Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Pau
Thématique : Expertise et recevabilité : enjeux de la preuve dans les relations contractuelles.
→ RésuméContexte de l’affaireMadame [E] [I] et Monsieur [X] [N] ont engagé l’EURL Pyrénées Jardin Concept pour l’aménagement extérieur de leur propriété, avec un devis accepté pour un montant total de 91 502,15 euros TTC. Les travaux ont été commandés le 25 octobre 2021, mais des problèmes sont survenus concernant leur achèvement et leur conformité. Procédures judiciaires initialesLe 4 octobre 2022, les consorts [I]-[N] ont assigné l’EURL Pyrénées Jardin Concept devant le tribunal judiciaire de Pau, demandant une expertise en raison de travaux non terminés et de malfaçons. Cependant, le juge des référés a rejeté leur demande par ordonnance du 15 mars 2023. Demande de résiliation et de paiementLe 12 juin 2023, l’EURL Pyrénées Jardin Concept a contre-attaqué en assignant les consorts [I]-[N] pour obtenir la résiliation du contrat et le paiement d’une facture de 22 943,79 euros. Les consorts ont ensuite demandé une expertise le 3 novembre 2023. Décision du juge de la mise en étatLe 21 mars 2024, le juge de la mise en état a ordonné une mesure d’expertise, rejetant la fin de non-recevoir soulevée par l’EURL Pyrénées Jardin Concept. L’expert a été chargé d’évaluer les travaux réalisés et de déterminer les malfaçons éventuelles. Appel de l’EURL Pyrénées Jardin ConceptL’EURL Pyrénées Jardin Concept a interjeté appel le 2 avril 2024, contestant l’ordonnance du juge de la mise en état. Elle a soutenu que la demande d’expertise était irrecevable en raison de l’ordonnance de référé antérieure. Arguments des consorts [I]-[N]Les consorts [I]-[N] ont demandé à la cour de déclarer l’appel irrecevable et de confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état. Ils ont fait valoir que l’expertise était nécessaire pour établir la responsabilité de l’EURL Pyrénées Jardin Concept. Décision de la cour d’appelLa cour d’appel a déclaré l’appel de l’EURL Pyrénées Jardin Concept recevable, tout en confirmant l’ordonnance du juge de la mise en état. Elle a également condamné l’EURL à verser 1 500 euros aux consorts [I]-[N] pour les frais d’appel, tout en rejetant la demande de l’EURL au titre de l’article 700 du code de procédure civile. |
AB/LC
Numéro 24/03589
COUR D’APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 26/11/2024
Dossier : N° RG 24/01009
N° Portalis DBVV-V-B7I-IZ4H
Nature affaire :
Autres demandes relatives à un contrat de prestation de services
Affaire :
E.U.R.L. PYRENEES JARDIN CONCEPT
C/
[E] [I],
[X] [N]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 26 Novembre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 16 Octobre 2024, devant :
Madame BLANCHARD, magistrate chargée du rapport conformément à l’article 785 du code de procédure civile,
assistée de Madame HAUGUEL, greffière présente à l’appel des causes,
Madame BLANCHARD, en application des articles 805 et 907 du code de procédure civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame FAURE, Présidente
Madame de FRAMOND, Conseillère
Madame BLANCHARD, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
E.U.R.L. PYRENEES JARDIN CONCEPT, représentée par son gérant Monsieur [Y] [R]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée et assistée de Maître Marie-Emilie PHAN, avocat au barreau de PAU
INTIMES :
Madame [E] [I]
née le 13 Juillet 1976 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Monsieur [X] [N]
né le 07 Décembre 1975 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentés et assistés de Maître Julien MARCO de la SELARL SAGARDOYTHO-MARCO, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 21 MARS 2024
rendue par le JUGE DE LA MISE EN ETAT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PAU
RG numéro : 23/01132
EXPOSE DU LITIGE
Suivant devis du 25 octobre 2021, accepté le 28 octobre 2021, Madame [E] [I] et Monsieur [X] [N] ont confié à l’EURL Pyrénées Jardin Concept l’aménagement extérieur de leur bien immobilier situé à [Localité 4] (64), pour la somme de 91 502,15 euros TTC.
Par acte du 04 octobre 2022, les consorts [I]-[N] ont fait assigner l’EURL Pyrénées Jardin Concept devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Pau aux fins d’expertise, arguant de travaux non terminés, non conformes au devis, et de malfaçons.
Par ordonnance du 15 mars 2023, le juge des référés les a déboutés de leur demande.
Par actes du 12 juin 2023, l’EURL Pyrénées Jardin Concept a fait assigner Mme [I] et M. [N] devant le tribunal judiciaire de Pau aux fins de voir prononcer la résiliation du contrat de prestation de services du 25 octobre 2021, et de les voir condamner au paiement de diverses sommes sur le fondement contractuel, dont une facture d’un montant de 22 943,79 euros datée du 10 mai 2022.
Par conclusions d’incident du 03 novembre 2023, Mme [I] et M. [N] ont sollicité du juge de la mise en état qu’il ordonne une mesure d’expertise.
Suivant ordonnance contradictoire du 21 mars 2024 (RG n°23/01132), le juge de la mise en état a :
– rejeté la fin de non recevoir soulevée,
– ordonné l’organisation d’une mesure d’expertise et commis pour y procéder M. [K] [F], avec mission de :
– se rendre sur place, visiter les lieux, consulter tous sachants et spécialistes de son choix, et après s’être fait communiquer tout document utile à l’accomplissement de sa mission,
– décrire les lieux,
– examiner et comparer le devis signé des parties et la facture du 10 mai 2022,
– décrire les travaux réalisés et s’il y a lieu, les ouvrages non réalisés, les ouvrages non conformes aux règles de l’art parmi ceux visés par la facture du 10 mai 2022,
– recueillir les observations des parties sur la cause de la non réalisation de chacun des travaux litigieux,
– dire si les travaux effectués sont atteints de malfaçons,
– déterminer la nature, l’importance des désordres, leur origine et la date de leur apparition, et fournir tous les éléments de nature à permettre à la juridiction de déterminer à qui ils sont imputables,
– fournir les documents permettant de déterminer s’ils proviennent d’une erreur de conception, d’un vice de construction, d’un vice des matériaux, d’une malfaçon dans leur mise en oeuvre, d’une négligence dans l’entretien ou l’exploitation des ouvrages ou de toute autre cause,
– déterminer les modes et le coût de leur reprise,
– indiquer les préjudices éventuellement subis,
– fournir au tribunal tous éléments techniques et de fait de nature à permettre les mises en cause nécessaires éventuellement et de déterminer les responsabilités encourues et d’évaluer l’ensemble des préjudices éventuellement subis,
– indiquer si lesdits désordres sont de nature a nuire à la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination,
– faire les comptes entre les partie,
– et d’une manière plus générale, donner au tribunal tous éléments permettant l’élucidation du litige,
– fixé les modalités techniques de l’intervention de l’expert,
– dit qu’en cas de refus ou d’empêchement motivé de l’expert, il sera pourvu à son remplacement par simple ordonnance sur requête,
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
– réservé les dépens de l’incident qui suivront les dépens de l’instance au fond,
– renvoyé l’affaire à la mise en état.
Pour motiver sa décision, le juge a retenu :
– que la demande d’expertise est recevable dès lors que l’ordonnance de référé rejetant l’expertise a un caractère provisoire et ne lie pas le juge du fond, d’autant que de nouveaux éléments sont apportés par les consorts [I]-[N] à l’appui de leur demande,
– que les consorts [I]-[N] démontrent un intérêt à solliciter une mesure d’expertise concernant uniquement les éléments de la facture de l’EURL Pyrénées Jardin Concept du 10 mai 2022, dès lors que les rapports d’expertise unilatéraux produits ne sont pas contradictoires et sont contestés, et qu’il reviendra au juge du fond, pour constater le bien fondé ou non de la demande en paiement de ladite facture, de s’interroger sur la réalité des travaux effectués, leur conformité au devis signé et la justification des sommes réclamées.
Par déclaration du 02 avril 2024 (RG n°24/01009), l’EURL Pyrénées Jardin Concept a relevé appel, critiquant l’ordonnance en ce qu’elle a :
– rejeté la fin de non recevoir soulevée,
– ordonné l’organisation d’une mesure d’expertise et commis pour y procéder M. [K] [F],
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
– réservé les dépens de l’incident qui suivront les dépens de l’instance au fond,
– renvoyé l’affaire à la mise en état.
Suivant avis de fixation adressé par le greffe de la cour, l’affaire a été fixée selon les modalités prévues aux articles 905 et suivants du code de procédure civile.
Par ordonnance du 11 septembre 2024, la présidente de la chambre civile de la cour d’appel de Pau s’est déclarée incompétente pour statuer sur la demande d’irrecevabilité de l’appel soulevée par Mme [E] [I] et M. [X] [N] et les a renvoyés à mieux se pourvoir sur ce point.
Par conclusions notifiées le 23 septembre 2024, auxquelles il est expressément fait référence, l’EURL Pyrénées Jardin Concept, appelante, demande à la cour de:
– déclarer bien fondé son appel,
Y faisant droit,
– infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a :
– rejeté la fin de non recevoir soulevée par l’EURL Pyrénées Jardin Concept,
– ordonné l’organisation d’une mesure d’expertise et commis pour y procéder M. [K] [F],
– débouté l’EURL Pyrénées Jardin Concept de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– réservé les dépens,
– la déclarer recevable et bien fondée dans ses demandes, fins et conclusions,
– débouter les consorts [I]-[N] de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
Statuant à nouveau,
– juger et déclarer irrecevable la demande d’expertise judiciaire des consorts [I]-[N], en raison de l’ordonnance de référé irrévocable du 15 mars 2023 du tribunal judiciaire de Pau,
A titre subsidiaire,
– juger et déclarer irrecevable la demande d’expertise judiciaire des consorts [I]-[N], pour défaut d’intérêt à agir,
A titre très subsidiaire,
– juger et déclarer mal fondée la demande d’expertise judiciaire des consorts [I]-[N] en raison de l’absence de motif légitime,
En conséquence,
– les débouter de leur demande d’expertise judiciaire,
En tout état de cause,
– condamner les consorts [I]-[N] à la somme de 3 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner les consorts [I]-[N] aux entiers dépens d’appel et d’incident.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir, au visa des articles 4, 5, 460, 480, 488, 490, 122, 125, 145, 31, 32, 12, 954 et 795 du code de procédure civile :
– que la nouvelle demande d’expertise judiciaire des consorts [I]-[N] est irrecevable en raison de l’ordonnance de référé du 15 mars 2023 rejetant la demande d’expertise, qui a désormais force de chose jugée et est irrévocable dès lors qu’elle n’a pas été frappée d’appel,
– que le juge de la mise en état ne pouvait modifier l’ordonnance de référé en raison de circonstances nouvelles, ce pouvoir n’appartenant qu’à la juridiction qui a prononcé la décision, et qu’en l’espèce aucun élément nouveau ne permet de comparer l’état des lieux avant, pendant et après son intervention, aucun procès-verbal de constat d’huissier n’étant produit, de sorte qu’aucun élément ne démontre l’imputabilité de désordres à son intervention,
– que la demande d’expertise judiciaire est irrecevable en raison du défaut d’intérêt légitime des consorts [I]-[N] à solliciter une mesure d’instruction in futurum, dès lors que leur action au fond serait vouée à l’échec, d’une part sur le fondement de la responsabilité civile contractuelle, au titre de l’obligation de résultat, qui ne peut être engagée du fait que les travaux n’ont pas pu être terminés du fait des consorts [I]-[N], et d’autre part sur le fondement de la responsabilité légale du constructeur, à défaut de réception, les travaux n’étant pas terminés, sans qu’aucun constat de l’imputabilité des désordres allégués n’ait été réalisé,
– que les consorts [I]-[N] n’ont pas de motif légitime à solliciter une mesure d’expertise judiciaire, dès lors que cette mesure serait dépourvue de toute utilité et pertinence, les consorts [I]-[N] ayant pu intervenir sur les travaux qu’elle a réalisés et les modifier, et qu’ils n’ont en outre jamais fait état de désordres jusqu’à la présentation de la dernière facture, et l’ont évincée du chantier sans justification,
– que son appel est recevable, en ce qu’il vise à contester l’ordonnance du juge de la mise en état qui a rejeté les fins de non recevoir qu’elle avait soulevées, de sorte qu’elle n’avait pas à solliciter l’autorisation du premier président de la cour d’appel,
– que les rapports d’expertise unilatéraux et les témoignages produits par les consorts [I]-[N] n’apportent aucun élément nouveau et ne rapportent pas la preuve de l’imputabilité des désordres ; que le premier rapport du 27 mai 2022 a été établi avant l’achèvement des travaux qui lui étaient confiés et quinze jours après son éviction du chantier, sans qu’elle soit conviée à y participer, et est dénué de toute pertinence s’agissant des désordres listés ; que le rapport du 22 septembre 2023 ne décrit qu’un seul nouveau désordre, concernant un mur de clôture préexistant à son intervention et sur lequel elle n’a réalisé aucun travaux, ni à proximité, est unilatéral et réalisé plus d’un an après son intervention sur les lieux, sans la mentionner ni lui imputer les désordres relevés ; que le mur litigieux a en outre été démoli et remplacé par un mur de roches,
– qu’elle a produit son attestation de garantie décennale à la première demande des consorts [I]-[N] le 1er juillet 2022,
– qu’il n’est pas légitime de solliciter la désignation d’un expert judiciaire aux fins de constater l’absence de réalisation complète de prestations, alors qu’il est acquis que le chantier n’a pas été achevé, encore moins réceptionné, du seul fait des consorts [I]-[N], qui se sont opposés à sa poursuite.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 septembre 2024, auxquelles il est expressément fait référence, M. [X] [N] et Mme [E] [I], intimés, demandent à la cour de :
– juger irrecevable l’appel de l’EURL Pyrénées Jardin Concept,
En tout état de cause,
– rejeter les fins de non-recevoir soulevées par l’EURL Pyrénées Jardin Concept,
– confirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions,
– condamner l’EURL Pyrénées Jardin Concept à leur verser la somme de 1 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux entiers dépens de l’instance.
Au soutien de leurs demandes, ils font valoir :
– que l’appel de l’EURL Pyrénées Jardin Concept est irrecevable, dès lors qu’elle n’a pas sollicité l’autorisation du premier président de la cour d’appel à cette fin,
– que l’ordonnance de référé est une décision provisoire qui n’a pas autorité de chose jugée, de sorte que le juge de la mise en état pouvait statuer différemment sur une nouvelle demande d’expertise, d’autant qu’elle produit un élément nouveau, à savoir un rapport de visite réalisé par un expert judiciaire qui conforte les précédentes constatations, et que de nouveaux désordres imputables à l’EURL Pyrénées Jardin Concept sont apparus ; que l’expertise judiciaire a justement pour objet de rendre opposables ces éléments à l’EURL Pyrénées Jardin Concept,
– que le juge de la mise en état étant seul compétent jusqu’à son dessaisissement pour connaître d’une demande d’expertise, ils n’avait aucune autre alternative procédurale, ayant été assignés au fond par l’EURL Pyrénées Jardin Concept, pour solliciter une mesure d’investigation,
– qu’ils ont intérêt à demander une expertise judiciaire dès lors que la responsabilité contractuelle de l’EURL Pyrénées Jardin Concept est engagée compte tenu des malfaçons, désordres, inachèvements et apparition de nouveaux désordres mis en évidence par les deux rapports d’expertise et les témoignages des salariés de l’EURL Pyrénées Jardin Concept produits, et alors que celle-ci entend obtenir le paiement de travaux inachevés et non conformes, de sorte qu’il ne peut être statué en l’état sans qu’un expert judiciaire ne se prononce.
L’affaire a été fixée à l’audience du 16 octobre 2024 pour y être plaidée.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
DECLARE recevable l’appel interjeté par l’EURL Pyrénées Jardin Concept,
CONFIRME l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
DEBOUTE l’EURL Pyrénées Jardin Concept de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE l’EURL Pyrénées Jardin Concept à payer à Mme [E] [I] et M. [X] [N] la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE l’EURL Pyrénées Jardin Concept aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme HAUGUEL, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Sylvie HAUGUEL Caroline FAURE
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