Cour d’appel de Paris, 19 février 2020
Cour d’appel de Paris, 19 février 2020

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Deliveroo and Co : les conditions du CDI

Résumé

Les sociétés de livraison, comme Deliveroo, risquent la requalification des contrats d’indépendants en CDI si elles exercent un contrôle sur leurs livreurs. La mise en place de sanctions et la géolocalisation des livreurs sont des indicateurs de lien de subordination. Dans l’affaire Take Eat Easy, un livreur a réussi à prouver ce lien, malgré son statut d’auto-entrepreneur. Bien qu’il ait pu choisir ses horaires, la géolocalisation et le système de « malus » instauré par la société ont révélé un pouvoir disciplinaire, justifiant ainsi la requalification de son contrat en CDI.

Les sociétés de livraison à vélo ou autres qui travaillent avec des indépendants (autoentrepreneurs) s’exposent à une requalification de leurs contrats de prestation de services en CDI si elles ont i) mis en place un système de sanctions ou assimilé et ii) géolocalisent leurs livreurs. En effet, le pouvoir de contrôle et de sanction sont les critères clefs du lien de subordination et donc de l’existence d’un contrat de travail.  En l’occurrence, la société avait non seulement mis en place des moyens de contrôle lui permettant de vérifier le nombre de kilomètres parcourus par chacun des livreurs mais elle avait aussi, en instituant un système des « strikes », manifesté la volonté d’exercer à l’égard de ceux-ci un pouvoir disciplinaire.  

Affaire Take Eat Easy

Un livreur à vélo de la société Take Eat Easy qui utilisait
une plate-forme web et une application afin de mettre en relation des
restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le
truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo exerçant leur activité sous
un statut d’indépendant, a obtenu la requalification de son contrat de
prestation de services en CDI.

Requalification en CDI

Aux termes de l’article L. 1411-1 du code du travail, le
conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui
peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux
dispositions de ce même code entre les employeurs ou leurs représentants et les
salariés qu’ils emploient.

Selon l’article L. 8221-6 du code du travail, dans sa
version applicable au litige, sont présumés ne pas être liés avec le donneur
d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à
immatriculation ou inscription, notamment les personnes physiques immatriculées
au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre
des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de
sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des
cotisations d’allocations familiales.

L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être
établie lorsque ces personnes fournissent directement ou par une personne
interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les
placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci.

La relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée
par les parties , ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention
mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des
travailleurs; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un
travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et
des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de
son subordonné

Le fait que le travail soit effectué au sein d’un service
organisé peut constituer un indice de l’existence d’un lien de subordination
lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.

Renversement de la présomption de non salariat

En l’occurrence, il était établi que le livreur à vélo a été
immatriculé en qualité d’auto-entrepreneur. Il lui appartenait donc de
renverser la présomption de non-salariat du Code du travail. L’auto-facturation
telle que prévue par les parties et autorisée par la loi ne peut à elle seule
constituer l’indice d’une relation salariale. Les parties s’opposaient essentiellement
sur l’existence ou non d’un lien de subordination.

Si le livreur pouvait librement choisir ses plages
d’activités i) l’application mobile de la société était dotée d’un système de
géolocalisation qui n’avait pour finalité que de suivre en temps réel l’activité
du livreur; ii) le système de «malus» mis en place par la
société en fonction de différents critères (temps d’attente au restaurant, insultes,
dépassement de la moyenne kilométrique des coursiers, désinscription tardive
d’un « shift » …) a été requalifié en pouvoir de sanction.

Il en résulte que la société avait non seulement mis en place des moyens de contrôle lui permettant de vérifier le nombre de kilomètres parcourus par chacun des livreurs mais elle avait aussi, en instituant le système des « strikes », manifesté la volonté d’exercer à l’égard de ceux-ci un pouvoir disciplinaire.  Télécharger la décision

 


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