Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Sanctions Disciplinaires et Droit de Grève
→ RésuméM. [Z], engagé par la RATP en 2007, a été sanctionné à plusieurs reprises pour non-respect de l’instruction générale 542 sur la grève. Après avoir contesté ces sanctions devant le conseil de prud’hommes, il a été débouté. En appel, il a demandé l’annulation des sanctions et des dommages-intérêts. La cour a confirmé la légitimité des sanctions, rappelant que le droit de grève doit s’exercer dans le cadre des lois. M. [Z] n’a pas prouvé de discrimination dans l’application des sanctions, et la cour a jugé que celles-ci étaient justifiées et proportionnées.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/10452
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRET DU 23 OCTOBRE 2024
(n°2024/ , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/10452 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3F4
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Novembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LONGJUMEAU – RG n° 19/00449
APPELANT
Monsieur [V] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Elise TAULET, avocat au barreau de PARIS, toque : R028
INTIMEE
E.P.I.C. REGIE AUTONOME DES TRANSPORTS PARISIENS Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Thomas ANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0920
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Septembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Didier LE CORRE, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre et de la formation
Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Gisèle MBOLLO
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre et par Gisèle MBOLLO, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’annulation des sanctions disciplinaires
L’exercice du droit de grève est un droit fondamental qui a été reconnu par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 énonçant que ‘Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent’.
Il est de jurisprudence constante que lorsque le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, aucun salarié ne peut être sanctionné en raison de l’exercice normal de ce droit.
Dans le cadre de son pouvoir de réglementation de la grève, le législateur a pris des dispositions particulières dans les services publics. Ainsi, en application des articles L.2512-1 et L.2512-2 du code du travail, quand le droit de grève est exercé par les personnels des entreprises, des organismes et des établissements publics ou privés lorsque ces entreprises, organismes et établissements sont chargés de la gestion d’un service public, la cessation concertée du travail doit être précédée d’un préavis.
L’article L.2512-4 du code du travail dispose que:
« En cas de cessation concertée de travail des personnels mentionnés à l’article L. 2512-1, l’heure de cessation et celle de reprise du travail ne peuvent être différentes pour les diverses catégories ou pour les divers membres du personnel intéressé.
Sont interdits les arrêts de travail affectant par échelonnement successif ou par roulement concerté les divers secteurs ou catégories professionnelles d’un même établissement ou service ou les différents établissements ou services d’une même entreprise ou d’un même organisme. »
Dans le cadre de l’organisation du service public de transport, la RATP a édicté dans des instructions générales un certain nombre de règles fixant les modalités de participation à la grève.
Ainsi, la RATP a pris en mars 2005 l’IG 507 qui précise les règles en matière de respect du préavis de grève.
L’IG 529 de mars 2009, qui concerne les modalités de participation à la grève, énonce que:
« Les salariés sont libres de rejoindre un mouvement de grève postérieurement à la grève et l’heure fixée par le préavis pour le début de la grève.
Conformément à la loi du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics, les salariés souhaitant rejoindre un mouvement de grève doivent le faire à l’intérieur du préavis, à n’importe quelle prise de service mais exclusivement au début de la prise de service, tout en respectant, pour les personnels concernés, les modalités de déclaration préalable tels que fixées par l’IG 519.
Le non-respect de ces obligations est passible de sanction disciplinaire. »
Le Conseil d’Etat, qui avait déjà validé par un arrêt du 29 décembre 2006 les dispositions prises par une autre entreprise de transports publics, la SNCF, restreignant la participation d’un agent à un mouvement de grève postérieurement à la date et l’heure fixées par le préavis pour le début de la grève à la condition que cet agent rejoigne le mouvement de grève dès l’heure de la prise de service fixée pour lui par l’horaire qui le concerne, a, par arrêt du 11 juin 2010, retenu la légalité de l’IG 529 imposant aux agents de la RATP qui souhaiteraient rejoindre un mouvement de grève de le faire à l’intérieur du préavis, à n’importe quelle prise de service mais exclusivement au début de la prise de service, le Conseil d’Etat précisant que la limitation apportée à l’exercice du droit de grève qui en résulte est justifiée par les nécessités du fonctionnement du service public de transport assumé par la RATP et vise à prévenir un usage abusif du droit de grève (CE, 11 juin 2010, n°333262).
La RATP a ensuite pris l’IG 542 en septembre 2012 qui a notamment « pour objet de rassembler les dispositions relatives aux modalités de participation à la grève issues des IG n°507 de mars 2005, n°519 de mars 2008 et n°529 d’octobre 2009 auxquelles la présente instruction se substitue de plein droit ».
L’IG 542 énonce en son paragraphe 3, intitulé « Modalités de participation à la grève », que:
« Le salarié est libre de rejoindre un mouvement de grève postérieurement à la date et à l’heure fixée par le préavis pour le début de la grève.
Conformément à la loi du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics, le salarié souhaitant rejoindre un mouvement de grève doit le faire à l’intérieur du préavis, à n’importe quelle prise de service mais exclusivement au début de la prise de service. En toute hypothèse les personnels concernés doivent respecter les modalités de déclaration préalable visées au paragraphe 2 de la présente Instruction et, notamment, la date et l’heure d’entrée dans la grève prévues par leur déclaration préalable.
Le non-respect de ces obligations est passible de sanction disciplinaire. »
Il en résulte que la règle édictée par ce paragraphe de l’IG 542 est identique à celle qui avait été instaurée par l’IG 529 et validée par le Conseil d’Etat.
C’est en application de cette IG 542 que M. [Z] s’est vu notifier les sanctions disciplinaires dont il demande l’annulation, étant ajouté que n’est pas contesté que pour chaque fait en cause, l’appelant a rejoint le mouvement de grève, qui était en cours, non pas à sa prise de service mais bien postérieurement au début de celle-ci.
Pour contester les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre et en solliciter l’annulation, M. [Z] fait d’abord valoir que « l’IG 542 n’est pas applicable à l’appelant et à ses collègues lesquels ne participent pas directement au service public de transport et ne sont pas astreints à assurer un service minimum ». En effet, en l’espèce, les agents de l’atelier de [Localité 5] concernés par les sanctions sont tous affectés aux réparations préventives du RER B et non à la réparation corrective ou au dépannage. Ils sont chargés d’effectuer la révision des rames de la ligne du RER B qui est prévue toutes les 4 à 5 semaines. En revanche, les agents du centre de dépannage des trains situé à 500 mètres de l’atelier de [Localité 5] sont quant à eux soumis aux obligations de déclarations préalables contrairement aux agents de l’atelier car leurs activités sont considérées comme étant en tension avec l’exploitation. Ils sont donc considérés comme participant directement au service public de transport.
Il est de jurisprudence constante que c’est à celui qui se prévaut d’un usage d’en apporter la preuve. L’existence d’un usage est subordonnée à la réunion des critères de constance, de généralité et de fixité.
En l’espèce, l’appelant communique l’attestation de M. [D], retraité, qui écrit « qu’avant 2016 la direction ne nous a jamais sanctionné pour avoir participé à un mouvement social couvert par un préavis et ne nous obligeait pas à nous inscrire dès la prise de service ». En l’absence de précisions suffisantes, cette attestation de quelques lignes ne permet pas à la cour de déterminer l’ancienneté avant 2016 de cette prétendue pratique de l’employeur.
M. [Z] produit les attestations de quelques autres salariés dont seules certaines font état de l’absence de sanction après avoir rejoint un mouvement de grève en cours de service. Le petit nombre de ces attestations, au regard du nombre important de salariés travaillant à l’atelier RER de [Localité 5], ne permet pas de démontrer un usage répondant au critère de généralité. Ces mêmes attestations ne font état que d’une pratique ayant existé à partir de 2010 pour l’une des attestations et à partir de 2011 pour les autres, ce qui ne suffit pas à démontrer un usage répondant aux critères de constance, de généralité et de fixité, et ce d’autant qu’est versée aux débats une lettre de rappel à l’ordre adressée à M. [D] par la RATP le 20 décembre 2010 dont il ressort que celle-ci n’avait pas renoncé à faire respecter par ses agents la règle selon laquelle ceux-ci ne devaient rejoindre un mouvement de grève qu’au début de la prise de service.
L’existence d’un usage n’étant par conséquent pas établie, le moyen invoqué par M. [Z] relativement à son absence de dénonciation est inopérant.
Pour contester les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre et en solliciter l’annulation, M. [Z] soutient également que la RATP a « exercé son pouvoir de sanction de façon discriminée selon les agents sans justifier de ces traitements différenciés ». Il ajoute que les agents qui n’ont pas été sanctionnés « ne sont pas syndiqués à la CGT ou titulaires de mandats syndicaux ou électifs ».
En application de l’article L. 1134-1 du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l’espèce, M. [Z] présente les faits suivants:
– « préalablement à la sanction de 2018, certains agents ont été convoqués pour savoir s’ils maintenaient leur grève. Les agents qui se sont maintenus en grève ont été sanctionnés alors que tous les agents ayant les mêmes pointages que l’appelant avaient commis ce que la RATP considère comme une faute »: ce fait n’est pas établi par les pièces versées aux débats;
– « alors que plusieurs dizaines d’agents se sont rendus aux assemblées générales ayant donné lieu aux sanctions contestées, seul un petit nombre a été sanctionné »: ce fait est établi;
– de 2016 à 2018, « au sein du département MRF, seuls des agents de l’atelier de [Localité 5] ont été sanctionnés. Ainsi, les agents de l’atelier de [Localité 6] ont continué à appliquer l’usage et se déclaraient en grève en cours de service sans difficulté. Ce n’est qu’à compter de 2019 que la RATP a infligé, seulement à certains, des sanctions »: ces faits ne sont pas établis par les pièces versées aux débats et notamment pas par la pièce n°14 produite par l’appelant qui ne suffit pas pour établir qu’avant 2019 les agents de l’atelier de [Localité 6] n’étaient pas sanctionnés quand ils rejoignaient un mouvement de grève après le début de leur prise de service;
– « l’application de sanctions au gré du bon vouloir de la direction caractérise également la discrimination: si la direction soutient un mouvement de grève, elle ne sanctionne pas les grévistes voire encourage le non-respect d’une disposition qu’elle invoque en revanche pour justifier de sanctions quand elle n’estime pas devoir soutenir un mouvement social »: ces faits ne sont pas établis par les pièces communiquées et notamment pas par le courrier syndical du 3 octobre 2019 reprochant à la direction, sans l’établir, que suite « à la journée de grève et de mobilisation du 13 septembre 2019 sur la réforme des retraites », certains « agents se sont vu offrir par la direction la demi-journée voire la journée », étant ajouté que ce tract concerne l’automne 2019 alors que la dernière sanction dont il est demandé l’annulation en raison d’une discrimination est antérieure de plus d’un an au tract;
– « d’autres agents ayant eu des pratiques identiques aux siennes n’ont pas été sanctionnés » ou l’ont été seulement plusieurs mois ou années plus tard: ces faits sont établis.
Pris dans leur ensemble, les éléments qui viennent d’être retenus comme établis laissent supposer l’existence d’une discrimination syndicale. Il incombe donc à la RATP de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
S’agissant du petit nombre d’agents sanctionnés, il ressort des éléments produits aux débats que si de nombreux agents se sont rendus aux assemblées générales, tous ne s’étaient pas mis en grève, comme l’a fait l’appelant, seulement après le début de leur prise de service. Or, en application de l’IG542, ce n’est pas le fait d’assister à une assemblée générale ou de se mettre en grève qui est passible de sanction disciplinaire mais seulement le fait de rejoindre un mouvement de grève postérieurement au début de sa prise de service, de sorte que les agents qui avaient assisté aux assemblées générales dans le cadre du mouvement de grève qu’ils avaient rejoint au début de leur prise de service n’avaient pas à être sanctionnés.
S’agissant des autres agents ayant eu une pratique identique à l’appelant et qui n’ont pas été sanctionnés, il ressort des éléments versés aux débats que la RATP procédait à une réponse graduée face au non-respect par un agent des dispositions de l’IG 542. Ainsi, l’agent était d’abord invité à respecter ces dispositions par un rappel à l’ordre avant qu’en cas de réitération une sanction disciplinaire ne soit envisagée. Cette réponse graduée perdurait ensuite dans le cadre disciplinaire puisqu’un avertissement était prononcé avant que ne soit envisagée, en cas de répétition du non-respect de l’IG 542, une sanction d’une journée de mise en disponibilité d’office elle-même d’abord avec sursis avant d’être prononcée sans traitement. Il en résulte que pour un même non-respect du paragraphe 3 de l’IG 542, la réponse apportée par la RATP était différenciée selon les antécédents de l’agent quant à ce non-respect.
Compte tenu de tout ce qui précède, la RATP prouve que ses décisions à l’égard de M. [Z] étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. L’existence d’une discrimination n’est donc pas établie.
Pour contester les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre et en solliciter l’annulation, M. [Z] soutient enfin que ces sanctions sont disproportionnées.
Toutefois, l’invocation de « l’absence d’un quelconque effet sur l’organisation du service » et du « souci des agents d’assurer leur service minimum » est inopérante dès lors que l’appelant n’a pas démontré qu’il était autorisé à se dispenser du respect des dispositions du paragraphe 3 de l’IG 542 qui s’imposait à l’ensemble des agents de la RATP et dont il n’est pas contesté qu’il ne les a pas respectées. L’existence d’une « pratique constante de la RATP antérieurement aux sanctions », répondant aux caractères d’un usage, et « l’instrumentalisation de l’IG 542 par la RATP » n’ont pas été non plus établies.
Enfin, dès lors que face à ses manquements successifs M. [Z] a bénéficié d’une réponse progressive de la part de son employeur et d’une gradation dans les sanctions disciplinaires qui ne l’a pourtant pas dissuadé de persister dans le non-respect des dispositions du paragraphe 3 de l’IG 542, aucune disproportion n’est caractérisée dans les sanctions dont il demande l’annulation.
Par conséquent, en considération de l’ensemble des moyens invoqués par l’appelant au soutien de sa demande d’annulation des sanctions disciplinaires, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a débouté M. [Z] de sa demande d’annulation de celles-ci, de sa demande de suppression de son dossier de tout document les concernant ainsi que de ses demandes de rappel de salaire et de dommages-intérêts pour préjudice moral.
Sur les autres demandes
M. [Z] succombant, il est condamné aux dépens de la procédure d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile,
Il paraît équitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles pour la procédure d’appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions déférées à la cour d’appel.
Y ajoutant,
Laisse à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles et les déboute de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. [Z] aux dépens de la procédure d’appel.
La Greffière Le Président
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