Cour d’appel de Paris, 26 juin 2019
Cour d’appel de Paris, 26 juin 2019

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Liberté d’informer v/ Vie privée

Résumé

L’affaire Le Parisien illustre le délicat équilibre entre la liberté d’informer et le respect de la vie privée. Lorsqu’un article a exposé la situation d’un homme dont la compagne enceinte avait disparu, celle-ci a contesté la publication, arguant qu’elle était identifiable malgré l’absence de son nom. Les détails fournis permettaient effectivement de la reconnaître par ses proches. Bien que la liberté d’information soit primordiale, surtout sur des sujets d’intérêt général, le juge doit peser les droits en présence. La protection de la vie privée demeure essentielle, mais peut céder face à l’intérêt public lorsque les faits sont pertinents.

En matière de presse, il suffit qu’une personne soit identifiable par ses proches, voire par un groupe restreint d’initiés, pour qu’elle puisse agir en réparation d’un préjudice causé par une atteinte à sa vie privée.

Affaire Le Parisien

Dans
l’une de ses éditions, le journal Le Parisien a publié le témoignage d’un homme
quitté par sa compagne enceinte et disparue du jour au lendemain. Considérant
que cet article contenait des erreurs dans la présentation des faits et portait
atteinte à sa vie privée dès lors qu’elle était identifiable, la compagne a
poursuivi l’éditeur du Parisien.

Identification possible

Si
la compagne n’était désignée que par son prénom, la mention de son âge de 35
ans, de sa nationalité polonaise, des conditions dans lesquelles elle a
rencontré son compagnon, de leur logement à Boulogne-Billancourt, de leur
séparation, des éléments portant sur le suivi de sa grossesse et sur la
malformation du foetus permettent de l’identifier sans que ne persiste aucun
doute, elle était parfaitement identifiable par le cercle restreint de ses
proches. Son action en violation de sa vie privée était donc recevable.

Débat d’intérêt général

La
recherche de l’équilibre entre les droits de la personnalité et la liberté
d’information revêtant une égale valeur normative penchait clairement en
l’espèce en faveur de la liberté d’information. En effet, l’article traitait d’un
sujet d’intérêt général dès lors qu’il s’attachait à exposer la situation
d’hommes qui, alors même qu’ils ont reconnu l’enfant à naître, se heurtent à un
vide juridique pour voir reconnaître leur paternité et exercer leurs droits
parentaux lorsque leur concubine enceinte est partie sans donner d’adresse, les
diligences policières et les recours judiciaires étant insuffisants, voire même
inexistants. Un tel sujet relève bien d’une préoccupation sociétale actuelle
relayée par des combats médiatisés par certains pères.

Il
appartient au juge de faire la balance des droits en présence, liberté
d’expression et information du public d’une part, préservation in concreto de
la vie privée, d’autre part. En l’espèce, le sujet de société ne pouvait être
traité sans que soient mentionnés d’une part le départ de la jeune femme sans
informer son concubin de son nouveau lieu de vie et d’autre part son état de
grossesse, cet état étant l’élément central et indispensable de la
problématique.

Par
ailleurs, il ne pouvait être fait interdiction au compagnon d’évoquer sa propre
situation, dans le cadre de sa liberté d’expression, en relatant a minima la
disparition de sa compagne enceinte et en faisant état de ses sentiments.

Respect de la vie privée

Conformément
à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne,
quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée
à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par
voie de presse.

Cependant,
ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression,
consacré par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales ; ils peuvent céder devant la liberté
d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce
qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements
d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en
raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté
d’expression.

Il
est, à cet égard, de jurisprudence constante que le droit à l’information du
public sur les faits divers et les affaires judiciaires, tout au moins quand la
nature des faits eux-mêmes ou la personnalité de leurs protagonistes rendent
légitime qu’il en soit publiquement rendu compte, prévaut sur le respect de la
vie privée des personnes qui s’y trouvent impliquées lorsque les éléments
révélés à ce dernier titre sont en lien direct et pertinent avec l’information
développée.

Enfin,
ces droits de la personnalité et la liberté d’information revêtant une égale
valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher leur équilibre et,
le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le
plus légitime.

Pour
rappel, les éléments d’état civil, à savoir le prénom, l’âge et la nationalité,
ne relèvent pas en tant que tels de la sphère de la vie privée. La seule
mention de la commune de domiciliation d’une personne, sans mention d’une
adresse précise, ne constitue pas non plus une atteinte à la vie privée, cette
indication étant trop vague et impersonnelle.

La
mention de l’existence et de l’échec de certaines procédures judiciaires
engagées par un père et relatives à
l’exercice de ses droits paternels relèvent de la vie privée du couple parental
et par conséquent de chacun de ses membres.

La
rencontre d’un couple et les conditions de sa séparation ainsi que l’état des
relations sentimentales au sein de ce couple relèvent bien de la sphère de la
vie privée.

La grossesse d’une femme et le terme de cette grossesse, la désignation de l’hôpital assurant le suivi obstétrical de la femme enceinte ainsi que les malformations qui pourraient atteindre le foetus relèvent assurément de la sphère de la vie privée. Télécharger la décision

 


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