Type de juridiction : Cour d’Appel
Juridiction : Cour d’Appel de Nîmes
Thématique : Projets audiovisuels : attention à la qualification de contrat de travail
→ RésuméDans le cadre de projets audiovisuels, il est déterminant de formaliser les participations des intervenants, qu’ils soient prestataires, bénévoles ou salariés. Le contrat de travail établit un lien de subordination, où un individu travaille sous l’autorité d’un employeur en échange d’une rémunération. L’existence de ce lien ne dépend pas des termes choisis par les parties, mais des conditions réelles de travail. Ainsi, la preuve d’un contrat de travail repose sur la démonstration de ce lien de subordination, utile pour déterminer les droits et obligations des parties impliquées.
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En matière de collaboration sur des projets audiovisuels, attention à bien formaliser les participations des différents intervenants (prestataires / bénévoles / salariés …).
Le contrat de travail est celui par lequel une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la subordination d’une autre, moyennant rémunération. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. Il appartient toutefois au justiciable qui invoque l’existence d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve, notamment en établissant l’existence d’un lien de subordination.
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COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5e chambre sociale PH
ARRÊT DU 25 MAI 2021
APPELANTE :
SARL AMPHITANE FILMS
Route de St-Rémy de Provence
[…]
[…]
Représentée par Me Bénédicte ANAV-ARLAUD de la SELARL ANAV-ARLAUD BÉNÉDICTE, Plaidant, avocat au barreau D’AVIGNON
Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉ :
Monsieur Y Z
[…]
[…]
Représenté par Me Christiane IMBERT-GARGIULO de la SELARL CHRISTIANE IMBERT-GARGIULO / MICKAEL PAVIA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D’AVIGNON
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/007848 du 26/09/2018 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Nîmes)
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 27 Janvier 2021
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Joëlle TORMOS, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Guénaël LE GALLO, Président
Mme Joëlle TORMOS, Conseillère
Madame Corinne RIEU, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Isabelle DELOR, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
À l’audience publique du 27 Janvier 2021, où l’affaire a été mise en délibéré au 30 Mars 2021 prorogé à ce jour;
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel ;
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Guénaël LE GALLO, Président, le 28 Mai 2021, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS PROCEDURE ET PRETENTINS DES PARTIES
Y Z, technicien professionnel de cinéma, a mis en contact SCARABEE PRODUCTION et la SARL AMPHITANE FILMS dans le cadre d’un projet cinématographique appelé « Les Apparences », ce projet a finalement était abandonné et la coproduction de la SARL AMPHITANE FILMS et SCARABEE PRODUCTION n’a pas été contractualisée;
Estimant être lié par un contrat de travail à la SARL AMPHITANE FILMS, Y Z a saisi par requête reçue le 7 novembre 2016 le conseil de prud’hommes d’Avignon pour demander que soit constatée l’existence d’un contrat de travail, et que la SARL AMPHITANE FILMS soit condamnée à lui payer diverses sommes correspondant à la rémunération due outre les congés payés y afférents, à des frais professionnels engagés et à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;
Par jugement rendu le 22 mai 2018 le conseil de prud’hommes d’Avignon s’est déclaré compétent pour connaître du litige s’inscrivant dans le cadre d’un contrat de travail et a :
Condamné la SARL AMPHITANE FILMS à payer à Y Z les sommes suivantes :
220 euros au titre du mois de juin ;
1447 euros au titre du salaire du mois de juillet;
365 euros au titre du mois d’août ;
203,20 euros au titre des congés payés ;
882,72 euros en remboursement des frais professionnels engagés par le salarié ;
Fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 677 euros ;
Condamné la SARL AMPHITANE FILMS à payer à Y Z la somme de 4063 euros à tire d’indemnité pour travail dissimulé ;
Condamné la SARL AMPHITANE FILMS à payer à Y Z la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamné la SARL AMPHITANE FILMS à remettre sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 90e jour suivant la notification du jugement les documents sociaux ;
Débouté la SARL AMPHITANE FILMS de ses demandes ;
Dit que la décision fera l’objet d’un signalement au procureur de la république selon l’article 40 du code de procédure pénale ;
Condamné la SARL AMPHITANE FILMS aux dépens et aux frais à venir d’exécution forcée.
la SARL AMPHITANE FILMS a formé appel de ce jugement par déclaration du 12 juin 2018.
Au terme de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 janvier 2021, auxquelles il convient de se reporter en application de l’article 455 du code de procédure civile, la SARL AMPHITANE FILMS demande à la cour de :
Infirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
Déclarer le conseil de prud’hommes incompétent pour statuer sur le litige ;
En tout état de cause,
Débouter Y Z de l’ensemble de ses demandes ;
Condamner Y Z à lui payer la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées en leur dernier état par voie électronique le 25 janvier 2021, auxquelles il convient de se reporter en application de l’article 455 du code de procédure civile, Y Z demande à la cour de :
Déclarer la SARL AMPHITANE FILMS mal fondée en son appel ;
Le déclarer recevable et bien fondé en son appel incident,
Y faisant droit,
Dire que les relations des parties s’inscrivent dans le cadre d’un contrat de travail ;
Condamner Y Z à lui payer les sommes suivantes :
3948,66 euros brut au titre de la rémunération non réglée outre 394,86 euros au titre des congés payés y afférents ;
882,72 euros au titre des frais professionnels exposés ;
8666,34 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;
1800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la SARL AMPHITANE FILMS à lui remettre sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le 10e jour à compter de la signification de la décision, le certificat de travail, le bulletin de salaire et l’attestation pôle emploi correspondant ;
Condamner la SARL AMPHITANE FILMS aux entiers dépens ainsi qu’aux frais éventuels d’exécution.
Au soutien de ses prétentions la SARL AMPHITANE FILMS expose qu’une collaboration avec SCARABEE PRODUCTION avait été envisagée dans le cadre d’un projet transmédia intitulé « Les Apparences » comprenant la réalisation de 10 courts métrages, Y Z avait mis en relation les deux sociétés ; que n’ayant obtenu la subvention régionale espérée le projet a été abandonné et seul un court métrage, « Euh Comment Dire », a été réalisé ; la SARL AMPHITANE FILMS ajoute qu’elle a dû renoncer à embaucher les personnes initialement prévues pour la réalisation du projet, Y Z compris, les DUE ont donc été annulées auprès de l’URSSAF ; que si Y Z a montré de l’intérêt pour le projet, le 8 août 2015 la gérante de la SARL AMPHITANE FILMS lui a indiqué qu’elle ne souhaitait pas lui confier le montage du court métrage, qu’à l’époque Y Z a revendiqué l’existence d’un contrat de collaboration mais non d’un contrat de travail ;
La SARL AMPHITANE FILMS conteste l’existence d’un contrat de travail, le lien de subordination faisant défaut, elle expose que Y Z ne justifie pas de la réalité du travail accompli et que les attestations qu’elle produit attestent qu’il n’était pas requis pour les tâches qu’il revendique avoir exécutées ; qu’il ne justifie pas des frais professionnels dont il demande le remboursement ; que les participants au projet attestent avoir contribué bénévolement ; qu’elle justifie que le budget correspond aux dépenses engagées pour le matériel uniquement ;
Y Z fait valoir que l’existence d’un lien de subordination résulte des échanges de messages entre les parties, il conteste les attestations produites au motif que leurs auteurs ont perçu une rémunération hors contrat de travail, le tournage du court métrage ayant bien eu lieu ; que le conseil de prud’hommes a estimé à tort que le travail de Y Z à la préparation du dossier de financement équivalait à une seule journée de travail, il demande que lui soit alloué une somme de 1762,64 euros pour 65 heures d’équivalence pour les travaux préparatoires, la SARL AMPHITANE FILMS n’établissant pas la preuve d’un temps de travail différent.
MOTIFS
Sur l’existence d’un contrat de travail :
Le contrat de travail est celui par lequel une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la subordination d’une autre, moyennant rémunération. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.
Il appartient au justiciable qui invoque l’existence d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve, notamment en établissant l’existence d’un lien de subordination.
En l’espèce, il résulte des pièces versées aux débats que Y Z et A X représentante de la SARL AMPHITANE FILMS se sont rencontrés le 1er avril 2014 lors de la journée portes ouvertes organisée par le lycée Dauphin de Cavaillon, où Y Z anime un atelier audiovisuel, le soir de cette réunion, Y Z a contacté la SARL AMPHITANE FILMS dans ces termes « je reprends contact comme nous l’avions évoqué. »;
En suite de ce message, A X, pour la SARL AMPHITANE FILMS , adresse un mail à Y Z indiquant « j’ai eu la région cet aprem pour leur dire que l’IMCA, l’IMFP et Créative Friendly et toi avait confirmer l’envie d’entrée dans le projet et ils me demandent si je peux avoir des lettres afin de les joindre au dossier pour la commission. Dons j’aimerai savoir si tu pourrais me faire une lettre par société pour me dire ce que m’as déjà dit mais officiellement, en fait + ils verront d’intervenant de la région mobilisé + il y a de chance que le projet soit soutenu… donc »;
Fanny Weiss, présidente de SCARABEE PRODUCTION, écrit en réponse le 19 mai 2014, « nous sommes convaincus de la très grande valeur de votre projet « Apparences » et nous souhaitons vous apporter notre soutien actif »;
Les échanges de mails entre Y Z d’une part, et A X à compter du mois de mai 2014 jusqu’à l’abandon du projet « Les Apparences » en raison de l’absence de soutien de la région, montrent que les parties collaboraient dans le cadre de ce projet de coproduction;
Pour exemple : le 10 septembre 2014, A X écrit à Y Z « juste pour te dire que je vais encore modifier le cv filmographie donc j’attends avant de travailler la mise en page de cette parties », Y Z répond « pas de soucis, tu m’envoi tout ce que tu veux et je mets en page… je trouve juste que le dossier manque de visuels pour que je puisse faire une vraie mise page façon plaquette attractive… »; le 3 octobre 2014 A X adressait à Y Z le courriel envoyé à Musikovent dans lequel elle définit les bases des « répartitions de parts coproduction »;
Il résulte des termes des messages échangés entre Y Z et la représentante de la SARL AMPHITANE FILMS , A X, que la préparation des dossiers de financement du projet « Les Apparences » était conjoint entre les participants et ne relevait pas d’une relation salariée entre Y Z et la SARL AMPHITANE FILMS ;
S’agissant du tournage du court métrage « Euh Comment Dire », il n’est pas contestable que Y Z soit intervenu au regard des messages échangés durant les mois de juillet et août 2015 entre les parties;
Ainsi le 30 juin 2015 A X écrit à Y Z « on t’envoie demain le flyer modèle du comoedia et voici le pdf de l’affiche à mettre en couverture le texte à l’intérieur… pour dimanche il faut que tu penses à prendre les tickets autoroute et essence… »;
Cependant aucun élément produit au débat ne permet de retenir que sa participation relève d’un lien de subordination existant envers la SARL AMPHITANE FILMS ;
En effet, d’une part, B C en qualité de « monteuse », et D E, en qualité de « directeur de la photographie », attestent avoir occupé sur le tournage les fonctions revendiquées par Y Z, sans que ce dernier ne contredise utilement leurs propos, et d’autre part les termes du message que Y Z a adressé le 8 août 2015 à 7 heures 53 à A X, soit antérieurement à sa réponse dans laquelle elle dit ne plus vouloir collaborer avec lui, témoignent de l’absence d’autorité de la SARL AMPHITANE FILMS à son égard;
Y Z écrit ainsi au sujet des « synchros » et d’erreurs relevées : « … J’ai donc arrêté de suivre ton tableau pour changer de méthode et reprendre l’indexation pour avoir une base fiable… maintenant une petite mise au point amicale mais très franche et directe sur tes dernières injonctions afin de travailler cool sur le montage :
« Sur le Workflow des NLE, tu n’y connais visiblement rien… tu voulais monter après ta soirée et ‘pourquoi je n’ai pas vu ce problème avant »… Hé seul ton emploi du temps compte ‘ Les obligations que j’ai envers mes clients sont négligeables’… Abstiens-toi de la facilité de tells inepties à l’avenir… qui plus est quand ce n’est pas toi qui paye la facture ! … Nous règlerons le reste plus tard… aujourd’hui nous avons un montage à faire, merci de faire l’effort de bien réfléchir tes propos durant le reste de cette collaboration. Je te rappelle que nous aurons un stagiaire avec nous, nous serons chez moi/mes règles, aucunes exceptions… et ne t’en déplaise je n’accepterais aucun des dérapages que tu as pu avoir sur le tournage ou par le passé! »;
La liste des DUE adressée à l’URSSAF le 21 juillet 2014 par la SARL AMPHITANE FILMS annulée par la suite ne permet pas non plus de justifier de l’existence d’un lien de subordination entre Y Z et la société;
Ainsi il résulte de l’ensemble de ces éléments que c’est à tort que le conseil de prud’hommes d’Avignon a considéré d’une part que sa compétence découlait de l’absence de signature entre les parties d’un accord de coproduction et d’autre part de l’existence d’un lien de subordination.
Il s’ensuit que le jugement rendu le 22 mai 2018 par le conseil de prud’hommes d’Avignon sera infirmé en toutes ses dispositions.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SARL AMPHITANE FILMS les dépens exposés dans la présente instance, Y Z sera en conséquence condamné à lui payer la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance et en cause d’appel sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud’homale, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement rendu le 22 mai 2018 par le conseil de prud’hommes d’Avignon en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
Déclare la juridiction prud’homale incompétente pour connaître du litige entre Y Z et la SARL AMPHITANE FILMS.
Condamne Y Z à payer à la SARL AMPHITANE FILMS la somme de 1500 euros au titre des frais engagés en première instance et en cause d’appel sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le condamne aux dépens de première instance et d’appel.
Arrêt signé par Monsieur LE GALLO, Président et par Madame DELOR, Greffière.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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