Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Reims
Thématique : Heures supplémentaires : comment le juge forme sa conviction ?
→ RésuméDans l’affaire opposant Mme [X] [D] à la SELARL [N] Notaires, la cour d’appel de Reims a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes, rejetant les demandes de Mme [X] [D] concernant le harcèlement moral et le paiement d’heures supplémentaires. La cour a souligné que Mme [X] [D] n’a pas fourni d’éléments suffisamment précis pour justifier ses prétentions sur les heures non rémunérées. De plus, les allégations de harcèlement n’ont pas été étayées par des preuves concrètes. Le licenciement pour faute grave a été jugé justifié, et la cour a condamné Mme [X] [D] à payer des frais à l’employeur.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Reims
RG n°
23/00987
du 16/10/2024
N° RG 23/00987
FM/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 16 octobre 2024
APPELANTE :
d’un jugement rendu le 14 juin 2023 par le Conseil de Prud’hommes de REIMS, section Encadrement (n° F 22/00177)
Madame [X] [D]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par la SELARL NOACHOVITCH & ASSOCIE, avocats au barreau de PARIS
INTIMÉE :
S.E.L.A.R.L. [N] NOTAIRES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par la SCP DELVINCOURT – CAULIER-RICHARD – CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS et par la SELAS KARMAN ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 2 septembre 2024, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur François MÉLIN, président de chambre, et Monsieur Olivier JULIEN, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 16 octobre 2024.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Monsieur François MÉLIN, président
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
Monsieur Olivier JULIEN, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme [X] [D] a été embauchée le 1er septembre 2010 par la Selarl [N] Notaires, dirigée par Mme [P] [B] et M. [K] [N], notaires, en qualité de clerc rédacteur.
Elle a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 28 juin 2021.
Par un courrier du 14 février 2022, Mme [X] [D] a été licenciée pour faute grave.
Mme [X] [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Reims.
Par un jugement du 14 juin 2023, le conseil a :
– dit qu’il n’y a pas de harcèlement moral ;
– débouté Mme [X] [D] de sa demande de paiement d’heures supplémentaires ;
– dit que le licenciement est notifié pour une cause réelle et sérieuse, qu’il qualifie de faute grave ;
En conséquence
– débouté Mme [X] [D] de l’ensemble de ses demandes ;
– condamné Mme [X] [D] à payer 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
– condamné Mme [X] [D] aux entiers dépens de l’instance.
Mme [X] [D] a formé appel.
Par des conclusions remises au greffe le 11 juillet 2024, Mme [X] [D] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il a :
. dit qu’il n’y a pas de harcèlement moral ;
. débouté Mme [X] [D] de sa demande de paiement d’heures supplémentaires ;
. dit que le licenciement est notifié pour une cause réelle et sérieuse, qu’il qualifie de faute grave ;
. débouté Mme [X] [D] de l’ensemble de ses demandes ;
. condamné Mme [X] [D] à payer 1.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
. débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
. condamné Mme [X] [D] aux entiers dépens de l’instance
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la SELARL [N] Notaires de toutes ses demandes ;
Par conséquent et statuant de nouveau :
à titre principal,
– juger que Mme [X] [D] a dénoncé et subi des faits de harcèlement moral ;
– juger que le licenciement pour cause réelle et sérieuse prononcé à l’égard de Mme [X] [D] sera requalifié en licenciement nul eu égard au harcèlement moral subi ;
Par conséquent, condamner la SELARL [N] Notaires à verser la somme de 50.000 euros eu égard à la nullité de la rupture de son contrat de travail ;
– condamner la SELARL [N] Notaires à verser la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts spécifiques liés aux actes de harcèlement subis ;
– condamner la SELARL [N] Notaires à verser la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts liés au manquement à son obligation de sécurité de résultat ;
– condamner la SELARL [N] Notaires à verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts liés à l’absence de prévention du harcèlement ;
à titre subsidiaire,
– juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Par conséquent,
– requalifier le licenciement pour cause réelle et sérieuse en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– condamner la SELARL [N] Notaires à verser la somme de 70.039,86 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
en tout état de cause,
– débouter la SELARL [N] Notaires de sa demande formulée au titre de l’appel incident, en ce qu’elle sollicite la condamnation de Mme [X] [D] à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
– débouter la SELARL [N] Notaires de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
– condamner la SELARL [N] Notaires à verser la somme de 12.616,61 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– condamner la SELARL [N] Notaires à verser la somme de 12.734,52 euros, ainsi que les congés payés afférents à hauteur de 1.273,45 euros à titre d’indemnité conventionnelle compensatrice de préavis ;
– condamner la SELARL [N] Notaires à verser la somme de 30.713,65 euros bruts, ainsi que les congés payés afférents à hauteur de 3.071,36 euros, à titre de rappel d’heures supplémentaires ;
– condamner la SELARL [N] Notaires à verser la somme de 25.469,04 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
– condamner la SELARL [N] Notaires à verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et atteinte à la vie privée ;
– ordonner la remise d’un bulletin de paie, d’un certificat de travail et d’une attestation Pole Emploi conforme sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard ;
– condamner la SELARL [N] Notaires à verser la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner la SELARL [N] Notaires aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Sylvie Noachovitch de la SELARL Sylvie Noachovitch & Associés, Avocat aux offres de droit.
Par des conclusions remises au greffe le 8 août 2024, la SELARL [N] Notaires demande à la cour de :
1) confirmer le jugement en ce qu’il a :
– jugé que Mme [X] [D] n’a pas subi de harcèlement moral ;
– jugé que le licenciement de Mme [X] [D] est justifié par une faute grave ;
– débouté Mme [X] [D] de sa demande de paiement d’heures supplémentaires et de l’intégralité de ses autres demandes, fins et prétentions ;
– condamné Mme [X] [D] à régler la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
2) infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la SELARL [N] Notaires de sa demande reconventionnelle de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.
3) et statuant à nouveau :
a) Sur le licenciement,
A titre principal,
– juger que le licenciement de Mme [X] [D] est justifié par une faute grave ;
– débouter Mme [X] [D] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions relatives au licenciement, en ce compris celles portant sur une prétendue cause de nullité du licenciement ;
A titre subsidiaire
– juger que le licenciement de Mme [X] [D] est justifié à tout le moins par une cause réelle et sérieuse ;
– fixer le montant de la condamnation de la SELARL [N] Notaires en cas de requalification en licenciement pour cause réelle et sérieuse à la somme globale de 26.624,58 euros, dont 14.007,97 euros bruts au titre de l’indemnité de préavis et de l’indemnité de congés payés afférents et 12.616,61 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
– débouter Mme [X] [D] de l’ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions relatives au licenciement, en ce compris celles portant sur une prétendue cause de nullité du licenciement.
A titre infiniment subsidiaire
– fixer le montant des dommages-intérêts en cas de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 12.734,52 euros bruts correspondant à 3 mois de salaire ;
– débouter Mme [X] [D] de sa demande de condamnation de la SELARL [N] Notaires à lui verser la somme de 25.469,04 euros à titre d’une quelconque indemnité conventionnelle ;
– débouter Mme [X] [D] de l’ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions relatives au licenciement, en ce compris celles portant sur une prétendue cause de nullité du licenciement.
b) Sur les heures supplémentaires,
A titre principal,
– juger que Mme [X] [D] n’a pas réalisé d’heures supplémentaires ;
– débouter Mme [X] [D] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions relatives aux heures supplémentaires.
A titre subsidiaire
– limiter la condamnation de la SELARL [N] Notaires à la somme globale de 27.711,67 euros bruts pour la demande au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents.
c) Sur le travail dissimulé
– juger que la SELARL [N] Notaires n’a pas commis de travail dissimulé ;
– débouter Mme [X] [D] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions relatives au travail dissimulé.
d) Sur le harcèlement
– juger que Mme [X] [D] n’a pas subi de harcèlement moral ;
– juger que la SELARL [N] Notaires n’a pas manqué à son obligation de prévention du harcèlement moral ;
– débouter Mme [X] [D] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions relatives au harcèlement moral et à l’obligation de prévention du harcèlement moral.
3) Sur la violation de l’obligation de sécurité en matière de santé et de sécurité
– juger que la SELARL [N] Notaires n’a pas manqué à son obligation de sécurité en matière de santé et de sécurité ;
– débouter Mme [X] [D] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions relatives à l’obligation de sécurité en matière de santé et de sécurité.
f) Sur le préjudice moral et l’atteinte à la vie privée
– juger que la SELARL [N] Notaires n’a causé aucun préjudice moral à Mme [X] [D] et n’a pas porté atteinte à sa vie privée ;
– débouter Mme [X] [D] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions relatives à l’indemnisation d’un préjudice moral et à une atteinte à sa vie privée.
g) Sur les autres demandes
– débouter Mme [X] [D] de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner Mme [X] [D] à payer à la SELARL [N] Notaires la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts
– condamner Mme [X] [D] à payer à la SELARL [N] Notaires la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner Mme [X] [D] aux entiers dépens.
Sur la demande d’heures supplémentaires
Mme [X] [D] demande la condamnation de la SELARL [N] Notaires à lui payer la somme de 30.713,65 euros bruts au titre du rappel des heures supplémentaires ainsi que la somme de 3.071,36 euros bruts au titre des congés payés afférents. Dans les motifs de ses conclusions (p. 41), elle soutient en effet qu’elle a travaillé les heures supplémentaires suivantes sans être rémunérée :
En 2019, chaque jour 1 heure 30 supplémentaire ;
En 2020, chaque jour 1 heure 30 supplémentaire ;
Du 2 janvier 2021 au 30 avril 2021, chaque jour 2 heures 30 supplémentaires ;
Du 2 mai 2021 au 25 juin 2021, chaque jour 2 heures 45 supplémentaires.
Dans ce cadre, il y a lieu de rappeler, de manière générale, que :
Aux termes de l’article L.3171-4 du code du travail, « En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable » ;
« En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant. » (Soc., 27 janvier 2021, n°17-31046).
En application de ces principes, la cour doit donc déterminer si Mme [X] [D] présente des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Mme [X] [D] produit trois pièces.
La première est la pièce 23 qui reproduit des captures d’écran de téléphone portable concernant des SMS échangés au cours des mois d’octobre 2018 à octobre 2020. Toutefois, la cour relève d’une part que les qualités des interlocuteurs ne sont pas précisées. D’autre part, la lecture de ces SMS conduit à retenir qu’ils concernent des conversations privées à l’exception d’un SMS du samedi 7 février 2019 à 19 heures dans lequel une collègue demande à Mme [X] [D] de procéder à une vérification de ce que cette collègue a fait dans un dossier et dans lequel Mme [X] [D] répond qu’elle est déjà partie, d’un SMS du 23 mars 2020 dans lequel elle indique à une collègue être au travail à 18 heures 45, d’un SMS de Mme [P] [B] demandant à Mme [X] [D] le 29 octobre 2018 à 18 heures 38 d’envoyer un projet le lendemain et auquel Mme [X] [D] répond « Entendu. Bonne soirée », d’un SMS de Mme [P] [B] du 15 février 2019 à 18 heures 21 indiquant « je ne peux pas répondre. Faites moi un mail » auquel Mme [X] [D] répond « C’est fait. Bonne soirée », d’un SMS de Mme [P] [B] du 16 septembre 2019 à 18 heures 20 demandant qui est en charge d’un dossier et auquel Mme [X] [D] répond « C’est [E] », d’un SMS de Mme [P] [B] du 22 novembre 2019 à 18 heures 01 indiquant « Je vous rappelle de ma voiture quand je pars », d’un SMS de Mme [P] [B] du 7 juillet 2020 à 21 heures 55 indiquant « Désolée pour le message tardif, je me pose seulement, ça s’est bien passé » auquel Mme [X] [D] répond que l’acte a été signé, un échange du 28 juillet 2020 à 20 heures 25 avec Mme [P] [B] sur un client, d’un SMS du 11 février (année non précisée) à 20 heures 34 avec un client sur la date d’un état des lieux, d’un SMS échangé le 17 mars 2020 à 21 heures 44 avec une collègue qui fait état d’une demande de l’employeur à ces mêmes date et heure, d’un échange de SMS avec une collègue [A] à une date et une heure indéterminées mais en mars 2020 sur du travail, sans autre précision, pendant une période de chômage partiel durant la crise sanitaire.
La deuxième est la pièce 27 (ce numéro 27 figure clairement sur la pièce de manière manuscrite ainsi que sur un autocollant apposé sur la pièce), qui n’est pas un décompte des heures supplémentaires contrairement à ce qu’indique le bordereau des pièces, mais une copie d’écran d’un téléphone portable d’un échange avec une collègue et d’un échange avec Mme [P] [B].
Ces deux échanges sont toutefois déjà produits au titre de la pièce 23.
La troisième est la pièce 28 qui est une copie d’écran d’un téléphone portable d’un échange avec Mme [P] [B]. Ces deux échanges sont toutefois déjà produits au titre de la pièce 23.
Au regard de ces éléments, il est retenu que Mme [X] [D] n’a pas produit à la cour un décompte des heures travaillées. Par ailleurs, Mme [X] [D] affirme dans les motifs de ses conclusions qu’elle a effectué des heures supplémentaires de manière constante et identique chaque jour (1 heure 30 par jour en 2019 et 2020 ; 2 heures 30 du 2 janvier au 30 avril 2021 ; 2 heures 45 du 2 mai au 25 juin 2021), sans fournir aucune autre précision sur ses horaires effectifs, alors pourtant qu’il résulte du contrat de travail qu’elle travaillait 36 heures par semaine et qu’elle devait chaque jour travailler 7 heures auxquelles devait s’ajouter une heure répartie sur l’ensemble de la semaine, ce qui implique que Mme [X] [D] ne terminait pas sa journée de travail à la même heure chaque jour. Enfin, si elle produit huit SMS sur une période de 17 mois dont il résulte qu’elle a été sollicitée pour fournir des renseignements professionnels, Mme [X] [D] effectue cette production sans mettre en lien ces SMS avec les heures supplémentaires qu’elle revendique, étant précisé que ces SMS sont très peu nombreux, ont été ponctuels et ont conduit Mme [X] [D] à répondre en quelques mots, sans travail réel.
Dès lors, la cour retient que Mme [X] [D] ne présente pas des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Sa demande est donc rejetée, comme l’a retenu à juste titre le jugement, qui est confirmé de ce chef. Il est également confirmé en ce qu’il a rejeté la demande pour travail dissimulé.
Sur les demandes au titre du harcèlement moral et de la nullité du licenciement
Mme [X] [D] soutient qu’elle a été victime d’un harcèlement moral.
Il y a donc lieu de rappeler que :
L’article L 1152-1 du code du travail dispose que « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » ;
L’article L. 1154-1 du même code du travail dispose que : « Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».
Dans ce cadre, Mme [X] [D] présente différents éléments de fait.
En premier lieu, Mme [X] [D] indique qu’elle effectuait des heures supplémentaires non rémunérées, avait une surcharge de travail structurelle en raison de dossiers complexes à traiter, de dossiers supplémentaires à prendre en charge avec un paroxysme en juin 2021 lorsqu’elle a dû travailler pour les trois associés de l’étude notariale, et qu’elle a travaillé pendant les périodes de chômage partiel durant la crise sanitaire. Elle ajoute qu’il résulte du rapport du docteur [S] du 9 août 2022 qu’elle a été en arrêt de travail pour un état anxiodépressif dans un contexte de conflit de travail. Toutefois, la cour relève d’abord que la demande au titre des heures supplémentaires alléguées a été rejetée. Par ailleurs, concernant la surcharge de travail alléguée, Mme [X] [D] procède par de simples allégations, sans fournir d’éléments de preuve, de même qu’en ce qui concerne le travail allégué pendant une période de chômage partiel, aucune précision n’étant d’ailleurs fournie quant à la durée et aux conditions de ce chômage partiel. Ainsi, la matérialité de ces faits n’est pas établie, étant précisé que l’existence d’un état anxiodépressif, même établie par un médecin et qui n’est pas contestée, ne permet pas d’établir ces faits.
En deuxième lieu, Mme [X] [D] fait valoir qu’elle a été mise à l’écart par Mme [B], qui l’ignorait, qui ne lui disait pas bonjour et qui ne faisait plus de réunion avec elle. Toutefois, la cour relève que Mme [X] [D] procède par de simples allégations, de sorte que la mise à l’écart n’est pas matériellement établie.
En troisième lieu, Mme [X] [D] soutient qu’elle a été victime de brimades et d’humiliations et fait état de SMS qui le démontreraient (pièces 22, 23, 29 et 3), fait état de propos désobligeants de collègues ou de Mme [B] qui l’auraient visée et que cette dernière a consulté son téléphone à deux reprises sans son consentement. Toutefois, cette allégation n’est pas matériellement établie car ces SMS démontrent un agacement de Mme [X] [D] à l’égard de méthodes de travail mais ne font état d’aucune brimade ou humiliation et car aucun élément objectif ne vient étayer la réalité des propos désobligeants allégués ou la consultation de son téléphone.
En quatrième lieu, Mme [X] [D] indique qu’il est patent qu’elle a alerté l’employeur à plusieurs reprises sur les faits de harcèlement. Toutefois, elle procède par une simple allégation, qui n’est pas matériellement établie.
En cinquième lieu, Mme [X] [D] indique que Mme [B] a eu un comportement vindicatif en portant plainte contre elle le 21 décembre 2021 pour menaces de mort contre elle et ses salariés et en adressant ensuite une copie de sa plainte à la Chambre des notaires, alors pourtant que la plainte a été classée sans suite. Cet élément est matériellement établi.
En sixième lieu, Mme [X] [D] fait valoir qu’ « il résulte de ce qui précède que la SELARL [N] Notaires a manqué à son obligation de sécurité de résultat » (conclusions p. 20) et qu’elle n’est pas guérie de la dépression à ce jour.
Au regard de ces différents éléments, la cour retient que la matérialité des quatre premiers faits n’est pas établie.
Concernant le cinquième, il n’est pas contesté qu’une plainte a été déposée par l’employeur. Néanmoins, ce grief ne fait pas présumer l’existence d’un harcèlement moral dès lors qu’il s’agit d’un acte unique et non pas d’agissements répétés au sens de l’article L 1152-1, précité, et qu’il n’est pas en outre démontré que cette plainte était calomnieuse.
S’agissant du sixième, la cour relève que bien qu’il soit présenté au titre des éléments qui laisseraient présumer l’existence d’un harcèlement moral, il ne s’agit pas en réalité d’un grief tendant à établir l’existence d’un harcèlement : Mme [X] [D] se borne en effet à considérer qu’au regard des cinq premiers griefs qui laisseraient selon elle présumer l’existence d’un harcèlement, il y a lieu de considérer que l’employeur a en outre manqué à son obligation de résultat. Elle forme par ailleurs une demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité. Dès lors, le jugement a rejeté à juste titre la demande au titre du harcèlement moral allégué et, par voie de conséquence, la demande de nullité du licenciement, ainsi que les demandes de dommages et intérêts pour harcèlement, pour nullité du licenciement et pour absence de prévention du harcèlement.
Sur la demande au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse
A titre subsidiaire, Mme [X] [D] fait valoir que le licenciement prononcé pour faute grave est en réalité sans cause réelle et sérieuse, étant précisé que s’agissant d’un licenciement pour faute grave, la charge de la preuve pèse sur l’employeur.
Le courrier de licenciement pour faute grave du 14 février 2022 est rédigé dans les termes suivants :
« Par courrier du 13 janvier2022, vous avez été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 25janvier 2022, auquel vous ne vous êtes pas présentée.
Le 1er décembre 2021, votre avocat parisien, Maitre [L] [J], a contacté téléphoniquement votre collègue, Mme [W] [U], la formaliste de notre office.
Pendant 20 minutes, il a cherché à obtenir des informations de sa part sur la manière dont se déroulait votre relation de travail au sein de l’office et a accusé Maitre [P] [B] de harcèlement moral.
Indiquant qu’il n’avait pas de preuves à ce stade mais qu’il en recherchait, il a conclu en demandant à Mme [U] de prévenir ses collègues pour que celles-ci puissent le contacter et lui fournir des éléments contre Maître [B].
Mme [U] a naturellement condamné votre démarche, expliquant à votre conseil qu’elle n’avait jamais rencontré de difficultés avec Maitre [B] ni constaté la moindre attitude désobligeante à votre encontre.
Toutefois, cet appel, que vous avez fait passer à Mme [U] par un avocat parisien, se présentant de surcroit comme spécialisé en droit du travail, et au cours duquel celui-ci a brandi, sans aucune nuance, des concepts juridiques particulièrement graves, a bien évidemment eu pour effet de déstabiliser votre collègue de travail et, de manière plus générale, l’ensemble de l’office.
Le 2 décembre 2021, Mme [U], qui a particulièrement mal vécu votre démarche, en a informé Maître [B].
A cette occasion, elle lui a révélé qu’avant même votre arrêt maladie, qui se prolonge depuis le 28juin 2021, vous propagiez des rumeurs fantaisistes au sein de l’office selon lesquelles Maitre [B] entretenait une relation extra-conjugale avec un apporteur d’affaire régulier de l’office, Monsieur [Z] [F], agent immobilier, avec lequel vous aviez vous-même une relation.
Il est inadmissible que vous ayez propagé ces rumeurs par pure jalousie auprès de vos collègues de travail au risque d’entacher la réputation de Maitre [B] au sein de l’office mais également à l’extérieur de celui-ci.
Vous ne pouvez pourtant pas ignorer l’importance pour ceux qui pratiquent la profession notariale d’entretenir une image de sérieux, de droiture et de rigueur.
Ainsi, non seulement vous avez délibérément porté atteinte à la crédibilité et à la dignité de Maitre [B] auprès de ses collaborateurs, mais vous avez également pris le parti de dégrader sa réputation et son image professionnelle.
Il apparaît que c’est aussi par jalousie que vous avez proféré des accusations de harcèlement moral à l’encontre de Maitre [B], et ce sans vous soucier des conséquences sur l’office et vos collègues.Cette attitude est tout à fait inadmissible.
Par ailleurs, le 17 décembre 2021, vous avez contacté directement Mme [U] par téléphone pour proférer des menaces particulièrement graves à l’encontre des collaborateurs de l’office et de Maitre [B].
A plusieurs reprises, vous avez exprimé votre volonté de mettre fin à vos jours et d’en faire porter la responsabilité à votre employeur.
Vous avez également tenu des propos particulièrement inquiétants, indiquant à votre collègue que vous voyiez l’office brûler et que vous ou votre père allait y faire « un carton ».
Enfin, vous avez encore une fois réitéré auprès de votre collègue que Maitre [B] entretenait une relation avec votre amant, Monsieur [F],et que c’est la raison pour laquelle il s’était éloigné de vous.
Là encore, Mme [U], qui était particulièrement marquée par votre échange, a immédiatement informé Maître [B] de votre appel et lui a exprimé ses craintes.
Vos menaces et les propos d’une extrême violence que vous avez tenus auprès de votre collègue ont encore une fois eu un effet délétère sur l’office, déstabilisant l’ensemble de vos collègues de travail.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise est impossible. Nous sommes donc contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave privatif de toute indemnité de rupture et de préavis ».
La cour relève que le premier grief vise une déstabilisation d’une collègue de travail de Mme [X] [D] et, de manière plus générale, l’ensemble de l’office, suite à un appel téléphonique de l’avocat de Mme [X] [D] souhaitant obtenir des informations sur la relation de travail de Mme [X] [D] et en demandant à cette collègue de prévenir ses autres collègues.
Cet appel téléphonique et sa teneur sont constants, de sorte qu’il y a lieu de considérer que l’employeur a satisfait à sa charge probatoire. Mme [X] [D] ne conteste pas en effet la réalité de cet appel téléphonique et sa teneur mais soutient en réponse qu’elle ne pouvait pas être licenciée suite à sa dénonciation de faits de harcèlement moral. Or, elle se méprend sur le grief qui lui est adressé par la lettre de licenciement, qui ne lui reproche pas d’avoir dénoncé un harcèlement moral mais qui lui reproche un appel téléphonique de son conseil, sa teneur et ses conséquences sur l’office notarial. La cour rappelle au surplus qu’il a déjà été relevé qu’aucun élément du dossier ne conduit à retenir que Mme [X] [D] s’était plainte auprès de son employeur de faits de harcèlement.
Sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres griefs, ce premier grief est suffisant à justifier le licenciement pour faute grave, ainsi que l’a retenu le jugement qui est donc confirmé. En effet, l’appel téléphonique avait pour objet d’obtenir des informations portant atteinte aux intérêts de l’employeur, et ce en tentant d’impliquer plusieurs de ses salariés, ce qui est un manquement à l’obligation de loyauté.
Sont donc rejetées les demandes d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité conventionnelle de licenciement et d’indemnité conventionnelle compensatrice de préavis.
Sur la demande au titre de l’obligation de sécurité
Mme [X] [D] demande la condamnation de l’employeur à lui payer des dommages et intérêts pour violation de son obligation de sécurité de résultat. Elle indique notamment qu’il y a eu une dégradation des conditions de travail engendrée par le comportement néfaste de Mme [B], que l’employeur n’a pas pris les mesures pour faire cesser ces agissements, qu’il y a eu concomitance entre la violation de cette obligation et la dégradation de l’état de santé (conclusions p. 22), et que le licenciement étant nul en raison du harcèlement moral, la condamnation de l’employeur s’impose au titre de l’obligation de sécurité (conclusions p. 31).
Toutefois, la cour relève que Mme [X] [D] procède par des allégations générales, sans établir la réalité d’une dégradation des conditions de travail ni le comportement néfaste de l’employeur. Par ailleurs, ainsi qu’il l’a été précédemment jugé, Mme [X] [D] ne fournit pas d’éléments laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral. Enfin, Mme [X] [D] ne fait pas état d’autres faits dont il résulterait une violation de l’obligation de sécurité.
Le jugement est donc confirmé en ce qu’il a débouté Mme [X] [D] de sa demande formée au titre de l’obligation de sécurité.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et atteinte à la vie privée
Mme [X] [D] demande la condamnation de l’employeur à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et atteinte à la vie privée.
Mme [X] [D] demande l’allocation d’une somme unique de 5 000 euros mais distingue les deux éléments suivants :
– elle a subi un préjudice moral car elle a été placée en arrêt de travail pour dépression réactionnelle et tension artérielle, qu’elle n’est pas guérie et qu’elle n’a pas retrouvé un emploi ;
– le courrier de licenciement impute à Mme [X] [D] d’avoir propagé des rumeurs sur une relation entretenue par Mme [B] et un apporteur d’affaires et « que pour cette raison, (ce dernier) se serait éloigné d’elle ». Elle en déduit que ce courrier de licenciement porte atteinte à sa vie privée.
Concernant le premier élément, Mme [X] [D] invoque un préjudice lié à son état de santé mais n’établit pas l’existence d’un lien entre une faute de l’employeur et cet état.
Concernant le second élément, il ne résulte pas des termes du courrier de licenciement une atteinte à la vie privée, en l’absence de toutes précisions sur l’éloignement évoqué entre l’apporteur d’affaires et Mme [X] [D] et sur la nature de leur relation.
La demande doit donc être rejetée, comme l’a retenu à juste titre le jugement, qui est confirmé de ce chef.
Sur la demande de remise des documents de fin de contrat
Mme [X] [D] forme une demande, non présentée en première instance, de condamnation de l’employeur à remettre un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conforme sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard. Cette demande est présentée dans le dispositif mais les motifs n’en font pas état.
La cour n’en est donc pas saisie puisque l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile dispose que « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion ».
Sur la demande de dommages et intérêts formée par la SELARL [N] Notaires
La SELARL [N] Notaires demande la condamnation de Mme [X] [D] à payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts, aux motifs que Mme [X] [D] a prêté une relation extra-conjugale à Mme [B], que les autres salariés ont été impressionnés par les démarches de Mme [X] [D] et ses menaces, et que son attitude a donc créé un préjudice certain et nécessaire au niveau de l’office notarial.
Toutefois, la SELARL [N] Notaires fait état d’un préjudice de l’office lui-même sans le démontrer alors que le préjudice éventuellement subi par Mme [B] est un préjudice personnel à cette dernière dont la SELARL [N] Notaires ne peut pas demander la réparation, étant précisé que la nature du préjudice invoqué n’est pas même précisée et qu’aucune explication n’est fournie pour justifier la demande à hauteur de 50 000 euros.
Le jugement est dès lors confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.
Sur l’article 700 du code de procédure civile
Le jugement est confirmé en ce qu’il a condamné Mme [X] [D] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [X] [D], qui succombe, est condamnée à hauteur d’appel à payer la somme de 2 000 euros à ce titre. Sa demande est quant à elle rejetée.
Sur les dépens
Le jugement est confirmé en ce qu’il a condamné Mme [X] [D] aux dépens.
Mme [X] [D], qui succombe, est condamnée aux dépens d’appel.
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement ;
Y ajoutant,
Rejette la demande formée par Mme [X] [D] tendant à la condamnation de la SELARL [N] Notaires à remettre un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conforme sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard.
Condamne Mme [X] [D] à payer à la SELARL [N] Notaires la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande formée par Mme [X] [D] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [X] [D] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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