Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Rennes
Thématique : Licenciement pour non-respect des procédures de changement de RIB
→ RésuméMme [H] [Y], responsable administratif et financier à la SAS Bonneterie d’Armor, a été licenciée pour faute grave après une escroquerie de 20 850 euros due à un changement de RIB non vérifié. Contestant son licenciement, elle a argué qu’il n’était pas fondé et que l’entreprise avait manqué à son obligation de sécurité. Le conseil de prud’hommes a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant la société à verser des indemnités. En appel, la cour a confirmé en partie le jugement, modifiant certains montants, et a ordonné le remboursement des indemnités de chômage versées à Mme [Y].
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Rennes
RG n°
21/00829
ARRÊT N°417
N° RG 21/00829 –
N° Portalis DBVL-V-B7F-RKPT
S.A.S. BONNETERIE D’ARMOR
C/
Mme [H] [Y]
Sur appel du jugement du CPH de BREST du 29/04/2021 – RG F19/00035
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :17-10-24
à :
-Me Sandrine DANIEL
-Me Dominique LE GUILLOU-RODRIGUES
-Me Mélanie VOISINE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 16 OCTOBRE 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Nadège BOSSARD, Présidente,
Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,
Mme Anne-Laure DELACOUR, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 28 Juin 2024
devant Madame Nadège BOSSARD, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 16 Octobre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
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APPELANTE et intimée à titre incident :
La S.A.S. BONNETERIE D’ARMOR prise en la personne de ses représentants légaux et ayant son siège social
[Adresse 2]
[Localité 3]
Ayant Me Sandrine DANIEL de la SELARL LCE AVOCATS NOTAIRES, Avocat au Barreau de QUIMPER, pour Avocat constitué
INTIMÉE et appelante à titre incident :
Madame [H] [Y]
née le 16 Avril 1982 à [Localité 7] (78)
demeurant [Adresse 1]
[Localité 4]
Ayant Me Dominique LE GUILLOU-RODRIGUES, Avocat au Barreau de QUIMPER, pour Avocat constitué
…/…
INTERVENANT VOLONTAIRE :
L’Institut National Public POLE EMPLOI BRETAGNE devenu FRANCE TRAVAIL pris en la personne de son représentant légal et ayant son siège :
[Adresse 6]
[Localité 5]
Ayant Me Mélanie VOISINE de la SELARL BALLU-GOUGEON, VOISINE, Avocat au Barreau de RENNES, pour Avocat constitué
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Mme [H] [Y] a été engagée par la SAS Bonneterie d’Armor selon contrat à durée indéterminée en date du 23 octobre 2015 prenant effet à compter du 1er février 2016, en qualité de responsable administratif et financier, statut cadre, coefficient 400 de la convention collective nationale de l’industrie du textile du 1er février 1951. La société Sas Bonneterie d’Armor emploie plus de 400 salariés.
En janvier 2018, Mme [Y] s’est vue retirer la gestion de la comptabilité tiers de ses missions.
Le 9 octobre 2018, au cours d’un échange de mail avec Mme [Y], un pirate informatique a usurpé l’identité d’un fournisseur de la société et a escroqué cette dernière pour un montant de 20 850 euros.
Par courrier remis en main propre en date du 7 octobre 2018, Mme [Y] a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable fixé au 29 octobre 2018, auquel elle s’est présentée.
Par lettre recommandée adressée le 31 octobre 2018, la SAS Bonneterie d’Armor a notifié à Mme [Y] son licenciement pour faute grave.
Par lettre recommandée avec accusé réception du 12 novembre 2018, Mme [Y] a contesté la mesure et demandé des précisions sur les motifs.
Le 20 novembre suivant, par lettre recommandée avec accusé réception la société lui a répondu en estimant les motifs suffisamment clairs et précis.
Le 7 mars 2019, Mme [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Brest aux fins de :
‘ Dire et juger :
– caractérisée l’infraction de travail dissimulé,
– que le licenciement de Mme [Y] ne reposait pas sur une faute grave,
– que le licenciement de Mme [Y] était sans cause réelle et sérieuse,
– que la société avait manqué à son obligation de sécurité,
‘ Condamner la SAS Bonneterie d’Armor à verser à Mme [Y] la somme de :
– 31.153,86 € nets à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
– 1.888,11 € bruts au titre des salaires dus pour les journées travaillées en décembre 2015 et janvier 2016,
– 188,81 € bruts de congés payés afférents,
– 4.153,85 € nets d’indemnité de licenciement,
– 15.576,93 € bruts d’indemnité de préavis,
– 1.557,69 € bruts de congés payés sur indemnité de préavis,
– 50.000 € nets d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2.076,92 € bruts de rappel de salaire (mise à pied conservatoire injustifiée),
– 207.69 € bruts de congés payés sur rappel de salaire,
– 10.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire,
– 10.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
– 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Ordonner la remise des documents suivants :
– certificat de travail rectifié,
– attestation destinée à Pôle emploi rectifié,
– bulletin de paie portant rappels de salaire sur préavis et mise à pied conservatoire
‘ Dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 80 € par jour de retard,
‘ Dire et juger que les sommes à caractère :
– salarial porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes,
– indemnitaire porteront intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
‘ Ordonner l’exécution provisoire de la décision sur le fondement de l’article 515
du code de procédure civile,
‘ Condamner la même aux entiers dépens.
Par jugement en date du 29 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Brest a :
‘ Reçu Mme [H] [Y] en sa requête,
‘ Dit et jugé que :
– la situation de travail dissimulé n’était pas caractérisée,
– le licenciement de Mme [Y] était sans cause réelle et sérieuse,
– la rupture avait un caractère vexatoire,
‘ Débouté Mme [Y] de :
– ses demandes au titre du travail dissimulé,
– sa demande de paiement de jours travaillés au profit de la SAS Bonneterie d’Armor en décembre 2015 et janvier 2016,
‘ Condamné la SAS Bonneterie d’Armor à verser à Mme [Y] la somme de:
– 10.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
– 4.153,85 € nets au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 15.576,93 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 1.557,69 € bruts au titre des congés payés sur indemnité compensatrice de préavis,
– 18.000 € nets au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2.360 € bruts au titre de rappels de salaire pour mise à pied conservatoire,
– 236 € bruts au titre des congés payés sur rappels de salaire pour mise à pied conservatoire,
– 10.000 € nets au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire,
– 2.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Disposé que les sommes allouées seront porteuses des intérêts de droit à compter de la demande en justice pour les montants à caractère salarial (date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation par la partie défenderesse, soit le 11 mars 2019), à compter de la notification pour les dommages et intérêts, en vertu des dispositions de l’article 1231-7 du code civil,
‘ Ordonné le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités,
‘ Condamné la SAS Bonneterie d’Armor à remettre à Mme [Y] un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle Emploi rectifiés pour tenir compte de la présente décision, sous astreinte de 80 € par jour de retard à compter du délai de 30 jours suivant notification du jugement à intervenir, et pour une période limitée à 30 jours, le conseil s’en réservant la liquidation éventuelle,
‘ Rappelé le cadre de l’exécution provisoire délimité par l’article R.1454-28 du code du travail (en l’espèce le salaire moyen mensuel pouvant valablement être fixé à la somme de 5.192,31 €),
‘ Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
‘ Condamné la SAS Bonneterie d’Armor aux dépens, et y compris en cas d’exécution forcée, les éventuels honoraires et frais d’huissier (article 696 du code de procédure civile).
La SAS Bonneterie d’Armor a interjeté appel le 5 février 2021.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 17 janvier 2024 suivant lesquelles la SAS Bonneterie d’Armor demande à la cour de :
‘ Déclarer la SAS Bonneterie d’Armor recevable et bien fondée en son appel,
‘ Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Brest du 29 janvier 2021, en ce que le conseil de prud’hommes a :
– dit et jugé que :
– le licenciement de Mme [Y] était sans cause réelle et sérieuse,
– la rupture avait un caractère vexatoire,
– condamné la SAS Bonneterie d’Armor à verser à Mme [Y] la somme de :
– 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
– 4.153,85 € nets au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 15.576,93 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 1.557,69 € bruts au titre des congés payés sur indemnité compensatrice de préavis,
– 18.000 € nets au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2.360 € bruts au titre de rappels de salaire pour mise à pied conservatoire,
– 236 € bruts au titre des congés payés sur rappels de salaire pour mise à pied conservatoire,
– 10.000 € nets au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire,
– 2.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– disposé que les sommes allouées seront porteuses des intérêts de droit,
– ordonné le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités,
– condamné la SAS Bonneterie d’Armor à remettre à Mme [Y] un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle Emploi rectifiés, sous astreinte de 80 €,
– condamné la SAS Bonneterie d’Armor aux dépens, et y compris en cas d’exécution forcée, les éventuels honoraires et frais d’huissier,
En conséquence,
‘ Débouter Mme [Y] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
‘ Condamner Mme [Y] à payer à la société la somme de 2.500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Condamner Mme [Y] aux entiers dépens,
‘ Débouter Pôle Emploi de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 10 janvier 2022, suivant lesquelles Mme [Y] demande à la cour de :
‘ Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Brest sauf en ce qui concerne le quantum alloué pour dommages et intérêts pour licenciement abusif et au titre de la condamnation forfaitaire pour travail dissimulé et au titre du rappel de salaire au titre des salaires dus pour les journées travaillées en décembre 2015 et janvier 2016,
En conséquence,
‘ Condamner la SAS Bonneterie d’Armor à verser à Mme [Y] la somme de :
– 31 153.86 € nets à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
– 1.888,11 € bruts au titre des salaires dus pour les journées travaillées en décembre 2015 et janvier 2016,
– 188,81 € bruts de congés payés sur cette somme,
‘ Dire et juger :
– que le licenciement de Mme [Y] ne repose pas sur une faute grave,
– que le licenciement de Mme [Y] est sans cause réelle et sérieuse,
– que la société a manqué à son obligation de sécurité,
‘ Condamner la SAS Bonneterie d’Armor à verser à Mme [Y] la somme de :
– 4.153,85 € nets d’indemnité de licenciement,
– 15.576,93 € bruts d’indemnité de préavis,
– 1.557,69 € bruts de congés payés sur indemnité de préavis,
– 50.000 € nets d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2.360 € bruts de rappel de salaire (mise à pied conservatoire injustifiée),
– 236 € bruts de congés payés sur rappel de salaire,
– 10.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire,
– 10.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
– 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Ordonner la remise des documents suivants :
– certificat de travail rectifié,
– attestation destinée à Pôle emploi rectifié,
– bulletin de paie portant rappels de salaire sur préavis et mise à pied conservatoire,
‘ Dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 80 € par jour de retard,
‘ Dire et juger que les sommes à caractère :
– salarial porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes,
– indemnitaire porteront intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
‘ Condamner la SAS Bonneterie d’Armor aux entiers dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 13 avril 2022, suivant lesquelles l’établissement public Pôle Emploi Bretagne devenu France Travail demande à la cour de :
‘ Condamner la SAS Bonneterie d’Armor à rembourser auprès du Pôle Emploi les indemnités versées à Mme [Y], dans la limite de 6 mois d’allocations, soit 3 908,25 €,
‘ Condamner la SAS Bonneterie d’Armor à verser à Pôle Emploi la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Condamner la même aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 25 janvier 2024.
Par application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties à leurs dernières conclusions susvisées.
L’affaire a été plaidée à l’audience du 9 février 2024.
Par arrêt en date du 20 mars 2024 la cour après avoir recueilli l’accord des parties a ordonné une médiation.
Les parties n’étant pas parvenues à un accord, l’affaire a été rappelée à l’audience du 27 juin 2024 et mise en délibéré.
* * *
MOTIFS :
Sur le licenciement prononcé pour faute grave
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle fait obstacle au maintien du salarié dans l’entreprise y compris pendant la durée du préavis.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit être suffisamment motivée et viser des faits et griefs matériellement établis et imputables au salarié, d’une gravité telle, qu’ils soient constitutifs d’une faute grave justifiant le licenciement prononcé sans préavis.
Il appartient à la cour d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Si elle constate l’absence de faute grave, elle doit vérifier s’ils ne sont pas tout au moins constitutifs d’une faute de nature à conférer une cause réelle et sérieuse au licenciement.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 31 octobre 2018 (pièce n°15 de l’employeur et 15 du salarié) qui fixe l’objet du litige est rédigée comme suit :[‘]
‘Vous occupez le poste de Responsable administratif et financier, depuis le 1er février 2016. Jusqu’à fin 2017 vos missions comprenaient notamment le pilotage des comptabilités auxiliaires du Groupe. A ce titre vous avez dû mettre en place des procédures, ou respecter les procédures existantes concernant le règlement des fournisseurs. Vous êtes, par ailleurs, Responsable de la trésorerie du Groupe.
Notre fournisseur marocain DATMA est à la fois fournisseur de la société Bonneterie d’Armor et de la société ARMOR DÉVELOPPEMENT. La comptabilité fournisseur de Bonneterie d’Armor est assurée par Monsieur [C] [O] et celle d’ARMOR DÉVELOPPEMENT par Madame [E] [M].
Ce fournisseur a, depuis Juin 2018, changé de compte bancaire dans le cadre de son financement par une société de factoring. Il y a eu divers problèmes, car notre groupe effectuait bien des virements sur le compte qui nous avait été communiqué, mais les fonds n’étaient pas reçus sur le compte du fournisseur.
Compte tenu de ces dysfonctionnements de nature bancaire, vous avez dû prendre la main sur le dossier pour le gérer en direct avec notre fournisseur et notre banque. Monsieur [C] [O] et Madame [E] [M], compte tenu des difficultés, étaient donc déchargés de la gestion du dossier, dont la responsabilité vous incombait.
Le 9/10/2018, nous demandons un nouveau RIB au fournisseur afin de comprendre l’origine de la non affectation des fonds sur le compte bancaire de DATMA. Nous le recevons immédiatement à 9H56 (même RIB que le précédent).
À 10h54, nous recevons un nouveau mail nous disant d’ignorer le RIB précédent et nous donnant un nouveau RIB. Il s’agissait là de la première intervention du pirate. Nous répondons que des virements avaient déjà été faits (sur le bon compte), et qu’il était trop tard pour modifier les coordonnées bancaires. Vous êtes en copie des mails à partir de là, et vous avez la main par rapport à [E] [M].
Vous répondez le 10/10/2018 en listant les virements émis et vous réclamez un RIB ‘document issu de la banque’, et non uniquement dans le corps du mail, comme cela était le cas.
Vous recevez ce RIB en pièce jointe et vous demandez à [E] [M] de procéder, dans notre système informatique, au changement de RIB et au virement de 20.850 € ce qu’elle a exécuté immédiatement.
Il vous est reproché de n’avoir pas pris la précaution minimum de valider ce RIB auprès du fournisseur, ce qui est la base de la sécurité des paiements dans une entreprise. Cela est d’autant plus grave que compte tenu de vos fonctions, de vos rapports avec les banques, vous connaissiez parfaitement les mesures de sécurité à prendre dans les paiements pour éviter les fraudes liées aux nouvelles technologies.
Le 16 octobre 2018, nous apprenons par le fournisseur qu’il s’agissait d’une fraude.
Par chance, nous n’avions pas payé les autres sommes dues à ce fournisseur.
Nous avons examiné le RIB frauduleux et il nous semble que sa présentation est grossière et qu’une banque au Mexique aurait dû vous alerter, pour un fournisseur marocain’
Concernant nos procédures de changement de RIB, [C] [O] et [E] [M] indiquent bien qu’ils contrôlent par une deuxième confirmation tout changement de RIB. Cela semble être en place en interne. Nous n’avons pas trouvé d’écrit sur le sujet, que nous vous reprochons également de ne pas avoir fait pour sensibiliser les équipes aux risques de fraude.
Nous considérons que vous avez commis là une faute élémentaire, d’autant plus grave que vous êtes en charge de la trésorerie du groupe, qui justement nécessite une grande vigilance. C’est le manque de contrôle interne qui a permis à la fraude d’exister.
Par ailleurs, au moment du constat de la fraude, vous avez reconnu votre responsabilité.
L’ensemble des arguments que vous avez développés lors de l’entretien n’a pas changé notre appréciation des faits.
Nous considérons qu’eu égard à votre niveau de responsabilités au sein de l’entreprise, à votre ancienneté, la faute que vous avez commise en ne respectant pas les règles prudentielles de base, ne nous permet pas de poursuivre nos relations contractuelles et justifie la rupture immédiate de nos relations contractuelles.
Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave. Votre licenciement prendra donc effet à la notification d’envoi du présent courrier recommandé et votre contrat de travail sera rompu à cette date, sans préavis.
[‘]
Le défaut de contrôle du RIB du fournisseur et l’absence de procédure écrite sur le contrôle préalable des RIB constituent les deux griefs sur lesquels se fonde l’employeur pour prendre sa décision.
Si la matérialité des faits du 1er grief n’est pas contestée par Mme [Y], celle-ci conteste son imputabilité ainsi que le caractère fautif.
Au soutien de sa décision de licenciement, la Société Bonneterie d’Armor invoque le caractère manifestement frauduleux du RIB en raison de sa présentation et de la localisation de la banque au Mexique.
Mme [Y] établit toutefois que l’envoi par mail du RIB frauduleux émane de la messagerie directe de l’interlocuteur de la société fournisseur.
Cette transmission intervient dans un contexte d’échange de courriels relatif à une difficulté de transmission des flux bancaires à la société fournisseur. Cette dernière, en réponse à la demande de RIB formulée par Mme [Y], le lui a transmis par mail. L’envoi à 10h54, soit, une heure plus tard d’un nouveau RIB, en ce qu’il s’inscrivait à la suite de l’échange sus évoqué n’a légitimement pas attiré l’attention de Mme [Y].
En outre, les éléments transmis par les parties ne permettent pas de déterminer précisément l’imputabilité de l’enregistrement du RIB litigieux et de la décision de procéder au virement des fonds.
Alors que Mme [Y] n’avait plus, au moment des faits, la charge de la comptabilité tiers depuis l’arrivée de M. [T], elle est intervenue dans le champ des responsabilités de ce dernier ainsi que des deux comptables fournisseurs M. [O] et Mme [M], tous les trois ayant été mis en copie des échanges de mail De sorte qu’elle assume à ce titre une responsabilité.
Elle a ensuite agi très rapidement dès qu’elle a appris le caractère frauduleux porté à sa connaissance par le fournisseur le 16 octobre 2018.
En outre, aucun préjudice n’a été déploré pour la société, la réaction immédiate de Mme [Y] après la découverte de la fraude ayant permis la restitution des fonds.
S’agissant du grief concernant l’absence de mise en place d’une procédure de contrôle de RIB, la fiche de poste de Mme [Y] mentionnait concernant :
1- La trésorerie : « piloter et optimiser les systèmes d’informations dédiés et assurer la sécurisation des flux entreprises/tiers et banques »
2- La mise en ‘uvre des procédures et des systèmes comptables « action à mener en relation avec le contrôle de gestion pour permettre d’améliorer la perception de l’activité du groupe (comptabilité analytique, évolution des systèmes d’informations), notamment mise en place de reporting sur BFR et investissements »Il ne résulte pas de cette fiche de poste que la mise en place d’une procédure de contrôle de RIB relevait de ses missions.
La cour retient que ce grief n’est pas imputable au salarié.
Il en résulte qu’aucun manquement fautif n’est imputable à Mme [Y].
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a jugé le licenciement de Mme [Y] sans cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences financières
Le licenciement ne reposant ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse, Mme [Y] est fondée à solliciter l’indemnité de licenciement ainsi que les indemnités compensatrices de préavis, de congés payés afférents et des dommages et intérêts.
– Sur l’indemnité de licenciement
Selon l’article L. 1234-9 du code du travail, tout salarié en contrat à durée indéterminée licencié hors faute grave et qui justifie d’une ancienneté d’au moins 8 mois ininterrompu, se voit allouer une indemnité légale de licenciement, à comparer, le cas échéant avec l’indemnité conventionnelle. Seule l’indemnité la plus favorable est attribuée.
Le calcul de l’indemnité légale tient compte de l’ancienneté acquise du salarié au sein de la société et de sa rémunération mensuelle moyenne des 12 ou 3 derniers mois selon la formule la plus favorable (article R. 1234-2 et R. 1234-4 du code du travail).
Les dispositions conventionnelles prévues à l’article 19 de l’annexe IV de la convention collective du textile du 1er février 1951 prévoient que le montant de l’indemnité est fixé en fonction de l’ancienneté dans l’entreprise. L’ancienneté du salarié est appréciée à la date de fin du préavis, exécuté ou non.
Le montant se calcule sur la moyenne de la rémunération effective mensuelle ou horaire des 3 derniers mois (antérieurs à l’expiration du préavis).
Pour le calcul de cette moyenne, doivent être pris en considération tous les éléments de la rémunération, y compris le douzième des primes contractuelles ayant une périodicité différente de la paie et égale ou inférieure à l’année versées au cours des 12 mois précédant la date d’expiration du préavis. Doivent par contre être exclus de ce calcul les gratifications aléatoires ou temporaires et les remboursements de frais.
L’application des dispositions conventionnelles est plus avantageuse pour Mme [Y].
Au vu d’un salaire de référence s’élevant à 5 612,31 euros bruts par mois sur les trois derniers mois précédant la rupture du contrat de travail d’après les bulletins de salaire versés aux débats et d’une ancienneté de 3 ans, la SAS Bonneterie d’Armor doit ainsi être condamnée, dans la limite de la demande, à payer à Mme [Y] la somme de 4 153,85 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
– Sur l’indemnité de préavis
Selon l’article 16 de l’annexe IV de la convention collective du textile du 1er février 1951, la rupture des relations contractuelles d’un salarié cadre est soumise à un préavis de trois mois. Mme [Y] ayant le statut de cadre, celle-ci bénéficie d’un préavis de trois mois.
Le salaire mensuel brut moyen à retenir étant de 5 612.31€, il sera alloué à Mme [Y] une indemnité compensatrice de préavis, dans la limite de la demande, de 15 576.93 € bruts outre la somme de 1 557.69 € bruts à titre d’indemnité de congés payés sur préavis.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
– Sur le rappel de salaire sur mise à pied :
La société Bonneterie d’Armor conteste le principe de la créance mais non son montant.
En l’absence de faute grave, Mme [Y] a droit au rappel de salaire portant sur la période de mise à pied conservatoire.
Le jugement entrepris sera confirmé.
Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
L’article L.1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur qui répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte d’emploi. Le montant de cette indemnité est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés en nombre de mois de salaire, en fonction de l’ancienneté du salarié.
Au regard de l’ancienneté de trois ans de Mme [Y], celle-ci peut bénéficier d’une indemnité comprise entre trois et quatre mois de salaire.
Au regard de son âge, de son salaire brut de 4 651,32 euros, de sa qualification professionnelle et de sa capacité à retrouver un emploi, il y a lieu de lui accorder la somme de 18 000 € au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire
Un salarié peut solliciter des dommages et intérêts pour licenciement vexatoire lorsqu’il apparaît que son licenciement est entouré de circonstances brutales, injurieuses ou propres à porter atteinte à sa dignité et ce quand bien même le licenciement repose sur une faute grave.
En l’espèce, l’employeur a attendu la fin de journée de travail pour lui notifier sa mise à pied à pied à titre conservatoire et lui remettre la lettre de convocation à l’entretien préalable. Si Mme [Y] a été sommée, au cours de son entretien individuel de remettre immédiatement ses outils de travail, pour autant il n’est pas justifié de circonstances brutales ou vexatoire.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la demande de rappels de salaire au titre de décembre 2015 et janvier 2016 :
Mme [Y] soutient qu’alors qu’elle était en période de préavis au sein de la société CAPIC qu’elle quittait, elle a travaillé effectivement 8 journées pour la société Bonneterie d’Armor, notamment en posant des congés payés chez son ex employeur.
La preuve de la réalisation d’une prestation de travail avant la signature du contrat de travail lui incombe.
Elle communique des mails les 10, 17 et 19 novembre 2015, puis 18 décembre 2015, et enfin 8 janvier 2016 échangés depuis son adresse professionnelle auprès de son employeur Capic avec des salariés d’Armor lux établissant qu’elle a passé des moments au sein de la société Armor lux pendant sa période de préavis et de congés payés consentis par Capic et qu’elle a, au cours de ces périodes, été associée à des réunions, a rencontré les salariés de la société avec lesquels elle allait travailler ainsi que ses supérieurs et ses pairs afin notamment d’évoquer l’organisation qui allait être mise en place notamment sur le service comptable et d’être formée. Elle a été mise en copie de courriels relatifs au budget 2015 de la société.
Si le dirigeant de la société Capic atteste « qu’à l’occasion du départ de [H] [Y] de la société CAPIC, elle a effectué quelques jours de présence chez Armor Lux avant son arrivée définitive et qu’en échange, elle a effectué quelques jours de présence chez nous pour accompagner son successeur [R] [Z] après son embauche chez Armor Lux ‘ C’était un accord entre nous. », il résulte tant de cette attestation que des courriels sus-évoqués, que Mme [Y] n’a pas réalisé de prestation de travail pour la société Armor Lux, n’a reçu aucune instruction et qu’aucun contrôle de la réalisation d’une instruction n’a été opéré par la société Armor lux au cours de la période litigieuse de sorte qu’elle ne se situait pas dans un lien de subordination avec cette société au cours de cette période.
Il en résulte qu’aucun rappel de salaire n’est dû.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.
Sur le manquement à l’obligation de sécurité :
Selon l’article L4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Dans le cadre de l’entretien du 29 décembre 2016, Mme [Y] a qualifié sa charge de travail d’«élevée», tout comme l’amplitude de ses journées.
Lors de l’entretien du 20 décembre 2017, elle a fait cette fois état d’une charge de travail « excessive » (niveau maximum, soit 4/4), et d’une amplitude de journée « élevée » : 10 heures par jour hors période de clôture, 12h par jour en période de clôture.
Si l’employeur a déchargé Mme [Y] du management de la comptabilité tierce en janvier 2018, c’était en contrepartie d’une augmentation des attentes sur la partie trésorerie du poste de sorte qu’aucune mesure d’allègement réelle de la charge de travail n’a été prise.
Au regard de cette situation, le fait d’avoir négocier un accord sur la qualité de vie au travail et d’avoir mis en place une commission spéciale dédiée à ce thème comme établi par le procès-verbal du CSE du 17 décembre 2017, n’est pas suffisant à garantir la pleine exécution de ses obligations par l’employeur.
Le jugement entrepris sera confirmé en son principe mais réformé en son quantum, la société étant condamnée à verser à Mme [Y] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Sur la demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé :
En l’absence de réalisation d’une prestation de travail au sein de la société Bonneterie d’Armor au cours de la période comprise entre décembre et janvier 2016, Mme [Y] est mal fondée à invoquer l’existence d’un travail dissimulé et à en demander l’indemnisation.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.
Sur la demande de remboursement des allocations chômage
Par application combinée de l’article L.1235-4 du code du travail, lorsque le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Sur ce fondement, il y a lieu de condamner la SAS Bonneterie d’Armor à rembourser à Pôle emploi, devenu France travail, les indemnités de chômage versées à Mme [Y] pour la somme de 3 908,25 euros.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef en son principe et il y sera ajouté quant au montant dû.
Sur la remise des documents
Le jugement est confirmé en ce qu’il a condamné sous astreinte la société à remettre à Mme [Y] le certificat de travail rectifié, l’attestation destinée à pôle emploi devenu France travail actualisée ainsi que le bulletin de paie portant rappels de salaire sur préavis et mise à pied conservatoire.
Sur les intérêts
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a jugé que les sommes allouées de nature salariale, porteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les autres sommes de nature indemnitaire porteront intérêts à compter du prononcé du jugement.
Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile
La société est condamnée aux dépens d’appel et sur le fondement de l’article 700 à verser à Mme [Y] la somme de 1 000 euros et de 500 euros à Pôle emploi, devenu France travail.
LA COUR,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris sauf sur les dommages-intérêts pour circonstances brutales et vexatoires de la rupture et les dommages-intérêts pour obligation de sécurité,
L’infirme de ces chefs,
statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette la demande de dommages-intérêts pour circonstances brutales et vexatoires de la rupture,
Condamne la société Bonneterie d’Armor à payer Mme [H] [Y] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
Condamne la société Bonneterie d’Armor à payer à Pôle emploi, devenu France Travail la somme de 3 908,25 euros sur le fondement de l’article L1235-4 du code du travail,
Condamne la société Bonneterie d’Armor à payer sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à Mme [H] [Y] la somme de 1 000 euros et à Pôle emploi, devenu France travail la somme de 500 euros,
Condamne la société Bonneterie d’Armor aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.
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