Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : N’importe qui peut demander la déchéance d’une marque
→ RésuméN’importe qui peut demander la déchéance d’une marque. Selon l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, un titulaire de marque qui n’en a pas fait un usage sérieux pendant cinq ans encourt la déchéance de ses droits. Toute personne physique ou morale peut introduire une demande en déchéance devant l’INPI sans justifier d’un intérêt personnel, dans le but d’assainir le registre national des marques. Dans une affaire récente, la société Henkel AG&Co a obtenu la déchéance de la marque VAPE, détenue par Fumakilla Ltd, pour défaut d’usage sérieux sur le territoire français.
|
Selon les dispositions de l’article L. 716-3 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle, ‘Devant l’Institut national de la propriété industrielle, les demandes en déchéance de marque fondées sur les article L. 714-5, L. 714-6, L. 715-5 et L. 715-10 sont introduites par toute personne physique ou morale. Devant les tribunaux judiciaires déterminés par voie réglementaire, elles sont introduites par toute personne intéressée.’
Toute personne physique ou morale peut donc former une demande en déchéance de marque devant l’INPI sans avoir à justifier d’un intérêt personnel à agir car une telle demande est instituée dans l’objectif, d’ordre public, d’apurer le registre national des marques de celles qui ne sont pas exploitées.
Nos conseils :
1. Attention à bien justifier d’un intérêt légitime pour demander la déchéance des droits d’une marque, en particulier en cas de tiers à un contrat de licence.
2. Il est recommandé de fournir des preuves concrètes et tangibles de l’usage sérieux de la marque sur le territoire français pour les produits concernés, notamment des factures, des documents comptables ou des données chiffrées.
3. Il est conseillé de veiller à ce que les éléments de preuve soumis soient pertinents et spécifiques à l’exploitation effective de la marque, en évitant les informations générales ou non pertinentes qui pourraient nuire à la démonstration de l’usage sérieux de la marque.
Résumé de l’affaire
Les points essentiels
Contexte de l’affaire
Il résulte des dispositions des articles L. 411-4 alinéa 2 et L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle que le directeur général de l’INPI connaît des demandes en déchéance de marques et en particulier des demandes en déchéance de marques pour défaut d’usage sérieux formées au fondement de l’article L. 714-5 de ce même code.
En la cause, le directeur général de l’INPI a été saisi, le 13 juillet 2021, par la société Henkel AG&Co, d’une demande tendant à voir déclarer la société Fumakilla Ltd déchue de ses droits sur la marque verbale VAPE n°1354471 déposée le 21 septembre 1976 et régulièrement renouvelée depuis pour désigner les produits suivants : ‘Classe 1: Fertilisants liquides. Classe 3: Préparations aromatiques. Désodorisants, préparations pour la purification de l’air; Classe 5: substances diététiques; insecticides. Classe 9: Appareils électriques pour détruire les moustiques’. La demande en déchéance visant l’ensemble des produits pour lesquels la marque a été enregistrée, a été présentée, à effet à la date de la demande, au motif que, pour aucun de ces produits, la marque n’a fait l’objet d’un usage sérieux.
Les dispositions légales
L’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit que le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans, encourt la déchéance de ses droits.
Est assimilé à un usage sérieux au sens des dispositions précitées :
1° L’usage fait avec le consentement du titulaire de la marque (…)
3° L’usage de la marque, par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée;
4° L’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement, par le titulaire ou avec son consentement, exclusivement en vue de l’exportation.
La décision du directeur général de l’INPI
Après avoir rejeté les moyens d’irrecevabilité opposés par la société Fumakilla et déclaré la demande en déchéance recevable, le directeur général de l’INPI a retenu, pour y faire droit, qu’un usage sérieux de la marque n’était pas démontré, sur le territoire français, au cours de la période pertinente du 13 juillet 2016 au 13 juillet 2021, et ce, pour aucun des produits désignés dans l’enregistrement à savoir ‘Classe 1: Fertilisants liquides. Classe 3: Préparations aromatiques. Désodorisants, préparations pour la purification de l’air; Classe 5: substances diététiques; insecticides. Classe 9: Appareils électriques pour détruire les moustiques’. En conséquence, la déchéance totale des droits de la société Fumakilla Ltd sur la marque VAPE n° 1354471 a été prononcée à compter du 13 juillet 2021.
Les arguments des parties
Pour contester cette décision, la société Fumakilla Ltd fait valoir à titre principal que la société Henkel AG&Co se prévaut en la cause de sa propre carence ce qui la rend irrecevable en sa demande en déchéance de la marque, constitutive d’un abus de droit. Elle observe que la société Guaber SRL, filiale de la société Henkel AG &Co, est titulaire de la licence exclusive d’exploitation de la marque sur plus de cinquante états, que, s’agissant de la France, la marque est exploitée indifféremment par la société mère et par sa filiale, qu’en participant ainsi à l’exécution du contrat de licence, la société Henkel AG&Co s’est immiscée dans les relations contractuelles ce qui lui rend opposable le contrat signé par sa filiale, qu’elle ne saurait dès lors, sauf à se prévaloir de sa propre carence, invoquer le non-usage de la marque qu’elle se devait d’exploiter. A titre subsidiaire, sur le fond, elle estime apporter des preuves suffisantes justifiant d’une exploitation effective de la marque à des fins commerciales et non pas, ainsi qu’il l’a été retenu par le directeur général de l’INPI, d’un usage symbolique uniquement destiné à la conservation des droits conférés par la marque.
La société Henkel AG&Co, qui poursuit la confirmation de la décision attaquée, conclut à la recevabilité de sa demande en déchéance, soulignant qu’elle est intéressée à une telle demande dès lors qu’elle commercialise des insecticides depuis plusieurs années dans divers pays européens sous la marque VAPONA qu’elle veut préserver. Elle soutient que c’est à tort que la société Fumakilla lui oppose sa propre carence, soulignant à cet égard que son activité dans la commercialisation des insecticides est indépendante de celle de la société Guaber et antérieure à l’affiliation de cette société, en 2016, au groupe Henkel. Elle observe en outre que le contrat de licence entre les sociétés Fumakilla Ltd et Guaber a été conclu en 1996 et qu’elle n’avait à cette époque aucun lien avec la société licenciée ; elle ajoute que ce contrat ne prévoit aucunement que les obligations réciproques qui en découlent entre les parties produiraient également leurs effets sur leurs affiliés ; elle estime enfin que la société Fumakilla Ltd, en sa qualité de titulaire de la marque VAPE et de partie au contrat de licence conféré à la société Guaber, ne pouvait ignorer le défaut d’usage de la marque depuis plusieurs années en France et qu’il lui appartenait donc de faire sanctionner l’inexécution du contrat en demandant sa résiliation, ce qu’elle n’a pas fait. Sur le fond, elle constate que la société requérante ne produit pas de pièce nouvelle devant la cour et se range à l’analyse du directeur général de l’INPI qui a estimé que la preuve n’est pas rapportée d’un usage sérieux de la marque sur le territoire français durant la période pertinente.
La recevabilité de la demande en déchéance
Selon les dispositions de l’article L. 716-3 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle, ‘Devant l’Institut national de la propriété industrielle, les demandes en déchéance de marque fondées sur les article L. 714-5, L. 714-6, L. 715-5 et L. 715-10 sont introduites par toute personne physique ou morale. Devant les tribunaux judiciaires déterminés par voie réglementaire, elles sont introduites par toute personne intéressée.’
Ainsi que le relève pertinemment le directeur général de l’INPI dans sa décision attaquée, il résulte de ces dispositions que toute personne physique ou morale peut former une demande en déchéance de marque devant l’INPI sans avoir à justifier d’un intérêt personnel à agir car une telle demande est instituée dans l’objectif, d’ordre public, d’apurer le registre national des marques de celles qui ne sont pas exploitées.
La société Fumakilla Ltd soutient que la demande en déchéance serait en l’espèce abusive dans la mesure où elle revient, pour la société Henkel AG&Co, à se prévaloir de sa propre carence à exploiter la marque.
Or, la société Fumakilla Ltd a signé le 19 avril 1996 avec la société Guaber SRL (de droit italien) un contrat de licence exclusive portant sur l’usage de la marque VAPE dans de nombreux pays dont la France.
La société Henkel AG&Co est tierce à ce contrat qui ne lui confère aucune obligation quand bien même la société licenciée, qui demeure une personne morale distincte, lui serait affiliée depuis 2016.
C’est en vain que la société Fumakilla Ltd invoque une immixtion dans l’exécution du contrat au motif que la marque VAPE serait exploitée en France tant par la société Guaber que par la société Henkel AG&Co. L’exploitation alléguée ne saurait être démontrée à raison de la mention sur une page du site internet de la société Henkel AG &Co de l’information suivante: ‘Vape est une marque utilisée par Guaber Srl sous licence de Fumakilla Limited (Japon)’ ou encore du seul fait que le site internet de la société Guaber SRL serait accessible via le site français de la société Henkel AG&Co. La société Fumakilla Ltd est mal fondée à conclure de ces éléments dénués de pertinence que le contrat de licence liant la société Guaber SRL à la société Fumakilla Ltd serait opposable à la société Henkel AG&Co.
Au surplus, et en toute hypothèse, la société Henkel AG&Co justifie en la cause d’un intérêt propre à demander la déchéance de la marque VAPE en sa qualité de titulaire des marques de l’Union européenne VAPONA n° 009526088 et 011836855 respectivement déposées en 2010 et 2013 sous lesquelles elle commercialise des insecticides et qu’elle entend légitimement préserver.
La demande de la société Henkel AG&Co est en conséquence recevable.
La preuve de l’usage sérieux de la marque
En l’état de ces éléments qui jettent le doute sur une exploitation effective de la marque, par le titulaire de la marque ou avec son consentement, sur le territoire français, pour les produits visés dans l’enregistrement, force est de constater qu’il n’est versé à la procédure aucune pièce complémentaire de nature à permettre de lever ce doute. Ainsi que le souligne à juste titre le directeur général de l’INPI, il n’est communiqué aucun bon de commande, ni facture, ni document comptable, ni donnée chiffrée, susceptibles de justifier de la commercialisation des produits désignés par la marque auprès du public français et d’en mesurer l’intensité.
En définitive, force est de constater que les allégations selon lesquelles la marque aurait fait l’objet d’une exploitation sérieuse au sens des dispositions de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, sur le territoire français et durant la période pertinente, ne sont aucunement corroborées par les offres de preuve proposées par la titulaire de la marque.
Décision de la cour
La décision rendue le 31 mai 2022 par le directeur général de l’INPI qui a déclaré la société Fumakilla Ltd déchue de ses droits à compter du 13 juillet 2021 sur la marque verbale française VAPE n° 1354471 pour l’ensemble des produits désignés à l’enregistrement à savoir : ‘Classe 1: Fertilisants liquides. Classe 3: Préparations aromatiques. Désodorisants, préparations pour la purification de l’air; Classe 5: substances diététiques; insecticides. Classe 9: Appareils électriques pour détruire les moustiques’, est en conséquence confirmée.
L’équité ne commande pas de faire droit aux demandes formées au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La procédure de recours contre une décision du directeur général de l’INPI ne donne pas lieu à condamnation aux dépens.
– Les demandes formées au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
– Les dépens
Réglementation applicable
Article L. 411-4 alinéa 2: Le directeur général de l’INPI connaît des demandes en déchéance de marques.
Article L. 716-5: Le directeur général de l’INPI connaît des demandes en déchéance de marques pour défaut d’usage sérieux.
Article L. 714-5: Le titulaire de la marque qui n’en a pas fait un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans encourt la déchéance de ses droits.
Article L. 716-3: La déchéance prend effet à la date de la demande ou à la date à laquelle est survenu le motif de déchéance.
Article L. 716-3-1: Le titulaire de la marque dont la déchéance est demandée a la charge des preuves d’usage.
– Code de procédure civile
Article 700: Les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ne sont pas accordées dans cette affaire.
Laisser un commentaire