Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Métiers de l’internet : clause de non-concurrence jugée nulle
→ RésuméLa clause de non-concurrence imposée à un salarié doit être précise et limitée pour être valide. Dans l’affaire opposant Madame [H] à la société AD4Screen, le conseil de prud’hommes a jugé que la clause était trop large, engendrant sa nullité. En effet, elle interdisait à Madame [H] de travailler dans des secteurs trop variés, ce qui portait atteinte à sa liberté professionnelle. La société AD4Screen a été condamnée à verser des dommages et intérêts à Madame [H] pour la perte de son emploi, illustrant ainsi l’importance d’une rédaction rigoureuse des clauses de non-concurrence.
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La clause de non concurrence du salarié doit préciser les secteurs couverts par l’interdiction : viser l’informatique ou l’internet est beaucoup trop large et emporte nullité de la clause.
Le terme « d’activités similaires » figurant dans une clause de non concurrence est à proscrire : la clause est illicite si elle vise, non seulement les entreprises ayant pour activité le développement d’applications mobiles mais également tous les secteurs d’activité relatifs à la communication, à la publicité et au marketing et ce, d’autant plus que les illustrations données par la clause sont précédées du mot « notamment ». C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes a considéré que la clause litigieuse a défini un secteur professionnel d’exclusion trop large eu égard à la protection des intérêts légitimes de la société AD4Screen.
Il résulte des dispositions des articles 1231 et suivants du code civil que la mise en oeuvre, par l’employeur, d’une clause de non-concurrence nulle constitue une faute et que la salarié qui démontre qu’il en a résulté pour lui la perte de son emploi est fondé à obtenir réparation de son préjudice.
Il résulte de dispositions de l’article L 1121-1 du code du travail que, pour être valable, une clause de non-concurrence doit être limitée dans le temps et dans l’espace, doit comporter une contrepartie financière et que son atteinte au droit du salarié d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle doit être proportionnée à la nécessité de protéger les intérêts légitimes de l’entreprise.
La clause suivante a été censurée par la juridiction :
« Compte tenu des fonctions occupées par le salarié et notamment de ses connaissances du réseau, de l’organisation, des méthodes, propres à ‘entreprise, il est convenu que pendant une période de douze mois à compter de la fin du préavis ou, en l’absence de préavis, à compter de la rupture du contrat de travail, pour quelque raison que ce soit, le salarié s’interdit, sur l’ensemble du territoire français, que ce soit pour son propre compte ou pour le compte de tout tiers, qu’il s’agisse d’une personne physique, d’une société ou d’une autre forme d’entreprise, de directement ou indirectement :
– Solliciter ou tenter de détourner de la société ou de toute société qui lui est ou lui sera affiliée ou associée, la clientèle avec laquelle le salarié aura été en contact au cours des deux années précédant la date à laquelle le présent contrat de travail a pris fin au profit d’un concurrent de la société soit directement (au sein d’une entreprise concurrente : toute agence de marketing relationnel, toute régie publicitaire, toute plate-forme d’affiliation, de marketing à la performance, toute société de développement et/ou d’édition d’applications et de sites mobiles, tout producteur t/ou commercialisateur de données sur les internautes ou mobinautes) ou bien indirectement (via la régie, le courtier d’une entreprise concurrente) ; […]
Toute infraction aux dispositions de la présente clause donnera lieu, au profit de l’employeur, au versement de dommages et intérêts dont le montant est fixé forfaitairement à titre de clause pénale à un montant de 100 000 euros.
Le paiement de cette indemnité ne porterait pas atteinte au droit de la Société de poursuivre le salarié en justice en vue d’obtenir des dommages et intérêts et de faire cesser l’activité concurrentielle exercée par ce dernier.
En contrepartie de cette obligation de non concurrence, le salarié percevra, pendant toute la durée de l’interdiction, une contrepartie financière mensuelle égale à 33 % du salaire mensuel moyen de ses 24 derniers mois d’appartenance à la Société ».
Nos conseils :
1. Attention à la rédaction des clauses de non-concurrence dans les contrats de travail, en veillant à ce qu’elles soient limitées dans le temps et dans l’espace, proportionnées aux intérêts légitimes de l’entreprise et assorties d’une contrepartie financière adéquate.
2. Il est recommandé de définir de manière précise et circonscrite les activités concurrentes visées par une clause de non-concurrence, en évitant de délimiter un secteur professionnel d’exclusion trop large qui pourrait être considéré comme disproportionné.
3. En cas de litige lié à une clause de non-concurrence nulle, il est conseillé de prouver que la perte d’emploi résulte directement de l’application de cette clause, afin d’obtenir réparation du préjudice subi.
Madame [H] a été engagée par la société AD4Screen en janvier 2018 en tant que directrice des ventes « Back in App ». Après sa démission en juin 2019, elle a été embauchée par la société Adikteev en septembre de la même année. La société AD4Screen a estimé que Madame [H] avait violé sa clause de non-concurrence en travaillant pour un concurrent et a saisi le conseil de prud’hommes de Paris. Le conseil de prud’hommes a jugé que la clause de non-concurrence était nulle et a condamné la société AD4Screen à verser des dommages et intérêts à Madame [H]. La société AD4Screen a interjeté appel de ce jugement et demande maintenant à être indemnisée pour le non-respect de la clause de non-concurrence par Madame [H]. Madame [H], de son côté, demande la confirmation du jugement initial et des dommages et intérêts pour perte d’emploi au sein de la société Adikteev.
Les points essentiels
Sur la validité de la clause de non-concurrence et les demandes de la société AD4Screen
Aux termes de l’article 488 du code de procédure civile, l’ordonnance de référé n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée. En l’espèce, l’ordonnance rendue le 16 janvier 2020 par la formation de référé du conseil de prud’hommes de Paris est donc sans influence sur la solution qu’il convient de donner au présent litige. Il résulte de dispositions de l’article L 1121-1 du code du travail que, pour être valable, une clause de non-concurrence doit être limitée dans le temps et dans l’espace, doit comporter une contrepartie financière et que son atteinte au droit du salarié d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle doit être proportionnée à la nécessité de protéger les intérêts légitimes de l’entreprise.
Sur la demande reconventionnelle de Madame [H]
Il résulte des dispositions des articles 1231 et suivants du code civil que la mise en œuvre, par l’employeur, d’une clause de non-concurrence nulle constitue une faute et que la salarié qui démontre qu’il en a résulté pour lui la perte de son emploi est fondé à obtenir réparation de son préjudice. En l’espèce, Madame [H] établit avoir été embauchée le 9 septembre 2019 moyennant un salaire mensuel de 4 583 euros par la société Adikteev et produit, d’une part deux lettres de la société AD4Screen, adressées à elle-même ainsi qu’à son nouvel employeur, les mettant en demeure de mettre fin à leur relation contractuelle, et d’autre part une lettre de la société Adikteev, adressée à la société AD4Screen le 19 février 2020, annonçant avoir mis fin à son contrat de travail par lettre du 30 janvier en rompant sa période d’essai, expliquant avoir pris sa décision en raison du contentieux opposant les deux sociétés à propos de la clause de non-concurrence litigieuse. Madame [H] prouve ainsi que la perte de son nouvel emploi est en grande partie due à l’intervention de la société AD4Screen en application de la clause de non-concurrence nulle.
Les montants alloués dans cette affaire: – Indemnité pour frais de procédure à Madame [H]: 1 000 €
– Dépens à payer par la société AD4Screen: montant non précisé
– Dommages et intérêts à payer par la société AD4Screen à Madame [H]: 9 000 €
– Indemnité pour frais de procédure à Madame [H]: 2 000 €
Réglementation applicable
– Article 488 du code de procédure civile
– Article L 1121-1 du code du travail
– Articles 1231 et suivants du code civil
– Article 700 du code de procédure civile
Texte de l’article 488 du code de procédure civile:
« L’ordonnance de référé n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée. »
Texte de l’article L 1121-1 du code du travail:
« Pour être valable, une clause de non-concurrence doit être limitée dans le temps et dans l’espace, doit comporter une contrepartie financière et son atteinte au droit du salarié d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle doit être proportionnée à la nécessité de protéger les intérêts légitimes de l’entreprise. »
Texte des articles 1231 et suivants du code civil:
« La mise en œuvre d’une clause de non-concurrence nulle constitue une faute et le salarié qui en a résulté pour lui la perte de son emploi est fondé à obtenir réparation de son préjudice. »
Texte de l’article 700 du code de procédure civile:
« Sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il convient de condamner la société à payer une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu’elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts. »
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Céline GLEIZE de la SELARL VINCI
– Me Véronique DE LA TAILLE
– Me Amélie D’HEILLY
Mots clefs associés & définitions
– Validité de la clause de non-concurrence
– Ordonnance de référé
– Article L 1121-1 du code du travail
– Activités de la société AD4Screen
– Clause de non-concurrence dans le contrat de travail
– Contrepartie financière
– Activités concurrentes concernées
– Protection des intérêts légitimes de l’entreprise
– Secteur professionnel d’exclusion
– Montant de la contrepartie financière
– Nulle la clause litigieuse
– Demande reconventionnelle de Madame [H]
– Faute de l’employeur
– Perte de l’emploi
– Préjudice
– Frais hors dépens
– Indemnité de 1 000 euros
– Indemnité de 2 000 euros
– Validité de la clause de non-concurrence: question de savoir si une clause de non-concurrence dans un contrat de travail est légale et applicable
– Ordonnance de référé: décision provisoire rendue par un juge en urgence pour régler un litige
– Article L 1121-1 du code du travail: texte de loi qui traite des obligations de l’employeur envers le salarié
– Activités de la société AD4Screen: domaines d’activité dans lesquels la société AD4Screen opère
– Clause de non-concurrence dans le contrat de travail: clause interdisant au salarié d’exercer une activité concurrente après la fin de son contrat
– Contrepartie financière: somme d’argent versée au salarié en échange de l’application de la clause de non-concurrence
– Activités concurrentes concernées: activités similaires à celles de l’entreprise qui sont interdites au salarié
– Protection des intérêts légitimes de l’entreprise: objectif de la clause de non-concurrence visant à protéger les intérêts de l’entreprise
– Secteur professionnel d’exclusion: domaine d’activité dans lequel le salarié ne peut pas travailler après la fin de son contrat
– Montant de la contrepartie financière: somme d’argent fixée pour compenser l’interdiction de concurrence
– Nulle la clause litigieuse: constatation que la clause de non-concurrence est invalide
– Demande reconventionnelle de Madame [H]: demande formulée par Madame [H] en réponse à une action en justice
– Faute de l’employeur: comportement répréhensible de l’employeur ayant causé un préjudice au salarié
– Perte de l’emploi: conséquence de la fin du contrat de travail
– Préjudice: dommage subi par le salarié à cause de la clause de non-concurrence
– Frais hors dépens: frais engagés par les parties en dehors des dépens de l’affaire
– Indemnité de 1 000 euros: somme d’argent versée au salarié en réparation du préjudice subi
– Indemnité de 2 000 euros: montant supplémentaire accordé au salarié pour compenser un préjudice plus important
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
7 février 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/06304
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRET DU 07 FEVRIER 2024
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06304 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEBVP
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juin 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 20/01522
APPELANTE
S.A.S. AD4SCREEN
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Céline GLEIZE de la SELARL VINCI, avocat au barreau de PARIS, toque : L 47
INTIMEE
Madame [E] [H]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Véronique DE LA TAILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : K 148, avocat postulant, ayant pour avocat plaidant Me Amélie D’HEILLY, avocat au barreau de PARIS, toque : L 199
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Stéphane MEYER, Président de chambre
Monsieur Fabrice MORILLO, Conseiller
Madame Nelly CHRETIENNOT, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Madame [H] a été engagée par la société AD4Screen, pour une durée indéterminée à compter du 15 janvier 2018, en qualité de « business developper ». Elle exerçait en dernier lieu les fonctions de « Head of Sales BIA » (soit directrice des ventes « Back in App »), avec le statut de cadre. Son contrat de travail prévoyait une clause de non-concurrence, assortie d’une indemnité de non-concurrence et d’une clause pénale.
La relation de travail est régie par la convention collective « Syntec ».
Par lettre du 7 juin 2019, Madame [H] a notifié sa démission à la société AD4Screen.
Elle a été embauchée le 9 septembre suivant par la société Adikteev.
Par lettres du 11 octobre 2019, la société AD4Screen a mis en demeure Madame [H] et la société Adikteev de mettre fin à leurs relations contractuelles.
Le 30 janvier 2020, la société Adikteev a notifié à Madame [H] la rupture de sa période d’essai.
Parallèlement, estimant que Madame [H] avait violé ses obligations contractuelles de non-concurrence, la société AD4Screen a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes de Paris, laquelle a, par ordonnance du 16 janvier 2020, invité Madame [H] à cesser de violer sa clause de non-concurrence.
Le 21 février 2020, la société AD4Screen a saisi au fond le conseil de prud’hommes de Paris et formé des demandes à caractère indemnitaire. Madame [H] a formé à titre reconventionnel une demande d’indemnisation de sa perte d’emploi au sein de la société Adikteev.
Par jugement du 15 avril 2021, le conseil de prud’hommes de Paris, après avoir estimé que la clause de non-concurrence était nulle, a débouté la société AD4Screen de ses demandes et l’a condamnée à payer à Madame [H] 7 000 € de dommages et intérêts pour perte de son emploi au sein de la société Adikteev, une indemnité pour frais de procédure de 1 000 € et les dépens.
La société AD4Screen a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 9 juillet 2021, en visant expressément les dispositions critiquées.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er juin 2023, la société AD4Screen demande l’infirmation du jugement, la condamnation de Madame [H] à lui payer les sommes suivantes et le rejet de ses demandes :
– en application de la clause pénale prévue par le contrat de travail : 100 000 € ;
– dommages et intérêts pour comportement déloyal : 15 000 € ;
– remboursement de l’indemnité de non-concurrence versée : 691,03 € ;
– indemnité pour frais de procédure : 3 000 €.
Au soutien de ses demandes et en réplique à l’argumentation adverse, la société AD4Screen expose que :
– la clause de non-concurrence prévue par le contrat de travail de Madame [H] est valable ;
– Madame [H] a violé cette clause en travaillant pour le compte de la société Adikteev, société concurrente, malgré les mises en demeure reçues et l’ordonnance de référé ;
– elle rapporte la preuve de son préjudice ;
– la demande reconventionnelle de Madame [H] n’est pas fondée.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 octobre 2023, Madame [H] demande la confirmation du jugement en ce qu’il a jugé que la clause de non-concurrence était nulle et débouté la société AD4Screen de ses demandes, son infirmation pour le surplus, ainsi que la condamnation de cette dernière à lui payer 10 251 € de dommages et intérêts pour perte de son emploi au sein de la société Adikteev. A titre subsidiaire, elle demande que le montant de la pénalité conventionnelle soit fixé à un euro. Elle demande également la condamnation de la société AD4Screen au paiement d’une indemnité pour frais de procédure de 3 000 €. Elle fait valoir que :
– c’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a estimé que la clause de non concurrence était nulle ;
– à titre subsidiaire, le montant de la clause pénale est manifestement excessif ;
– la société AD4Screen ne rapporte pas la preuve du préjudice allégué ;
– les agissements de la société AD4Screen lui ont été préjudiciables.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 14 novembre 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la validité de la clause de non-concurrence et les demandes de la société AD4Screen
Aux termes de l’article 488 du code de procédure civile, l’ordonnance de référé n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée.
En l’espèce, l’ordonnance rendue le 16 janvier 2020 par la formation de référé du conseil de prud’hommes de Paris est donc sans influence sur la solution qu’il convient de donner au présent litige.
Il résulte de dispositions de l’article L 1121-1 du code du travail que, pour être valable, une clause de non-concurrence doit être limitée dans le temps et dans l’espace, doit comporter une contrepartie financière et que son atteinte au droit du salarié d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle doit être proportionnée à la nécessité de protéger les intérêts légitimes de l’entreprise.
En l’espèce, l’extrait Kbis produit par la société AD4Screen mentionne que son activité consiste en :
– « La recherche, la conception, l’élaboration, la création, le développement sous toutes ses formes d’outils liés à la mise en place des technologies innovantes d’affichages de bannières ciblées sur téléphone mobile, des technologies innovantes de collecte de base de données ‘mobilité’ via des systèmes d’information et de gestion en temps réel, des technologies de scoring et de datmining en temps réel, au développement des algorythmes informatiques basés sur des scénarii d’optimisation technique des campagnes »
– Elle expose qu’elle est spécialisée dans la publicité et le marketing (CRM mobile ou système de gestion de la relation client) sur l’internet mobile sur smartphone et tablettes,qu’elle s’est donnée plus particulièrement pour mission d’aider ses clients à mettre en place des campagnes publicitaires mobiles performantes afin d’améliorer la fidélité et l’engagement de leurs utilisateurs mobiles, ainsi que leur conversion vers une utilisation mobile et qu’elle a notamment développé une expertise particulière dans l’ « app retargeting », solution permettant d’inciter les utilisateurs d’applications mobiles à réutiliser régulièrement ces dernières après les avoir téléchargées, via une solution dénommée «back in app ».
C’est dans ce contexte que Madame [H] exerçait en dernier lieu les fonctions de « directrice des ventes « Back in App ».
Son contrat de travail stipulait une clause de non-concurrence ainsi rédigée :
« Compte tenu des fonctions occupées par le salarié et notamment de ses connaissances du réseau, de l’organisation, des méthodes, propres à ‘entreprise, il est convenu que pendant une période de douze mois à compter de la fin du préavis ou, en l’absence de préavis, à compter de la rupture du contrat de travail, pour quelque raison que ce soit, le salarié s’interdit, sur l’ensemble du territoire français, que ce soit pour son propre compte ou pour le compte de tout tiers, qu’il s’agisse d’une personne physique, d’une société ou d’une autre forme d’entreprise, de directement ou indirectement :
– Solliciter ou tenter de détourner de la société ou de toute société qui lui est ou lui sera affiliée ou associée, la clientèle avec laquelle le salarié aura été en contact au cours des deux années précédant la date à laquelle le présent contrat de travail a pris fin au profit d’un concurrent de la société soit directement (au sein d’une entreprise concurrente : toute agence de marketing relationnel, toute régie publicitaire, toute plate-forme d’affiliation, de marketing à la performance, toute société de développement et/ou d’édition d’applications et de sites mobiles, tout producteur t/ou commercialisateur de données sur les internautes ou mobinautes) ou bien indirectement (via la régie, le courtier d’une entreprise concurrente) ; […]
– Entrer au service d’une entreprise ayant une activité concurrente ou similaire à celle de la société (notamment toute agence de marketing relationnel, toute régie publicitaire, toute plate-forme d’affiliation, de marketing à la performance, toute société de développement et/ou d’édition d’applications et de sites mobiles, tout producteur et/ou commercialisateur de données sur les internautes ou mobinautes).
En contrepartie de cette obligation de non concurrence, le salarié percevra, pendant toute la durée de l’interdiction, une contrepartie financière mensuelle égale à 33 % du salaire mensuel moyen de ses 24 derniers mois d’appartenance à la Société.[…]
Toute infraction aux dispositions de la présente clause donnera lieu, au profit de l’employeur, au versement de dommages et intérêts dont le montant est fixé forfaitairement à titre de clause pénale à un montant de 100 000 euros.
Le paiement de cette indemnité ne porterait pas atteinte au droit de la Société de poursuivre le salarié en justice en vue d’obtenir des dommages et intérêts et de faire cesser l’activité concurrentielle exercée par ce dernier.
En contrepartie de cette obligation de non concurrence, le salarié percevra, pendant toute la durée de l’interdiction, une contrepartie financière mensuelle égale à 33 % du salaire mensuel moyen de ses 24 derniers mois d’appartenance à la Société ».
la société AD4Screen fait valoir que cette clause n’interdisait pas à la salariée d’entrer au service de toute entreprise ayant une activité concurrente ou similaire, mais délimitait précisément les activités concurrentes concernées par cette interdiction et que l’ensemble des activités visées par cette clause correspondait à ses activité réelles, qui étaient soumises à une pression concurrentielle très importante, à savoir :
– l’activité d’agence de marketing relationnel, au c’ur de son activité, qu’elle présente comme une stratégie de marketing visant à établir et à entretenir une relation individualisée entre une marque et ses clients, à les accompagner dans leur parcours d’achat et à les fidéliser ;
– l’activité de plate-forme d’affiliation, solution technologique et de conseil qui met « l’afilieur » en contact avec un réseau d’affiliés qu’il a préalablement sélectionné, pour promouvoir son produit ou son service ;
– l’activité de prestataire de marketing à la performance, qui consiste à corréler la rémunération des prestataires intervenant dans le cadre d’une campagne marketing en fonction de leur performance mesurée sur des critères objectifs ;
– l’activité de production de données sur les internautes et les mobinautes, laquelle s’est largement développée avec le lancement de l’application « Backinapp » et qui consiste à relancer un mobinaute ayant téléchargé une application en fonction de son comportement ;
– l’activité de régie publicitaire, qui consiste à commercialiser des espaces publicitaires auprès de clients annonceurs ;
– la conception de sites mobiles, qui est l’une de ses activités pionnières.
Cependant, les pièces produites par la société AD4Screen au sujet de ces activités concernent, soit exclusivement la téléphonie mobile, soit sont postérieures au départ de Madame [H] de l’entreprise.
Par ailleurs, Madame [H] relève à juste titre que le terme d’activité «similaire» figurant dans la clause litigieuse, vise, non seulement les entreprises ayant pour activité le développement d’applications mobiles mais également tous les secteurs d’activité relatifs à la communication, à la publicité et au marketing et ce, d’autant plus que les illustrations données par la clause sont précédées du mot « notamment ».
C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes a considéré que la clause litigieuse a défini un secteur professionnel d’exclusion trop large eu égard à la protection des intérêts légitimes de la société AD4Screen.
Au surplus, Madame [H] fait valoir à juste titre, d’une part, qu’elle n’a exercé ses fonctions au sein de la société AD4Screen que pendant moins de 15 mois, dont 6 mois en qualité de directrice des ventes, alors que, précédemment, elle avait exercé, pendant 10 ans différentes fonctions exclusivement dans des secteurs d’activité relatifs à la communication, la publicité et le marketing et d’autre part que le montant de la contrepartie financière de la clause est trop faible compte tenu de l’étendue de son champ d’application, ce dont il résulte que cette clause aurait eu pour conséquence de l’empêcher de travailler dans le secteur correspondant à sa formation et à sa qualification et aurait limité sa liberté de travail de façon disproportionnée au regard de la protection des intérêts légitimes de la société AD4Screen.
C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes a déclaré nulle la clause litigieuse et débouté en conséquence la société AD4Screen de ses demandes.
Sur la demande reconventionnelle de Madame [H]
Il résulte des dispositions des articles 1231 et suivants du code civil que la mise en oeuvre, par l’employeur, d’une clause de non-concurrence nulle constitue une faute et que la salarié qui démontre qu’il en a résulté pour lui la perte de son emploi est fondé à obtenir réparation de son préjudice.
En l’espèce, Madame [H] établit avoir été embauchée le 9 septembre 2019 moyennant un salaire mensuel de 4 583 euros par la société Adikteev et produit, d’une part deux lettres de la société AD4Screen, adressées à elle-même ainsi qu’à son nouvel employeur, les mettant en demeure de mettre fin à leur relation contractuelle, et d’autre part une lettre de la société Adikteev, adressée à la société AD4Screen le 19 février 2020, annonçant avoir mis fin à son contrat de travail par lettre du 30 janvier en rompant sa période d’essai, expliquant avoir pris sa décision en raison du contentieux opposant les deux sociétés à propos de la clause de non-concurrence litigieuse.
Madame [H] prouve ainsi que la perte de son nouvel emploi est en grande partie due à l’intervention de la société AD4Screen en application de la clause de non-concurrence nulle.
A la suite de cette rupture, Madame [H] établit être restée sans emploi jusqu’en septembre 2020
Cependant, il n’est pas certain que, sans l’intervention de la société AD4Screen, la société Adikteev n’aurait pas mis fin à la période d’essai de Madame [H].
Cette dernière a donc seulement perdu une chance de conserver son nouvel emploi, dans une proportion néanmoins importante, lui occasionnant un préjudice qu’il convient d’évaluer à 9 000 euros, infirmant le jugement quant au montant retenu.
Sur les frais hors dépens
Sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société AD4Screen à payer à Madame [H] une indemnité de 1 000 euros destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu’elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et y ajoutant, de la condamner au paiement d’une indemnité de 2 000 euros
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société AD4Screen de ses demandes et l’a condamnée à payer à Madame [H] une indemnité pour frais de procédure de 1 000 € et les dépens ;
Infirme le jugement en ce qu’il a condamné la société AD4Screen à payer à Madame [H] 7 000 € de dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau sur ce point infirmé ;
Condamne la société AD4Screen à payer à Madame [H] 9 000 € de dommages et intérêts ;
Y ajoutant ;
Condamne la société AD4Screen à payer à Madame [H] une indemnité pour frais de procédure de 2 000 € .
Déboute la société AD4Screen de ses demandes ;
Déboute Madame [H] du surplus de ses demandes ;
Condamne la société AD4Screen aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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