Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Rennes
Thématique : Élus en couple : limites au respect de la vie privée
→ RésuméInformer les administrés qu’un Maire est en couple avec une adjointe municipale ne constitue pas une atteinte à sa vie privée, mais s’inscrit dans le droit à l’information. Une lettre ouverte adressée par des élus a été jugée non fautive, soulignant la dissimulation du Maire concernant sa relation avec une conseillère. Cette situation a soulevé des questions de transparence et d’éthique, notamment en raison de l’absence d’information préalable à la majorité municipale. La vie privée d’un élu peut être scrutée lorsque celle-ci interfère avec ses responsabilités publiques, justifiant ainsi l’intérêt du public à en être informé.
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Informer les administrés qu’un Maire est en ménage avec une adjointe municipale ne porte pas atteinte à sa vie privée mais relève du droit à l’information.
Lettre ouverte non fautive
La
lettre ouverte suivante, adressée à des administrés par des élus municipaux n’a
pas été jugée comme attentatoire à la vie privée du Maire:
«Trompés, nous l’avons été
aussi sur l’éthique en ce sens que M. X a pratiqué la dissimulation pour ne pas
devoir assumer son incapacité à séparer sa vie privée et ses responsabilités
publiques. Au conseil municipal du 8 avril 2015, soit un an après les élections
municipales, il permettait qu’une conseillère déléguée devienne adjointe au
maire, sans avoir informé au préalable la majorité municipale, ni l’opposition
d’ailleurs, que cette personne était devenue sa compagne. Dissimulation encore
quand en réunion de majorité, le 23 décembre 2015, il proposait que cette même
personne devienne la présidente du groupe Guipavas Solidaire, toujours sans
avoir informé les membres de la majorité que cette personne était devenue sa
compagne. Cette confusion des genres n’était pas acceptable et nous ne l’avons
donc pas acceptée, d’autant moins qu’en 2014, les candidats de la liste
Guipavas Solidaire avaient décidé qu’aucun couple ne devrait siéger dans
l’exécutif communal, qui réunit le maire, les adjoints et les conseillers
délégués.»
Droit au respect de la vie privée
Le droit
au respect de la vie privée est garanti par les articles 9 du code civil et 8
de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et a valeur
constitutionnelle. Il est cependant susceptible d’entrer en conflit avec le
droit à la liberté d’expression, proclamé par les articles 11 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et 10 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ces deux droits
ayant une égale valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un
équilibre entre eux et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus
protectrice de l’intérêt le plus légitime. Pour effectuer cette mise en balance
des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution
de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la
personne visée, l’objet du document contenant l’atteinte déplorée, le
comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les
répercussions du dit document.
Débat et liberté d’informer
Aucune
critique n’était formulée quant à l’exactitude des informations concrètes qui y
sont données, ni même quant au vocabulaire employé et le passage incriminé
comme portant atteinte à la vie privée n’était pas spécialement mis en exergue.
Ni le nom de la personne concernée, ni sa délégation exacte, ni la situation
matrimoniale respective des membres du couple n’étaient divulgués, l’évocation
litigieuse restant dans la stricte limite nécessaire à l’exposé du grief
qu’elle sous-tendait. La dénonciation n’avait en effet pas pour objet
l’existence de cette relation, d’ailleurs parfaitement assumée par les
intéressés et de notoriété publique à cette date, mais l’absence de
transparence du maire et sa décision de déléguer des pouvoirs à une personne
avec laquelle il entretenait des relations privilégiées, en contravention avec
le ‘code moral’ que s’étaient imposés les membres de la liste avant leur
élection.
La
lettre faisait suite à plusieurs articles de presse faisant état de dissensions
graves entre le Maire et les élus municipaux de la majorité. La question abordée
traduisait aussi une attente légitime de la population locale. La lettre
distribuée aux électeurs s’inscrivait dans le cadre de ce débat public en cours
depuis six mois et avait vocation à informer les électeurs de la commune, des
raisons invoquées par les élus contestataires pour expliquer leur position
parfois sévèrement critiquée par des tiers. Elle participait dès lors d’un
débat d’intérêt général sur les raisons du dysfonctionnement de la démocratie
locale dont l’existence avait déjà fait l’objet d’une importante publicité,
mais dont les causes demeuraient confuses, de sorte que sa diffusion auprès du
public concerné, dans sa forme et son contenu, n’excédait pas les limites de la
liberté d’expression et du droit à l’information de la population directement
concernée par les dissensions de ses représentants et ce, dans un contexte de
préparation de nouvelles élections, notamment par le Maire qui avait déjà
déposé le nom de sa nouvelle liste.
Le grief
portait donc non pas sur la vie privée du Maire mais sur son absence de
transparence et son refus de respecter la discipline que le groupe s’était
imposée. Son exposé nécessitait l’allusion critiquée, suscitée non pas par
l’évolution de sa vie privée mais par le fait qu’il ait refusé d’en tirer les
conséquences. Il ne pouvait dès lors se plaindre de ce que le reproche, qui
portait sur son mode d’exercice du pouvoir, implique l’évocation de ses
relations avec un autre élu investi avec son approbation d’une responsabilité
publique, cette relation dépassant du fait des fonctions exercées par les deux
personnes concernées, le cadre privé pour entrer dans la sphère publique.
Fonction publique:
la médiatisation à prévoir
Il est constant que le fait d’exercer une fonction publique expose nécessairement à l’attention du public, y compris dans des domaines relevant de la vie privée, de sorte que certains actes privés de personnes publiques peuvent ne pas être considérés comme tels, en raison de l’impact qu’ils peuvent avoir, eu égard au rôle de ces personnes sur la scène politique ou sociale et de l’intérêt que le public peut avoir, en conséquence, à en prendre connaissance. Tel est le cas lorsque la vie privée d’un élu interfère avec ses responsabilités publiques et qu’elle peut être perçue comme susceptible de porter atteinte à la protection de l’intérêt commun et de susciter le discrédit sur la légitimité de l’action de l’équipe municipale dans son ensemble. Téléchargez la décision
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