Cour d’appel de Paris, 26 novembre 2024, RG n° 21/10418
Cour d’appel de Paris, 26 novembre 2024, RG n° 21/10418

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Licenciement pour faute grave : enjeux de la preuve et conséquences financières en cas de requalification.

Résumé

Contexte de l’embauche

La société Brasserie de Famille a embauché M. [E] [H] en tant que cuisinier par un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein le 18 septembre 2018, avec une rémunération brute mensuelle de 3 072,65 euros pour 169 heures de travail par mois. La relation de travail était régie par la convention collective des hôtels, cafés et restaurants.

Procédure de licenciement

Le 31 juillet 2020, la société a convoqué M. [H] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, qui a eu lieu le 14 août 2020, et a décidé de le mettre à pied à titre conservatoire. Le licenciement pour faute grave a été notifié par lettre recommandée le 14 septembre 2020. M. [H] a contesté ce licenciement, estimant qu’il n’avait pas été traité équitablement.

Décision du conseil de prud’hommes

Le 8 novembre 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse. Il a condamné la société à verser plusieurs indemnités à M. [H], y compris un rappel de salaire, des congés payés, une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité de licenciement, ainsi qu’une somme pour les frais de justice.

Liquidation judiciaire de la société

Le 7 juillet 2022, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l’encontre de la société Brasserie de Famille, désignant un mandataire liquidateur. M. [H] a interjeté appel du jugement du conseil de prud’hommes le 16 décembre 2021.

Appel et demandes de M. [H]

M. [H] a assigné en intervention forcée le mandataire liquidateur et l’AGS, demandant l’infirmation du jugement sur plusieurs points, y compris la requalification de son licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il a également demandé que ses créances soient reconnues au passif de la liquidation judiciaire.

Arguments de la société

La société, représentée par le mandataire liquidateur, a contesté les demandes de M. [H], soutenant que le licenciement pour faute grave était justifié. Elle a demandé l’infirmation du jugement et la restitution des sommes versées à M. [H] en raison de la décision initiale.

Motivations du jugement

Le jugement a examiné la légitimité du licenciement, concluant que les faits reprochés à M. [H] ne constituaient pas une faute grave. Il a été décidé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, et M. [H] a été indemnisé pour son préjudice. Les créances de M. [H] ont été inscrites au passif de la société en liquidation.

Remise des documents et intérêts

La société a été condamnée à remettre à M. [H] les documents sociaux conformes à la décision. Les créances salariales ont été reconnues comme produisant des intérêts au taux légal, mais les créances indemnitaires n’ont pas produit d’intérêts en raison de la procédure collective.

Dommages-intérêts pour licenciement vexatoire

M. [H] a obtenu des dommages-intérêts pour licenciement intervenu dans des circonstances vexatoires, en raison de la durée de sa mise à pied et des conditions de son licenciement. La somme a été fixée au passif de la société.

Conclusion et dépens

La cour a confirmé certaines décisions du jugement initial tout en infirmant d’autres, notamment concernant la qualification du licenciement. La société a été condamnée aux dépens de la première instance et de l’appel, ainsi qu’à verser une somme pour les frais de justice à M. [H].

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 5

ARRET DU 26 NOVEMBRE 2024

(n° 2024/ , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/10418 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3DG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Novembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 21/01274

APPELANT

Monsieur [E] [H]

Chez Madame [I] [H] [R]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représenté par Me Anne-Sophie TODISCO, avocat au barreau de PARIS, toque E 1265

INTIMES

SELARL AXYME prise en la personne de Me [L] [U] en qualité de liquidateur judiciaire de la société BRASSERIE DE FAMILLE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Sophie LEYRIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P 372

PARTIE INTERVENANTE

AGS Délégation CGEA ILE DE FRANCE EST

N’ayant pas constitué avocat

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Séverine MOUSSY, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre et de la formation

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

– REPUTE CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Catherine BRUNET, Présidente de chambre, et par Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein en date du 18 septembre 2018, la société Brasserie de Famille (ci-après la société) a embauché M. [E] [H] en qualité de cuisinier, moyennant une rémunération brute mensuelle de 3 072,65 euros pour une durée de travail de 169 heures par mois.

La relation contractuelle est soumise à la convention collective des hôtels, cafés et restaurants en date du 30 avril 1997 et la société employait moins de onze salariés lors de la rupture de cette relation.

La société a, par lettre du 31 juillet 2020, convoqué M. [H] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 14 août suivant, assorti d’une mise à pied à titre conservatoire.

Elle lui a notifié son licenciement pour faute grave par lettre recommandée en date du 14 septembre 2020.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 11 février 2021.

Par jugement du 8 novembre 2021 auquel il est renvoyé pour l’exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Paris a :

– requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

– condamné la société à payer à M. [H] les sommes suivantes :

* 4 575,14 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied ;

* 457,51 euros au titre des congés payés afférents ;

* 3 347,66 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

* 334,77 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

* 1 656,83 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation;

* 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonné à la société de remettre à M. [H] les documents sociaux conformes à la décision ;

– rappelé qu’en vertu de l’article R.1454-28 du code du travail, ces condamnations étaient exécutoires de droit à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire fixée à 3 347,66 euros ;

– débouté M. [H] du surplus de ses demandes ;

– débouté la société de sa demande reconventionnelle ;

– condamné la société, partie succombante au litige, aux dépens de la présente instance.

Par jugement rendu le 7 juillet 2022, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l’encontre de la société et désigné la SELARL Axyme prise en la personne de Maître [Y] [U] en qualité de mandataire liquidateur.

M. [H] a régulièrement interjeté appel du jugement par déclaration du 16 décembre 2021.

Par actes des 8 et 9 août 2022, M. [H] a assigné en intervention forcée la SELARL Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de mandataire liquidateur de la société et l’UNEDIC délégation AGS CGEA d’Ile de France Ouest (ci-après l’AGS).

L’AGS n’a pas constitué avocat.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 septembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, M. [H] demande à la cour de le recevoir en ses demandes, fins et conclusions et y faisant pleinement droit et de ;

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté du surplus de ses demandes, en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;

– confirmer le jugement du chef des condamnations prononcées, de la remise des documents sociaux conformes et du débouté de la société de l’ensemble de ses demandes ;

et statuant à nouveau,

– juger que la faute grave n’est pas fondée;

– juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse;

– débouter la société de l’ensemble de ses demandes; 

– juger qu’il n’y a pas lieu à restitution des sommes versées par la société en règlement des causes du jugement;

en conséquence,

– fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société prise en la personne de Maître [L] [U] ‘ SELARL Axyme – ès qualités de mandataire liquidateur, les sommes suivantes :

* 4 575,14 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied du 31/07/2020 au 10/09/2020;

* 457,61 euros au titre des congés payés afférents; 

* 3 347,66 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis; 

* 334,77 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis; 

* 1 656,83 euros au titre de l’indemnité de licenciement; 

* 11 715 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

* 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;

– condamner l’intimée à lui remettre les bulletins de paie conformes à la décision ainsi que l’attestation d’employeur destinée au Pôle emploi;

– assortir les condamnations à intervenir de l’intérêt au taux légal à compter de la date d’exigibilité pour les salaires et à compter de la saisine du conseil pour les autres sommes; 

– ordonner la capitalisation des intérêts; 

– fixer au passif de la société la somme de 3 000 euros à lui payer au titre de l’article 700 du code de procédure civile; 

– juger que les sommes qui lui sont dues seront garanties, dans la limite du plafond applicable, par l’AGS qui devra en faire l’avance en application des articles L 3253-2, L 3253-3, L 3253-4 du code du travail; 

– juger que les dépens de première instance et d’appel seront fixés au passif de la société dont distraction au profit de Maître Anne-Sophie Todisco.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 décembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, la société Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société demande à la cour de :

– juger mal fondé M. [H] en son appel ;

– la juger recevable et bien fondée en son appel incident ;

en conséquence,

– infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

– débouter M. [H] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– juger le licenciement pour faute grave prononcé à l’encontre de M. [H] bien fondé ;

– condamner M. [H] à lui restituer les sommes perçues de la société alors in bonis en règlement des causes du jugement ;

– condamner M. [H] à lui verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 24 avril 2024.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et par mise à disposition,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a :

– dit le licenciement de M. [E] [H] fondé sur une cause réelle et sérieuse;

– débouté le salarié de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts pour licenciement intervenu dans des circonstances brutales et/ou vexatoires;

– condamné la société Brasserie de Famille au paiement des sommes allouées au titre de la mise à pied à titre conservatoire et des congés payés afférents, de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ainsi que de l’indemnité de licenciement;

– débouté le salarié de sa demande au titre des frais irrépétibles;

Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit le licenciement de M. [E] [H] dépourvu de cause réelle et sérieuse;

Fixe les créances suivantes de M. [E] [H] au passif de la société Brasserie de Famille :

* 4 575,14 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied; 

* 457,51 euros au titre des congés payés afférents; 

* 3 347,66 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis; 

* 334,77 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis; 

* 1 656,83 euros à titre d’indemnité de licenciement;

* 5 000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse;

* 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement intervenu dans des circonstances vexatoires;

Ordonne à la société Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société devra remettre à M. [H] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pour France travail conformes à la présente décision;

Dit qu’en application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de jugement et jusqu’au jugement d’ouverture de la procédure collective qui arrête le cours des intérêts conformément aux dispositions de l’article L. 622-28 du code de commerce soit en l’espèce le 7 juillet 2022;

Dit qu’en conséquence, les créances indemnitaires ne produisent pas intérêt;

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil jusqu’au jugement d’ouverture de la procédure collective;

Rappelle qu’en application de l’article L. 3253-15 du code du travail, l’UNEDIC délégation AGS CGEA d’Ile de France avance les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire et que les décisions de justice lui sont de plein droit opposables;

Rappelle que l’UNEDIC délégation AGS CGEA d’Ile de France doit sa garantie dans les limites légales;

Condamne la société Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Brasserie de Famille sera également condamnée à payer à M. [E] [H] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes;

Condamne la société Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Brasserie de Famille aux dépens de première instance et en appel – dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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