Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Reconnaissance des Maladies Professionnelles : L’Importance du Lien de Causalité et des Diligences Administratives
→ RésuméLa reconnaissance des maladies professionnelles repose sur l’établissement d’un lien de causalité entre la pathologie et l’activité professionnelle. Dans l’affaire de Mme [K], salariée en tant que femme de ménage, la caisse a initialement accepté la prise en charge de ses tendinopathies. Cependant, un second avis du CRRMP a conclu à l’absence de lien direct entre la maladie et le travail, entraînant une contestation de la décision. Le tribunal a confirmé que la preuve du caractère professionnel de la maladie n’était pas établie, soulignant l’importance des diligences administratives dans ce processus.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/04700
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 15 novembre 2024
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 20/04700 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCD62
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 Juin 2020 par le Pole social du TJ de PARIS RG n° 17-05249
APPELANTE
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A.S. [5]
anciennement dénommée [6]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Philippe PACOTTE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0513 substitué par Me Henri HAGUET, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de Procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe LATIL, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre
Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller
Monsieur Christophe LATIL, Conseiller
Greffier : Madame Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 5 juillet 2024, prorogé au 27 septembre 2024, puis au 15 novembre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de Procédure civile.
-signé par Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre et par Madame Agnès ALLARDI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par l’Assurance maladie de [Localité 7] (la caisse) d’un jugement rendu le 8 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Paris dans un litige l’opposant à la société [5] venant aux droits de la société [6] (la société).
SUR CE, LA COUR
Sur la péremption de l’instance
La société soutient que l’instance est périmée depuis le 16 juillet 2022, la caisse n’ayant accompli aucune diligence depuis l’appel interjeté le 16 juillet 2020.
La caisse réplique que le délai de péremption n’a pas commencé à courir avant la date de la première audience fixée par le greffe dans la convocation.
Il résulte des dispositions de l’article R.142-22 du code de la sécurité sociale, en vigueur jusqu’au 1er janvier 2019, que l’instance est périmée lorsque les parties s’abstiennent d’accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l’article 386 du code de Procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.
Aucune diligence n’a été en l’espèce mise à la charge des parties.
Aux termes des dispositions du décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 ayant abrogé l’article R.142-22 du code de la sécurité sociale, l’article 386 du code de Procédure civile est applicable en matière de sécurité sociale à partir du 1er janvier 2019 tant aux instances d’appel initiées à partir de cette date qu’à celles en cours à cette date.
Lorsque la Procédure est orale, les parties n’ont pas, au regard de l’article 386 du code de Procédure civile, d’autre diligence à accomplir que de demander la fixation de l’affaire (Civ. 2, 17 novembre 1993; n°92 -12807; 6 décembre 2018; n°17-26202).
La convocation de l’adversaire étant le seul fait du greffe, la direction de la Procédure échappe aux parties qui ne peuvent l’accélérer. (Civ. 2, 15 novembre 2012; n° 11- 25499). Il en résulte que le délai de péremption de l’instance n’a pas commencé à courir avant la date de la première audience fixée par le greffe dans la convocation.
A la suite de la déclaration d’appel, les parties ont été convoquées par le greffe pour l’audience du 23 février 2024. L’affaire a fait l’objet d’un renvoi pour être plaidée à l’audience du 21 mai 2024 date à laquelle la caisse a déposé ses conclusions.
Le moyen tiré de la péremption d’instance ne peut donc prospérer.
Sur le lien de causalité direct entre la maladie en cause et le travail habituel de l’assurée
Selon l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, une maladie, telle qu’elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles, peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail de la victime, même si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies.
Dans ce cas la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Le tableau n° 57 A précise les conditions de prise en charge :
* Désignation de la maladie : Tendinopathie chronique non rompue non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM,
* délai de prise en charge : 6 mois (sous réserve d’une durée d’exposition de 6 mois),
* liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies :
Travaux comportant des mouvements ou le maintien de l’épaule sans soutien en abduction:
– avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé
ou
– avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé.
En l’espèce la caisse a saisi le CRRMP de [Localité 7], sur le fondement du troisième alinéa de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale pour déterminer si l’affection déclarée était ou non directement causée par le travail habituel de l’intéressé, le délai de prise en charge n’ayant pas été respecté au vu de la date de première constatation de la maladie retenue par le service médical.
Le CRRMP de [Localité 7] dans son avis du 13 juillet 2017 conclut :
‘Certains gestes et postures de travail peuvent favoriser l’apparition de tendinopathies de l’épaule.
L’analyse du poste de travail, des tâches et des mouvements effectués de façon habituelle au cours de celui-ci tels que décrits par l’enquête administrative ainsi que les éléments du dossier médical en particulier le début de la symptomatologie et le résultat de l’imagerie permettent de retenir un lien direct entre le travail habituel et la maladie déclarée par certificat médical du 26/05/2016.’
A la suite de cet avis favorable du CRRMP, la caisse a notifié la prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de la tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite et de la tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche déclarées par Mme [K].
Saisi par la société contestant l’opposabilité des décisions de prise en charge, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris, sur le fondement des dispositions de l’article
R. 142-24-2 du code de la sécurité sociale, le différend portant sur la reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie dans les conditions prévues aux troisième et quatrième alinéas de l’article L. 461-1, pour avoir l’avis d’un comité régional autre que celui qui avait déjà été saisi par la caisse, a désigné le comité de [Localité 8].
Ce deuxième CRRMP, dans son avis du 23 août 2019 conclut :
‘ Mme [K] [J], née en 1972, est agent d’entretien pour une société de nettoyage.
Elle présente une tendinopathie chronique non rompue, non calcifiante de la coiffe des rotateurs gauche objectivée par IRM et constatée le 13.05.16.
Le dossier nous est présenté pour dépassement du délai de prise en charge (10 mois et
27 jours au lieu des 6 mois requis).
Après accord du CRRMP de [Localité 7] en date du 13.07.17, le TASS de Paris dans son jugement du 17.12.18 désigne le CRRMP des Hauts de France afin de recueillir ses avis sur l’origine professionnelle des maladies déclarées par Mme [J] [K] le
12 octobre 2016.
A la lecture attentive des pièces médicales et administratives du dossier, le CRRMP constate l’absence d’élément clinique permettant de raccourcir le dépassement du délai de prise en charge.
Pour toutes ces raisons, il ne peut être retenu de lien direct entre l’affection présentée et l’exposition professionnelle.’
Les juges du fond ne sont pas liés par l’avis des CRRMP qui constitue un élément de preuve parmi les autres et dont ils apprécient souverainement la force probante.
En l’espèce les avis des deux CRRMP divergent.
Si l’on se reporte à la synthèse de son enquête, la caisse indique que l’étude du poste occupé par Mme [K] n’a pas pu être réalisée et la gestuelle n’a donc pas pu être appréciée ou mesurée puisque le site de l’Opéra comique où travaillait l’assurée a été fermé pour travaux de rénovation complète de juillet 2015 à courant 2017, que le titulaire du contrat de marché d’entretien n’est plus ISS depuis le 30 juin 2015, que Mme [K] se trouvant en arrêt de travail lors de la fin du marché, son contrat de travail n’a pas été repris par le nouveau titulaire, Novasol, et qu’enfin le chef d’équipe encadrant Mme [K] est à la retraite depuis le 16/07/2015.
La caisse indique dans le compte rendu de son enquête que Mme [K] effectuait des travaux d’entretien courant dans le théâtre : nettoyage du bureau du directeur y compris la vaisselle, des loges dont mobilier, robinetterie et miroirs, du hall notamment les sols et retrait des traces sur les cuivres.
L’employeur dans sa lettre de réserves et en réponse au questionnaire de la caisse indique comme taches effectuées par Mme [K] : procéder au vidage des corbeilles de bureaux et des loges, essuyer les dessus de mobiliers et objets meublants, nettoyer et laver les blocs sanitaires, effectuer le balayage et le lavage des sols, ces différentes taches étant effectuées avec des matériels (chariot, seaux de lavage, aspirateur très peu utilisé, support d’essuyage) dont l’ergonomie limite les efforts manuels.
Le résultat de l’enquête menée par la caisse et l’analyse des pièces ne permettent pas de considérer, nonobstant l’avis du CRRMP de [Localité 7], qu’il y ait un lien direct entre la pathologie et le travail, les taches effectuées par Mme [K] telles que décrites ne comportant pas de mouvements ou le maintien de l’épaule sans soutien en abduction avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé, la durée consacrée à des tâches imposant de lever le bras (nettoyage de miroirs par exemple) n’a pas été précisée et il n’est pas établi qu’elle était d’au moins deux heures.
Ainsi que l’indique le premier juge la contrainte gestuelle répétée et régulière des deux épaules dans le cadre de l’activité professionnelle n’est donc pas prouvée, la caisse indiquant elle- même que l’étude du poste occupé par Mme [K] n’a pas pu être réalisée et la gestuelle n’a pas pu être appréciée ou mesurée.
En l’absence de caractérisation d’un lien direct entre la maladie dont souffre l’assurée et ses conditions de travail habituel, la preuve du caractère professionnel de la maladie n’est pas établi et il convient de faire droit à la demande d’inopposabilité formulée par la société.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
La caisse, succombant en son appel, sera tenue de supporter la charge des dépens d’appel.
L’équité ne commande pas qu’il soit fait droits aux demandes en paiement formées par les parties en application des dispositions de l’article 700 du code de Procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
REJETTE le moyen tiré de la péremption d’instance ;
DÉCLARE recevable l’appel de l’Assurance maladie de [Localité 7] ;
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Paris ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes au titre des dispositions de l’article 700 du code de Procédure civile ;
CONDAMNE l’Assurance maladie de [Localité 7] aux dépens d’appel.
La greffière, La présidente
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