Cour d’appel de Paris, 27 février 2018
Cour d’appel de Paris, 27 février 2018

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Marque générique devenue distinctive

Résumé

L’affaire du Crédit Mutuel Arkea illustre la complexité des droits de marque au sein du groupe Crédit Mutuel. Souhaitant se dissocier, Arkea a contesté l’utilisation de la marque « Crédit Mutuel », mais la CNCM a défendu la validité de cette marque, considérée comme distinctive grâce à son usage prolongé. La juridiction a reconnu que, bien que « Crédit Mutuel » soit initialement générique, son utilisation intensive par le groupe a permis d’acquérir un caractère distinctif. Ainsi, la CNCM, en tant qu’organe de contrôle, maintient la cohésion et la protection de la marque au sein du réseau bancaire mutualiste.

Affaire du Crédit Mutuel

La banque coopérative et mutualiste Crédit Mutuel Arkea, souhaitant se détacher du groupe dont elle fait partie (groupe Crédit Mutuel), s’est vue opposée par l’organe central de la confédération nationale du Crédit Mutuel – CNCM, un refus d’utiliser la marque Crédit Mutuel en cas de « sédition » conformément au règlement d’usage, et ce, afin d’éviter tout risque de confusion pour les consommateurs. En défense la banque Crédit Mutuel Arkea a tenté, sans succès, d’obtenir la  nullité de la marque Crédit Mutuel pour fraude et défaut de distinctivité.

Droits de la CNCM

La CNCM a obtenu gain de cause sur la validité de sa marque Crédit Mutuel. L’ordonnance du 16 octobre 1958 a précisé le statut et l’organisation des Caisses de crédit mutuel et créé la CNCM à qui a été confié un rôle de contrôle, d’inspection et de représentation du réseau auprès des pouvoirs publics. Le réseau des Caisses de crédit mutuel est régi par les dispositions des articles L.512-55 et suivants et R. 512-19 et suivants du code monétaire et financier. La CNCM est constituée sous la forme d’une association régie par la loi de 1901. L’un de ses rôles principaux est de veiller à la cohésion du réseau Crédit Mutuel.

Crédit Mutuel, une marque collective

Les conditions d’utilisation des marques collectives Crédit Mutuel sont fixées par des règlements d’usage et contrôlées par le conseil d’administration de la CNCM. Les règlements d’usage précise notamment que sont seules autorisées à utiliser la marque les fédérations régionales inscrites sur la liste tenue par la CNCM.

Le caractère frauduleux du dépôt de la marque Crédit Mutuel par la CNCM n’a pas été retenu, cette dernière n’ayant eu aucune intention de nuire. La CNCM justifiait qu’elle avait, dès avant le dépôt de la marque verbale, couramment utilisé les termes « crédit mutuel ».

En matière de fraude à une marque, l’article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle prévoit que si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice. A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l’action en revendication se prescrit par trois ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement.

Par ailleurs, en application du principe fraus omnia corrumpit, un dépôt de marque est frauduleux lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité présente ou ultérieure ; que la fraude est caractérisée dès lors que le dépôt a été opéré pour détourner le droit des marques de sa finalité, non pour distinguer des produits et services en identifiant leur origine mais pour priver des concurrents du déposant ou tous les opérateurs d’un même secteur d’un signe nécessaire à leur activité ; le caractère frauduleux du dépôt s’apprécie au jour du dépôt et ne se présume pas, la charge de la preuve de la fraude pesant sur celui qui l’allègue.

Validité de la marque Crédit Mutuel

Si ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs, ou dont l’utilisation est légalement interdite (article L. 711-3 b) du code de la propriété intellectuelle), le code monétaire et financier consacre la réservation au profit de la CNCM de l’expression « Crédit Mutuel ».  Le législateur a reconnu, sous la forme d’une énumération limitative, l’existence de différentes banques mutualistes ou coopératives parmi lesquelles figure le crédit mutuel. En outre, l’article L. 512-56 de ce code prévoit que la CNCM est chargée notamment de représenter collectivement les caisses de crédit mutuel pour faire valoir leurs droits et intérêts communs et prendre toutes mesures nécessaires au bon fonctionnement du crédit mutuel, notamment en favorisant la création de nouvelles caisses ou en provoquant la suppression de caisses existantes. Cet organe a donc un contrôle total sur l’appellation de « Caisse de crédit mutuel ».

Caractère distinctif de la marque Crédit Mutuel

La juridiction a retenu que le signe « Crédit Mutuel » est dépourvu de caractère distinctif en ce qu’il est une désignation nécessaire, générique ou usuelle de services bancaires et  financiers. Toutefois, cette distinctivité a été acquise par l’usage,  le groupe Crédit Mutuel s’étant placé parmi les 6 premiers groupes bancaires français.

L’acquisition du caractère distinctif par l’usage suppose la preuve d’un usage continu, intense et de longue durée du signe constituant la marque et ce, à titre de marque, de sorte que ce signe est connu et identifié par une partie significative du public pertinent intéressé par les produits et services qu’il propose. Pour  apprécier le caractère distinctif acquis par l’usage, il faut se placer, lorsque la nullité de la marque est demandée à titre principal, au moment où le juge statue.

La CJUE (7 juillet 2005, C-353/03, Nestlé) a eu l’opportunité de préciser qu’en ce qui concerne l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage, l’identification par les milieux intéressés du produit ou du service comme provenant d’une entreprise déterminée doit être effectuée grâce à l’usage de la marque en tant que marque. Cette dernière condition n’implique pas nécessairement, pour être remplie, que la marque dont l’enregistrement est demandé ait fait l’objet d’un usage indépendant. L’expression ‘l’usage de la marque en tant que marque’ doit donc être comprise comme se référant seulement à un usage de la marque aux fins de l’identification par les milieux intéressés du produit ou du service comme provenant d’une entreprise déterminée. Or, une telle identification, et donc l’acquisition d’un caractère distinctif, peut résulter aussi bien de l’usage, en tant que partie d’une marque enregistrée, d’un élément de celle-ci que de l’usage d’une marque distincte en combinaison avec une marque enregistrée. Dans les deux cas, il suffit que, en conséquence de cet usage, les milieux intéressés perçoivent effectivement le produit ou le service, désigné par la seule marque dont l’enregistrement est demandé, comme provenant d’une entreprise déterminée. Le caractère distinctif d’une marque peut être acquis en conséquence de l’usage de cette marque en tant que partie d’une marque enregistrée ou en combinaison avec celle-ci.

Le CNCM a également apporté la preuve de la part de marché détenue par sa marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de son usage ainsi que l’importance des investissements faits pour la promouvoir (CJCE, 4 mai 1999, C-109/97, Windsurfing Chiemsee).

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