Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Évaluation des conditions de rétention administrative et respect des droits fondamentaux dans le cadre de l’éloignement d’un ressortissant étranger.
→ RésuméMonsieur [S] [P], né en Tunisie, a été placé en rétention administrative par un arrêté préfectoral le 21 novembre 2024, suite à une obligation de quitter le territoire français. Son appel, interjeté par Monsieur [B] [U], soulève des erreurs d’appréciation et des manquements dans l’information du procureur. La cour a jugé que l’arrêté était motivé, notant l’absence de garanties de représentation de Monsieur [S] [P]. Concernant son droit à la vie familiale, il n’a pas prouvé sa contribution à l’éducation de sa fille. La cour a confirmé la légalité de la rétention et ordonné la remise de la décision au procureur général.
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
L. 742-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour
des étrangers et du droit d’asile
ORDONNANCE DU 30 NOVEMBRE 2024
(3 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général et de décision :
B N° RG 24/05591 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CKMO6
Décision déférée : ordonnance rendue le 28 novembre 2024, à 13h18, par le magistrat du siège du tribunal judiciaire d’Evry
Nous, Elise Thevenin-Scott, conseillère à la cour d’appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Sila Polat, greffier aux débats et au prononcé de l’ordonnance,
APPELANT :
M. [S] [P]
né le 07 août 1985 à [Localité 3], de nationalité tunisienne
RETENU au centre de rétention : [Localité 2]
assisté de Me Hugo CADENA-VELASQUEZ, avocat de permanence au barreau de Paris et de
Mme [Z] [N] (Interprète en arabe) tout au long de la procédure devant la cour et lors de la notification de la présente ordonnance, serment préalablement prêté
INTIMÉ :
LE PREFET DE L’ESSONNE
représenté par Me Romain DUSSAULT du cabinet Centaure Avocats, avocat au barreau de Paris
MINISTÈRE PUBLIC, avisé de la date et de l’heure de l’audience
ORDONNANCE :
– contradictoire
– prononcée en audience publique
– Vu le décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 pris pour l’application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux;
Constatant qu’aucune salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n’est disponible pour l’audience de ce jour ;
– Vu l’ordonnance du 28 novembre 2024 du magistrat du siège du tribunal judiciaire d’Evry rejetant les moyens de nullité, déclarant la requête en prolongation de la rétention administrative recevable, déclarant la procédure diligentée à l’encontre de M. [S] [P] régulière, ordonnant la prolongationdu maintien de M. [S] [P] pour une durée maximale de 26 jours à compter du 28 novembre 2024, lui rappelant son obligation de quitter le territoire français en application de l’article L. 744-1I alinéa 1er du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– Vu l’appel motivé interjeté le 28 novembre 2024, à 16h48, par M. [S] [P] ;
– Après avoir entendu les observations :
– de M. [S] [P], assisté de son avocat, qui demande l’infirmation de l’ordonnance ;
– du conseil du préfet de l’Essonne tendant à la confirmation de l’ordonnance ;
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [S] [P], né le 07 août 1985 à [Localité 3] (Tunisie), a été placé en rétention administrative par arrêté préfectoral en date du 21 novembre 2024, sur la base d’une OQTF prise le 04 janvier 2024.
La mesure a été prolongée par le magistrat du siège en charge du contrôle des mesures restrictives et privatives de liberté de Evry-Courcouronnes le 28 novembre 2024.
Monsieur [B] [U] a interjeté appel de cette décision et sollicite son infirmation aux motifs que :
L’arrêté de placement en rétention est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation
Le procureur de la République n’a pas été informé immédiatement de son placement en rétention administrative.
Les diligences de l’administration sont insuffisantes
Réponse de la cour :
Sur la contestation de l’arrêté de placement en rétention, l’erreur manifeste d’appréciation et la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme
En application de l’article L.741-1 du ceseda, « L’autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l’étranger qui se trouve dans l’un des cas prévus à l’article L. 731-1 lorsqu’il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d’éloignement et qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective de cette décision.
Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l’article L. 612-3 ou au regard de la menace pour l’ordre public que l’étranger représente. »
Par ailleurs, l’article L.741-32 du même code prévoit que « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration exerce toute diligence à cet effet. »
Enfin, l’article L. 741-4 énonce que « La décision de placement en rétention prend en compte l’état de vulnérabilité et tout handicap de l’étranger.
Le handicap moteur, cognitif ou psychique et les besoins d’accompagnement de l’étranger sont pris en compte pour déterminer les conditions de son placement en rétention. »
Le préfet n’est pas tenu de faire état dans sa décision de tous les éléments de la situation personnelle de l’intéressé dès lors que les motifs positifs qu’il retient suffisent à justifier le placement en rétention. Il y a lieu de se placer à la date à laquelle le préfet a statué pour procéder à l’examen de la légalité de l’arrêté de placement en rétention.
En l’espèce, l’arrêté de placement en rétention apparaît suffisamment motivé en ce qu’il retient que Monsieur [S] [P] n’a pas fait connaître, au moment où le préfet prend l’arrêté, de lieu de résidence effective et permanente ; que s’il se prévaut d’une adresse en [Localité 1] devant la cour, cet élément n’était pas connu de la préfecture ; qu’en tout état de cause, en l’absence de passeport et de volonté de quitter la France, cet élément est insuffisant pour justifier de garanties de représentation suffisantes et de nature à permettre d’exécuter la mesure d’éloignement.
S’agissant d’une atteinte excessive à son droit à une vie privée et familiale, moyen soulevé sur le fondement de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, il doit être observé que Monsieur [S] [P] ne rapporte pas la preuve de ce qu’il contribue effectivement à la prise en charge de sa fille mineure, ni qu’il exercerait un droit de visite régulier, ses déclarations à l’audience n’étant corroborées par aucune autre pièce que la production d’un extrait d’acte civil concernant sa fille. En tout état de cause, il doit être observé que la privation de liens avec son enfant n’est pas le seul fait de l’arrêté de placement en rétention et qu’elle préexistait dès lors qu’il a fait l’objet, précédemment d’une longue peine d’incarcération.
Le moyen sera donc écarté.
Sur l’avis au procureur de la République
Il ressort de l’article L.741-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que « Le procureur de la République est informé immédiatement de tout placement en rétention.»
Le texte ne précise pas si le procureur de la République devant être avisé est celui du lieu de prise de la décision ou celui du lieu de rétention. En revanche, il est admis que l’avis adressé au procureur de la République du lieu de décision satisfait aux exigences du texte (1ère Civ.,8novembre 2005, n°04-50.126).
Le juge doit rechercher à quel moment le procureur de la République a été informé du placement en rétention administrative, pour que la Cour de cassation puisse exercer son contrôle (2e Civ., 9 janvier 2003, pourvoi n° 01- 50.065, Bull. 2003, II, n°2 , 2e Civ., 27 mars 2003, pourvoi n° 01 50.086, Bull. 2003, II, n°80).
Si l’avis au procureur peut être implicite et se déduire, par exemple, du fait que le procès-verbal de notification de l’arrêté de maintien dans des locaux ne dépendant pas de l’administration pénitentiaire mentionne que les fonctionnaires de police agissent sur instructions de ce procureur (2e Civ., 4 novembre 2004, pourvoi n° 04-50.021), le juge doit pouvoir s’assurer à la lecture des éléments du dossier qu’il a été fait de façon réelle et effective.
L’absence d’avis au procureur de la République porte atteinte aux droits de la personne en rétention administrative. Ce défaut d’information conduit à ce que la procédure soit entachée d’une nullité d’ordre public, sans que l’étranger qui l’invoque ait à démontrer l’existence d’un grief. (Civ1. 14 octobre 2020, n°19-15.197).
En l’espèce, il ressort des pièces de la procédure que le procureur de la République a été avisé du placement en rétention administrative le 22 novembre 2024 à 18h00, soit la veille du placement, le courriel précisant que Monsieur [S] [P] était élargi le 23 novembre 2024, ce dont il se déduit nécessairement que le placement en rétention interviendra le 23 novembre.
Ce faisant il est donc suffisamment établi que le procureur de la République a été avisé du placement en rétention administrative de Monsieur [S] [P] dans des conditions lui permettant d’exercer effectivement le contrôle lui appartenant, aucun texte n’interdisant d’aviser le magistrat du parquet la veille de l’arrivée effective au centre.
Ce moyen sera écarté.
Sur les diligences de l’administration
Il ressort de l’article L.741-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que « L’autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l’étranger qui se trouve dans l’un des cas prévus à l’article L. 731-1 lorsqu’il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d’éloignement et qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective de cette décision. »
L’article L.741-3du même code énonce que « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration exerce toute diligence à cet effet. »
En l’espèce, il ne saurait être reproché à l’administration un manque de diligences alors même que Monsieur [S] [P] a d’ores et déjà été reconnu par la Tunisie, qu’un routing a été demandé et que le laissez-passer consulaire est en cours de délivrance.
En l’absence de toute illégalité susceptible d’affecter les conditions (découlant du droit de l’Union) de légalité de la rétention, et à défaut d’autres moyens présentés en appel, il y a lieu confirmer l’ordonnance du premier juge.
PAR CES MOTIFS
CONFIRMONS l’ordonnance ;
ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d’une expédition de la présente ordonnance.
Fait à Paris le 30 novembre 2024 à 14h45.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
REÇU NOTIFICATION DE L’ORDONNANCE ET DE L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS : Pour information : L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention et au ministère public.
Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.
Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
Le préfet ou son représentant L’intéressé L’interprète L’avocat de l’intéressé
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