Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Reims
Thématique : Le Licenciement pour écart de caisse
→ RésuméMme [I] [N], serveuse à la SAS A&L depuis 2019, a été licenciée pour faute grave en septembre 2021 après un écart de caisse de 100 euros. Contestant ce licenciement, elle a saisi le conseil de prud’hommes, qui a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cependant, en appel, la cour a infirmé ce jugement, considérant que les faits de dénigrement et les irrégularités dans la gestion de la caisse constituaient une faute grave. Mme [I] [N] a été déboutée de ses demandes et condamnée à payer des frais à la SAS A&L.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Reims
RG n°
23/01182
du 16/10/2024
N° RG 23/01182
AP/FM/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 16 octobre 2024
APPELANTE :
d’un jugement rendu le 7 juillet 2023 par le Conseil de Prud’hommes de REIMS, section Commerce (n° F 22/00336)
S.A.S. A&L
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par la SELARL LAQUILLE ASSOCIÉS, avocats au barreau de REIMS
INTIMÉE :
Madame [I] [N]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par la SELARL MCMB, avocats au barreau de REIMS
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 2 septembre 2024, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur François MÉLIN, président de chambre, et Monsieur Olivier JULIEN, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 16 octobre 2024.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Monsieur François MÉLIN, président
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
Monsieur Olivier JULIEN, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Exposé du litige :
Mme [I] [N] a été embauchée par la SAS A&L à compter du 11 février 2019 dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de serveuse.
Par avenant du 23 décembre 2019, la relation de travail a été soumise à la convention collective des hôtels, cafés, restaurants en lieu et place de la convention collective commerce de détail fruits et légumes.
A compter du 26 juillet 2021, Mme [I] [N] a été placée en arrêt maladie.
Par courrier du 6 août 2021, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 30 août 2021.
Par courrier du 3 septembre 2021, elle a été licenciée pour faute grave.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, Mme [I] [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Reims, le 1er septembre 2022, de demandes en paiement de sommes à caractère indemnitaire.
Par jugement du 7 juillet 2023, le conseil de prud’hommes a :
– dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
– condamné la SAS A&L à payer à Mme [I] [N] les sommes suivantes :
1 750,02 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 121,70 euros à titre d’indemnité de licenciement,
3 500,04 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
350 euros à titre de congés payés afférents,
500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonné la remise des documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte de 10 euros par jour de retard et par document à compter du 30ème jour de la notification du présent jugement, le conseil se réservant la faculté de liquider l’astreinte ;
– débouté la SAS A&L au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– rappelé que l’exécution provisoire est de droit en application de l’article R.1454-28 du code du travail pour les condamnations visées à l’article R.1454-14 du code du travail ;
– condamné la SAS A&L aux entiers dépens.
Le 17 juillet 2023, la SAS A&L a interjeté appel du jugement dans son intégralité.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 1er juillet 2024 à 13h30.
Exposé des prétentions et moyens des parties :
La SAS A&L a successivement conclu le 7 septembre 2023, le 19 février 2024, le 13 mai 2024 et le 1er juillet 2024 à 12h28.
Dans des conclusions d’incident déposées le 8 août 2024, Mme [I] [N] demande à la cour :
– de dire tardive la communication par la SAS A&L des conclusions d’appel n°4,
– d’écarter des débats les conclusions d’appel n°4 communiquées par la SAS A&L le 1er juillet 2024 à 12h27.
Sur le fond, dans ses écritures remises au greffe le 22 mai 2024, Mme [I] [N] demande à la cour :
– de confirmer le jugement en toute sa mesure utile ;
– de dire et juger que le licenciement est dépourvu de toute faute grave et de cause réelle et sérieuse ;
– de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la SAS A&L à lui payer les sommes de :
1 121,70 euros à titre d’indemnité de licenciement,
3 500,04 euros à titre d’indemnité de préavis,
350 euros à titre de congés payés sur préavis,
500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– d’infirmer le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau :
À titre principal,
– de condamner la SAS A&L à lui payer la somme de 10 500,12 euros à titre de dommages- intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison de l’inconventionnalité du barème ;
À titre subsidiaire,
– de condamner la SAS A&L à lui payer la somme de 5 250,06 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application du barème ;
En tout état de cause,
– d’ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés conformes à l’arrêt à intervenir, le tout sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document, passé le 15ème jour de la notification du jugement à intervenir ;
– de condamner la SAS A&L à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– de statuer ce que droit quant aux dépens.
Motifs :
Sur la demande de rejet des conclusions n°4 de la SAS A&L
Il convient de faire droit à la demande de rejet des conclusions déposées par la société appelante le 1er juillet 2024 à 12h28, soit une heure avant la clôture, dans la mesure où celle-ci connaissait les moyens et prétentions adverses depuis le 22 mai 2024, date des dernières conclusions de l’intimée, qu’elle avait connaissance du calendrier de procédure depuis plusieurs mois, que la clôture initialement fixée le 3 avril 2024 avait été reportée, et ne pouvait, sans violer le droit à la contradiction de la partie adverse, prendre de nouvelles conclusions qui n’ont pas été remises en temps utile.
La cour se reportera donc aux écritures n°3 de la SAS A&L déposées le 13 mai 2024 aux termes desquelles elle demande à la cour :
– d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
– de juger le licenciement de Mme [I] [N] justifié par une faute grave ;
– de débouter Mme [I] [N] en l’ensemble de ses demandes ;
– de condamner Mme [I] [N] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– de condamner Mme [I] [N] aux dépens.
Sur la contestation de la faute grave du licenciement
L’employeur explique que le licenciement de Mme [I] [N] est justifié par des vols commis à son détriment et par de graves dénigrements.
Mme [I] [N] conteste les faits qui lui sont reprochés, invoque la prescription pour une partie d’entre eux et affirme que l’employeur ne rapporte pas la preuve de ceux-ci.
Sur ce,
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.
Il appartient à l’employeur qui entend se prévaloir d’une faute grave d’en rapporter la preuve et si un doute subsiste il doit profiter au salarié.
En l’espèce, la lettre de licenciement est ainsi libellée :
‘ le mercredi 21 juillet 2021, nous avons été informés d’une différence dans la caisse de 100 euros.
Dans la mesure où, vous assurez l’encaissement des achats de notre clientèle en notre absence, nous vous avons questionné sur ce sujet.
Vous n’avez eu aucune réponse sur cette anomalie.
Toutefois, il semble que ce comportement soit récurrent puisqu’il nous a été confirmé que lors de l’encaissement, vous ne remettiez pas toujours le ticket de caisse aux clients ou que vous n’encaissez pas le prix remis par les clients.
Dès le lundi 26 juillet, vous étiez placée en arrêt de travail pour maladie tout en nous indiquant que vous souhaitiez rompre votre contrat de travail par une rupture conventionnelle.
Poursuivant notre enquête, il s’est avéré que vous ne notiez pas systématiquement les prélèvements personnels de marchandises que vous effectuez.
Et aussi pour le motif de dénigrement auprès des clients en effet plusieurs clients ont dénoncé votre comportement à constamment dénigrer la boutique, ainsi que la direction ainsi que vos collègues.’
Il convient d’examiner chacun des griefs invoqués dans la lettre de licenciement.
S’agissant de la différence de caisse de 100 euros, la SAS A&L verse aux débats le ticket de caisse de la journée du 21 juillet 2021 sur lequel est indiqué que la clôture a été effectuée par ‘[I]’ et est renseigné un écart de caisse sur espèces de 104,30 euros. Il ressort également de ce ticket que la clôture précédente a été effectuée la veille au soir à 19h34.
Cependant, l’employeur n’apporte aucune pièce de nature à établir que Mme [I] [N] est la seule personne à avoir effectué les manipulations de caisse au cours de la journée du 21 juillet 2021 et qu’elle est donc responsable de l’écart constaté alors que cette dernière soutient qu’elles étaient deux salariées à travailler à cette date et que sa collègue a commencé son service avant elle.
Il existe dès lors un doute sur l’identité de la personne responsable de l’écart de caisse.
En conséquence, le doute profitant au salarié, le grief doit être écarté.
S’agissant des défauts de remise des tickets de caisse et des défauts d’encaissement, une salariée, Mme [R] [D], atteste avoir vu, à plusieurs reprises, Mme [I] [N] encaisser des clients sans les avoir comptabilisés dans la caisse (pièce 8). Mme [I] [N] invoque une absence d’affinité avec cette salariée pour contester la force probante de son témoignage mais ne procède que par voie d’affirmation.
En outre, un couple de clients atteste également avoir constaté à plusieurs occasions que lorsqu’eux ou d’autres clients payaient en espèces, Mme [I] [N] n’enregistrait pas systématiquement les encaissements.
Un troisième client indique avoir eu souvent l’occasion de payer ses consommations en espèces et avoir été surpris de voir Mme [I] [N] utiliser une calculatrice et non la caisse enregistreuse pour calculer la monnaie à lui rendre (pièces 12, 14 et 15).
Le seul fait que les personnes ayant attesté soient dans un lien de subordination ou d’amitié avec l’employeur ne saurait ôter à leur attestation leur caractère probant notamment compte tenu de leur concordance.
En outre, les liens d’amitié entre les témoins clients et la gérante de la société ne sont pas établis de façon certaine.
En effet, Mme [I] [N] verse aux débats un extrait du réseau Facebook du magasin pour justifier l’existence d’un lien entre la gérante de la SAS A&L et un des clients témoins. Or, cette publication concerne un déjeuner professionnel.
Concernant les deux autres témoins, il s’agit d’un couple de retraités dont la femme a dans un commentaire sur la page Facebook de la SAS A&L écrit ‘joyeux noël à toi’. Ce tutoiement témoigne d’une familiarité entre cette femme et l’employeur sans toutefois caractériser un véritable lien d’amitié.
Mme [I] [N] ne peut davantage prétendre à une prescription des faits au motif que ces témoins, dès lors qu’ils seraient amis avec la gérante ou placés sous sa subordination, auraient, selon elle, nécessairement avisé cette dernière plus tôt des agissements qu’ils décrivent. Outre que Mme [I] [N] ne fait qu’émettre une supposition, les témoins précisent avoir informé la gérante des faits qu’ils ont constatés après avoir pris connaissance du problème de caisse du 21 juillet 2021.
Les faits sont établis.
S’agissant de l’absence de notification de prélèvements personnels de marchandises, la collègue de Mme [I] [N], Mme [R] [D], atteste ‘avoir vu à plusieurs reprises prendre un ou deux produits de la boutique à la dernière minute de la fermeture et me dire qu’elle payerai le lendemain’.
Cependant, cette attestation n’est pas suffisamment précise en ce que les faits constatés ne sont pas datés et qu’ils sont rapportés de manière vague (pièce 8).
En conséquence, les faits ne sont pas établis. Le grief est donc écarté.
S’agissant du dénigrement, deux salariées d’une boutique voisine à la SAS A&L attestent que Mme [I] [N] pendant sa pause, se rendait fréquemment dans leur boutique, et dénigrait son employeur et sa collègue [R] en des termes particulièrement diffamants indiquant pour la première que par le passé elle avait été une escort dans un bar à champagne et pour la seconde que c’était ‘une racoleuse’ ‘une salope comme sa patronne’ (pièces 6 et 7).
La salariée, [R] [D], collègue de Mme [I] [N] atteste que cette dernière dénigrait sa responsable et répandait des rumeurs selon lesquelles elle avait travaillé comme escort dans le passé (pièce 9).
Un client indique avoir été témoin du dénigrement de la gérante, de sa collègue et de la boutique de la part de Mme [I] [N]. Cette dernière se plaignait du peu de clientèle de la boutique indiquant ‘ c’est une boutique de merde’. Elle critiquait également sa patronne en indiquant ‘elle a encore allumé des clients ‘ et faisait circuler des rumeurs concernant sa collègue déclarant ‘elle a fait une fellation à untel’ ‘c’est une chaudasse’ ‘elle veut se taper tout le monde’ (pièce 13).
Les faits sont établis et la circonstance que les attestations aient été dressées postérieurement à la procédure de licenciement est sans emport sur leur validité et leur force probante.
Le défaut de remise des tickets de caisse et d’encaissement ainsi que le dénigrement de la gérante, de la boutique et la collègue sont donc établis.
Ces faits constituent des manquements caractérisant une faute grave rendant impossible le maintien de Mme [I] [N] dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis.
En conséquence, Mme [I] [N] doit être déboutée de ses demandes subséquentes (dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et remise des documents de fin de contrat rectifiés)
Le jugement est infirmé de ces chefs.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le jugement est infirmé des chefs des dépens et des frais irrépétibles.
Partie succombante, Mme [I] [N] doit être condamnée aux dépens de première instance et d’appel, déboutée de sa demande d’indemnité de procédure au titre des deux instances et condamnée en équité à payer à la SAS A&L la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.
Par ces motifs :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Rejette les conclusions déposées par la SAS A&L le 1er juillet 2024 ;
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant
Dit le licenciement de Mme [I] [N] pour faute grave justifié ;
Déboute Mme [I] [N] de l’ensemble de ses demandes ;
Condamne Mme [I] [N] à payer à la SAS A&L la somme 2 500 euros à titre de frais irrépétibles de première instance et d’appel ;
Condamne Mme [I] [N] aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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