Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Rennes
Thématique : Vidéo Youtube diffamante : le droit de la presse applicable
→ RésuméUn conseiller consulaire a intenté une action en justice contre des vidéos YouTube le qualifiant d’escroc. Cependant, son assignation a été jugée irrecevable en raison de non-respect des exigences de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Le juge a constaté que l’assignation ne précisait pas les faits incriminés ni le texte de loi applicable, et n’avait pas été notifiée au ministère public. De plus, les mêmes propos ne pouvaient être poursuivis sous plusieurs qualifications. L’ordonnance de référé a donc été confirmée, déboutant le plaignant de ses demandes.
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Un conseiller consulaire a eu connaissance de vidéos publiées sur YouTube le présentant comme un escroc français qui a grugé des camerounais. Dans son assignation, la victime a fait état de l’atteinte à son honneur et à sa considération.
L’assignation délivrée a été jugée irrecevable car fondée sur les infractions de diffamation et d’injures publiques (loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). En effet, l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 dispose : ‘La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite. Si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu’au ministère public. Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite. »
Le juge des référés a annulé à bon droit l’assignation au motif qu’elle ne remplissait pas toutes les conditions posées par ce texte, ni les conditions de l’article 56 du code de procédure civile sur les mentions et le contenu de l’assignation fondée sur une infraction à la loi sur la presse.
Pour rappel l’assignation délivrée devait être notifiée au ministère public, indiquer le texte de loi applicable à la poursuite (articles 32 alinéa 1 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, qui définissent les infractions de diffamation et d’injure), mettre les défendeurs en mesure de déterminer les propos dont ils sont tenues de répondre et pour lesquels ils peuvent signifier une offre de preuve.
Les mêmes propos ne peuvent non plus être poursuivis à la fois sous les qualifications de diffamation, d’injure et de dénigrement (le dénigrement relève de la responsabilité civile pour faute de droit commun).
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 JUILLET 2021
1re Chambre
N° RG 20/03845 – N° Portalis DBVL-V-B7E-Q3DU
M. Z X
C/
S.A.R.L. GOOGLE FRANCE
Société GOOGLE IRELAND LIMITED
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente,
Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame D-E F, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 12 Avril 2021 devant Madame Aline DELIÈRE, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
contradictoire, prononcé publiquement le 13 Juillet 2021 par mise à disposition au greffe, après prorogation du délibéré fixé au 22 juin 2021, à l’issue des débats
APPELANT :
Monsieur Z X
né le […] à […]
[…]
44600 SAINT-NAZAIRE
Représenté par Me Stéphane LALLEMENT de la SELARL OCTAAV, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉES :
S.A.R.L. GOOGLE FRANCE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège […]
[…]
Représentée par Me François MOULIERE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Christophe BIGOT de L’AARPI BAUER BIGOT & ASSOCIES, plaidant, avocat au barreau de PARIS
La Société GOOGLE IRELAND LIMITED, société de droit irlandais agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[…]
[…]
Représentée par Me François MOULIERE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Christophe BIGOT de L’AARPI BAUER BIGOT & ASSOCIES, plaidant, avocat au barreau de PARIS
FAITS ET PROCÉDURE
M. Z X, conseiller consulaire auprès de l’ambassade de France à Yaoundé (Cameroun), a eu connaissance de deux vidéos publiées sur le site internet «’YouTube’», intitulées :
— ’«’Z X l’escroc français qui a grugé des camerounais’», vidéo ajoutée le 24 août 2018 par Nehemie Toure avec le titre : «’Une enquête exclusive de Afrikanewxgroup à lire et partager au maximum’»,
— ’«’Exclusif : tentative de chantage de Z X, l’escroc FRANÇAIS, sur l’état camerounais’», vidéo ajoutée le 27 septembre 2018 par Nehemie Toure.
Il a fait dresser un procès-verbal de constat par Me A B C, huissier de justice à Nantes, le 13 mai 2019, sur l’existence et l’accessibilité de ces publications.
Au visa de l’article 6-1-5 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004, il a adressé à la société Google France et à la société Google Ireland Limited une notification de contenu illicite, en leur qualité d’hébergeurs des vidéos publiées sur la plate-forme « You Tube ».
Le 29 octobre 2019, il leur a adressé une mise en demeure, sollicitant le retrait immédiat des publications.
Le 10 décembre 2019, il a assigné devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nantes la société Google France et la société Google Ireland Limited en retrait des vidéos et en paiement d’une indemnité provisionnelle en réparation de son préjudice.
Par ordonnance du 25 juin 2020, le juge des référés a :
— constaté la nullité de la citation,
— condamné M. X à payer à la société Google France et à la société Google Ireland Limited la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné M. X aux dépens.
M. X a fait appel le 17 août 2020 de l’ensemble des chefs de l’ordonnance et en ce qu’elle l’a débouté de ses demandes.
Il expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 21 octobre 2020 auxquelles il est renvoyé en application de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
Il demande à la cour de :
— réformer en toutes ses dispositions l’ordonnance du 25 juin 2020,
— statuant à nouveau, condamner la société Google France et la société Google Ireland Limited à retirer de la plate-forme «’YouTube’» les vidéos publiées sous les intitulés «’Z X l’escroc français qui a grugé des camerounais’» et «’Une enquête exclusive de Afrikanewxgroup à lire et partager au maximum’», sous astreinte de 1000 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir,
— condamner la société Google France et la société Google Ireland Limited à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice,
— condamner la société Google France et la société Google Ireland Limited aux entiers dépens et à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Google France et la société Google Ireland Limited exposent leurs moyens et leurs demandes dans leurs dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 19 novembre 2020 auxquelles il est renvoyé en application de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
Elles demandent à la cour de confirmer l’ordonnance de référé du 25 juin 2020 en ce qu’elle a annulé l’acte introductif d’instance pour non-respect des exigences posées par l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881.
A titre subsidiaire, elles demandent à la cour de :
— annuler l’acte introductif d’instance pour non-respect des exigences de l’article 56 du code de procédure civile.
A titre plus subsidiaire, elles demandent à la cour de :
— déclarer l’action à l’encontre de la société Google France irrecevable et la mettre purement et simplement hors de cause,
— dire n’y avoir lieu à référé, vu l’acquisition de la prescription, l’absence de notification de contenu illicite préalable formée auprès de l’hébergeur dans les conditions prévues par la loi et l’absence de caractère manifestement illicite des contenus litigieux.
A titre plus subsidiaire, elles demandent à la cour, si elle estime qu’il y a lieu d’ordonner la suppression des deux vidéos en cause, de :
— donner acte à la société Google Ireland Limited qu’elle s’en rapporte à la justice concernant la demande de suppression, sous réserve qu’une telle mesure de suppression précise très exactement les adresses URL des vidéos,
— débouter M. X de ses autres demandes.
En tout état de cause, elles demandent à la cour de :
— confirmer l’ordonnance de référé en ce qu’elle a condamné M. X aux entiers dépens et à leur payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamner M. X au paiement des dépens de l’instance d’appel et à payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE L’ARRÊT
La société Google France et la société Google Ireland Limited ont soulevé devant le juge des référés, avant toute défense au fond ou fin de non recevoir, la nullité de l’assignation du 10 décembre 2019 aux motifs qu’elle ne respecte pas plusieurs dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Dans l’assignation M. X expose notamment que : «’il a pris connaissance de deux vidéos (‘) le mettant nommément en cause de manière diffamatoire » (page 2) ; «’les allégations formulées à l’encontre de Monsieur X (‘) attentent gravement à son honneur et sa considération » (page 3) ; « elles sont donc constitutives de diffamation par application des dispositions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 » (pages 3 et 4) ; « les vidéos publiées (‘) comportent de nombreuses allégations mensongères, de nature à attenter gravement à son honneur et sa réputation » (page 4) ; « à tout le moins, les qualificatifs employés à l’égard de Monsieur X dans ces vidéos et les textes qui leur sont associés revêtent à l’évidence la qualification d’injure publique » (page 4) ; «’un trouble manifestement illicite résultant de la publication persistante sur la plate-forme YouTube de vidéos présentant à son égard un caractère diffamatoire et /ou injurieux’» (page 6).
La procédure engagée par M. X est donc fondée, en ce qu’elle vise les infractions de diffamation et d’injures publiques, sur la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
L’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 dispose :
«’La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite.
Si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu’au ministère public.
Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite. »
Le juge des référés a annulé l’assignation au motif qu’elle ne remplit pas toutes les conditions posées par ce texte, ni les conditions de l’article 56 du code de procédure civile sur les mentions et le contenu de l’assignation fondée sur une infraction à la loi sur la presse.
En effet, d’une part, l’assignation :
— indique seulement le domicile de M. X à Nantes, en application de l’article 648 du code de procédure civile, sans élection formelle de domicile,
— elle n’a pas été notifiée au ministère public,
— elle n’indique pas le texte de loi applicable à la poursuite, ne mentionnant que les articles 6-1-2 et 6-1-5 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, et ne fait jamais état des articles 32 alinéa 1 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, qui définissent les infractions de diffamation et d’injure.
D’autre part, l’assignation :
— évoque les deux vidéos, leurs titres et sous-titres et un commentaire mais ne cite pas précisément les textes et les propos litigieux déterminant son action, et n’a pas mis les défenderesses en mesure de déterminer les propos dont elles sont tenues de répondre et pour lesquels elles peuvent signifier une offre de preuve,
— sur la base des mêmes faits, invoque les deux qualifications de diffamation et d’injure, alors que les mêmes propos ne peuvent être poursuivis à la fois sous les deux qualifications et invoque également à la fois ces qualifications relevant de la loi sur la presse et la qualification de dénigrement qui relève de la responsabilité civile pour faute de droit commun, ne mettant pas les défenderesses en mesure de connaître avec certitude l’objet exact de la demande et de répondre utilement, notamment au regard de la spécificité de la loi sur la presse.
Dans ses conclusions d’appel, M. X ne répond pas à l’exception de nullité de l’assignation soulevée et admise par le juge des référés et ne fait valoir aucun moyen de défense contre cette exception.
Celle-ci est bien fondée et l’ordonnance de référé sera confirmée en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l’ordonnance de référé rendue le 25 juin 2020 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Nantes en toutes ses dispositions,
Déboute M. Z X de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Le condamne aux dépens d’appel et à payer à la société Google France et à la société Google Ireland Limited, conjointement, la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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