Cour d’Appel de Paris, 25 novembre 2020
Cour d’Appel de Paris, 25 novembre 2020
Type de juridiction : Cour d’Appel Juridiction : Cour d’Appel de Paris Thématique : Distribution de films : la rupture abusive de relations commerciales

Résumé

Dans l’affaire opposant Maurefilms à ICC, les sociétés ont entretenu des relations commerciales établies pour la distribution de films à la Réunion. Malgré des litiges fréquents, la continuité de leur collaboration était attendue. Cependant, Maurefilms a échoué à prouver la brutalité de la rupture, ne fournissant aucun préavis suffisant. La demande de dommages-intérêts, fondée sur un chiffre d’affaires estimé de films non réservés, a été rejetée, car elle ne se rapportait pas à la brutalité de la rupture, mais à la rupture elle-même. Ainsi, Maurefilms a été déboutée de ses demandes.

Un distributeur de films et un exploitant de salle sont bien en relation commerciale, la rupture abusive de relations commerciales leur est donc applicable. Toutefois, seul l’abus dans la rupture (exemple : non-respect d’un préavis suffisant) est indemnisable et non la rupture en elle-même.   

Affaire Maurefilms c/ ICC

Les sociétés Maurefilms et ICC dans le cadre de leur activité de distribution, acquièrent des droits exclusifs de représentation, limités territorialement et temporellement, sur des oeuvres cinématographiques auprès de sociétés de distribution nationales ou étrangères et procèdent à la distribution à titre exclusif desdites oeuvres sur l’île de la Réunion, moyennant un pourcentage sur les recettes des salles. Afin d’assurer la meilleure exploitation du film, les distributeurs proposent leur catalogue à l’ensemble des exploitants de l’île, avec lesquels ils concluent des contrats de concession de droits de représentation cinématographique ou ‘contrat de location’.

Action en rupture brutale des relations commerciales établies

Les sociétés Maurefilms et ICC se font depuis plusieurs années des griefs réciproques relatifs à des manquements contractuels, des agissements anti-concurrentiels, et des refus de promotion ou de réservation d’oeuvres cinématographiques. Ces litiges ont à plusieurs reprises conduit à la saisine du médiateur du cinéma en application des dispositions des articles L.213-1 et suivants du code du cinéma et de l’image animée.

Un litige a opposé les sociétés Maurefilms et ICC quant à la promotion publicitaire accompagnant la distribution des oeuvres cinématographiques. Le médiateur du cinéma a été saisi du litige opposant les deux sociétés. C’est dans ce contexte que les sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory ont assigné la société ICC devant le tribunal de commerce de Paris, en vue d’obtenir sa condamnation au paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies.

La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions de l’article L.442-6, I 5° dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s’entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial.

En l’espèce, compte tenu de la spécificité de la distribution et de l’exploitation des oeuvres cinématographiques sur l’île de la Réunion, les parties sont depuis de nombreuses années en relation commerciale constante pour la location des oeuvres cinématographiques de leur catalogue respectif.

Quand bien même cette relation commerciale est régulièrement émaillée de litiges à l’occasion de la négociation de chaque contrat de location de film et régulièrement portés devant le médiateur du cinéma, la particularité pour la société ICC et les sociétés du groupe Etheve (Maurefilms) d’exercer les activités principales de distribution et d’exploitation d’oeuvres cinématographiques sur l’île de la Réunion implique, pour la plus large diffusion des oeuvres, une continuité du flux d’affaires que chacune des parties peut raisonnablement attendre. Dès lors, il existait bien des relations commerciales établies entre les parties au sens des dispositions de l’article L.442-6, I, 5°.

Sanction de la brutalité de la rupture

L’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Ce texte vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l’absence de préavis écrit ou l’insuffisance de préavis. Le délai de préavis doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné. Le préjudice consécutif à la brutalité de la rupture est constitué du gain manqué pendant la période d’insuffisance du préavis et s’évalue en considération de la marge brute escomptée durant cette période.

Or la société Maurefilms qui ne fait valoir aucun délai de préavis à l’appui de ses demandes ne caractérise pas la brutalité de la rupture alléguée. Elle se borne à réclamer sur le fondement de l’article L.442-6, une somme représentant 80% du chiffre d’affaires qui aurait pu être réalisé sur 20 films non réservés et la réparation d’un préjudice indirect de la rupture, soit la réparation de préjudices non pas liés à la brutalité de la rupture, mais à la rupture elle-même. En conséquence, la société Maurefilms a été déboutée de toutes ses demandes.

 

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