République française
Au nom du peuple français
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 21/00006 – N° Portalis DBVH-V-B7F-H4VH
LR/EB
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE NIMES
18 décembre 2020 RG :18/00259
[J]
C/
Société ORANO CYCLE
Grosse délivrée
le
à
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 28 MARS 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NIMES en date du 18 Décembre 2020, N°18/00259
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Leila REMILI, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
M. Michel SORIANO, Conseiller
Madame Leila REMILI, Conseillère
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 12 Janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 28 Mars 2023.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANT :
Monsieur [E] [J]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Frédéric MANSAT JAFFRE de la SELARL MANSAT JAFFRE, avocat au barreau de NIMES
Représenté par Me Cyril CAMBON, avocat au barreau de NARBONNE
INTIMÉE :
Société ORANO CYCLE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Thierry CHEYMOL de l’AARPI LMT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Marine GARDIC, avocat au barreau de PARIS
Représentée par Me Georges POMIES RICHAUD, avocat au barreau de NIMES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 30 Décembre 2022
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 28 Mars 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
M. [E] [J] a été engagé à compter du 1er janvier 2011 par la société Areva NC en qualité de responsable technique, avec reprise d’ancienneté au 2 septembre 2002.
A compter du 1er janvier 2013, M. [E] [J] a été muté de l’établissement de [Localité 5] à celui de Marcoule dans le Gard, BU Valorisation, direction technique valorisation.
M. [E] [J] a démissionné de ses fonctions le 4 mai 2017.
Suivant requête du 2 mai 2018, il saisissait le conseil de prud’hommes de Nîmes de demandes tendant à voir requalifier sa démission prise à la suite d’un harcèlement moral, en une mesure de licenciement dépourvue de cause réelle et sérieuse et, partant, sollicitait la condamnation de la société Orano Cycle venant aux droits d’Areva à lui verser diverses sommes.
Par jugement contradictoire du 18 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Nîmes a :
– dit que M. [J] n’a pas été victime d’un harcèlement moral au sein de la société Orano Cycle,
– dit que la société Orano Cycle n’a pas commis de manquement à son obligation de prévention en matière de harcèlement moral,
– dit que la démission de M. [J] ne peut s’analyser en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– dit que l’exécution du contrat ne peut justifier aucun rappel lié au salaire du demandeur.
En conséquence,
– rejeté les demandes présentées au titre du harcèlement moral et de la rupture du contrat,
– rejeté l’ensemble des demandes de M. [J] liées à l’exécution du contrat.
Reconventionnellement,
– condamné M. [J] à verser à la société Orano Cycle, 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties des autres demandes,
– dit que les dépens seront supportés par le demandeur.
Par acte du 4 janvier 2021, M. [E] [J] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 02 décembre 2022, M. [E] [J] demande à la cour de :
– accueillir l’appel ;
– réformer le jugement du conseil des prud’hommes de Nîmes du 18 décembre 2020 ;
– dire et juger Orano Cycle responsable de son harcèlement moral ;
– condamner Orano Cycle à la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
– condamner Orano Cycle à la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à son obligation de prévention du harcèlement moral ;
– condamner Orano Cycle à la somme de 2.000 euros au titre de rappel de salaire sur le bonus 2016 ;
– dire et juger que sa démission s’analyse en une prise d’acte aux torts exclusifs d’Areva NC devenue depuis Orano Cycle ;
– condamner Orano Cycle au paiement des sommes suivantes :
* 45.456,78 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
* 4.545,68 euros au titre des congés payés y afférent,
* 57.293,73 euros à titre d’indemnité de licenciement,
* 140.000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 5.260,33 euros au titre du bonus 2017 et à la somme de 526,03 euros au titre des congés payés y afférent,
* 2.500 euros au titre de la prime de retour à meilleure fortune et à la somme de 250,00 euros au titre des congés payés y afférent ;
– condamner Orano Cycle au paiement de la somme de 2.400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’appel, y compris ceux d’exécution forcée de l’arrêt à intervenir, et lui imputer l’honoraire de recouvrement de l’huissier de justice.
L’appelant soutient que :
– les conditions de travail ont été excellentes de 2011 à 2013, le harcèlement ayant commencé en 2014 jusqu’à sa démission, les agissements répétés se manifestant au travers de l’ajout d’un échelon hiérarchique et de sa mise au placard, entraînant la dégradation de son état de santé, la situation s’aggravant à partir de 2016 par le harcèlement moral direct de M. [UJ] son supérieur hiérarchique allant jusqu’à nier sa participation à la réussite du projet « mousse de flottation » ou à le spolier de son bonus contractuel
– il a signalé en vain le harcèlement dont il a été victime
– les attestations produites par l’employeur ne sont pas probantes étant celles de salariés soumis au lien de subordination et d’autant plus vulnérables professionnellement qu’au moment de leurs témoignages, l’entreprise était soumise à de grandes difficultés économiques et eux, en situation d’échecs professionnels
– la démission a été contrainte par ce harcèlement.
En l’état de ses dernières écritures en date du 20 décembre 2022, contenant appel incident, la société Orano Démantèlement anciennement Orano cycle demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
* dit que M. [J] n’avait pas été victime de harcèlement morale en son sein,
* dit qu’elle n’avait pas commis de manquement à son obligation de prévention en matière de harcèlement moral,
* dit que la démission de M. [J] ne pouvoir s’analyser en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* dit que l’exécution du contrat ne pouvait justifier aucun rappel de salaire,
* débouté M. [J] de l’ensemble de ses demandes,
* condamné M. [J] à lui payer la somme de 700 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile et y ajoutant, de condamner M. [J] au paiement de la somme de 2.400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– infirmer le jugement entrepris pour le surplus en ce qu’il l’a déboutée de la demande suivante : indemnité pour procédure abusive : 1.000 euros.
Statuant à nouveau :
– déclarer M. [J] mal fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions,
– juger et au besoin, constater qu’il a été intégralement et correctement rempli de ses droits,
– juger et au besoin, constater que M. [J] ne justifie pas des préjudices dont il demande réparation,
En conséquence,
– débouter M. [J] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner M. [J] à lui verser la somme de 5.000 euros à titre d’indemnité pour procédure abusive,
– condamner M. [J] à lui verser la somme de 2.400 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [J] aux dépens de l’instance.
L’intimée fait valoir que :
– M. [J] a librement donné sa démission pour exclusivement rejoindre une entreprise concurrente, la société Asteralis, en inventant de toute pièce l’existence d’un litige avec Orano -sur les trois années précédentes, il n’a été fait état de situation de harcèlement qu’à l’occasion d’une intervention chirurgicale d’un pied
– les accusations de harcèlement moral sont en tout état de cause fausses
– la décision d’un échelon hiérarchique supplémentaire était justifiée et concertée
– le salarié n’a nullement été mis au placard mais au contraire impliqué de façon très étroite, il a été amené à sa demande à travailler très fréquemment avec la direction des opérations internationales, ses demandes d’évolution au sein du groupe étant étudiées et acceptées dès que cela était possible, il a été affecté sur des projets très importants (Fukushima) et des brevets ont été déposés avec reconnaissance de l’inventeur
– il n’y a pas eu de harcèlement de la part de M. [PR] [UJ] : ainsi notamment un unique courriel est visé qui n’avait rien d’humiliant ou vexatoire, il ne lui a pas été attribué un « bureau pourri », il n’y a en réalité aucun litige concernant le projet des « mousses fixatives »
– la société a respecté son obligation de prévention du harcèlement moral
– les attestations ne sont pas conformes au code de procédure civile et les éléments médicaux sans rapport avec les faits reprochés
– enfin les demandes financières sont fantaisistes.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 19 octobre 2022 , le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 30 décembre 2022. L’affaire a été fixée à l’audience du 12 janvier 2023.
MOTIFS
Sur le harcèlement moral et le manquement par l’employeur à l’obligation de prévention
Selon l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il sera rappelé qu’une situation de harcèlement se déduit ainsi essentiellement de la constatation d’une dégradation préjudiciable au salarié de ses conditions de travail consécutive à des agissements répétés de l’employeur révélateurs d’un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs, d’autorité, de direction, de contrôle et de sanction.
En cas de litige, l’article L.1154-1 du même code prévoit que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, M. [E] [J] fait état d’un harcèlement moral dans les conditions suivantes :
-les difficultés ont commencé lors de la fusion de la direction technique de la BU VAL (Business Unit Valorisation) et de la BUA (Business Unit Assainissement) en 2014
-M. [PR] [UJ], directeur technique de la nouvelle entité direction technique démantèlement et services l’a convoqué à un entretien pour lui faire savoir brutalement et sans motivation aucune qu’il avait décidé qu’il « ne serait plus responsable du pôle et qu’il lui mettait quelqu’un au-dessus de lui »
-il était en outre le dernier à apprendre la nouvelle organisation mise en place
-sur le nouvel organigramme, il n’avait plus de fonction hiérarchique, n’était plus responsable de pôle mais positionné de façon transverse sans salarié sous ses ordres, Mme [VY] [BI] ayant notamment subi les mêmes pressions pour partir, comme cela ressort de ce qu’elle écrit sur LinkedIn
-il a été privé de ce qui était son poste principal, à savoir la responsabilité du pôle, le statut d’expert senior n’était pas une fonction et n’avait rien d’avantageux puisqu’il le possédait déjà depuis de nombreuses années
-la création d’un échelon hiérarchique supplémentaire qui constitue une modification de son contrat de travail a donc eu pour effet de réduire ses responsabilités en ôtant les salariés placés sous ses ordres et en limitant ses attributions
-il a exprimé sa souffrance lors des entretiens annuels de 2014 et 2015 puis a éprouvé la nécessité de se faire aider par une psychothérapeute
-M. [UJ] va alors organiser sa « placardisation » en le privant d’informations sur des dossiers sur lesquels des objectifs lui étaient pourtant fixés et en le mettant à l’écart systématique de la vie de la direction technique, notamment des réunions d’échanges et de travail de son propre secteur d’activité, comme l’attestent M. [S] [K] et M. [SF] [N], M. [VK] [G], expert démantèlement, donnant des explications sur les raisons particulièrement mesquines de cette mise à l’écart
-il est en effet reconnu pour sa compétence, fait de « l’ombre » à certaines personnes et a le tort d’exprimer clairement ses positions et de les défendre
-cette mise à l’écart s’est également traduite par la suppression de l’autonomie inhérente à sa mission et son statut d’expert, se manifestant par un « flicage » systématique, humiliant et contre-productif, comme évoqué dans l’attestation de M. [F] [O]
-la dégradation de ses conditions de travail, organisée et entretenue par M. [UJ] à partir de 2014, va rapidement affecter sa santé physique et psychique, sa souffrance au travail ayant été évoquée auprès des médecins du travail et attestée par une psychologue clinicienne
-la mise à l’écart et les brimades vont s’accentuer lors qu’il sera, début 2016, à nouveau directement rattaché à M. [UJ] du fait du départ en retraite du niveau hiérarchique qui lui avait été imposé, M. [UJ] allant jusqu’à l’accuser de « turpitudes » dans un courriel du 10 mars 2016, duquel plusieurs personnes sont destinataires ou en copie, en le dénigrant et le discréditant
-co-inventeur ou inventeur de plusieurs procédés, il a notamment développé le projet de pointe concernant les mousses de flottation, qui a servi à M. [UJ] de prétexte pour accentuer son harcèlement, en l’insultant et en lui faisant refaire plusieurs fois le cahier des charges technique, prétextant des virgules mal placées et des pseudo pertes de
propriété > < intellectuelle si cela était mal fait -le projet a été une réussite mais il n’a bénéficié d’aucune reconnaissance officielle
-par ailleurs, à son retour de mission au Japon, il a découvert qu’à la suite du déménagement début 2016 il lui avait été attribué le bureau face à la photocopieuse et avec cloison mitoyenne avec les WC
-malgré ses démarches auprès du service RH et du directeur technique d’International Opérations (IO) pour qu’il intègre à plein temps la structure IO pour laquelle il travaillait déjà, la DRH à laquelle il a fait part de sa souffrance au travail restera inerte malgré des relances et une proposition de médiation n’arrivera qu’après sa démission, l’enquête interne étant en réalité une mascarade
-s’il n’est pas rattaché officiellement à IO, il va y travailler dans les faits sur le sujet des mousses de flottation avec l’accord de tous mais lors de l’entretien annuel en avril 2017, M. [UJ] va refuser de revoir l’atteinte des objectifs 2016 et va fixer la part variable de sa rémunération en fonction d’objectifs caducs, soi une perte d’environ 2000 euros sur ce qu’il aurait dû percevoir au titre du bonus 2016.
Ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.
Face à ces éléments, la société Orano fait valoir que :
-les affirmations péremptoires de M. [E] [J] sont fausses et ne peuvent en aucun cas constituer un harcèlement moral
-s’agissant de l’existence d’un échelon hiérarchique supplémentaire : il s’agit d’une réorganisation liée à la fusion de deux unités spécifiques relevant du pouvoir d’encadrement et de direction de la société, d’une décision en aucun cas injustifiée ni dirigée contre M. [E] [J], comme cela ressort de l’attestation de M. [HE] et M. [E] [J] n’a subi aucun changement de statut ni de salaire
-contrairement à ce que prétend le salarié, la décision n’a pas été annoncée brutalement et sans motivation mais a été précédée de concertations et d’une présentation spécifique en assemblée plénière à laquelle il a été invité à participer
-M. [E] [J], du fait de son statut d’expert senior était régulièrement invité à des réunions.
Il sera précisé, au préalable, que les attestations versées aux débats par l’employeur sont conformes aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile et ne sauraient être écartées du seul fait qu’il existe un lien de subordination entre les témoins et la société Orano, l’article 199 du code de procédure civile exigeant comme seule condition pour apprécier la qualité de l’auteur de l’attestation, la connaissance personnelle des faits.
Par ailleurs, le conseil de prud’hommes a justement considéré que même si les attestations versées par le salarié n’étaient pas conformes aux dispositions de l’article 202 précité, il devait néanmoins les examiner afin de déterminer la connaissance personnelle ou non des faits par les témoins.
La cour constate ensuite, à la lecture du document produit en pièce 13 par l’intimée, que l’existence d’un échelon hiérarchique supplémentaire et le statut d’expert reconnu à M. [E] [J] résultent de la nouvelle organisation mise en place à la suite de la fusion des deux activités valorisation et assainissement, avec comme principes directeurs notamment la valorisation de l’expertise technique auprès des équipes opérationnelles. Or, il n’est pas contestable que M. [E] [J] disposait dans son domaine d’une forte compétence technique et c’est d’ailleurs cette dernière et non la fonction managériale qui était sollicitée par la direction des opérations internationales que M. [E] [J] souhaitait rejoindre à temps plein. En outre, le salarié conservait son statut d’expert et son salaire. S’il apparaissait toutefois une perte de responsabilités au niveau managérial, il n’en ressort pas pour autant la volonté démontrée de mettre M. [E] [J] à l’écart, étant relevé que ce dernier indique dans ses conclusions que le placement sur ce « niveau transverse » concernait également d’autres salariés dont Mme [BI] et M. [Y].
M. [E] [J] a par ailleurs été invité, comme les autres salariés, à participer à l’assemblée plénière du 13 janvier 2014 au cours de laquelle la nouvelle organisation a été présentée, étant relevé que le projet avait fait préalablement l’objet d’une consultation du CHSCT et d’une grille d’analyses de l’impact humain. En outre, cette nouvelle organisation a été évoquée lors de l’entretien annuel d’évaluation 2013/2014 et le 22 janvier 2014, M. [E] [J] n’a formulé aucune réserve alors que son supérieur hiérarchique notait « le changement d’organisation et le nouveau positionnement de [E], visant à lui permettre de consacrer davantage de temps à cette expertise en soutien à l’innovation, la R&D, les offres et les projets, en créant un lien encore plus fort avec les sites et les unités directement opérationnelles ».
M. [L] [HE], manager R&D, déclare pour sa part « cette modification de l’organigramme m’est apparue logique, au regard des connaissances particulières et de l’expérience de M. [E] [J] dans l’ensemble des domaines couverts par les pôles techniques de la direction technique ». Il précise que « M. [J] participait aux revues de scénario, revues techniques et autres réunions où son expérience pouvait influer sur les décisions prises. J’ai personnellement convié M. [J] à ce type de réunions concernant les projets dont j’avais la charge ».
S’agissant encore de l’absence de participation aux réunions, la cour constate qu’il ressort de l’entretien d’évaluation 2014/2015 que M. [E] [J] assistait aux réunions avec le responsable du pôle OI.
M. [F] [O], technicien au CEA, en charge du suivi technique et des essais sur le projet mousses de flottation, ne fait que rapporter les propos de M. [E] [J] et ses ressentis.
M. [VK] [G], expert retraité d’Orano, évoque des jalousies, « un contexte managérial » peu favorable à l’initiative, une « mise au placard » de M. [J] qu’il « suppose » orchestrée par sa hiérarchie, qui lui a « fait quitter certains des projets dont il s’occupait » sans qu’il n’ait lui-même constaté l’existence de faits précis de harcèlement moral.
Les photographies produites et le témoignage de M. [C] qui a repris le bureau de M. [E] [J], ne permettent pas de considérer que ce bureau, que l’appelant occupait à mi-temps compte tenu de ses missions au sein de la direction des opérations internationales, n’était pas décent et lui a été attribué à titre de « placard ».
Par ailleurs, l’appelant produit un unique courriel du 10 mars 2016 émanant de M. [PR] [UJ] dont il indique qu’il est insultant et humiliant.
Or, si M. [E] [J] se plaint que d’autres salariés en ont été directement destinataires ou en copie, M. [UJ] n’a fait que le communiquer aux personnes auxquelles M. [E] [J] s’adressait lui-même dans son courriel précédent. Par ailleurs, rien ne permet à la cour, à la lecture de ce dernier qui concernait le dossier technique des mousses de flottation et qui témoigne certes du mécontentement de son supérieur hiérarchique, de juger les propos tenus insultants ou humiliants. Si M. [UJ] parlait de « turpitudes », ce qui est certes exagéré et non démontré, il était notamment reproché à M. [J] ses démarches en direct auprès des partenaires ou fournisseurs, ce qui au demeurant ressort des pièces du dossier (notamment l’attestation de M. [T] [I] chargé d’affaires ECI). Un même type de comportement est pointé par d’autres personnes (M. [DL] [A], M. [P] [D], Mme [Z] [M], Mme [R] [CY]) qui lui reprochent de ne pas savoir travailler en équipe sur les projets.
L’intimée produit en outre d’autres courriels émanant de M. [UJ] dont le ton est parfaitement cordial, ainsi en février, octobre et novembre 2016, celui-ci prenant par exemple des nouvelles de M. [J] lorsqu’il subissait une opération chirurgicale.
Aucun élément au dossier ne permet donc de confirmer l’existence de pressions psychologiques et de brimades de la part du supérieur hiérarchique.
Si M. [X] [V], directeur technique, indique que dès mars 2016 tout le monde était d’accord sur le principe du transfert de M. [E] [J] à la direction des opérations internationales, le fait que le salarié n’a finalement pas obtenu, avant sa démission en 2017, la mutation sollicitée au sein de cette direction ne permet pas d’y voir un acte constitutif de harcèlement moral. Il ressort en effet des attestations de M. [P] [D], directeur des opérations internationales et de Mme [Z] [M], directrice des ressources humaines, que le service n’avait pas besoin d’un temps plein.
M. [P] [D] déclare ainsi : « j’ai pris la responsabilité des opérations internationales (IO) le 01/01/2014. Dès le début, nous avons convenu avec T. [UJ] que M. [J] continuerai à avoir des missions avec IO dans la nouvelle organisation. Par contre, IO ne pouvait pas occuper M. [J] à plein temps, et vu la nature de l’expertise, il était naturel qu’il reste attaché à la DT de D&S. »
Il poursuit « IO a très largement sollicité M. [J], en particulier sur les affaires Japon, où son expertise était particulièrement appréciée et reconnue, tant de nos équipes que des clients. Ces interventions ont été réalisées en bonne intelligence avec T. [UJ], même si M. [J] fait preuve d’une autonomie pas toujours contrôlable, avec une forte personnalité. La qualité de son expertise fait que M. [J] a toujours été étroitement impliqué dans nos projets internationaux de démantèlement. Enfin, nous avons souvent ré-évaluer la possibilité de créer un poste au sein de IO, mais les conclusions ont été que nous n’avions pas nécessairement besoin d’un poste à plein temps et que la DT D&S était plus à même de permettre l’entretien de son expertise ».
Mme [Z] [M], directrice des ressources humaines du site de Marcoule de janvier 2010 à juin 2016 et qui n’a donc plus de lien de subordination avec l’employeur, confirme :
« j’ai été sollicitée par M. [J] [E] en mars 2016 pour un entretien. Lors de cet entretien, M. [J] [E] m’a fait part de son désaccord sur les demandes de sa hiérarchie et plus précisément sur le fait qu’il ne supportait pas qu’il lui soit demandé de rendre compte sur son activité ou sur l’avancement des sujets qu’il portait dans le cadre de sa fonction. M. [J] a toujours été reconnu pour ses compétences techniques mais pas sur sa capacité à partager ou à être collectif. Le souhait qu’il a exprimé lors de cet entretien était de rejoindre la direction des projets internationaux. J’ai alors sollicité M. [V] [X], M. [U] [W] et j’ai informé M. [UJ] [PR] de la démarche de mobilité de M. [J] [E]. En avril 2016, Messieurs [V], [U] et [UJ] étaient en accord sur la mobilité de M. [J] sous réserve qu’un poste puisse être ouvert du côté de la direction des projets internationaux avec dans ce cas une répartition du travail de M. [J] à hauteur de 80 % sur les projets internationaux et 20 % sur un projet de démantèlement PHA ».
Il n’est donc justifié d’aucune volonté de la part de M. [UJ] de s’opposer au transfert, lequel interrogeait encore en mars 2017 sur les activités de IO pour lesquelles le service souhaitait faire intervenir M. [E] [J] et il lui était répondu « 500 heures pour 2017 entre les experts meetings pour Anadec et le support aux projets Fukushima, soit entre 25 et 30 % d’1 ETP ».
Il ressort en outre de la liste des brevets produite aux débats que M. [E] [J] a bien été reconnu comme inventeur ou co-inventeur de nombreux procédés. M. [SF] [N], chef de projets chez Asteralis, ne fait que rapporter les propos de Mme [H] [B], chef de service au CEA et en tout état de cause, le comportement qui est prêté à M. [UJ], lequel ferait tout pour que le nom de M. [J] ne soit pas cité s’agissant du brevet sur les mousses fixatives, est postérieur à la démission.
Le conseil de prud’hommes a donc, à juste titre, considéré que la réorganisation n’était pas un fait de harcèlement dirigé contre M. [E] [J], qu’il n’était justifié ni de la « mise au placard », ni du harcèlement direct de la part de M. [UJ].
S’agissant de la dégradation de l’état de santé du salarié, il convient de relever que le seul arrêt de travail du 18 novembre 2016 au 22 février 2017 concerne une opération chirurgicale du pied. En outre, M. [E] [J] fait état d’une affectation de sa santé physique et psychique à partir de 2014, or il n’évoquera un mal être auprès des médecins du travail qu’en février et mars 2017, soit à son retour de plus de trois mois d’absence et peu de temps avant sa démission. Le dossier de surveillance médicale du service de santé au travail ne porte aucune mention avant cette date. Contrairement à ce qui est prétendu, les deux médecins du travail n’ont pas « identifié » une situation de harcèlement moral mais seulement consigné les propos du salarié qui évoquait une telle situation.
M. [E] [J] a fait l’objet d’un suivi par une psychologue clinicienne dans le courant de l’année 2016 puis 2017. Si la praticienne suivait également d’autres salariés d’Orano, la seule mention d’un épuisement psychique provoqué par un contexte professionnel ne saurait faire la preuve d’un harcèlement moral.
Il résulte donc de l’ensemble des éléments précédents, qu’il n’existe pas en l’espèce d’agissements répétés de l’employeur révélateurs d’un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs d’autorité, de direction, de contrôle et de sanction à l’origine d’une dégradation des conditions de travail du salarié.
Il convient donc, par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [E] [J] de ses demandes au titre du harcèlement moral.
En outre, le conseil de prud’hommes, par des motifs pertinents que la cour adopte, recherchant la date à laquelle l’employeur avait connu l’existence d’un éventuel harcèlement et examinant les mesures d’investigation diligentées, a justement considéré, que dès lors qu’elle a été informée de faits pouvant relever du harcèlement moral, la société a réagi, aucun manquement à l’obligation de prévention du harcèlement moral ne pouvant lui être reproché.
Compte tenu de ce qui précède, la démission de M. [E] [J] ne peut s’analyser en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera ici encore confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes de ce chef.
Sur les rappels de primes 2016 et 2017 ainsi que la prime « retour à bonne fortune »
Le contrat de travail de M. [E] [J] prévoit outre un salaire fixe « une part de rémunération variable ou bonus représentant, pour une année complète d’activité, un montant maximum d’un mois de salaire (salaire de base et gratification cadre de 8,5 %). Les éléments de calcul du bonus sont fixés d’accord parties, au début de chaque année dans un document faisant partie intégrante du contrat de travail. Le versement éventuel du bonus est effectué au début de l’année suivante en fonction de vos performances et celles du Groupe ».
Ainsi, contrairement à ce qu’a retenu le conseil de prud’hommes, le bonus n’est pas une mesure discrétionnaire que l’employeur peut décider unilatéralement de supprimer ou de diminuer.
Il ressort de l’entretien d’évaluation du 22 mars 2017 que M. [E] [J] n’aurait atteint ses objectifs qu’à hauteur de 38%. Il lui est reproché un manque d’implication et de retour dans les dossiers internes.
S’il est bien tenu compte de l’activité IO et d’une satisfaction totale (100%) sur ce point, le calcul pondéré à 25 % seulement sur le total de l’évaluation n’est pas expliqué alors qu’il est précisé que M. [E] [J] exerçait des missions dans la direction IO à plus de 50 % (conclusions de l’intimée page 16).
Manifestement, les objectifs de M. [E] [J] n’ont pas été revus en fonction de son affectation à IO et aucun document n’est produit aux débats justifiant des éléments de calcul fixés par les parties.
Il y a lieu dans ces conditions, au regard des atteintes d’objectifs les années précédentes et du calcul de M. [E] [J], de faire droit à sa demande à hauteur de 2000 euros.
Il a également droit à une prime au titre de 2017, jusqu’au 31 mai 2017 (5 mois), soit la somme de 2630,16 euros outre celle de 263,01 euros au titre des congés payés afférents.
Le jugement sera donc ici infirmé.
Enfin, concernant la prime de « retour à bonne fortune » 2017 de 2500 euros, le conseil de prud’hommes a justement relevé qu’il ressortait du « message aux salariés » que cette prime exceptionnelle était versée aux salariés présents toute la durée de l’année, ce qui n’a pas été le cas de M. [E] [J] qui a démissionné au 31 mai 2017.
Le jugement sera en conséquence ici confirmé.
Sur les demandes accessoires et les dépens
La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive n’est pas fondée.
Le jugement sera infirmé s’agissant des frais irrépétibles et des dépens.
Les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de la société Orano et l’équité justifie d’accorder à M. [E] [J] la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le droit proportionnel de l’article R. 444-55 du code de commerce (ancien article 10 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996) n’est pas dû dans les cas énumérés par le 3° de l’article R. 444-53, soit une créance alimentaire ou née de l’exécution d’un contrat de travail. En conséquence, l’appelant sera débouté de sa demande sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort
-Confirme le jugement rendu le 18 décembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Nîmes sauf en ce qu’il a débouté M. [E] [J] de ses demandes au titre du bonus 2016 et 2017 ainsi qu’en ce qui concerne les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
-Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
-Condamne la société Orano Démantèlement anciennement Orano Cycle à payer à M. [E] [J] :
-2000 euros au titre du bonus 2016
-2630,16 euros au titre du bonus 2017 outre la somme de 263,01 euros au titre des congés payés afférents.
– Rappelle que les intérêts au taux légal courent sur les sommes à caractère salarial à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation, et à défaut de demande initiale, à compter de la date à laquelle ces sommes ont été réclamées, que s’agissant des créances salariales à venir au moment de la demande, les intérêts moratoires courent à compter de chaque échéance devenue exigible, et qu’ils courent sur les sommes à caractère indemnitaire, à compter du jugement déféré sur le montant de la somme allouée par les premiers juges et à compter du présent arrêt pour le surplus ;
-Condamne la société Orano Démantèlement à payer à M. [E] [J] la somme de 2000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
-Rejette le surplus des demandes,
-Condamne la société Orano Démantèlement aux dépens de première instance et d’appel.
Arrêt signé par le président et par le greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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→ Questions / Réponses juridiques
Quel est le contexte de l’affaire jugée par la cour d’appel de Versailles ?L’affaire concerne Monsieur [J] [L], un stagiaire engagé par la société Sunny Asset Management à partir du 1er octobre 2019 pour une durée de six mois. Il a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre le 30 juin 2020, demandant la requalification de sa relation de travail en contrat à durée indéterminée et le paiement de diverses sommes. Le jugement du 8 mars 2021 a débouté Monsieur [L] de ses demandes, ce qui l’a conduit à interjeter appel le 8 avril 2021. La cour d’appel a examiné les éléments de l’affaire, notamment la nature de la relation de travail entre Monsieur [L] et la société, ainsi que les allégations de harcèlement moral et de travail dissimulé. Quelles étaient les principales demandes de Monsieur [J] [L] dans son appel ?Monsieur [J] [L] a formulé plusieurs demandes dans son appel, cherchant à infirmer le jugement du conseil de prud’hommes. Il a demandé la requalification de sa relation de travail en contrat à durée indéterminée, en qualité de cadre coefficient 400. Il a également réclamé des sommes importantes pour diverses raisons, notamment 13 771,5 euros pour travail dissimulé, 41 314,5 euros pour rappel de salaire, et d’autres indemnités liées à des heures supplémentaires, des congés payés, ainsi que des indemnités pour harcèlement moral et licenciement abusif. Quels arguments a avancés la société Sunny Asset Management pour contester les demandes de Monsieur [L] ?La société Sunny Asset Management a contesté les demandes de Monsieur [L] en affirmant qu’il n’y avait pas de lien de subordination entre eux. Elle a soutenu que Monsieur [L] avait pris l’initiative de travailler avec eux et qu’il n’était pas sous leur contrôle direct. Elle a également affirmé que les missions confiées à Monsieur [L] étaient conformes à la convention de stage et qu’il n’avait pas accompli d’heures supplémentaires. De plus, la société a nié avoir mis en place une convention de stage frauduleuse et a soutenu qu’aucune pression n’avait été exercée sur Monsieur [L] pour qu’il travaille sans rémunération. Quels ont été les motifs de la décision de la cour d’appel ?La cour d’appel a rejeté les demandes de Monsieur [L] en considérant qu’il n’avait pas établi l’existence d’un lien de subordination caractéristique d’un contrat de travail. Elle a noté que les échanges entre Monsieur [L] et Monsieur [C] ne démontraient pas que la société avait donné des ordres ou contrôlé l’exécution de son travail. Concernant la requalification du stage, la cour a conclu que la convention de stage était valide et que les tâches effectuées par Monsieur [L] étaient conformes à celles prévues par cette convention. De plus, la cour a estimé que les allégations de harcèlement moral n’étaient pas fondées, car les messages échangés ne constituaient pas des pressions ou des humiliations. Quelles ont été les conséquences de la décision de la cour d’appel pour Monsieur [L] ?La cour d’appel a débouté Monsieur [L] de l’ensemble de ses demandes, confirmant ainsi le jugement du conseil de prud’hommes. En conséquence, il a été condamné à payer à la société Sunny Asset Management la somme de 1 500 euros pour les frais irrépétibles, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel. Cette décision a des implications significatives pour Monsieur [L], qui n’a pas obtenu la requalification de son stage en contrat de travail et a vu ses demandes financières rejetées. Cela souligne l’importance de la preuve du lien de subordination dans les relations de travail. |
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