Cour d’Appel de Rennes, 16 mai 2023
Cour d’Appel de Rennes, 16 mai 2023

Type de juridiction : Cour d’Appel

Juridiction : Cour d’Appel de Rennes

Thématique : Prestations graphiques sans contrat : qui prouve quoi ?

Résumé

En matière de prestations graphiques sans contrat, l’absence de devis ne prive pas le prestataire de rémunération. Selon l’article L 110-3 du code de commerce, la preuve peut être apportée par tous moyens, y compris par échanges d’emails. Le prestataire doit prouver que les travaux ont été commandés ou acceptés par le client. De plus, en l’absence d’accord préalable sur le prix, celui-ci peut être fixé par le créancier, qui doit justifier son montant en cas de contestation. Ainsi, les échanges entre les parties peuvent établir l’existence d’un contrat et la rémunération due.

En matière de prestation de services, l’absence de devis ou de contrat n’est pas privative de rémunération. Entre commerçants, la preuve (notamment par emails) est libre.

Prestations graphiques commandées sans devis

Concernant les prestations graphiques commandées sans devis ni contrat, aux termes de l’article L 110-3 du code de commerce la preuve en matière commerciale peut être rapportée par tous moyens.Ainsi en est il de la preuve de l’existence d’un contrat de prestation de services.

Force du contrat

L’article 1103 du code civile précise que lescontrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.A défaut de devis , le prestataire doit démontrer que les travaux dont il réclame le paiement ont été commandés avant leur exécution ou acceptés sans équivoque dès leur exécution par le client (la preuve par emails est recevable).

La détermination de la rémunération

Concernant la détermination de la rémunération, l’article 1165 du code civil ajoute que dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation.En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat.

3ème Chambre Commerciale

ARRÊT N°.

N° RG 21/02385 – N° Portalis DBVL-V-B7F-RRUE

Mme [G] [X]

C/

S.A.R.L. OURAGAN

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Patrick EVENO

Me Cédric MASSON

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 MAI 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ:

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Lydie CHEVREL, lors des débats, et Madame Morgane LIZEE, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l’audience publique du 06 Mars 2023

devant Madame Fabienne CLEMENT, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 16 Mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

APPELANTE :

Madame [G] [X]

née le 25 Octobre 1992 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Patrick EVENO de la SELARL P & A, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

INTIMÉE :

SARL OURAGAN, immatriculée au RCS de VANNES sous le n°853 257 145, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Cédric MASSON de la SELARL ADVO, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

FAITS

Mme [G] [X] exerce en nom personnel et sous l’enseigne NOWHERE une activité de graphisme, webdesign et communication.

La SARL OURAGAN exerce une activité de salon de tatouage, atelier artistique, atelier formation dans le domaine graphisme. Elle est gérée par Messieurs [B] et [E] [J], Mme [X] étant associée à hauteur de 33% au capital de la SARL OURAGAN.

Au cours de l’année 2019, Mme [X] a réalisé diverses prestations de service pour le compte de la société OURAGAN;

Le 8 septembre 2020,elle a facturé à la société OURAGAN la somme de 6100 euros TTC au titre des prestations suivantes :

– conception, création et réalisation d’un logotype livrée le 04 avril 2019 250 euros ;

– conception de trois visuels pour carte de visite 900 euros ;

– conception d’un visuel pour carte cadeau 550 euros ;

– conception d’un site internet 1400 euros ;

– plan de communication, développement activité FACEBOOK 2000 euros ;

– rédaction d’un business plan 1000 euros.

La SARL OURAGAN a refusé de régler cette facture.

C’est dans ces conditions que Mme [X] a assigné la société OURAGAN devant le tribunal de commerce de Vannes aux fins notamment de la voir condamner à lui verser la somme de 6.100 euros en principal, assortie des intérêts au taux légal en vigueur.

Par jugement réputé contradictoire du 26 février 2021, le tribunal de commerce a :

– Constaté la non-comparution de la SARL OURAGAN et dit le jugement contradictoire en tous ses effets ;

– Débouté Madame [X] [G] de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées à l’encontre de la SARL OURAGAN pour les causes sus énoncées ;

– Condamné Madame [X] [G] aux entiers dépens de l’instance ;

– Arrêté et liquidé les dépens à recouvrer par le Greffe à la somme de 63,36 euros dont TVA 10,56 euros.

Mme [X] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 16 avril 2021.

L’ordonnance de clôture est en date du 16 février 2023.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Dans ses écritures notifiées le 3 février 2023 Mme [X] demande à la cour au visa des articles R 111-3 et L 221-5 du code de commerce, 1360, 1361 et 1362 du code civil de :

– Déclarer les demandes de Madame [G] [X] recevables et bien fondées, et en conséquence :

-dire et juger irrecevable la demande nouvelle de la SARL OURAGAN visant à la condamnation de Mme [X] à verser la somme de 467.14 euros

– Réformer le jugement du tribunal de commerce de Vannes en ce qu’il a :

– Débouté Madame [X] [G] de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées à l’encontre de la SARL OURAGAN,

– Condamné Madame [X] [G] aux entiers dépens de l’instance.

– Condamner la Société à responsabilité limitée OURAGAN à payer la somme de 6.100 euros en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la délivrance de l’assignation introductive ;

– Débouter la SARL OURAGAN de sa demande visant à la condamnation de Madame [X] à verser la somme de 4 000 euros pour appel abusif

– Condamner la Société à responsabilité limitée OURAGAN à payer la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la Société à responsabilité limitée OURAGAN aux entiers dépens.

Dans ses écritures notifiées le 9 janvier 2023 la société OURAGAN demande à la cour au visa des 1101 et suivants et 1240 du code civil, de :

– Confirmer le jugement du 26 avril 2021 en l’ensemble de ses dispositions.

Y ajoutant,

– Condamner madame [X] au paiement de la somme de 467,14 euros en remboursement des sommes assumées par la Société pour son compte personnel ;

– Condamner madame [X] au paiement de la somme de 4.000 euros en réparation des préjudices subis, à titre de dommages-intérêts, pour appel abusif ;

– Condamner madame [X] au paiement de la somme de 3.782 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner madame [X] aux entiers dépens, en ce compris de première instance et d’appel.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.

DISCUSSION

Les relations entre les parties

Mme [X] estime que l’existence des prestations effectuées et d’un accord à titre onéreux entre les parties à défaut de devis, ressort de leurs échanges durant plusieus mois et qu’ainsi sa créance est établie.

La société OURAGAN affirme qu’à défaut de devis, il n’est pas démontré que les associés aient convenu de rémunérer les interventions de Mme [X] qui ne sont pas toutes justifiées.

1) Les prestations

Aux termes de l’article L 110-3 du code de commerce la preuve en matière commerciale peut être rapportée par tous moyens.

Ainsi en est il de la preuve de l’existence d’un contrat de prestation de services.

L’article 1103 du code civile précise :

Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

A défaut de devis Mme [X] doit démontrer que les travaux dont elle réclame le paiement ont été commandés avant leur exécution ou acceptés sans équivoque dès leur exécution par la société OURAGAN.

Les échanges de mails entre les parties du mois d’avril 2019 au mois de décembre 2019 via Facebook établissent que Mme [X] a réalisé des prestations durant cette période.

Le 4 avril 2019, elle a envoyé un message à Messieurs [E] et [B] [J] à propos du logo de la société OURAGAN en y joignant le logo :

@ [E] Le nouveau logo avec toi en plus

Qu’est-ce que tu en penses’

Ce logo sera utilisé sur les publications Facebook concernant la société OURAGAN comme le démontre les pièces au dossier de Mme [X].

Le 15 avril 2019, elle a transmis une version du business plan pour la société OURAGAN

@ [E] [J] tu pourrais me donner ton adresse mail

stp ‘ Je vais vous envoyer le business plan

[Courriel 5] ([E] [J])

Au poil pilpoil ([B] [J])

Le fichier charge (10 mo ^^) (Mme [X])

Merci !!

Ah ouais ([E] [J])

Le 19 juin 2019, elle a livré par SMS un visuel de cartes de visite pour la société OURAGAN.

Esai de visuel pour les cartes de visite. Quen pensez vous @Brendan, @Steven ‘

Le 9 juillet 2019, elle a livré des visuels de cartes cadeau pour la société OURAGAN en sollicitant les avis de Messieurs [J].

En réponse, ils ont répondu :

je préfére la deuxième perso  » ([E])

2 ème j’aime bien aussi hehe ([B])

Le 16 juillet 2019 elle échange avec Messieurs [J] à propos d’un local à louer.

Le 14 aout 2019, Mme [X] propose la mise en ligne du site internet de la société OURAGAN à l’adresse www.ouragan-vannes.com et demande un avis.

Il lui est répondu :

Trop cool Il est magnifique

Au poil

Trop cool

De juillet à décembre 2019, les échanges indiquent que Mme [X] a également assuré des prestations de communication autour de l’actualité de la société OURAGAN (ouverture, prise de rendez-vous, misen valeur…, jeux concours, réponse aux questions des internautes.

Les pages Facebook démontrent que c’est bien Mme [X] qui a assuré la publication de ces évènements ou a répondu aux personnes en demande de renseignements.

Mme [X] démontre aussi qu’elle a réalisé des prestations dans plusieurs domaines pour le compte de la société OURAGAN aux fins de préparer l’ouverture du salon de tatouage et accompagner les premiers mois de son activité à compter du 1er septembre 2019, avec les avis de Messieurs [J] consultés régulièrement.

Elle est donc bien intervenue dans ces rubriques conformément au libellé de sa facture :

– conception, création et réalisation d’un logotype ;

– conception de visuels pour carte de visite ;

– conception d’un visuel pour carte cadeau ;

– conception d’un site internet ;

– plan de communication et développement activité via Facebbok ;

– rédaction d’un business plan.

Sur ce point les intimés ne démontrent pas que Mme [X] n’aurait pas participé à la réalisation du business plan.

En effet la pièce qu’ils versent à ce titre ‘ OURAGAN – SALON DE TATOUAGE ET ATELIER ARTISTIQUE (Business plan) comporte des paragraphes qui ont été rédigés par Mme [X] comme le montrent les échanges antérieurs qu’elle a eu avec eux en sollicitant des avis sur l’élaboration du business plan, dans lesquels ces morceaux de texte se retrouvent.

2) La rémunération

L’article 1165 du code civil ajoute :

Dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation.

En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat.

Mme [X] verse un échange entre les parties des 22 et 23 décembre 2019 aux termes desquels M. [B] [J] propose de lui régler ses prestations sur la base de 5000 euros soit 1500 euros pour le site, 1000 euros pour les cartes, 1000 euros pour la communication et 1 500 euros pour le reste.

Après échanges notamment concernant leur désaccord sur la rémunération du business plan, le 23 décembre 2019 M. [B] [J] propose finalement :

Si on part sur 6 000 et que l’on te règle ça sur trois ans ‘ 9a t’irait ‘

Mme [X] a répondu en ces termes :

6000 e me conviendrait. Si vous êtes ok on peut mettre une date ‘buttoir’ à laquelle cette somme là devra être réglée (par exemple 2014) soit devra commencer à l’être en mensualité (à partir de 2021 par exemple) comme ça vous nêtes pas pris à la gorge non plus. Qu’en pensez vous ‘

Ces conversations démontrent que les parties se sont accordées sur le prix des travaux réalisés par Mme [X] pour la somme de 6000 euros TTC.

Elles évoquent aussi une inquiétude des consorts [J] sur le risque d’une double rémunération de Mme [X] au titre de ses droit d’associée.

Cependant outre que Mme [X] proposait une arrangement pour éviter un cumul de rémunération, cette question ne peut être réglée que dans le cadre de son retrait de la société OURAGAN étant noté qu’il existerait un litige en cours sur les modalités de fonctionnement de cette dernière.

Dans ces conditions il convient de condamner la société OURAGAN à régler à Mme [X] la somme de 6000 euros au titre de ses prestations assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la délivrance de l’assignation introductive du 25 novembre 2020.

Le jugement est infirmé.

La demande reconventionnelle de la société OURAGAN

Mme [X] conclut à l’irrecevabilité de la demande de la société OURAGAN tendant à sa condamnation à la somme de 467,14 euros en remboursement des sommes assumées par la société OURAGAN pour son compte personnel dès lors qu’il s’agit d’une demande nouvelle sans lien avec les prétentions soumises au tribunal de commerce.

L’article 564 du code de procédure civile stipule :

A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

L’article 566 ajoute :

Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Les demandes reconventionelles sont recevables en appel.

La société OURAGAN n’a pas comparu en première instance.

Il convient d’examiner sa demande tendant à condamner madame [X] au paiement de la somme de 467,14 euros en remboursement des sommes assumées par la société OURAGAN pour son compte personnel au regard des dispositions des articles sus visés.

Cette demande repose sur une prétendue captation par Mme [X] de matériel appartenant à la sa société au moment de la séparation (machine à coudre et matériel de couture).

Ces faits et les demandes de remboursements à ce titre ne sont aucunement des demandes accessoires,la conséquence ou le complément nécessaire des demandes de Mme [X] au itre de la rémunération de ses prestations de service accomplies au moment dela création de l’entreprise. Il n’est pas demandé de compensation.

La demande de la société OURAGAN tendant à voir condamner Mme [X] au paiement de la somme de 467,14 euros en remboursement des sommes assumées par la société pour son compte personnel est donc irrecevable.

Elle est rejeté.

La demande de la SARL OURAGAN au titre de la procédure abusive

L’article 32-1 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur depuis le 11 mai 2017 et applicable en l’espèce, dispose :

Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Lorsqu’il est établi que la partie qui exerce l’action a fait preuve de légèreté blâmable, une telle faute est de nature à caractériser une action abusive.

Les motifs qui précèdent, faisant droit de façon partielle aux prétentions de Mme [X] démontrent que son action n’était pas abusive.

La demande de la société OURAGAN est donc rejetée.

Les demandes annexes

Il n’est pas inéquitable de condamner la société OURAGAN à régler à Mme [X] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société OURAGAN est condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour :

– Infirme le jugement du tribunal de commerce.

Statuant à nouveau :

– Condamne la société OURAGAN à régler à Mme [G] [X] la somme de 6 000 euros TTC assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la délivrance de l’assignation du 25 novembre 2020;

– Rejette toutes les autres demandes des parties ;

– Condamne la société OURAGAN à régler à Mme [G] [X] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamne la société OURAGAN aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon