Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Poitiers
Thématique : Indemnisation des préjudices liés à une détention injustifiée : enjeux et évaluations.
→ RésuméContexte de l’affaireMonsieur [C] [G], né en 1959, a été mis en examen et placé en détention le 26 mai 2020 dans le cadre d’une information judiciaire pour agressions sexuelles sur mineur de 15 ans en récidive. Il a été placé sous contrôle judiciaire le 21 janvier 2021, et le 25 septembre 2023, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu. Demande d’indemnisationLe 28 mars 2024, Monsieur [C] [G] a déposé une requête auprès de la Cour d’appel de Poitiers pour obtenir une indemnisation pour les 241 jours de détention subie. Il a demandé un total de 78.048,15 euros, répartis entre préjudice financier, matériel, moral et frais de justice. Préjudice financierMonsieur [C] [G] a justifié sa demande de préjudice financier en indiquant qu’il avait perdu son emploi d’agent de fabrication pendant sa détention. Il a évalué sa perte de salaire, ainsi que des primes et indemnités, à un montant total de 14.453,96 euros. Il a également mentionné des pertes liées à ses congés payés et à des frais de location de son camping-car. Préjudice matérielConcernant le préjudice matériel, Monsieur [C] [G] a affirmé que son camping-car avait été vandalisé, mais n’a fourni aucune preuve pour étayer cette affirmation. Par conséquent, sa demande a été rejetée. Préjudice moralMonsieur [C] [G] a exprimé un sentiment d’injustice et des séquelles psychologiques dues à son incarcération, notamment la perte de son animal de compagnie. La cour a reconnu le préjudice moral lié à sa détention injustifiée et a fixé l’indemnisation à 20.000 euros, tenant compte de la durée de la détention et de l’isolement social. Décision de la courLa cour a déclaré la requête de Monsieur [C] [G] recevable et a alloué les sommes suivantes : 14.453,96 euros pour le préjudice financier, 20.000 euros pour le préjudice moral, et 1.200 euros pour les frais de justice. Les autres demandes ont été rejetées, et la décision est susceptible de recours. |
R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
MINUTE N°11
COUR D’APPEL DE POITIERS
N° RG 24/00787 – N° Portalis DBV5-V-B7I-HAJB
REPARATION A RAISON D’UNE DETENTION
[C] [G]
Décision en premier ressort rendue publiquement le vingt six novembre deux mille vingt quatre, par Madame Isabelle LAUQUE, présidente de chambre, agissant sur délégation de Madame la première présidente de la cour d’appel de Poitiers, assistée lors des débats de Madame Marion CHARRIERE, greffière stagiaire, et du prononcé de la présente décision de Madame Inès BELLIN, greffière,
Après débats en audience publique le 26 novembre 2024 ;
Sur la requête en réparation de la détention fondée sur les articles 149 et suivants et R26 et suivants du code de procédure pénale présentée par
REQUERANT :
Monsieur [C] [G]
né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 9]
[Adresse 8]
[Localité 6]
représenté par Me Claude EPOULI BOMBOGO, avocat au barreau de POITIERS
EN PRESENCE DE :
Monsieur l’agent judiciaire de l’Etat
Sous-direction du droit privé
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Me Renaud BOUYSSI de la SELARL ARZEL ET ASSOCIES, avocat au barreau de Poitiers
ET :
Monsieur le procureur général près la cour d’appel de Poitiers
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Madame Carole WOJTAS, Substitute générale
Dans le cadre d’une information judiciaire ouverte du chef d’agressions sexuelles sur mineur de 15 ans en récidive, [C] [G] a été mis en examen et placé en détention le 26 mai 2020.
Le 21 janvier 2021, il a été placé sous contrôle judiciaire et le 25 septembre 2023, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu.
Par requête reçue au greffe le 28 mars 2024, Monsieur [C] [G] a saisi Madame la Première Présidente de la Cour d’appel de Poitiers d’une demande d’indemnisation des préjudices soufferts du fait de la détention subie du 26 mai 2020 au 21 janvier 2021 soit 241 jours de détention.
Aux termes de ses écritures, il demande à Madame la première Présidente de la Cour d’appel de Poitiers de lui allouer les sommes suivantes :
– 24.848,15 euros au titre de son préjudice financier,
– 7.000 euros au titre de son préjudice matériel,
– 45.000 euros au titre de son préjudice moral,
– 1.200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
S’agissant du préjudice financier, Monsieur [C] [G] avance qu’avant son incarcération, il occupait un emploi d’agent de fabrication dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée depuis 2019 et qu’il percevait un salaire brut compris entre 1.865,06 euros et 1.824,11 euros.
Il soutient qu’il aurait donc dû percevoir sur 9 mois 14.418,89 euros de salaire brut outre des indemnités repas estimées à 530,68 euros, des indemnités de transport, la possibilité d’effectuer des heures supplémentaires qu’il évalue à 767,81 euros, sa prime de fin d’année de 862 euros et une prime de vacances de 276 euros.
Il fait en outre valoir qu’il n’a pas pu prendre ses congés payés sur l’année 2020 et qu’il n’a pu cotiser pour sa retraite. A ce titre, il réclame la somme de 2.686 euros pour ses congés payés outre la somme de 2.706,77 euros au titre des cotisations sociales qu’il doit à son employeur.
Enfin, il avance avoir dû poursuivre le paiement de la location d’emplacement de son camping-car dans lequel il vivait, pour un montant de 288,92 euros par mois soit 2.600,28 euros sur la période de détention.
S’agissant de son préjudice matériel, il explique que son camping-car a été vandalisé et il évalue à 7.000 euros l’indemnisation des destructions subies.
S’agissant de son préjudice moral, il fait valoir qu’il a vécu un grand sentiment d’injustice et qu’il subit toujours des séquelles de ce traumatisme. Son incarcération a porté atteinte à sa dignité, à sa réputation.
Il rappelle qu’il n’avait jamais été incarcéré par le passé et que le choc carcéral a été particulièrement violent.
Il n’a pu avoir aucun soutien familial, visite ou échange pendant sa détention.
Enfin, il explique avoir perdu sa chienne.
Par conclusions reçues au greffe le 5 juin 2024, l’agent judiciaire de l’Etat demande à Madame la première Présidente de déclarer irrecevable la requête de Monsieur [C] [G] qui ne justifie pas du caractère définitif de l’ordonnance de non-lieu du 25 septembre 2023.
A titre subsidiaire, il rappelle que la détention n’a pas duré environ 9 mois mais 8 mois et un jour. Il ne remet pas en cause l’existence d’un préjudice moral mais relève que M. [G] invoque une dégradation de sa qualité de vie, une atteinte à sa réputation, la perte de sa chienne sans en justifier.
Il fait valoir que l’enquête de personnalité avait établi qu’il était célibataire, sans enfant et qu’il n’avait plus de liens avec sa famille.
Dans ses conditions, il propose une indemnisation de 18.000 euros qu’il estime justement réparer le préjudice moral du requérant.
Sur le préjudice matériel, il conclut au rejet de la demande au motif que le requérant ne produit aucune pièce à l’appui.
Enfin, sur le préjudice financier, l’Agent Judiciaire de l’Etat demande à ce que l’indemnisation de la perte de salaire soit limitée au salaire net qui inclut l’indemnité repas. S’agissant de la prime de fin d’année et de la prime vacances, il en admet le bien-fondé mais demande à ce qu’elles soient évaluées sur la base du montant net et non brut.
Se fondant sur l’attestation de l’employeur, il évalue la perte des congés payés à la somme de 1.388 euros.
Enfin, il conclut au rejet de toutes les autres demandes.
Par conclusions reçues au greffe le 11 juillet 2024, le ministère public conclut à l’irrecevabilité de la requête en réparation de la détention de Monsieur [C] [G] faute de justifier du certificat de non recours et donc du caractère définitif de la décision.
A titre subsidiaire, sur le fond, il s’associe aux conclusions de l’agent judiciaire de l’Etat et à sa proposition d’indemnisation s’agissant du préjudice moral mais également du préjudice matériel et financier qui ne doit être évalué que sur la base d’un salaire net.
Par conclusions du 4 septembre 2024, le conseil de M.[C] [G] maintient l’intégralité de ses demandes.
A l’audience de la Cour , le conseil de Monsieur [C] [G], l’Agent Judiciaire de l’Etat et le ministère public ont développé oralement leurs conclusions écrites.
PAR CES MOTIFS :
La Présidente de chambre déléguée par Madame la première Présidente, statuant contradictoirement et publiquement, par décision susceptible de recours devant la Commission Nationale de Réparation des Détentions,
Déclare recevable la requête en indemnisation présentée par Monsieur [C] [G] ;
Alloue à Monsieur [C] [G] les sommes de :
‘ 14.453,96 euros en réparation de son préjudice financier,
‘ 20.000 euros en réparation de son préjudice moral,
‘ 1.200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Rejette le surplus des demandes.
Rappelle l’exécution provisoire de droit qui s’attache à la présente décision.
Laisse les dépens à la charge de l’Etat.
En foi de quoi, la présente décision a été signée par le président et le greffier.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
I. BELLIN I. LAUQUE
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