Cour d’appel de Paris, 16 octobre 2024, RG n° 22/02685
Cour d’appel de Paris, 16 octobre 2024, RG n° 22/02685

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Faire pénétrer une personne extérieure non autorisée dans l’entreprise

 

Résumé

Mme [F] [K], engagée par EURO DISNEY ASSOCIES, a été licenciée pour avoir fait pénétrer une personne extérieure non autorisée dans l’entreprise. Contestant ce licenciement, elle a saisi le conseil de prud’hommes, qui a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse. La société a interjeté appel, mais la Cour a confirmé en partie le jugement, augmentant les dommages-intérêts à 9 000 euros et ordonnant le remboursement des indemnités de chômage pour six mois. La Cour a également condamné l’employeur aux dépens d’appel et à verser 2 000 euros à Mme [K] pour les frais d’appel.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

16 octobre 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/02685

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRET DU 16 OCTOBRE 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/02685 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFINY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Janvier 2022 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MEAUX – RG n° 20/00270

APPELANTE

S.A.S. EURO DISNEY ASSOCIES

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Kheir AFFANE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0253

INTIMEE

Madame [F] [K]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Frédéric CAZET, avocat au barreau de PARIS, toque : E1904

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre

Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller

Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE

ARRET :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Madame Marika WOHLSCHIES, greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 24 septembre 2011, Mme [F] [K] a été engagée en qualité de vendeuse boutique par la société EURO DISNEY ASSOCIES, celle-ci employant habituellement au moins 11 salariés et appliquant la convention collective nationale des espaces de loisirs, d’attractions et culturels.

Après avoir été convoquée, suivant courrier recommandé du 22 mai 2019, à un entretien préalable fixé au 4 juin 2019, Mme [K] a été licenciée pour cause réelle et sérieuse suivant courrier recommandé du 21 juin 2019.

Contestant le bien-fondé de son licenciement et s’estimant insuffisamment remplie de ses droits, Mme [K] a saisi la juridiction prud’homale le 26 mai 2020.

Par jugement du 31 janvier 2022, le conseil de prud’hommes de Meaux a :

– dit que le licenciement n’est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– condamné la société EURO DISNEY ASSOCIES à payer à Mme [K] les sommes suivantes :

– 6 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, – 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

– ordonné la capitalisation des intérêts sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil,

– débouté Mme [K] du surplus de ses demandes,

– débouté la société EURO DISNEY ASSOCIES de sa demande relative à l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné le remboursement à Pôle Emploi d’un mois des indemnités chômage versées à Mme [K],

– condamné la société EURO DISNEY ASSOCIES aux entiers dépens.

Par déclaration du 21 février 2022, la société EURO DISNEY ASSOCIES a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 10 février 2022.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 21 juin 2022, la société EURO DISNEY ASSOCIES demande à la cour de :

– infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

– débouter Mme [K] de l’intégralité de ses demandes,

– condamner Mme [K] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions remises au greffe le 14 juin 2022, Mme [K] demande à la cour de :

– confirmer le jugement sauf en ce qu’il a limité à 6 500 euros les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, statuant à nouveau,

– porter à 12 876,56 euros (8 mois de salaire) l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société EURO DISNEY ASSOCIES au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter la société EURO DISNEY ASSOCIES de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dire que les condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal à compter de l’introduction de la demande,

– ordonner la capitalisation des intérêts,

– mettre les éventuels dépens à la charge de l’appelant.

L’instruction a été clôturée le 18 juin 2024 et l’affaire a été fixée à l’audience du 26 juin 2024.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

La société appelante fait valoir que la salariée intimée a fait pénétrer une personne extérieure non autorisée dans l’entreprise, ce qui caractérise un manquement au règlement intérieur, l’intéressée ayant également procédé à des déclarations erronées sur l’identité de la personne introduite sans autorisation, en prétendant dans un premier temps qu’il s’agissait d’une salariée pour finalement n’apporter aucune explication. Elle souligne qu’au regard des règles de sécurité découlant du règlement intérieur ainsi que du contexte particulier de vigilance quant aux actes de terrorisme, il a été considéré qu’elle avait fait preuve d’une manifeste déloyauté en tenant des déclarations erronées sur la qualité et l’identité de la personne qu’elle avait fait pénétrer de manière non autorisée dans les coulisses du parc.

La salariée intimée conteste en réplique les deux griefs lui étant reprochés afférents à une violation des règles de sécurité et à un manquement à son obligation de loyauté ainsi que la présentation qui en est faite par l’employeur. Elle souligne que même à supposer qu’elle ait commis un manquement dans l’exécution de son contrat de travail concernant la circulation dans les coulisses du parc, manquement de faible importance jusqu’alors toléré par la société, celui-ci ne revêt pas une gravité pour justifier la rupture de son contrat de travail, la mesure disciplinaire apparaissant disproportionnée. Elle affirme enfin que les réelles motivations du licenciement sont en lien avec l’inimitié entretenue à son égard par son manager.

Selon l’article L.1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instructions qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée de la manière suivante :

« Le 15 mai 2019 vers 13H10, nos hôtes de sécurité du département Sûreté Prévention & Secours

ont constaté que vous étiez accompagnée d’une personne extérieure à la société présente au sein des coulisses des parcs.

Vous demandant de vous expliquer sur cette situation, vous avez de prime abord déclaré que cette personne avait simplement oublié son badge professionnel (« ID » ).

Votre version a été contredite par la personne vous accompagnant qui a expliqué être une ancienne salariée de notre entreprise et en conséquence ne pas disposer au jour de cette situation de badge professionnel émis par l’entreprise. A fortiori, cette personne ne disposait d’aucune autorisation de présence dans nos coulisses et ce à quelconque titre.

En tant que salariée de notre entreprise, nous ne pouvons accepter une telle attitude de votre part. Vous êtes avisée qu’il est strictement interdit de faire rentrer des personnes extérieures à

l’entreprise non autorisées en coulisse et ce, sous aucun prétexte. Par ailleurs, votre carte d’identité professionnelle est strictement personnelle et vous devez l’avoir en permanence au sein du périmètre d’Euro Disney.

A cet égard, vous avez sciemment inobservé les règles en vigueur au sein de notre société ainsi

qu’à vos obligations professionnelles rappelées aux articles 1 et 4 de notre Règlement Intérieur.

Ces règles vous ont pourtant été rappelées, outre le Règlement Intérieur, lors des sessions d’information initiale dont tout salarié bénéficie au moment de son entrée dans l’entreprise. En

agissant de la sorte, vous avez dégradé les conditions de sécurité nécessaires à la préservation

de l’environnement d’activité et de travail de notre entreprise prévues dans les conditions de l’article 11 de notre Règlement intérieur et rappelé au travers de nos communications internes

afférentes aux « Quatre clés » que sont la Sécurité, la Courtoisie, le Spectacle et l’Efficacité.

En outre, vos déclarations volontairement erronées auprès du département Sûreté Prévention et Secours le 15 mai 2019 caractérisent le défaut de loyauté envers votre employeur, s’agissant

pourtant d’un impératif professionnel.

Lors de l’entretien, vous n’avez fourni aucune explication de nature à nous permettre d’apprécier différemment ces faits.

Par conséquent, nous avons décidé de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. […]».

S’agissant du grief relatif à l’existence d’un manquement de la salariée à son obligation de loyauté, il sera tout d’abord constaté à la lecture des pièces versées aux débats par la société appelante, à savoir deux attestations établies par les hôtes de sécurité (Mme [I] et M. [L]) ayant procédé au contrôle litigieux dans les coulisses du parc, qu’il ne ressort aucunement desdites attestations que Mme [K] leur aurait effectivement affirmé que la personne qui l’accompagnait (Mme [Y]) était une salariée qui avait oublié son badge professionnel ou qu’elle aurait volontairement procédé à des déclarations erronées sur l’identité de cette personne, les deux agents de sécurité se limitant simplement à indiquer qu’après contrôle et vérification, la personne qui accompagnait Mme [K] n’était pas salariée de la société.

Au vu de l’attestation produite en réplique par l’intimée, ladite attestation, rédigée par Mme [Y], faisant état du fait que Mme [K] l’avait simplement accompagnée pour passer par les coulisses afin de se rendre plus rapidement dans le second parc où l’attendait son frère handicapé et, qu’étant elle-même ancienne salariée de l’entreprise, elle avait pensé que cela ne poserait pas de difficulté car elle avait souvent vu d’anciens employés faire de même et passer par les coulisses pour venir saluer leurs anciens collègues, Mme [Y] précisant que lorsqu’elles avaient fait l’objet d’un contrôle par des membres de la sécurité, elle leur avait effectivement indiqué qu’elle n’était plus employée de Disneyland Paris, venant ainsi corroborer les propres déclarations des agents de sécurité, la cour retient que le grief relatif à l’existence d’un manquement à l’obligation de loyauté découlant du fait d’avoir effectué des déclarations volontairement erronées auprès des agents de sécurité sur la qualité et l’identité de la personne qui l’accompagnait, n’est pas caractérisé ainsi que l’ont justement estimé les premiers juges.

S’agissant du grief relatif à la violation des règles de sécurité pour avoir fait pénétrer une personne extérieure à l’entreprise dans les coulisses du parc, outre le fait que les articles 1 à 4 et 11 du règlement intérieur expressément visés dans la lettre de licenciement ne comportent aucune disposition concernant la circulation dans les coulisses des parcs, il sera également observé qu’il n’est pas établi que Mme [K] aurait manqué à son obligation de porter son badge professionnel ou d’avoir à présenter sa carte d’identité professionnelle sur demande au personnel de sécurité, l’existence d’une dégradation des « conditions de sécurité nécessaires à la préservation de l’environnement d’activité et de travail de l’entreprise » causée par l’intimée ou d’un manquement « aux « Quatre clés » que sont la Sécurité, la Courtoisie, le Spectacle et l’Efficacité » n’étant pas plus rapportée.

S’il résulte néanmoins de la note de service du 7 janvier 2015 intitulée « Plan Vigipirate Alerte attentats » que les « cast members » en civil doivent porter leur « ID » de manière visible en coulisses, qu’aucun accès sans ID se sera possible sur le site et que toute personne non identifiée dans les coulisses devra se voir demander de présenter son ID, outre le fait qu’il n’est aucunement fait état dans la lettre de licenciement d’une violation des règles de sécurité afférentes au plan Vigipirate, il sera en toute hypothèse observé que le seul fait pour l’intimée d’avoir été ponctuellement accompagnée en coulisses par une personne extérieure à l’entreprise, alors qu’il résulte de l’attestation de Mme [Y] qu’il existait une certaine tolérance à cet égard pour les anciens salariés de la société et qu’il n’est par ailleurs pas démontré que Mme [K] aurait antérieurement fait l’objet d’une mesure disciplinaire ni même d’un rappel à l’ordre de ce chef, n’était pas de nature à justifier le licenciement prononcé à l’encontre de la salariée, les premiers juges ayant ainsi justement retenu que le licenciement litigieux était manifestement disproportionné.

Dès lors, au vu de l’ensemble de ces éléments, la cour confirme le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières de la rupture

En application de l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, eu égard à l’ancienneté dans l’entreprise (7 ans et 10 mois), à l’âge de la salariée (39 ans), à sa rémunération de référence lors de la rupture du contrat de travail (1 609,50 euros) et compte tenu de l’absence d’élément produit concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture, la cour, à qui il appartient seulement d’apprécier la situation concrète de la salariée pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par les dispositions précitées du code du travail (soit en l’espèce entre 3 mois et 8 mois de salaire brut), lui accorde la somme de 9 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et ce par infirmation du jugement.

Sur les autres demandes

Selon l’article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner à l’employeur fautif de rembourser à France Travail (anciennement Pôle Emploi) les indemnités de chômage versées à la salariée du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de six mois d’indemnités, et ce par infirmation du jugement.

En application des dispositions de l’article 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations afférentes aux créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jugement pour les montants confirmés et du présent arrêt pour le surplus.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

L’employeur, qui succombe, supportera les dépens d’appel et sera débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur sera condamné à payer à la salariée la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d’appel, la somme accordée en première instance étant confirmée.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement sauf sur le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la durée du remboursement des indemnités de chômage à France Travail (anciennement Pôle Emploi) ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société EURO DISNEY ASSOCIES à payer à Mme [K] la somme de 9 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Rappelle que les condamnations afférentes aux créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jugement pour les montants confirmés et du présent arrêt pour le surplus ;

Ordonne la capitalisation des intérêts selon les modalités de l’article 1343-2 du code civil;

Ordonne à la société EURO DISNEY ASSOCIES de rembourser à France Travail (anciennement Pôle Emploi) les indemnités de chômage versées à Mme [K] du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de six mois d’indemnités ;

Condamne la société EURO DISNEY ASSOCIES aux dépens d’appel ;

Condamne la société EURO DISNEY ASSOCIES à payer à Mme [K] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d’appel ;

Déboute Mme [K] du surplus de ses demandes ;

Déboute la société EURO DISNEY ASSOCIES de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.


 


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