Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Reims
Thématique : Conférence de presse : le risque de diffamation
→ RésuméLors d’une conférence de presse, la directrice d’une mutuelle a accusé des cliniques de facturations abusives, entraînant une action en diffamation. Le journal ayant relayé ces propos a également été poursuivi. Selon la loi, toute allégation portant atteinte à l’honneur constitue une diffamation, mais la liberté d’expression est protégée, surtout sur des sujets d’intérêt général. Dans ce cas, les termes virulents utilisés étaient justifiés par le débat public sur la santé. L’intervenante n’a pas été reconnue complice de diffamation, faute de preuves démontrant sa connaissance des propos utilisés dans l’article.
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Diffamation lors d’une conférence de presse
La directrice d’une mutuelle a tenu une conférence de presse imputant à des cliniques une facturation abusive. Relayés par un journal sous le titre de presse « les facturations abusives des cliniques dans le collimateur », les propos en cause ont donné lieu à une action en diffamation par un pool de cliniques. Se sont ainsi retrouvés poursuivis, le directeur de la publication du journal, l’auteur de l’article et la mutuelle employeur de l’intervenante à la conférence de presse.
Liberté d’expression versus diffamation
Aux termes de l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 , toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. En application de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme, la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires. Dans ce cadre, l’ingérence doit répondre à un besoin social impérieux et le degré de protection de ce droit doit être renforcé lorsqu’il est débattu d’une question d’intérêt général.
En matière de diffamation, l’exception de bonne foi constitue un fait justificatif qui ne doit donc être débattu que dans l’hypothèse où le caractère diffamatoire des propos incriminés serait reconnu.
Un débat d’intérêt général
En l’espèce, le sujet traité touchait à la santé publique, à savoir, la surfacturation de certaines prestations par les cliniques impactant le financement des mutuelles, de sorte qu’il entrait bien dans la catégorie des sujets d’intérêt général pour lesquels la cour européenne des droits de l’homme examine avec plus de bienveillance qu’un autre sujet la protection de l’auteur de l’article incriminé dont la liberté de plume et de propos, voire la virulence dans les termes employés, sera davantage acceptée.
Le débat est d’ailleurs ancien puisque le journal en cause s’était déjà intéressé à ce sujet en diffusant plusieurs articles sur ce sujet il y a quelques années.
Les propos retranscrits dans l’article de presse « racket, surfacturations hors-la loi, abus, dérives et impôts privés » étaient effectivement virulents. Néanmoins, en raison de la publication d’un démenti des cliniques attaquées et d’une réponse en défense d’un directeur de mutuelle, la diffamation n’a pas été retenue. Le journal n’a été que le vecteur de la parole des parties, retranscrite avec des guillemets. Si les termes qui y sont contenus sont effectivement empreints de virulence, celle-ci est admise dans le cadre de la liberté qui doit être nécessairement laissée au journaliste dans la conception de son article de laquelle ne peut être exclue toute exagération ou provocation, s’agissant d’un sujet d’intérêt général qui mérite un débat public. Les termes utilisés et véhiculés ne dépassaient donc pas la limite admissible en matière de liberté d’expression.
Question de la complicité de diffamation
A noter que l’intervenante à la conférence de presse a été poursuivie pour complice du délit de diffamation commis par le directeur de la publication. En conséquence, le régime de responsabilité applicable était celui du droit commun au sens des articles 121-6 et 121-7 du code pénal. La prescription de l’action courait, non pas à compter du jour de la conférence de presse, mais du jour de la parution de l’article incriminé. L’article 43 de la loi du 29 juillet 1881 n’était pas applicable à l’intervenante (« lorsque les directeurs ou codirecteurs de la publication ou les éditeurs seront en cause, les auteurs seront poursuivis comme complices ») dès lors qu’il ne vise que l’auteur de l’article publié et non l’auteur des propos repris dans le support de presse.
Or, l’assignation délivrée à l’intervenante à la conférence de presse ne portait nulle mention du fait que sa responsabilité pourrait être recherchée en tant que complice, soit sur le fondement de l’article 43 de la loi sur la liberté de la presse, soit sur celui de l’article 121-7 du code pénal.
S’il est juridiquement admis, en matière de délit de presse, de ne faire démarrer la prescription, pour le complice, que du jour de la publication de l’article incriminé, il est nécessaire d’apporter la démonstration que la personne poursuivie sous cette qualification a commis des faits personnels, positifs et conscients de complicité. Dans le cas d’espèce, il devait donc être démontré que l’intervenante avait fourni, en toute connaissance de cause, la matière de l’article paru dans le journal et qu’elle avait eu pleine conscience que ces propos seraient utilisés par l’auteur de l’article. Cette preuve n’ayant pas été apportée, l’intervenante n’a pas été qualifiée de complice (l’action était prescrite).
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