Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Discrimination syndicale et reclassement salarial : enjeux et conséquences dans le monde du travail
→ RésuméLa cour d’appel de Paris a infirmé le jugement du conseil de prud’hommes, reconnaissant la discrimination syndicale subie par M. [S] [T] au sein de la SAS Seris Airport Services. Engagé en 1981, M. [T] a dénoncé un traitement inéquitable lié à son engagement syndical, demandant un reclassement au coefficient 275 et des dommages-intérêts. La cour a ordonné son reclassement rétroactif à juillet 2019 et a condamné l’employeur à verser 5 000 euros pour préjudice moral, ainsi que des frais d’avocat. Cette décision souligne l’importance de la protection des droits des délégués syndicaux dans le monde du travail.
|
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/06713
délivrées le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 3
ARRET DU 16 OCTOBRE 2024
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06713 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEDMM
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Juin 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 20/05922
APPELANT
Monsieur [S] [T]
Né le 1er décembre 1961 à [Localité 7]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Roland ZERAH, avocat au barreau de PARIS, toque : D0164
INTIMEE
S.A.S. SERIS AIRORT SERVICES , prise en la personne de son représentant légal
N° SIRET : 483 479 168
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me David FONTENEAU, avocat au barreau de PARIS
PARTIE INTERVENANTE
La Fédération Nationale de l’Encadrement du Commerce et des Services CFE CGC, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentée par Me Roland ZERAH, avocat au barreau de PARIS, toque : D0164
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Septembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Marie-Lisette SAUTRON, présidente
Christophe BACONNIER, président
Véronique MARMORAT, présidente
Greffier, lors des débats : Madame Laetitia PRADIGNAC
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Lisette SAUTRON, présidente et par Laetitia PRADIGNAC, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET PROCEDURE
La société Brinks Sécurité Services aux droits de laquelle vient la SAS Seris Airport Services a engagé M. [S] [T] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 janvier 1981. A compter du 1er juin 2003, il a exercé les fonctions de superviseur (catégorie Agent de Maîtrise niveau 3, échelon 2, coefficient 255).
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité.
A compter d’octobre 2003, le salarié est devenu délégué syndical central de la CFE CGC et détaché, à compter du 30 décembre 2010, auprès de son organisation syndicale pour une durée indéterminée. Son détachement a été renouvelé en 2023.
En 2020, la rémunération mensuelle brute de base de M. [T] s’élevait en dernier lieu à la somme de 3 085,64 euros.
Le 11 août 2020, M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, estimant avoir fait l’objet d’une discrimination en raison de son engagement syndical, en formant des demandes de rappels de salaires et de dommages-intérêts.
En dernier lieu, il a demandé au conseil, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de :
– dire que son salaire sera de 3 600 euros à compter du 1er décembre 2020 ;
– fixer sa classification au coefficient 275 ;
– condamner l’employeur à payer, outre les dépens, les sommes suivantes :
. 50 000 euros de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés de la discrimination syndicale,
. 35 580 euros de rappel de salaires,
. 3 558 euros de congés payés afférents,
. 4 000 euros d’indemnité de l’article 700 du code de procédure civile.
Reconventionnellement, l’employeur a sollicité 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire rendu le 21 juin 2021 et notifié le 10 juillet 2021, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes a débouté le salarié de ses demandes, débouté l’employeur de sa demande reconventionnelle et condamné le salarié aux dépens.
Monsieur [T] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 22 juillet 2021.
La Fédération nationale du commerce et des services (FNECS CFE CGC), est intervenue volontairement à l’instance d’appel.
L’ordonnance de clôture a été rendue à la date du 18 juin 2024.
L’affaire a été appelée à l’audience du 9 septembre 2024.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS
Par conclusions communiquées par voie électronique le 30 mai 2024, auxquelles la cour se réfère expressément pour l’exposé des moyens, M. [T] demande à la cour d’infirmer le jugement, de faire droit aux demandes initiales qu’il réitère.
Par conclusions communiquées par voie électronique le 14 mai 2024, auxquelles la cour se réfère expressément pour l’exposé des moyens, la société Seris Airport Services demande à la cour de débouter le salarié et le syndicat par confirmation du jugement, de condamner le salarié aux dépens et au paiement à la société SCT TELECOM (sic) d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions communiquées par voie électronique le 30 mai 2024, auxquelles la cour se réfère expressément pour l’exposé des moyens, la Fédération Nationale de l’Encadrement du Commerce et des Services CFE CGC demande à la cour de :
– déclarer recevable et bien fondée son intervention volontaire en cause d’appel,
– faire droit aux demandes,
– condamner la Société SERIS AIRPORT SERVICES à lui verser :
. la somme de 10 000 euros pour préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession,
. la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
1- les demandes du salarié
Selon le salarié, l’accord du 11 juillet 2019, remplacé par l’accord du 27 septembre 2023, prévoit des garanties d’évolution du salaire des délégués syndicaux centraux pour les maintenir au moins au niveau du salaire médian appartenant à la même catégorie professionnelle et bénéficiant de la même ancienneté. Il soutient avoir subi une double discrimination syndicale tant vis à vis des délégués syndicaux centraux que vis à vis des salariés non syndiqués de la société.
Dans le premier cas, il se compare à trois autres salariés délégués syndicaux centraux d’organisation syndicales concurrentes et demande une classification similaire avec révision subséquente de son salaire, expliquant la différence de traitement par une discrimination envers son syndicat. Il soutient que l’employeur se prévaut d’une grille de rémunération des délégués syndicaux centraux qui n’a pas été communiquée aux organisations syndicales représentatives de l’entreprise, qui n’a pas fait l’objet d’une consultation /information du CSE, qui n’a pas fait l’objet d’un avenant au dialogue social du 11 juin 2019. Il en déduit qu’il n’existe pas de grille d’évolution des rémunérations des délégués syndicaux centraux qui lui soit opposable.
Dans le second cas, il fait valoir que la société n’a pas respecté les dispositions des articles L 2141-1 et L 2141-5, L 6315-1 du code du travail ni l’accord syndical du 30 décembre 2010, en faisant observer que depuis 2003, il n’a bénéficié d’aucune promotion, d’aucun avancement, d’aucun entretien professionnel et cite les collègues qui, avec moins d’ancienneté, ont bénéficié d’une évolution de carrière plus favorable. Il ajoute que son salaire correspond au minimum conventionnel pour un coefficient 275, mais que l’employeur refuse de le reclassifier, ce qu’il demande à la cour de faire en lui allouant le salaire correspondant non atteint par la prescription, et des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
L’employeur soutient que la rémunération versée au salarié est conforme à la grille des salaires fixée pour les délégués syndicaux, en considération du poste occupé. Il affirme que l’application du coefficient 275 n’est pas fondée, que le salarié se compare à d’autres salariés ne relevant pas de la même catégorie professionnelle. Il affirme que le salaire mensuel réclamé ne correspond pas à la grille de rémunération appliquée aux délégués syndicaux centraux. Il fait observer que le salarié, dont le poste est classé au coefficient 255 perçoit un salaire correspondant au coefficient 275 qu’il réclame et que sa demande tendant à faire fixer son salaire à 3 600 euros correspond à se faire attribuer un salaire appliqué aux ingénieurs et cadres.
Il note que le salarié ne peut lui reprocher une absence d’entretiens professionnels depuis 2003 alors que cette obligation a été instaurée en 2015, et qu’il a refusé l’entretien qui lui était proposé en 2020. Il impute l’absence de revalorisation salariale en 2023 à une erreur de logiciel.
En application des dispositions de l’article L 1134-1 du code du travail, le salarié qui invoque la discrimination doit présenter des éléments de fait laissant supposer son existence directe ou indirecte telle que définie à l’article premier de la loi numéro 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute incrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En droit, la discrimination directe existe quand, pour des raisons d’origine, de sexe, de moeurs, d’orientation sexuelle, d’identité de genre, d’âge, de situation familiale, de grossesse, de caractéristiques génétiques, de particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, de l’appartenance ou non à une ethnie, une nation ou une prétendue race, d’opinions politiques, d’activités syndicales ou mutualistes, de l’exercice d’un mandat électif, de convictions religieuses, d’apparence physique, de nom de famille, de lieux de résidence ou de domiciliation bancaire, d’état de santé, de perte d’autonomie, de handicap, de capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, une personne est traitée de manière moins favorable qu’un autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été.
La discrimination indirecte existe quand une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre affecte, dans une proportion plus élevée des personnes relevant de la catégorie précitée, à moins que cette disposition ou pratique ne soit justifiée par des facteurs objectifs et indépendants de toute discrimination.
La discrimination formelle consiste à traiter différemment et de manière arbitraire des situations semblables. La discrimination matérielle consiste à faire application des mêmes règles à des situations différentes.
En l’espèce, le salarié se plaint d’une discrimination directe et formelle par rapport à ses collègues délégués syndicaux centraux et à ses collègues salariés non syndiqués.
Concernant la discrimination par rapport aux collègues non syndiqués, le salarié ne verse aux débats aucun élément la laissant présumer. A cet égard, l’employeur produit la grille d’évolution de divers salariés occupant le même poste, lesquels ont eu une évolution à un rythme équivalent à celui de M. [T] avec un salaire moindre que le sien.
Concernant la discrimination par rapport aux autres délégués syndicaux centraux, l’accord de dialogue social du 11 juillet 2019, garantit le maintien de l’intégralité de la rémunération fixe et variable ainsi que les avantages perçus avant la mise à disposition, ce qui n’est pas discuté. En effet, le salarié se plaint plus précisément d’une absence d’évolution de carrière faute d’avoir été classé au coefficient 275.
L’accord de dialogue social du 11 juillet 2019 renvoit à l’application du code du travail en matière d’évolution de carrière des délégués syndicaux mis à disposition. L’accord du 30 décembre 2010 de mise à disposition stipule en son article 5 que la mise à disposition ne saurait avoir de conséquences sur le déroulement de la carrière du salarié délégué syndical, et ne peut faire obstacle aux promotions dont il pourrait bénéficier.
Les bulletins de salaire de M. [T] montrent une évolution conventionnelle de sa rémunération, tous les deux ans environ, jusqu’à atteindre le niveau du minimum conventionnel pour le coefficient 275 auquel l’employeur ne veut pourtant pas le classer.
Or, M. [T] justifie que le délégué syndical central du syndicat Force ouvrière a été reclassé au coefficient supérieur 230 en mars 2020, rétroactivement à juillet 2019, et que le délégué syndical CFDT a été reclassé au coefficient 230 en 2021.
Le fait que ces salariés occupent d’autres postes ou ne seraient pas, du moins pour l’un d’eux, de la catégorie des agents de maîtrise, est sans incidence, puisque le comparatif porte sur l’évolution de la carrière et non sur le classement dans la grille de classification.
Il ressort de ces éléments que l’employeur a accepté de reclasser au coefficient supérieur deux délégués syndicaux centraux d’autres syndicats, tout en maintenant M. [T], dans sa catégorie, au même coefficient depuis plus de 10 ans, lui refusant l’accès au coefficient 275, alors qu’il lui verse, depuis 2019, une rémunération correspondant au classement dans ce coefficient.
Ces éléments laissent présumer l’existence d’une discrimination syndicale. Toutefois, l’employeur n’explique pas son refus de classer M. [T] au coefficient 275 alors qu’il lui verse la rémunération minimale conventionnelle correspondante. Par conséquent, il ne justifie pas que sa décision est étrangère à la discrimination, laquelle se trouve donc établie.
Aussi, par infirmation du jugement, il faut faire droit à la demande de reclassement au coefficient 275 à compter de juillet 2019.
En revanche, le salarié perçoit déjà la rémunération minimale correspondant à cette reclassification de sorte que la demande de fixation du salaire à 3 600 euros et de rappel de salaires doit être rejetée, par confirmation du jugement déféré.
Le préjudice moral causé au salarié sera réparé par l’allocation d’une somme de 5 000 euros. Le jugement qui a débouté le salarié sera infirmé.
2- les demandes du syndicat
L’intervention du syndicat, non contestée, sera déclarée recevable.
La violation des dispositions relatives à l’interdiction de toute discrimination syndicale est de nature à porter un préjudice à l’intérêt collectif de la profession, de sorte que la société intimée sera condamnée à payer à la partie intervenante la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.
3- les autres demandes
Succombant au sens de l’article 700 du Code de procédure civile, l’employeur doit, par infirmation du jugement supporter les dépens de première instance et d’appel. Il sera donc par confirmation du jugement, débouté de sa demande de remboursement de ses frais irrépétibles et sera condamné par infirmation, à rembourser au salarié ses frais irrépétibles.
La société Seris Airport Services sera donc condamnée à payer :
– à M. [T] la somme de 1 500 euros en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel,
– à la fédération nationale de l’encadrement du commerce et des services CFE CGC la somme de 1 500 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS
la cour statuant publiquement contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement rendu le 21 juin 2021 par le conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes tendant à se faire reclasser au coefficient 275, à faire condamner l’employeur à lui payer des dommages et intérêts, à rembourser ses frais irrépétibles, et en ce qu’il a condamné le salarié aux dépens ;
Confirme le surplus du jugement déféré ;
statuant à nouveau, dans les limites des chefs d’infirmation,
Juge que M. [S] [T] a fait l’objet d’une discrimination syndicale ;
Condamne la SAS Seris Airport Services à reclasser, à compter de juillet 2019, M. [S] [T] au coefficient 275 ;
Condamne la SAS Seris Airport Services à payer à M. [S] [T] les sommes suivantes :
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– 1 500 euros en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel ;
Déclare recevable l’intervention volontaire de la fédération nationale de l’encadrement du commerce et des services CFE CGC ;
Condamne la SAS Seris Airport Services à payer à la fédération nationale de l’encadrement du commerce et des services CFE CGC les sommes suivantes :
– 3 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– 1 500 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d’appel ;
Déboute la SAS Seris Airport Services de sa demande de remboursement de ses frais irrépétibles d’appel ;
Condamne la SAS Seris Airport Services aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier La présidente
Laisser un commentaire