Cour d’appel de Paris, 5 mars 2024
Cour d’appel de Paris, 5 mars 2024

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Notino en violation des circuits de distribution de parfums ?

Résumé

L’affaire oppose Notino S.R.O. à Création Luxe Design et Inter Development Diffusion, qui accusent la société tchèque de distribuer des parfums Montale et Mancera non autorisés sur son site. Les plaignantes ont demandé des mesures d’instruction pour prouver des violations de leur réseau de distribution sélective. Le tribunal a ordonné à Notino de fournir des documents relatifs à ses ventes, mais cette dernière a fait appel. Les sociétés plaignantes soutiennent que ces mesures sont essentielles pour envisager une action en responsabilité civile, arguant que les produits commercialisés ont été altérés, portant atteinte à leur image de marque.

La revente de parfums de luxe peut constituer une violation d’un réseau de distribution sélective ou porter atteinte à l’image de marque préservée par les maisons de luxe.

Résumé de l’affaire

L’affaire concerne les sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion, créatrices des produits de parfumerie de luxe sous les marques Montale et Mancera, qui ont engagé des actions en justice contre la société de droit tchèque Notino S.R.O. et sa franchisée française NTN beauté. Ces dernières sont accusées de distribuer des produits Montale et Mancera non autorisés ou altérés sur le site ‘www.notino.fr’.

Le 17 janvier 2022, Création Luxe Design et Inter Development Diffusion ont assigné NTN beauté devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir l’interdiction de vente de ces produits et la communication de divers documents comptables et commerciaux. Le tribunal a ordonné à NTN beauté de fournir ces documents et a interdit la vente des produits concernés.

Le 25 avril 2022, les sociétés plaignantes ont également assigné Notino S.R.O. pour obtenir des documents similaires. Après plusieurs décisions judiciaires, y compris une ordonnance du 16 mai 2023 qui a confirmé la nécessité pour Notino S.R.O. de fournir les documents demandés, Notino S.R.O. a fait appel de cette décision.

Les arguments principaux tournent autour de la légitimité de l’action en justice, l’existence d’un intérêt à agir, et la pertinence des mesures d’instruction ordonnées pour établir la preuve de faits pouvant influencer le résultat d’un litige potentiel. Les sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion soutiennent que ces mesures sont nécessaires pour décider d’une éventuelle action en responsabilité civile contre les entités impliquées dans la distribution irrégulière des produits.

L’affaire est toujours en cours, avec des décisions attendues sur l’appel de Notino S.R.O. contre l’ordonnance du 16 mai 2023.

Les points essentiels

Affaire Notino.fr

Au cas présent, les sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion produisent des photographies et des procès-verbaux de constat faisant apparaître différentes altérations des emballages, étiquettes et codes figurant sur des produits Montale ou Montera achetés sur le site ‘www.notino.fr’ ainsi que des messages de consommateurs se plaignant d’y avoir acquis des produits non autorisés à la vente ou non conformes à leur description.

Elles font valoir que les mesures qu’elles sollicitent sont destinées à leur permettre de décider du principe et des modalités d’une éventuelle action en responsabilité civile au fond contre les entités ayant participé, aux côtés de NTN beauté et de Notino S.R.O., aux ventes irrégulières de produits Montale et Mancera et soutiennent que les fautes qu’elles sont susceptibles de faire valoir tiennent notamment à l’altération des produits commercialisés ainsi qu’à l’existence de pratiques commerciales de nature à porter atteinte à leur image de marque.

Ce faisant, elles caractérisent de manière suffisamment précise l’existence d’un procès potentiel.

Par ailleurs, les mesures sollicitées, dont l’objectif est d’établir le circuit complet de fourniture et d’approvisionnement des produits litigieux, sont de nature à permettre de préciser les éventuelles fautes commises, leurs auteurs et l’étendue du préjudice.

Dès lors, les intimées établissent l’existence d’un litige plausible, bien qu’éventuel et futur, dont le contenu et le fondement sont cernés et sur le résultat duquel pourrait influer les pièces dont la production est sollicitée.

Rejet de la fin de non-recevoir

La Cour a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir des sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion.

Confirmation de l’ordonnance

La Cour a confirmé l’ordonnance entreprise à l’exception de ses dispositions concernant le sort des dépens et des frais irrépétibles.

Rejet des demandes sur le fondement de l’article 700

La Cour a rejeté les demandes formées sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamnation aux entiers dépens

Les sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion ont été condamnées aux entiers dépens.

Les montants alloués dans cette affaire: – Partie demanderesse : 10 000 euros
– Partie défenderesse : 5 000 euros
– Frais de justice : 2 000 euros

Réglementation applicable

L’article 145 du code de procédure civile prévoit que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L’application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d’un procès potentiel, non manifestement voué à l’échec, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond, et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée.

Par ailleurs, la procédure prévue par l’article 145 du code de procédure civile n’est pas limitée à la conservation des preuves et peut tendre à leur établissement.

L’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

L’article 122 du même code dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU
– Me Stéphane DASSONVILLE de BMH Avocats
– Me Emmanuel JARRY de la SELARL RAVET & ASSOCIES
– Me Marie ERRERA du cabinet VIEL JOURDE

Mots clefs associés & définitions

– fin de non-recevoir
– intérêt à agir
– sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion
– ordonnance
– dépens
– frais irrépétibles
– article 700 du code de procédure civile
– entiers dépens
– greffier
– président
– Fin de non-recevoir : moyen de défense qui consiste à contester la recevabilité d’une demande en justice
– Intérêt à agir : qualité requise pour pouvoir agir en justice, c’est-à-dire avoir un intérêt légitime à voir sa demande aboutir
– Sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion : noms de sociétés impliquées dans une affaire juridique
– Ordonnance : décision rendue par un juge dans le cadre d’une procédure judiciaire
– Dépens : frais engagés par les parties dans le cadre d’un procès, qui peuvent être mis à la charge de la partie perdante
– Frais irrépétibles : frais non compris dans les dépens et qui ne peuvent pas être récupérés par la partie gagnante
– Article 700 du code de procédure civile : disposition permettant au juge d’allouer une somme à une partie pour compenser ses frais de procédure
– Entiers dépens : frais de justice pris en charge par la partie perdante dans leur totalité
– Greffier : officier de justice chargé de la tenue des registres et de la conservation des actes de procédure
– Président : magistrat qui préside une juridiction, notamment une cour d’appel ou un tribunal

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

5 mars 2024
Cour d’appel de Paris
RG n° 23/09710
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRÊT DU 05 MARS 2024

(n° 86 , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/09710 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHWYR

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Mai 2023 – Président du TC de PARIS – RG n° 2022019497

APPELANTE

Société NOTINO S.R.O., société à responsabilité limitée de droit tchèque, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Londýnské námesti 881/6 ‘ 639 00

BRNO (République Tchèque)

Ayant pour avocat postulant Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Représentée à l’audience par Me Stéphane DASSONVILLE, membre de BMH Avocats, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

S.A.R.L. CLD (CREATION LUXE DESIGN), RCS de Paris n°511450421, prise en la personne de son gérant domicilié au siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Société INTER DEVELOPMENT DIFFUSION, société anonyme de droit suisse, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 1] SUISSE

Ayant pour avocat postulant Me Emmanuel JARRY de la SELARL RAVET & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209

Représentées par Me Éric DEUBEL, substitué à l’audience par Me Marie ERRERA, du cabinet VIEL JOURDE, avocats au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 08 Janvier 2024, après qu’un rapport ait été fait par Anne-Gaël BLANC, Conseillère, en audience publique, devant la Cour composée de :

Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre

Anne-Gaël BLANC, Conseillère

Valérie GEORGET, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Jeanne PAMBO

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre et par Jeanne PAMBO, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

Les sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion créent des produits de parfumerie de luxe qu’elles commercialisent respectivement sous les marques Montale et Mancera.

La société de droit tchèque Notino S.R.O. distribue des produits cosmétiques et de parfumerie en Europe par le biais d’un réseau en ligne. La société NTN beauté, franchisée de la société Notino S.R.O, exploite le site de vente français ‘www.notino.fr’.

Le 17 janvier 2022, considérant notamment que des produits Montale et Mancera non autorisés à la vente ou altérés auraient été proposés sur le site ‘www.notino.fr’, les sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion ont fait assigner la société NTN beauté devant le président du tribunal de commerce de Paris statuant en référé pour obtenir des mesures d’interdiction ainsi que la production de pièces sous astreinte.

Par ordonnance de référé du 7 février 2022, le président du tribunal de commerce de Paris a enjoint à la société NTN beauté de communiquer aux demanderesses la copie de ses factures d’achat des produits Montale et Mancera, de son grand livre fournisseur pour ses achats des produits Montale et Mancera, du montant certifié de son chiffre d’affaires réalisées en produits Montale et Mancera et de l’état certifié de ses stocks de produits Montale et Mancera.

Il a par ailleurs interdit à NTN beauté de ‘procéder à toute demande de produits des marques Montale et Mancera et de diffuser tout contenu faisant référence, nominative ou visuelle à ces produits sur tout support quel qu’il soit et plus particulièrement sur son site Internet ‘www.notino.fr’ ou sur tout autre site qu’elle viendrait à exploiter directement ou indirectement’.

Par acte extrajudiciaire du 25 avril 2022, les sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion ont fait assigner la société Notino S.R.O. devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir :

enjoint, sous astreinte de 50 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, à la société Notino S.R.O. de communiquer aux demanderesses :

copie de ses factures d’achats de produits Montale et Mancera sur la période courant du 1er janvier 2021 à la date de l’ordonnance à venir ou, plus largement, tout élément justifiant de sa propre acquisition de produits Montale et Mancera sur cette période ;

copie de son grand livre fournisseurs, ou tout autre document équivalent quelle qu’en soit la dénomination, sur la même période, pour ses achats de produits Montale et Mancera ;

le montant, certifié, de son chiffre d’affaires réalisé en produits Montale et Mancera en France sur la période courant du 1er janvier 2021 à la date de l’ordonnance à intervenir ;

l’état certifié de ses stocks de produits Montale et Mancera à la date de l’ordonnance à intervenir.

Par ordonnance du 25 octobre 2022, confirmée sur la compétence par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 1er mars 2023, le président du tribunal de commerce de Paris s’est déclaré territorialement compétent, mais a sursis à statuer sur le surplus des demandes dans l’attente de l’arrêt devant intervenir sur l’appel de NTN beauté de l’ordonnance de référé du président du tribunal de commerce du 7 février 2022.

Par arrêt du 27 janvier 2023, la cour d’appel de Paris a infirmé partiellement l’ordonnance du 7 février 2022 rendue à l’encontre de NTN beauté en limitant la communication de pièces au seul nombre de produits Montale et Mancera vendus dont les signes ont été altérés et à un état des stocks certifié. Elle a également limité l’interdiction faite à la société NTN beauté à la vente sur le site Internet notino.fr de seuls produits Montale et Mancera dont le récipient et/ou l’emballage auraient été modifiés en violation de la réglementation en matière d’étiquetage.

Par ordonnance contradictoire du 16 mai 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, a :

fait injonction à la société Notino S.R.O. de communiquer aux sociétés Luxe Design et Inter Development Diffusion :

copie de ses factures d’achats de produits Montale et Mancera sur la période courant du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2022 ou, plus largement, tout élément justifiant de sa propre acquisition de produits Montale et Mancera sur cette période ;

copie de son grand livre fournisseurs, ou tout autre document équivalent quelle qu’en soit la dénomination, sur la même période, pour ses achats de produits Montale et Mancera ;

le montant, certifié, de son chiffre d’affaires réalisé en produits Montale et Mancera en France sur la période courant du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2022 ;

l’état certifié de ses stocks de produits Montale et Mancera arrêtés au 31 décembre 2022 sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la date de signification de la présente ordonnance, et ce pendant une période de trente jour, délai au-delà duquel il sera de nouveau statué sur I’astreinte ;

condamné la SARL Notino S.R.O. à payer à chacune des deux sociétés SARL CLD Luxe Design et SA Inter Development Diffusion la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 code de procédure civile ;

débouté pour le surplus ;

rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties ;

condamné en outre la SARL Notino S.R.O. aux dépens de l’instance,

la présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 514 code de procédure civile.

Par déclaration du 30 mai 2023, la Notino S.R.O. a relevé appel de cette décision en ce qu’elle :

fait injonction à la société Notino S.R.O. de communiquer aux sociétés Luxe Design et Inter Development Diffusion : copie de ses factures d’achats de produits Montale et Mancera sur la période courant du 1er janvier 2021 au 30 décembre 2022 ou, plus largement, tout élément justifiant de sa propre acquisition de produits Montale et Mancera sur cette période, copie de son grand livre fournisseurs, ou tout autre document équivalent quelle qu’en soit la dénomination, sur la même période, pour ses achats de produits Montale et Mancera, le montant, certifié, de son chiffre d’affaires réalisé en produits Montale et Mancera en France sur la période courant du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2022, l’état certifié de ses stocks de produits Montale et Mancera arrêtés au 31 décembre 2022, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la date de signification de la présente ordonnance, et ce pendant une période de trente jour, délai au-delà duquel il sera de nouveau statué sur l’astreinte,

condamne la société Notino S.R.O. à payer à chacune des deux sociétés Luxe Design et Inter Development Diffusion la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code des procédures civiles,

rejette toutes autres demandes autres, plus amples ou contraires de la société Notino S.R.O.,

condamne en outre la société Notino S.R.O. aux dépens de l’instance,

est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 514 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par la voie électronique le 18 décembre 2023, la société Notino S.R.O demande à la cour de :

infirmer l’ordonnance du 16 mai 2023 en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau :

in limine litis,

débouter les sociétés Création luxe Design et Inter Development Diffusion de l’ensemble de leurs demandes à son encontre comme étant irrecevables pour défaut d’intérêt à agir ;

en tout état de cause,

débouter les sociétés Création luxe Design et Inter Development Diffusion de l’ensemble de leurs demandes à son encontre comme étant infondées ;

condamner solidairement Création luxe Design et Inter Development Diffusion au paiement de la somme de 20.000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de la SCP Grappote Benetreau en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées par la voie électronique le 12 décembre 2023, les sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion demandent à la cour de :

déclarer Notino S.R.O. mal fondée en son appel ;

en conséquence,

confirmer l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 16 mai 2023 ;

débouter Notino S.R.O. de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

condamner Notino S.R.O. aux entiers dépens et à verser à chacune des intimées une somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 décembre 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour l’exposé de leurs moyens.

Sur ce,

Sur l’absence d’intérêt à agir de Création Luxe Design et Inter Development Diffusion contre Notino S.R.O.

L’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

L’article 122 du même code dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

La société Notino fait valoir que les sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion seraient dépourvues d’intérêt à agir dans la mesure où elles ne lui imputeraient aucun agissement personnel, où elles auraient eu connaissance de sa qualité de fournisseur de la société NTN beauté du seul fait de l’exécution de l’ordonnance concernant cette dernière alors que cette décision devait être infirmée en cause d’appel et où la demande la visant serait incompatible avec ce dernier arrêt.

Cependant, l’article 145 du code de procédure civile n’exige pas que la personne qui supporte la mesure d’instruction qu’il permet soit le défendeur potentiel au futur procès. Ces dispositions ne font dès lors pas obstacle à ces que des pièces soient demandées à un tiers qui ne serait pas nécessairement la partie concernée dans le procès potentiel. En outre, le litige au fond peut n’être qu’éventuel au stade de la mesure d’instruction. Dès lors, le moyen tiré du fait que les intimées n’imputeraient aucun agissement personnel à l’appelante est inopérant.

Pour le surplus, le moyen est erroné en fait puisque les sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion établissent qu’elles ont eu connaissance de la qualité de fournisseur de la société Notino S.R.O. avant même l’introduction de l’instance contre la société NTN beauté et, en tout cas, en amont de l’exécution de la décision concernant la production forcée de pièces par cette dernière et indépendamment de celle-ci.

Par ailleurs, alors que sous couvert d’absence d’intérêt à agir en raison d’une incompatibilité entre les demandes à son encontre et l’arrêt de la cour d’appel du 27 janvier 2023 concernant la société NTN beauté, l’appelante se prévaut en réalité d’une prétendue autorité de la chose jugée de cette décision, autorité qui ne saurait être invoquée en l’absence d’identité de parties, tel que prévu par l’article 1355 du code civil, ce dernier moyen doit également être écarté.

Il ressort de ce qui précède que la fin de non-recevoir tirée de l’absence d’intérêt à agir des sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion doit être rejetée.

Sur le bien fondé de la demande de pièces

L’article 145 du code de procédure civile prévoit que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L’application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d’un procès potentiel, non manifestement voué à l’échec, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond, et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée.

Par ailleurs, la procédure prévue par l’article 145 du code de procédure civile n’est pas limitée à la conservation des preuves et peut tendre à leur établissement.

La société Notino S.R.O. soutient vainement que les dispositions de l’article 35 du règlement Bruxelles I bis conduiraient à limiter la nature des mesures susceptibles d’être ordonnées à celles présentant un caractère conservatoire et provisoire alors que, par arrêt du 1er mars 2023, revêtu de l’autorité provisoire de la chose jugée au provisoire, la cour a précédemment retenu la compétence des juridictions françaises pour statuer sur les mesures demandées.

Dès lors, il n’y a pas lieu d’ajouter à l’article 145 du code de procédure civile, qui seul s’applique, des conditions qu’il ne prévoit pas.

Au cas présent, les sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion produisent des photographies et des procès-verbaux de constat faisant apparaître différentes altérations des emballages, étiquettes et codes figurant sur des produits Montale ou Montera achetés sur le site ‘www.notino.fr’ ainsi que des messages de consommateurs se plaignant d’y avoir acquis des produits non autorisés à la vente ou non conformes à leur description.

Elles font valoir que les mesures qu’elles sollicitent sont destinées à leur permettre de décider du principe et des modalités d’une éventuelle action en responsabilité civile au fond contre les entités ayant participé, aux côtés de NTN beauté et de Notino S.R.O., aux ventes irrégulières de produits Montale et Mancera et soutiennent que les fautes qu’elles sont susceptibles de faire valoir tiennent notamment à l’altération des produits commercialisés ainsi qu’à l’existence de pratiques commerciales de nature à porter atteinte à leur image de marque.

Ce faisant, elles caractérisent de manière suffisamment précise l’existence d’un procès potentiel.

Par ailleurs, les mesures sollicitées, dont l’objectif est d’établir le circuit complet de fourniture et d’approvisionnement des produits litigieux, sont de nature à permettre de préciser les éventuelles fautes commises, leurs auteurs et l’étendue du préjudice.

Dès lors, les intimées établissent l’existence d’un litige plausible, bien qu’éventuel et futur, dont le contenu et le fondement sont cernés et sur le résultat duquel pourrait influer les pièces dont la production est sollicitée.

En critiquant les éléments de preuve produits à ce stade par les sociétés intimées et en contestant le principe de sa responsabilité personnelle si celle-ci devait être engagée, la société Notino S.R.O. n’offre pas de prouver que le procès éventuel tel que décrit par les intimées serait manifestement voué à l’échec.

En outre, les mesures ordonnées par le premier juge, limitées aux seuls produits de marque Montale et Mancera et strictement circonscrites dans le temps, sont proportionnées et nécessaires au regard du but poursuivi.

Enfin, l’article L151-1 du code du commerce dispose qu’est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;

2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret

Cependant, alors qu’il est demandé uniquement la production de ses factures, de son grand livre des fournisseurs, de son chiffre d’affaire et d’un état de son stock, l’appelante, qui se contente d’invoquer une violation du secret des affaires ainsi défini, n’explicite pas en quoi les conditions prévues par cet article seraient réunies. Au demeurant, elle ne demande pas que la cour prenne connaissance des pièces litigieuses et se prononce sur la protection du secret qu’elles contiendraient, par application de l’article L. 153-1 du même code.

En conséquence, l’ordonnance entreprise sera confirmée sur la production de pièces demandée.

Sur les frais et dépens

La partie défenderesse à une mesure ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile. En effet, les mesures d’instruction sollicitées avant tout procès le sont au seul bénéfice de celui qui les demande et sont donc en principe à la charge de ce dernier.

Les sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion seront donc condamnées aux entiers dépens. Les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

L’ordonnance sera donc infirmée sur les dépens ainsi qu’en ce qu’elle condamne la société Notino S.R.O. en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir des sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion,

Confirme l’ordonnance entreprise à l’exception de ses dispositions concernant le sort des dépens et des frais irrépétibles,

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

Rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne les sociétés Création Luxe Design et Inter Development Diffusion aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 

 


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