employeur en avait connaissance ou qu’il avait validé de telles dépenses réalisées dans l’intérêt exclusif de sa salariée.

Au contraire, il résulte de l’attestation établie par Mme [Y] [B], ayant remplacé Mme [F] pendant son arrêt de travail pour cause de maladie, que le gérant de la société SBMI a montré son étonnement à la réception de la facture du 31 janvier 2019 émise par la société Gueguiner concernant ‘une porte que l’entreprise ne posait pas’, Mme [B] précisant que ‘c’est à partir de ce moment que des recherches ont été effectuées pour voir s’il n’y avait pas d’autres choses’.

L’employeur justifie enfin avoir engagé en date du 19 mars 2019 une procédure de licenciement pour faute grave à l’égard de Mme [I] [M], laquelle avait été engagée en qualité de secrétaire comptable, au motif d’avoir notamment procédé, sans autorisation, à des remboursements de frais en sa faveur (repas et carburant), permettant ainsi d’établir qu’il n’était pas davantage avisé des agissements possiblement frauduleux de cette dernière.

Ainsi, en définitive, dès lors que les éléments transmis permettent de considérer que l’employeur n’avait pas connaissance, avant l’arrêt maladie de Mme [O], des agissements de cette dernière quant à la prise en charge par la société SBMI des commandes et des acquisitions de matériaux pour son compte personnel, la cour considère que les faits ayant été ainsi commis à l’insu de l’employeur sont bien constitutifs d’une faute grave.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu’il a déclaré sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Mme [O] et condamné la société SBMI au paiement d’indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, ainsi qu’à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– sur la demande au titre de la ‘réparation des préjudices’

Mme [O] fait valoir dans ses écritures l’existence de mauvaises conditions de travail et de pressions de la part de son employeur à l’origine d’un ‘burn out’ et d’un préjudice ‘professionnel, familial et de santé’, qu’elle n’explicite toutefois pas davantage.

Or, alors que le jugement déféré a débouté Mme [O] de sa demande sur ce fondement, cette dernière ne sollicite pas, dans le dispositif de ses conclusions d’appel, d’infirmation à ce titre, si bien que la cour n’est donc pas saisie de cette demande indemnitaire formée à l’encontre de la société SBMI.

– sur la demande formée par l’employeur pour action dilatoire ou abusive :

Selon l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière abusive ou dilatoire encourt une amende civile, ‘sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés’

Toutefois, la société SBMI ne rapporte pas la preuve de ce que Mme [O] aurait fait un usage abusif de son droit d’agir en justice afin de contester le licenciement pour faute grave prononcé à son encontre ou qu’elle aurait commis une faute dans la conduite des procédures de première instance et d’appel, cette dernière n’ayant fait qu’user de son droit de faire valoir ses arguments en justice.

Il y a dès lors lieu de débouter la société appelante de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la société SBMI au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En application de l’article 696 du code de procédure civile, Mme [O], partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel, et il n’apparaît pas inéquitable de la condamner à payer à la société SBMI la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant contradictoirement par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la ‘réparation des préjudices’.

Statuant à nouveau,

DIT que le licenciement pour faute grave de Mme [J] [O] est justifié.

DEBOUTE Mme [J] [O] de l’ensemble de ses demandes.

Y ajoutant,

DEBOUTE la SARL Société Brestoise de Menuiserie Isothermique de sa demande de dommages et intérêts pour action dilatoire ou abusive.

CONDAMNE Mme [J] [O] à payer à la SARL Société Brestoise de Menuiserie Isothermique la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE Mme [J] [O] aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


 


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