Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Reims
Thématique : Évaluation de la cessation des paiements et des obligations contractuelles dans le cadre d’un bail commercial.
→ RésuméConstitution du bailLa société Carmila [Localité 5] a signé un bail avec M. [U] [X] le 4 août 2021 pour un local de 300 m² dans le Centre Commercial Carrefour Cité Europe, destiné à un commerce de prêt-à-porter sous l’enseigne Lacoste. Le bail, d’une durée de 10 ans, stipule un loyer annuel de 165 000 euros HT, avec un loyer variable basé sur le chiffre d’affaires. Avenants au bailDeux avenants ont été signés : le premier le 22 mars 2022, permettant la substitution au profit de la société RMLCE, et le second le 16 septembre 2022, prorogeant la franchise de deux mois de loyers. Commandement de payerLe 4 septembre 2023, Carmila [Localité 5] a signifié un commandement de payer pour des loyers impayés, totalisant 61 862,50 euros, en visant la clause résolutoire du bail. Procédure de redressement judiciaireLe 4 décembre 2023, Carmila Coquelles a saisi le tribunal de commerce de Reims pour ouvrir une procédure de redressement judiciaire contre RMLCE. Le tribunal a ouvert cette procédure le 18 juin 2024, fixant la date de cessation des paiements au 4 décembre 2023. Appel de RMLCERMLCE a interjeté appel du jugement, demandant l’infirmation de la décision et contestant l’état de cessation des paiements, tout en affirmant avoir réglé ses dettes locatives. Arguments de RMLCERMLCE a présenté des attestations de son expert-comptable et des preuves de paiements effectués pour soutenir qu’elle n’était pas en cessation des paiements. Elle a également mentionné un solde créditeur de 66 000 euros sur son compte bancaire. Réponse de CarmilaCarmila a contesté les affirmations de RMLCE, soulignant des retards de paiement et des difficultés financières persistantes. Elle a également mis en avant des créances impayées et des tentatives de saisie conservatoire. Décision du tribunal d’appelLe tribunal d’appel a examiné les preuves de RMLCE et a conclu qu’elle n’avait pas démontré son incapacité à faire face à son passif exigible. En conséquence, le tribunal a infirmé le jugement du tribunal de commerce de Reims et a débouté Carmila de sa demande d’ouverture de procédure collective. ConclusionLa cour a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’ouvrir une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire contre RMLCE, et a laissé chaque partie à la charge de ses dépens. |
ARRET N°
du 26 novembre 2024
N° RG 24/01000 – N° Portalis DBVQ-V-B7I-FQI4
S.A.S. R.M.L.C.E
c/
Société CARMILA [K]
S.C.P. [D]
S.E.L.A.R.L. AJILINK LABIS [Z] DECHANAUD
Formule exécutoire le :
à :
la SELARL PERSEE
Me Elizabeth BRONQUARD
la SELARL CABINET D’AVOCATS DE MAITRE EMMANUEL BROCARD
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 26 NOVEMBRE 2024
APPELANTE :
d’un jugement rendu le 18 juin 2024 par le tribunal de commerce de Reims
La société R.M.L.C.E, société par actions simplifiée au capital social de 5.000, 00 euros, dont le siège social est situé au [Adresse 3] et inscrite auprès du registre du commerce et des sociétés de Reims sous le numéro SIREN 908 132 368, prise en la personne de son représentant légal, son président, domicilié en cette qualité audit siège ;
Représentée par Me Matthieu CIUTTI de la SELARL PERSEE, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et Me Eudes MALARMEY, avocat au barreau PARIS, avocat plaidant
INTIMEES :
Société CARMILA [K], société civile au capital de 200 euros, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 807 549 548, dont le siège social est [Adresse 4], représentée par son gérant domicilié de droit audit siège,
Représentée par Me Elizabeth BRONQUARD, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et Me Pierre DELANNAY membre de la SCP BARON-COSSE-ANDRE, avocat au barreau de L’EURE, avocat plaidant
La S.C.P. [D], société civile professionnelle au capital social de 4 500 euros, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de REIMS sous le n° 982 235 095 dont le siège social [Adresse 1], prise en la personne de Maître [O] [D] en qualité de mandataire judiciaire de la SAS R.M.L.C.E, fonctions auxquelles elle a été désignée selon jugement rendu par le tribunal de commerce de REIMS le 18 juin 2024
Représentée par Me Emmanuel BROCARD de la SELARL CABINET D’AVOCATS DE MAITRE EMMANUEL BROCARD, avocat au barreau de REIMS
La société AJILINK LABIS [Z] DECHANAUD, société d’exercice libéral à responsabilité limitée au capital de 100 200,00 €, immatriculée au registre du commerce de MEAUX sous le n° 508 490 000 dont le siège social [Adresse 2], prise en la personne de Maître [P] [Z], en qualité d’administrateur judiciaire de la SAS R.M.L.C.E. ,fonctions auxquelles elle a été désignée selon jugement rendu par le tribunal de commerce de REIMS le 18 juin 2024,
Représentée par Me Emmanuel BROCARD de la SELARL CABINET D’AVOCATS DE MAITRE EMMANUEL BROCARD, avocat au barreau de REIMS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
Madame MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame PILON, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour dans son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Madame Christina DIAS DA SIL VA, présidente de chambre
Madame Sandrine PILON, conseillère
GREFFIER :
Madame Jocelyne DRAPIER, greffière lors des débats
Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière lors de la mise à disposition
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée
DEBATS :
A l’audience publique du 14 octobre 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 26 novembre 2024,
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
Suivant acte sous seing privé en date du 4 août 2021, la société Carmila [Localité 5] a donné à bail à M. [U] [X], pour une durée de 10 ans, avec faculté de substitution au profit de toute personne morale ou physique, un local d’une surface totale de 300 m² situé au sein de la galerie marchande du Centre Commercial Carrefour Cité Europe à [Localité 5], aux fins d’exploitation d’un commerce de vente de prêt à porter sous l’enseigne Lacoste.
Le bail a été conclu moyennant un loyer annuel de base de 165 000 euros HT et hors charges, et un loyer variable correspondant à la différence positive entre le loyer annuel de base et 7% du chiffre d’affaires HT et hors charges réalisé par le preneur, ce loyer étant payable trimestriellement et d’avance.
Les charges annuelles de la première année étaient fixées au contrat de bail à 24 000 euros hors taxes.
Par avenant n°1 en date du 22 mars 2022, les parties ont notamment pris acte de la mise en ‘uvre de la faculté de substitution au profit de la société RMLCE, spécialisée dans le prêt à porter et franchiseur de la marque Lacoste.
Par avenant n° 2 en date du 16 septembre 2022, la société Carmila [Localité 5] a accepté de proroger la franchise de deux mois de loyers consentie initialement au preneur.
Se plaignant d’impayés, la société Carmila [Localité 5] a, le 4 septembre 2023, fait signifier un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire pour un montant total de 61 62,50 euros.
Par exploit du 4 décembre 2023, la société Carmila Coquelles a saisi le tribunal de commerce de Reims d’une demande en ouverture d’une procédure de redressement judiciaire de la société RMLCE.
Après plusieurs renvois et réouverture des débats, le tribunal de commerce de Reims a principalement, par jugement du 18 juin 2024,
– ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société RMLCE ;
– fixé provisoirement au 4 décembre 2023 la date de cessation des paiements, correspondant à la date de l’assignation de la société Carmila [Localité 5] ;
– désigné la SCP [D] en la personne de Me [O] [D] en qualité de mandataire judiciaire ;
– désigné la SELARL Ajilink Labis [Z] de [N] en Me [P] [Z] en qualité d’administrateur judiciaire.
Il a retenu que la société RMLCE ne rapportait pas la preuve de l’encaissement effectif des chèques dont elle faisait état aux fins de paiement des loyers, et s’est fondé sur le rapport du mandataire judiciaire daté du 29 mai 2024 décrivant une situation financière très obérée de la société RMLCE et concluant à la cessation des paiements de ladite société.
La SAS RMLCE a interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 25 juin 2024.
Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 2 août 2024, elle demande à la cour d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Reims en date du 18 juin 2024 ;
Et statuant à nouveau et y ajoutant :
– constater l’absence d’état de cessation des paiements de la société R.M.L.C.E. ;
En conséquence :
– débouter la société Carmila [Localité 5] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la société R.M.L.C.E ;
– condamner la société Carmila [Localité 5] à payer à la société R.M.L.C.E la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir engagé cette action à défaut de saisine de la Juridiction normalement compétente pour traiter de ses demandes en paiement et de tout titre exécutoire ;
– condamner la société Carmila [Localité 5] au paiement de la somme de 5.000 euros à titre d’amende civile pour procédure abusive ;
– condamner la société Carmila [Localité 5] à payer à la société R.M.L.C.E la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile pour la présente procédure d’appel ;
– condamner la société Carmila [Localité 5] à payer à la société R.M.L.C.E la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance ;
– condamner la société Carmila [Localité 5] aux entiers dépens de la procédure d’appel ainsi que de celle de première instance.
La société RMLCE reconnaît avoir connu quelques difficultés momentanées de trésorerie au cours de l’année 2023 mais nie être en état de cessation des paiements. Elle invoque notamment deux attestations de son expert-comptable du 23 décembre 2023 et du 23 février 2024, et les conclusions du rapport du mandataire en date du 24 avril 2024 qui considérait que » compte tenu des éléments transmis par les sociétés Carmila Coquelles et R.M.L.C.E, et dans la mesure où la société Carmila Coquelles a assigné exclusivement en liquidation judiciaire, le tribunal ne pourra que rejeter la demande de cette dernière. »
Elle soutient par ailleurs avoir réglé les loyers demandés au titre de 2023 ainsi que l’intégralité du loyer du premier trimestre 2024 et avoir payé par chèque envoyé et réceptionné par le bailleur, le loyer du deuxième trimestre 2024. Elle ajoute qu’à la date de la décision du tribunal de commerce de Reims, il n’existait plus de dette locative, le solde des loyers impayés au titre du deuxième trimestre 2024 ayant été acquitté conformément aux recommandations du mandataire judiciaire désigné par le tribunal, et que depuis le jugement, le loyer et les charges du troisième trimestre 2024 ont été réglés par virement du 1er août 2024.
Elle fait encore état d’un solde créditeur de 66 000 euros de son compte bancaire.
Elle sollicite la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive destinée à faire pression au lieu d’une action en paiement aux fins d’obtenir un règlement de la dette, ainsi qu’une indemnité de 5 000 euros pour procédure abusive sur le fondement de l’article 32-1 du code civil.
Par conclusions n°2 notifiées le 26 septembre, 2024, la société Carmila [Localité 5] demande à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 18 juin 2024 par le tribunal de commerce de Reims,
Par conséquent,
– débouter la société R.M.L.C.E. de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– juger que la société R.M.L.C.E. est en état de cessation des paiements,
– ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société R.M.L.C.E.,
– débouter la société R.M.L.C.E. de sa demande de condamnation de la société Carmila [Localité 5] au paiement d’une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,
– débouter la société R.M.L.C.E. de sa demande de condamnation de la société Carmila [Localité 5] au paiement d’une amende civile de 5.000 euros pour procédure abusive,
– débouter la société R.M.L.C.E. de sa demande de condamnation au titre de l’article 700 et des dépens,
– condamner la société R.M.L.C.E. à verser à la société Carmila [Localité 5] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner la société R.M.L.C.E. aux entiers dépens.
La société Carmila Coquelles relève que la SCP [D] a bien conclu à l’état de cessation des paiements de la société RMLCE compte tenu de la rédaction du bail qui prévoit un règlement par avance du loyer trimestriel et du retard constaté; que la société RMLCE a tenté de duper le tribunal en obtenant des renvois pour effectuer des règlements qu’elle n’a en réalité pas effectués ; que le rapport d’enquête démontre clairement un état de cessation des paiements, confirmé par divers autres éléments.
Elle ajoute que les règlements effectués difficilement par la société RMLCE proviennent en réalité de la société mère RM Investi, détentrice d’une créance de plus de 310 000 euros à l’encontre de sa filiale au 31 décembre 2023, sans qu’aucune convention de trésorerie n’ait été fournie.
Elle fait également état d’une situation similaire de défaillance d’une société RJMT, filiale de RM Investi et s’ur de RMLCE.
La bailleresse conteste par ailleurs les règlements dont le preneur fait état, précisant notamment que le chèque de 62 616,31 euros correspondant à l’échéance du 3ème trimestre 2024, a été rejeté. Elle souligne également qu’à la date du 18 juillet 2024, elle a déclaré à la procédure une créance privilégiée de 12 759,29 euros au titre d’impayés et non seulement de clauses pénales contestées par le preneur.
Elle ajoute que dans tous les cas, cette défaillance de la société RMLCE a révélé les difficultés de cette dernière, qui est indiscutablement en état de cessation des paiements.
Sur la demande de dommages et intérêts formée par la société RMLCE, elle soutient que la procédure en ouverture de redressement ou de liquidation judiciaire est parfaitement fondée et justifiée, et même indispensable pour permettre aux salariés de bénéficier de la protection de l’AGS. Elle estime que le préjudice de RMLCE est inexistant et que l’intention de nuire de la société Carmila [Localité 5] n’est pas démontrée dès lors que la société RMLCE ne parvient pas à régler son loyer.
Sur la demande d’amende civile pour procédure abusive, elle conteste tout abus dès lors que la société RMLCE ne dispose pas de la trésorerie suffisante pour s’acquitter de sa dette de loyer, qu’elle est insolvable, et qu’il existe encore une dette locative conséquente, de sorte que la demande d’ouverture d’une procédure collective est bien justifiée.
Par conclusions du 20 août 2024, les organes de la procédure, la SELARL Ajilink en qualité d’administrateur judiciaire et la SCP [D] en qualité de mandataire judiciaire, demandent à la cour de :
– juger l’appel recevable ;
Statuant à nouveau ;
– juger ce que de droit sur les mérites de l’appel ;
– juger ce que de droit sur les dépens d’instance et d’appel.
La SCP [D] s’en remet à prudence de justice mais précise :
. qu’elle a bien constaté l’état de cessation des paiements de la société RMLCE lors de son rapport d’enquête puis au jour de son rapport complémentaire,
. qu’elle constate une régularisation du paiement du loyer du 2e trimestre 2024 (hors charges), confirmée implicitement par l’appelant lors de sa déclaration de créance,
. que l’état de cessation des paiements n’est donc plus caractérisé,
. qu’elle s’interroge sur la capacité de la société à honorer le loyer du 3e trimestre payable d’avance dès le 1er juillet 2024.
Par note en délibéré autorisée par la cour lors de l’audience du 14 octobre 2024 et déposée le 25 octobre, la SAS RMLCE a transmis à la cour 6 pièces visant à justifier du règlement de son passif exigible.
En réponse, par note du 28 octobre, la SC Carmila [Localité 5] développe que la preuve du règlement des créances indiquées sur l’état du passif n’est pas apportée pas plus que la capacité de l’appelante d’y faire face avec l’actif disponible et constitué d’un crédit de compte bancaire arrêté le 30 septembre 2024 soit avant le paiement des échéances locatives des 13 et 14 octobre 2024 d’un montant bien supérieur au solde disponible.
PAR CES MOTIFS,
La cour , statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Reims du 18 juin 2024,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Dit n’y avoir lieu à l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à l’encontre de la SAS RMLCE,
Déboute la SAS RMLCE de sa demande de dommages et intérêts,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens.
Le greffier La présidente
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