Cour d’appel de Poitiers, 2 mars 2023
Cour d’appel de Poitiers, 2 mars 2023

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Poitiers

Thématique : Harcèlement électronique au travail : l’obligation d’intervention de l’employeur 

Résumé

Le harcèlement électronique au travail engage la responsabilité de l’employeur, qui doit intervenir pour protéger ses salariés. En cas de manquement à cette obligation de sécurité, l’employeur peut être tenu responsable d’une souffrance morale subie par un salarié, même en l’absence de harcèlement moral avéré. Par exemple, si un employeur ne prend pas les mesures nécessaires après avoir été informé de comportements inappropriés entre collègues, cela peut entraîner des conséquences graves, comme un licenciement jugé sans cause réelle. Il est donc déterminant pour l’employeur de mettre en place des actions préventives et correctives adaptées.

Harcèlement électronique au travail

Un fait tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier une mesure disciplinaire allant jusqu’au licenciement s’il se rattache à la vie de l’entreprise ou à la vie professionnelle.

Le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (non intervention en présence d’un harcèlement électronique entre collègues) peut être à l’origine de l’inaptitude du salarié et a pour conséquence de rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L’obligation de prévention des risques professionnels

L’obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte de l’article L.4121-1 du code du travail et de l’article L. 4121-2 du même code est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l’article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.

L’obligation de prévention du harcèlement moral est ainsi une déclinaison de l’obligation de sécurité, résultant pour l’employeur des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.

L’absence de harcèlement moral

Ainsi, l’absence de harcèlement moral n’est pas de nature à exclure, en présence d’une souffrance morale en lien avec le travail, tout manquement de l’employeur à son obligation de sécurité , de sorte qu’il appartient à l’employeur de prendre des mesures de nature à prévenir mais également pour faire cesser ces agissements.

L’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité s’il démontre qu’il a pris toutes les mesures de préventions et toutes les mesures de nature à faire cesser le harcèlement moral dénoncé.

En l’espèce, il résulte des énonciations précédentes de l’arrêt que l’employeur de Mme [J] n’ignorait pas les agissements dont elle était victime de la part de M. [X], Mme [J] ayant régulièrement avisé la CRCAM de la Touraine et du Poitou de ses difficultés.

Ainsi, elle a informé son employeur de ce qu’elle avait été victime d’insultes de la part de M. [X], de la consultation de ses comptes bancaires par M. [X], de l’envoi de messages de M. [X] à des clients, des plaintes déposées. La CRCAM de la Touraine et du Poitou avait également connaissance du fait que Mme [J] vivait ‘très mal cette situation’ et qu’il fallait ‘rapidement endiguer ce phénomène qui crée de grosses perturbations à l’intérieur de nos agences’.

Toutefois, dès le 16 octobre 2015, l’employeur a procédé auprès de M. [X] à un rappel des règles déontologiques et de l’usage de communication professionnelle. Cette première réaction était ainsi adaptée aux premiers faits dénoncés par Mme [J]. Si la CRCAM de la Touraine et du Poitou ne démontre pas qu’une enquête interne a réellement été menée du 5 novembre 2015 au 16 janvier 2016 comme elle prétend, elle justifie toutefois :

– des arrêts de travail de M. [X] du 17 novembre au 21 novembre 2015 puis du 1er décembre au 16 janvier 2016, pendant lesquels elle ne pouvait procéder à aucun entretien avec le salarié,

– par des échanges de mail entre les directeurs d’agences et M. [U], que la CRCAM de la Touraine et du Poitou a évoqué la situation en tenant compte de ‘la fragilité psychologique de [E] [X]’ et que M. [X] a été convoqué après sa reprise du travail le 29 janvier 2016, entretien au cours duquel un nouveau rappel de l’usage des outils professionnels a été réalisé.

La CRCAM de la Touraine et du Poitou n’a donc pas fait preuve d’une totale inertie face aux difficultés que rencontrait Mme [J] dans sa sphère privée en menant deux entretiens avec M. [X] pour lui rappeler ses obligations professionnelles.

Manquement à l’obligation de prévention des risques

L’employeur n’a toutefois pas satisfait à son obligation de prévention des risques en ne prenant pas les mesures adaptées à la sortie de détention de M. [X] et alors même que Mme [J] n’avait pas été déclarée inapte par le médecin du travail.

Il s’avère en effet que la seule mesure prise par la CRCAM de la Touraine et du Poitou a été de réintégrer M. [X] dans un poste similaire, situé certes à 50km, mais en lui permettant d’avoir accès à tous les outils professionnels qui lui avaient permis de harceler Mme [J] dans la sphère privée.

La CRCAM de la Touraine et du Poitou ne justifie d’aucune autre mesure, d’aucune restriction de M. [X] dans ses accès professionnels, d’aucune mise en garde ou rappel des obligations du salarié postérieurs à sa réintégration.

Or, Mme [J] avait rappelé, par l’intermédiaire de son avocat, le 1er avril 2017 à son employeur les faits dont elle avait été victime de la part de M. [X], en attirant son attention sur le fait que ce dernier était sorti de prison et qu’il lui était difficilement concevable de reprendre son activité professionnelle si M. [X] travaillait toujours pour le même employeur. Il n’est pas contesté que la CRCAM de la Touraine et du Poitou n’a pas souhaité prendre d’autre mesure de prévention du risque que le seul éloignement géographique de M. [X].

Un fait tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier une mesure disciplinaire allant jusqu’au licenciement s’il se rattache à la vie de l’entreprise ou à la vie professionnelle.

Ainsi, c’est tout à fait vainement que la CRCAM de la Touraine et du Poitou se retranche derrière le fait que M. [X] a été condamné pour un fait relevant de sa vie personnelle alors que certains des faits ont été commis en utilisant des moyens mis à sa disposition dans le cadre professionnel au préjudice de son ex-compagne qui était également salariée du même employeur.

Il appartenait dès lors à la CRCAM de la Touraine et du Poitou de prendre les mesures adaptées pour permettre à sa salariée, Mme [J], de reprendre son travail à l’issue de son arrêt de travail dans des conditions de sécurité que ne permettaient pas la réintégration de M. [X] dans un poste similaire éloigné de quelques dizaines de kilomètres.

La CRCAM de la Touraine et du Poitou a donc manqué à son obligation de sécurité ce qui a causé un préjudice moral indéniable à Mme [J] qui a vu son employeur favoriser M. [X] en le réintégrant à son détriment.

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