Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Sculpture contemporaine : atteinte au droit moral des auteurs
→ RésuméL’affaire opposant les artistes contemporains *LLND à la société d’exploitation de l’hôtel [7] concerne la sculpture « Speaker Mouths », partiellement démontée sans consentement. Le tribunal a reconnu une atteinte au droit moral des auteurs, leur accordant 5 000 euros de dommages-intérêts. La responsabilité de la société SEHRF n’a pas été engagée, car le contrat de dépôt avait expiré. Les artistes ont interjeté appel, demandant une indemnisation supplémentaire pour la destruction de l’œuvre. La médiation a été envisagée pour résoudre le litige, soulignant l’importance de respecter les termes contractuels dans la conservation des œuvres d’art.
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L’affaire concerne un litige entre les artistes contemporains *LLND et la société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] concernant une sculpture monumentale intitulée « Speaker Mouths » exposée dans le jardin de l’hôtel.
Les artistes ont mandaté une représentante pour promouvoir l’œuvre, mais celle-ci a été démontée partiellement par l’hôtel sans leur consentement. Après plusieurs procédures judiciaires, le tribunal a statué en faveur des artistes en reconnaissant une atteinte à leur droit moral d’auteur et en leur accordant des dommages et intérêts. Les parties ont interjeté appel et ont convenu de participer à une médiation pour trouver une solution amiable.
Les artistes demandent à la cour de reconnaître la responsabilité de l’hôtel pour la destruction de l’œuvre et de leur accorder des dommages et intérêts supplémentaires. La société d’exploitation de l’hôtel demande quant à elle le rejet des demandes des artistes et réclame des dommages et intérêts pour l’obligation de conservation de l’œuvre.
La solution juridique apportée à cette affaire est la suivante :
– La responsabilité de la société SEHRF n’est pas engagée en raison de l’expiration du contrat de dépôt à partir du 1er juin 2014, date à laquelle le dépôt était convenu de prendre fin. Par conséquent, sa responsabilité délictuelle n’est pas établie.
– Les dégradations constatées sur l’œuvre ne sont pas imputables à la SEHRF, qui n’a pas commis de faute dans sa conservation. Les consorts [T]-[N] n’ont pas pris les mesures nécessaires pour protéger l’œuvre malgré une prolongation du dépôt au-delà de la durée initialement convenue.
– En ce qui concerne l’atteinte au droit moral des auteurs, il a été reconnu que l’utilisation du socle de l’œuvre pour une autre sculpture sans autorisation constitue une atteinte au respect de l’œuvre. Un préjudice de 5 000 euros a été évalué en conséquence.
– La demande reconventionnelle de la SEHRF pour les frais de stockage a été rejetée.
En conclusion, la responsabilité de la SEHRF n’est pas engagée, mais une indemnisation de 5 000 euros a été accordée pour l’atteinte au droit moral des auteurs.
1. Il est important de respecter les termes convenus dans un contrat de dépôt, notamment en ce qui concerne la durée du dépôt et les modalités de restitution de l’œuvre. Tout manquement à ces termes peut entraîner des conséquences juridiques.
2. En cas de litige concernant la responsabilité contractuelle ou délictuelle d’une partie dans un contrat de dépôt, il est essentiel de fournir des preuves tangibles pour étayer ses arguments. Les courriels, les constats d’huissier et toute correspondance écrite peuvent être des éléments clés pour défendre sa position.
3. En cas d’atteinte au droit moral des auteurs d’une œuvre, il est important de prouver le préjudice subi et d’évaluer de manière juste et équitable les dommages-intérêts à réclamer. Il est également essentiel de tenir compte de la valeur artistique de l’œuvre et de l’impact de l’atteinte sur son intégrité.
Sur le chef du jugement non contesté
Le jugement n’est pas contesté en ce qu’il a jugé que l’accord entre les parties relativement à l’exposition de l’oeuvre s’analyse en un contrat de dépôt.
Sur la responsabilité de la société SEHRF
[Z] [T], [M] [N] et [C] [T] font valoir que le SEHRF a commis une violation de son obligation contractuelle de garde et de conservation de l’oeuvre. La Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] soutient qu’il existait un accord de volonté entre les deux parties pour que le contrat prenne fin en septembre 2013. La cour constate que les parties se sont mises d’accord pour le dépôt de l’oeuvre litigieuse selon mail de confirmation de la société SEHRF du 27 mars 2013.
Sur l’atteinte au droit moral des auteurs
M. [Z] [T] et Mme [M] [N] font valoir qu’il a été porté atteinte à l’intégrité de l’oeuvre ainsi qu’à son esprit du fait qu’une partie de l’oeuvre a servi de socle pour une autre sculpture sans autorisation des auteurs. La SEHRF soutient que la sculpture litigieuse était démontable et que les éléments de l’oeuvre pouvaient être dissociés. Le tribunal a constaté qu’il avait été porté atteinte au respect de l’oeuvre en ce que son socle, qui faisait partie de l’ensemble sonore et visuel interactif, a été utilisé comme support d’une autre sculpture.
Réglementation applicable
– Article 455 du code de procédure civile
– Article 1240 du code civil
– Article 1921 du code civil
– Article 1927 du code civil
Avocats et magistrats intervenants
– Me Frédéric THOMAS
– Me Jean-Marc BOCCARA
– Me Christophe PACHALIS
– Me Françoise HECQUET
Mots-clefs
– Motifs de la décision
– Article 455 du code de procédure civile
– Contrat de dépôt
– Responsabilité de la société SEHRF
– Obligation contractuelle de garde et de conservation
– Dépôt volontaire
– Soins apportés dans la garde de la chose déposée
– Courrier de la SEHRF demandant l’enlèvement de l’œuvre
– Responsabilité délictuelle
– Atteinte au droit moral des auteurs
– Utilisation du socle de l’œuvre comme support d’une autre sculpture
– Préjudice moral
– Demande reconventionnelle de la SEHRF
– Frais de stockage
Définitions juridiques
– Motifs de la décision: Raisons justifiant la décision prise par le tribunal ou la cour.
– Article 455 du code de procédure civile: Article de loi qui prévoit que le juge doit motiver sa décision en indiquant les éléments de preuve sur lesquels il se fonde.
– Contrat de dépôt: Contrat par lequel une personne confie la garde d’une chose à une autre personne.
– Responsabilité de la société SEHRF: Obligation pour la société SEHRF de répondre des dommages causés par ses actes ou ses manquements.
– Obligation contractuelle de garde et de conservation: Devoir de la personne qui reçoit un dépôt de prendre soin de la chose déposée et de la conserver.
– Dépôt volontaire: Dépôt effectué avec le consentement de la personne qui dépose la chose.
– Soins apportés dans la garde de la chose déposée: Mesures prises pour assurer la conservation et la sécurité de la chose déposée.
– Courrier de la SEHRF demandant l’enlèvement de l’œuvre: Lettre envoyée par la SEHRF demandant à récupérer l’œuvre déposée.
– Responsabilité délictuelle: Responsabilité engagée en cas de faute commise en dehors de l’exécution d’un contrat.
– Atteinte au droit moral des auteurs: Violation des droits moraux des auteurs, tels que le droit à la paternité de l’œuvre.
– Utilisation du socle de l’œuvre comme support d’une autre sculpture: Utilisation du support de l’œuvre déposée pour une autre sculpture sans autorisation.
– Préjudice moral: Dommage causé au moral de la personne, tel que la souffrance psychologique.
– Demande reconventionnelle de la SEHRF: Demande formulée par la SEHRF en réponse à la demande initiale.
– Frais de stockage: Coûts liés à la conservation de la chose déposée.
Montants / Préjudice
– Mme [C] [T], M. [Z] [T] et Mme [M] [N]: condamnés in solidum aux dépens d’appel
– Mme [C] [T], M. [Z] [T] et Mme [M] [N]: condamnés in solidum à payer à la SEHRF la somme de 3 000 euros
Parties impliquées
– M. [Z] [T]
– Mme [M] [N]
– Madame [C] [T]
– S.A.S. SOCIETE D’EXPLOITATION DE L’HOTEL ET DU RESTAURANT [7]
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRÊT DU 31 JANVIER 2024
(n° 019/2024, 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 22/14958 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGJTS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Septembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – 3ème chambre – 2ème section – RG n° 18/04238
APPELANTS
M. [Z] [T]
Né le 22 février 1977 à [Localité 14]
Demeurant [Adresse 2] –
[Localité 15]
CHINE
Mme [M] [N]
Née le 24 mai 1972 à [Localité 9]
Demeurant [Adresse 2]
[Localité 15]
CHINE
Madame [C] [T]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentés par Me Frédéric THOMAS de la SELARL INGOLD & THOMAS, avocat au barreau de PARIS, toque B 1055
Assistés de Me Jean-Marc BOCCARA, avocat au barreau de PARIS, toque B 198
INTIMEE
S.A.S. SOCIETE D’EXPLOITATION DE L’HOTEL ET DU RESTAURANT [7],
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 402 594 006
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Christophe PACHALIS de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque K 148
Assistée de Me Françoise HECQUET du Cabinet PREEL HECQUET PAYET-GODEL PHPG, avocate au barreau de PARIS, toque R 282
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, et Mme Françoise BARUTEL, conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre,
Mme Françoise BARUTEL, conseillère,
Mme Déborah BOHÉE, conseillère.
Greffier, lors des débats : Mme Carole TREJAUT
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre, et par Valentin HALLOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
EXPOSE DU LITIGE
M. [Z] [T] et Mme [M] [N] se présentent comme formant un duo d’artistes contemporains, collectivement connus sous la dénomination *LLND, spécialistes d’art multimédia de l’espace sonore et visuel. Ils indiquent exposer leurs oeuvres dans différentes villes du monde telles que [Localité 11], [Localité 8], [Localité 12], [E], [W], [G] ou encore [Localité 15], notamment au sein de la maison Chopard.
Ils ont conçu une sculpture monumentale intitulée « Speaker Mouths » décrite comme une oeuvre interactive sonore et visuelle composée notamment d’un micro et de haut-parleurs intégrés dans chaque bouche. L’ensemble du système électronique est situé dans la partie basse de 1’oeuvre qui fait office de socle. Des tubes d’environ 2 mètres de hauteur forment des tiges qui réunissent le socle aux bouches qui composent l’oeuvre et par lesquels passent des câbles électriques qui relient les émetteurs aux récepteurs, ces derniers étant raccordés ensemble par un micro central qui transmet le son par des pitchs et le renvoie en passant par chaque bouche. Les tiges sont normalement fixées au socle par un anneau de protection qui permet de les maintenir à la verticale. Un adhésif de silicone est fixe’ autour de chaque anneau de chaque pied de chaque tige, en haut et en bas, de manière à conserver l’étanchéité du socle en bois marin ignifugé et à protéger le système électronique de l’oeuvre qui se trouve à l’intérieur du socle.
Les artistes ont mandaté Mme [C] [T] pour représenter leurs intérêts et promouvoir cette oeuvre en France.
Cette oeuvre a été exposée à [Localité 11] en décembre 2011 sur la place [Localité 13] devant la boutique [10].
La société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] (SEHRF) exploite 1’hôtel et le restaurant [7] Barrière situés au [Adresse 6] à [Localité 11]. Le jardin de la cour intérieure de l’hôtel est utilisé pour des expositions.
Les parties se sont mises d’accord en mars 2013 pour que l’oeuvre soit exposée, à titre gracieux, dans le jardin du 1er étage de l’hôtel [7] « éventuellement jusqu’en septembre. A définir ». La sculpture a été livrée le 28 mars 2013.
La direction de l’hôtel indique qu’elle a contacté [C] [T] à plusieurs reprises en 2014 pour lui demander de retirer la sculpture, une nouvelle exposition devant prendre place dans le jardin mi-juin 2014, et que confrontée à son absence de réponse, elle a fait procéder en août 2015 à son démontage partiel par son service technique en désolidarisant la partie supérieure – soit les bouches et les tiges – de son socle, lequel a été calfeutré, recouvert de gazon synthétique et utilisé pour l’installation d’une autre oeuvre.
Après de nombreux échanges entre les parties ne permettant pas la vérification de l’état de la sculpture et les conditions de son démontage, les artistes ont sollicité et obtenu selon une ordonnance rendue sur requête le 25 avril 2016, la désignation d’un huissier afin de procéder à des opérations de constat, à l’occasion desquelles des fissurations et des traces de corrosion ont notamment été relevées, ainsi que le fait que les câbles des haut-parleurs ont été désolidarisés et arrachés de l’oeuvre. Un rendez-vous organisé le 29 juin 2016 n’a pas pu aboutir à la restitution de l’oeuvre, dont l’accès nécessitait le déplacement de jardinières d’arbustes.
Par décision rendue en référé le 19 janvier 2017, a été ordonnée la récupération de la sculpture par [C] [T] en présence d’un huissier chargé de faire tout constat utile. L’oeuvre a finalement été restituée le 29 mars 2017.
C’est dans ces conditions que par acte du 5 avril 2018, [Z] [T], [M] [N] et [C] [T] ont fait assigner la SEHRF pour demander la réparation de leurs préjudices sur le fondement du contrat de prêt à titre gratuit et subsidiairement du contrat de dépôt, ainsi que du fait d’une atteinte au droit moral des auteurs.
Dans un jugement du 27 septembre 2019, dont appel, le tribunal de grande instance de Paris a :
– Dit que l’accord entre les parties relatif à l’exposition de l’oeuvre Speaker Mouths s’analyse en un contrat de dépôt ;
– Dit que la responsabilité délictuelle de la société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] n’est pas établie en l’absence de faute démontrée ;
– Débouté [Z] [T] et [M] [N] de leurs demandes indemnitaires de ce chef ;
– Rejeté les demandes indemnitaires de [C] [T] ;
– Condamné la société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] à verser au duo d’artistes *LLND ‘ [Z] [T] et [M] [N] ensemble – une somme de 5.000 euros en réparation du préjudice résultant de l’atteinte à leur droit moral d’auteur ;
– Débouté la société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] de sa demande reconventionnelle ;
– Condamné la société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] à verser au duo d’artistes *LLND – [Z] [T] et [M] [N] ensemble – la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Débouté [C] [T] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Rejeté la demande relative aux frais d’exécution de la décision ;
– Condamné la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] aux dépens incluant les frais du constat d’huissier réalisé en exécution de la décision rendue le 19 janvier 2017 ;
– Dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire.
Le 30 octobre 2019, [Z] [T], [M] [N] et [C] [T] ont interjeté appel de ce jugement.
Le 16 décembre 2020, les parties ont donné respectivement leur accord au principe de la médiation.
Par ordonnance du 5 janvier 2021, le conseiller de la mise en état a ordonné une médiation pour permettre aux parties de trouver une solution amiable a’ leur litige.
Suite à la demande des parties, l’affaire a été retirée du rôle le 29 mars 2022.
Le 2 août 2022, [Z] [T], [M] [N] et [C] [T] ont demandé que l’affaire soit réinscrite au rôle.
Dans leur dernières conclusions numérotées 3, notifiées le 25 octobre 2023, [Z] [T], [M] [N] et [C] [T] demandent à la cour de :
– Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 27 septembre 2019 sauf qu’il a juge’ que les conditions dans lesquelles l’oeuvre a été démontée est constitutive d’une atteinte au droit moral des artistes, sauf en ce qu’il débouté la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] de sa demande reconventionnelle, et sauf en ce qu’il a condamné la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] aux entiers dépens incluant les frais du constat d’huissier en exécution de la décision rendue le 19 janvier 2017 ;
Statuant a’ nouveau,
– Juger que le contrat liant les artistes et la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] est un contrat de dépôt en vertu duquel la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] était tenu d’une obligation de garde et de conservation de l’oeuvre SPEAKER MOUTH ;
A titre subsidiaire,
– Juger que la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a commis une faute délictuelle ;
– Juger que la responsabilité délictuelle de la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] est établie ;
En tout état de cause,
– Débouter la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
– Juger que la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] est responsable des dommages et détériorations causées a’ l’oeuvre ;
– Condamner la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a’ payer a’ Madame [M] [N] et Monsieur [Z] [T] la somme de 100.000 euros a’ titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel subi du fait de la destruction de l’oeuvre « SPEAKER MOUTHS » ;
– Condamner la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a’ payer a’ Madame [M] [N] et Monsieur [Z] [T] la somme de 80.000 euros a’ titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance d’exposer l’oeuvre a’ titre onéreux,
– Condamner la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a’ payer a’ Madame [M] [N] et Monsieur [Z] [T] la somme de 75.000 euros au titre de l’atteinte au droit moral des auteurs ;
– Condamner la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a’ payer a’ Madame [C] [T] la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait du défaut d’information et de la destruction de l’oeuvre ;
– Condamner la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a’ payer a’ Madame [C] [T], Madame [M] [N] et Monsieur [Z] [T] la somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de la présente instance ;
– Donner acte a’ Madame [C] [T], Madame [M] [N] et Monsieur [Z] [T] de ce qu’ils se réservent, de solliciter en suivant, la réparation de chaque élément de leur préjudice, en se réservant pour ce faire la désignation de Monsieur [J] [Y], Expert-Comptable, Expert Judiciaire près la Cour d’Appel de Paris exerçant au [Adresse 3] [Localité 4] ;
– Condamner, en cas d’exécution forcée du jugement a’ intervenir que les appelants seraient contraints d’engager, la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a’ prendre en charge les émoluments de recouvrement d’huissier prévu a’ l’article A 444-32 du code de commerce.
Dans ses dernières conclusions numérotées 3, notifiées le 3 novembre 2023, la société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] (SEHRF) demande à la cour de :
A titre principal,
– INFIRMER le jugement attaque’ en toutes ses dispositions ;
Statuant a’ nouveau :
– Débouter Madame [C] [T], Monsieur [Z] [T] et Madame [M] [N] de l’ensemble de leurs demandes ;
A titre subsidiaire,
– Confirmer le jugement attaque’ en toutes ses dispositions ;
A titre très subsidiaire,
– Évaluer a’ de plus juste proportion le préjudice allégué par Madame [C] [T], Monsieur [Z] [T] et Madame [M] [N],
– Condamner Madame [C] [T], Monsieur [Z] [T] et Madame [M] [N] a’ payer a’ la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] la somme de 12.600 euros au titre de l’obligation de conservation mise a’ sa charge,
– Ordonner la compensation entre cette somme et les dommages et intérêts qui pourrait être mis a’ charge de la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7],
– Déclarer irrecevable ou a’ défaut la rejeter la demande de donner acte de Madame [C] [T], Madame [M] [N] et Monsieur [Z] [T] de ce qu’ils se réservent, de solliciter en suivant, la réparation de chaque élément de leur préjudice, en se réservant pour ce faire la désignation de Monsieur [J] [Y],
En tout état de cause,
– Condamner in solidum Madame [C] [T], Monsieur [Z] [T] et Madame [M] [N] a’ payer a’ la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] la somme de 6.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
– Condamner in solidum Madame [C] [T], Monsieur [Z] [T] et Madame [M] [N] aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me PACHALIS conformément a’ l’article 699 du Code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 novembre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur le chef du jugement non contesté
Le jugement n’est pas contesté en ce qu’il a jugé que l’accord entre les parties relativement à l’exposition de l’oeuvre s’analyse en un contrat de dépôt.
Sur la responsabilité de la société SEHRF
[Z] [T], [M] [N] et [C] [T] font valoir que le SEHRF a commis une violation de son obligation contractuelle de garde et de conservation de l’oeuvre ; que le dépositaire ne peut exiger du déposant qu’il reprenne le dépôt ; que l’obligation de garde et de conservation subsiste jusqu’à la restitution effective de l’oeuvre, peu important que le contrat soit a’ durée indéterminée ou a’ durée déterminée ; qu’afin d’être libéré de son obligation de garde, le dépositaire doit sommer le déposant de reprendre la chose avant d’être autorisé judiciairement à déposer la chose en un autre lieu ; qu’à défaut d’avoir demandé et obtenu une autorisation judiciaire, le [7] ne pouvait procéder à son démantèlement sans violer ses obligations contractuelles ; qu’en jugeant que le [7] devait être considéré comme libéré de son obligation contractuelle au titre du contrat de dépôt à compter du 1er juin 2014, date à laquelle il avait manifesté pour la première fois clairement son intention de ne plus conserver l’oeuvre, le tribunal judiciaire a violé les règles applicables au contrat de dépôt ; que l’huissier a constaté que le [7] a procédé à des arrachements, a perdu des éléments essentiels à l’unicité de l’oeuvre, et n’a pas convenablement protégé le socle de l’oeuvre; que le [7] a refusé de présenter l’oeuvre à Mme [T] car celle-ci sollicitait de faire constater son état par un expert et un huissier au moment de la restitution ; qu’il n’est pas sérieux pour un hôtel 5 étoiles, aussi prestigieux, de prétendre qu’il n’a pas pu mobiliser cinq personnes pour déplacer et protéger le socle de la sculpture.
A titre subsidiaire [Z] [T], [M] [N] et [C] [T] soutiennent que le [7] a commis une faute délictuelle en démontant l’oeuvre en plusieurs parties, en arrachant le silicone qui fixait les tiges et rendait l’oeuvre imperméable et en laissant des ouvertures béantes dans le socle ; qu’en laissant l’oeuvre ainsi sans s’employer à protéger la sculpture des infiltrations, le [7] a, par sa négligence ou son imprudence, favorisé la dégradation de l’oeuvre en la laissant en proie aux intempéries et infiltrations.
La Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] fait valoir qu’il existait un accord de volonté entre les deux parties pour que le contrat prenne fin en septembre 2013 ; qu’à compter de cette date, la SEHRF n’était plus tenue par aucune obligation contractuelle ; que c’est à juste titre que le tribunal a retenu que le contrat de dépôt ayant pris fin, la responsabilité de la SEHRF ne peut être engagée que sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
La Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] ajoute que sur le fondement de la responsabilité délictuelle les consorts [T]-[N] doivent rapporter la preuve d’une faute ; que les détériorations constatées peuvent parfaitement provenir de l’effet du temps sur l’oeuvre exposée à l’extérieur depuis 2010 sans aucune protection particulière ; que si l’oeuvre a été démontée, c’est parce qu’elle avait besoin de retrouver la libre disposition de son jardin pour exposer d’autres artistes ; qu’elle a demandé le 19 mars 2015 à Mme [C] [T] de venir récupérer l’oeuvre avant le 30 avril en lui indiquant que, passé ce délai, elle procèderait au déménagement dans un garde meuble ; que Mme [T] n’a pas répondu ; que l’oeuvre litigieuse a donc été démontée début août 2015 et le socle laissé sur place en raison de son poids ; que l’oeuvre avait été livrée démontée ; que le constat d’huissier réalisé le 1er avril 2016 démontre qu’à l’exception d’un peu de rouille sur la base de certaines tiges, l’oeuvre est en bon état ; que si les consorts [T]-[N] avaient procédé à l’enlèvement de l’oeuvre dès le mois de septembre 2013 ou à tout le moins en juin 2014, aucune des dégradations dont ils se plaignent ne serait survenue ; que c’est en raison de leur carence que pour pouvoir proposer son espace d’exposition à d’autres artistes, elle a été contrainte de démonter l’oeuvre et de la stocker le temps qu’ils se décident à venir la récupérer.
Sur ce,
L’article 1921 du code civil énonce que le dépôt volontaire « se forme par le consentement réciproque de la personne qui fait le dépôt et de celle qui le reçoit », et l’article 1927 du même code que « le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent ».
En l’espèce, la cour constate que les parties se sont mises d’accord pour le dépôt de l’oeuvre litigieuse selon mail de confirmation de la société SEHRF du 27 mars 2013 lequel indique le souhait de cette dernière de la conserver « éventuellement jusqu’à septembre, à définir », ce dont il résulte une commune intention des parties de fixer le terme du dépôt autour du mois de septembre 2013 à une date à définir, l’oeuvre ayant été déposée dès le 28 mars 2013.
La cour constate également que la SEHRF a réclamé l’enlèvement de l’oeuvre par courriel du 1er juin 2014, aux termes duquel elle indique avoir laissé des messages sans réponse, et que Mme [C] [T] s’est bornée à y répondre par un mail du 10 juillet 2014 indiquant ne pas pouvoir répondre favorablement à cette demande dans la précipitation, demandant un délai de trois mois pour prévoir le déplacement de l’oeuvre et indiquant « nous aurons des possibilités de l’installer dans un autre lieu à partir de septembre prochain. Je ne manquerai pas de vous tenir informé dès que ce sera possible », cette dernière ne justifiant d’aucun autre courrier ni d’aucune diligence à cette date pour y procéder.
Ainsi, alors que le terme convenu pour le dépôt de l’oeuvre litigieuse était à une date à définir autour du mois de septembre 2013, et que la SEHRF justifie d’une demande non équivoque d’enlèvement de l’oeuvre par mail du 1er juin 2014, postérieure de plus de six mois audit terme, c’est par de justes motifs adoptés par la cour que le tribunal a jugé que la SEHRF doit être considérée comme libérée de son obligation contractuelle au titre du contrat de dépôt à partir du 1er juin 2014, date à laquelle le contrat de dépôt est donc échu, de sorte que seule sa responsabilité délictuelle est susceptible d’être engagée après cette date.
Il résulte des pièces du dossier que la SEHRF a réclamé l’enlèvement de l’oeuvre par courriel du 1er juin 2014, puis qu’elle a indiqué à Mme [T] par courriel du 19 mars 2015 que son numéro de téléphone ne répondait plus, qu’elle devait faire retirer l’oeuvre pour la rentrée 2014, et que « n’ayant à ce jour pas de nouvelles de votre part, et dans le cas où l’enlèvement de l’oeuvre ne serait pas effectué avant le 30 avril, nous entreprendrons son déménagement dans un garde-meuble à votre charge », courriel auquel Mme [C] [T] n’a pas répondu, de sorte qu’il ne peut être fait grief à la SEHRF d’avoir procédé au démontage de l’oeuvre en août 2015.
Le tribunal a également pertinemment considéré par des motifs que la cour approuve que s’il ressort du constat d’huissier du 29 mars 2017 que le socle de l’oeuvre litigieuse est gorgé d’eau, que les équipements sonores sont hors d’état de fonctionner, qu’une structure métallique est rouillée et que des structures de résine des bouches présentent des fissures, il n’est cependant pas démontré que ces dégradations sont imputables aux conditions de stockage par la SEHRF, alors que cette sculpture est exposée depuis 2011 à l’extérieur sans que soient justifiées la qualité des matériaux la composant pour résister à une telle exposition, ni de prescriptions particulières des artistes ou de leur représentante aux fins de la protéger, les consorts [T]-[N] ne démontrant pas s’être préoccupés des conditions dans lesquelles l’oeuvre était conservée alors qu’ils ont imposé au [7] une prolongation de ce dépôt pour une durée excédant largement celle initialement convenue.
Il s’ensuit qu’en l’absence de faute imputable à la SEHRF, sa responsabilité délictuelle n’est pas établie. Le jugement sera confirmé de ce chef comme en ce qu’il a débouté M. [Z] [T] et Mme [M] [N] de leurs demandes indemnitaires subséquentes. Il doit également être confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes indemnitaires de Mme [C] [T], cette dernière ne pouvant faire grief à la société SEHRF d’avoir subi un prétendu préjudice moral alors qu’elle a été contactée à plusieurs reprises par le [7] sans donner de suite.
Sur l’atteinte au droit moral des auteurs
M. [Z] [T] et Mme [M] [N] font valoir qu’il a été porté atteinte à l’intégrité de l’oeuvre ainsi qu’à son esprit du fait qu’une partie de l’oeuvre a servi de socle pour une autre sculpture sans autorisation des auteurs.
La SEHRF soutient que la sculpture litigieuse était démontable ; que les éléments de l’oeuvre pouvaient être dissociés ; qu’aucune atteinte au droit moral des artistes ne peut être déduite du seul fait que l’oeuvre a été démontée ; qu’au regard du peu d’intérêt que les artistes ont manifesté pour le devenir de leur oeuvre, l’atteinte à leur droit moral doit être relativisée ; que la cote du duo d’artistes LLND est plutôt faible et qu’il doit en être tenu compte dans l’appréciation du préjudice allégué.
C’est par de justes motifs adoptés par la cour que le tribunal a constaté qu’il avait été porté atteinte au respect de l’oeuvre en ce que son socle, qui faisait partie de l’ensemble sonore et visuel interactif, a été utilisé comme support d’une autre sculpture.
Le tribunal a justement évalué à 5 000 euros le préjudice en résultant en tenant compte des difficultés de réutilisation dudit socle, partie intégrante de l’oeuvre, mais aussi de la négligence des auteurs.
Il n’y a pas lieu d’examiner la demande reconventionnelle de la SEHRF formée « à titre très subsidiaire » pour les frais de stockage, le jugement étant confirmé en toutes ses dispositions conformément à sa demande subsidiaire.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne in solidum Mme [C] [T], M. [Z] [T] et Mme [M] [N] aux dépens d’appel, et vu l’article 700 du code de procédure civile, les condamne in solidum à payer à ce titre, à la société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] (SEHRF) la somme de 3 000 euros.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
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