Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Nîmes
Thématique : Véracité de faits dénoncés sur Youtube
→ RésuméLa diffusion de propos diffamatoires sur YouTube, tels que l’accusation d’appartenir à un réseau pédocriminel, constitue une atteinte manifeste à l’honneur des personnes visées. Selon la loi du 29 juillet 1881, toute allégation portant atteinte à la considération d’une personne est punissable, même si elle est formulée de manière dubitative. Dans ce contexte, le juge des référés peut ordonner des mesures conservatoires pour mettre fin à un trouble manifestement illicite. La présomption de mauvaise foi attachée aux imputations diffamatoires peut être contestée par la preuve de la vérité des faits, ce qui n’a pas été démontré dans cette affaire.
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Glaner des informations de qualité variable sur internet ne constitue pas une enquête sérieuse permettant de se prévaloir de sa bonne foi en cas de poursuites pour diffamation. En présence d’une diffamation sur Youtube, l’assignation en référé d’heure à heure est efficace. Être présenté sur Youtube comme membre d’un réseau pédocriminel est incontestablement une diffamation.
Au sens de l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet «Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés».
En application de l’article 35 de la même loi, la présomption de mauvaise foi qui s’attache de plein droit aux imputations diffamatoires peut être combattue par la vérité des faits.
Une allégation ou une imputation diffamatoire doit comporter l’imputation à une personne identifiable d’un fait précis susceptible de faire sans difficulté l’objet d’une preuve. Un simple jugement de valeur ne constitue pas une allégation diffamatoire.
Une ordonnance a été confirmée en ce qu’elle a déclaré diffamatoires les propos tenus par un rédacteur dans la vidéo Youtube intitulée « Apprenez à voir 3.2 ‘ La secte Nxium en France ‘». A ce titre, le juge des référés, après avoir constaté le trouble manifestement illicite, avait le pouvoir d’ordonner toute mesure conservatoire ou de remise en état destinée à y mettre fin.
Si le rédacteur peut effectivement se prévaloir d’un droit fondamental à la liberté d’expression, garanti juridiquement par nombre de textes nationaux et internationaux, il ne peut opposer à l’accusation pesant sur lui que l’exception de vérité ou l’exception de bonne foi, la qualité de « journaliste indépendant » ou de « lanceur d’alerte » étant sans emport.
Or, il ne rapporte pas la preuve de l’authenticité des faits mis en exergue par cette accusation, d’autant que la preuve de la vérité de ces faits doit être totale, parfaite, complète et liée aux imputations diffamatoires dans toute leur portée. Il n’allègue pas non plus de sa bonne foi, la conviction de défendre un but légitime n’étant pas suffisante si les propos tenus ne sont pas fondés sur une enquête sérieuse, étayée par des faits concrets et prouvés, et non simplement par des informations de qualité variable glanées sur internet.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
2e chambre section B
ARRÊT DU 21 JUIN 2021
N° RG 20/01232 – N° Portalis DBVH-V-B7E-HWSB
A
C/
X
S.A.R.L. ATHAL EDUCATION GROUP
[…]
Grosse délivrée
le
à
APPELANT :
Monsieur D A
né le […] à […]
Représenté par Me Sandrine PEGAND de la SELARL Bâti-juris, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Représenté par Me Stéphanie ROUSSEL, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représenté par Me Arash DERAMBARSH, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Madame B X épouse X
née le […] à […]
[…]
[…]
Représentée par Me Julien HERISSON de la SELARL P.L.M. C AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Frédéric TORT, Plaidant, avocat au barreau d’AVIGNON
Monsieur F X
né le […] à […]
[…]
[…]
Représenté par Me Julien HERISSON de la SELARL P.L.M. C AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représenté par Me Frédéric TORT, Plaidant, avocat au barreau d’AVIGNON
Monsieur G Z
né le […] à LONDRES
[…]
[…]
Représenté par Me Julien HERISSON de la SELARL P.L.M. C AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représenté par Me Frédéric TORT, Plaidant, avocat au barreau d’AVIGNON
S.A.R.L. ATHAL EDUCATION GROUP
SARL unipersonnelle immatriculée au RCS d’AVIGNON sous le […]
[…]
[…]
Représentée par Me Julien HERISSON de la SELARL P.L.M. C AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Frédéric TORT, Plaidant, avocat au barreau d’AVIGNON
[…]
Société par actions simplifiée
immatriculée au RCS d’AVIGNON sous le […]
[…]
[…]
Représentée par Me Julien HERISSON de la SELARL P.L.M. C AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Frédéric TORT, Plaidant, avocat au barreau d’AVIGNON
Statuant sur appel d’une ordonnance de référé
Ordonnance de clôture rendue le 26 avril 2021
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Nicole GIRONA, Présidente de Chambre,
Mme Chantal JACQUOT-PERRIN, Conseillère,
Mme Elisabeth GRANIER, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Véronique PELLISSIER, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
à l’audience publique du 03 Mai 2021, où l’affaire a été mise en délibéré au 21 Juin 2021.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel ;
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nicole GIRONA, Présidente de Chambre, le 21 Juin 2021, par mise à disposition au greffe de la Cour.
Le 24 janvier 2020, a été publiée sur différents sites internet (Tipee, Facebook et Youtube) une vidéo sur une page intitulée « L’heure de se réveiller ». Son contenu porte le titre « Apprenez à voir 3.2 ‘ La secte NXIVM en France ‘ ».
Estimant que certains propos, précisément identifiés par un minutage, les diffamaient, Monsieur et Madame X, Monsieur Z, agissant tant en son nom et pour le compte de la société Athal Education Group, la société Athal Education Group et la société Athal Hospitality, ont sollicité l’autorisation de saisir le juge des référés d’heure à heure, par requête présentée le 1er avril 2020.
Ils ont ainsi assigné M. A, en sa qualité de directeur de la publication et auteur des vidéos mises en ligne sur plusieurs sites.
Par l’ordonnance contradictoire rendue le 11 mai 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire d’Avignon, saisi sur autorisation délivrée le 2 avril 2020 et statuant en référé d’heure à heure, dans l’affaire opposant Monsieur et Madame X, Monsieur Z, agissant tant en son nom et pour le compte de la société Athal Education Group, la société Athal Education Group et la société Athal Hospitality, d’une part, à Monsieur D A, d’autre part, a :
— déclaré diffamatoires les propos suivants à l’égard des demandeurs :
(3’30 » 🙂 « cet angle vise à comprendre comment tout un réseau de compromission et de consommation d’esclaves sexuels mineurs agit en toute impunité à travers le monde »,
(16’54 » 🙂 mention de B I dans un organigramme présenté comme nommant les membres d’un réseau pédocriminel,
(17′ 🙂 « l’implication de cette famille au sein de cette secte fut décisive »,
(35’17 » 🙂 «J X qui se voyait déjà président libyen’a tissé des liens plus que douteux avec la société des Frères musulmans et reçoit même le soutien de personnages terroristes et le soutien de l’organisation terroriste Al Qaïda »,
(42’53 » 🙂 « comment se fait-il que le groupe Athal lié à la secte Nxium, contrôlé par des membres ayant embrassé les enseignements du gourou pédocriminel (et visualisation simultanée d’une page Internet intitulée : « les dévots de la secte sexuelle liés à des écoles expérimentales pour enfants toujours opérationnels à l’international »), comment se fait-il que ces dévots aient pu reprendre l’école des Romarins ‘ »,
(43’44 » 🙂 « Ce message s’adresse à F et B, je ne sais pas pour quelles raisons vous continuez à appliquer cette expérimentation sur des enfants’ vous reproduisez chez nous ce qui est déjà extrêmement préoccupant pour Londres, les États-Unis et le Mexique »,
— condamné Monsieur A à payer à Madame B X, à Monsieur J X, à la société Athal Education Group et à la société Athal Hospitality une provision de 2 000 € à chacun,
— ordonné à Monsieur A de retirer par tout moyen le contenu audiovisuel intitulé « Apprenez à voir 3.2 ‘ La secte Nxium en France », hébergé et publié sur les pages des sites suivants : page Tipee « L’heure de se réveiller », page Facebook « L’heure de se réveiller » et la chaîne Youtube «L’heure de se réveiller », et ce, sous astreinte,
— ordonné à Monsieur A de prendre toute mesure technique et d’engager toute diligence auprès de tout tiers proposant un service en ligne et/ou espace permettant l’accessibilité et le visionnage par tout internaute dudit contenu audiovisuel dont il est l’auteur et qu’il a publié sur les pages et sites ci-dessus désignés et de toute personne ayant partagé ce contenu pour que celui-ci ne puisse plus être consulté ou ne puisse plus être partagé et ne puisse plus circuler de quelque manière que ce soit sur Internet,
— débouté les demandeurs de leur demande de faire défense à Monsieur A à l’avenir de publier, diffuser ou permettre l’accès à la représentation ou le visionnage de contenu audiovisuel visant les requérants, sous quelque forme que ce soit et par quelque moyen que ce soit, et ce, sous astreinte de 50 000 € par infraction constatée,
— ordonné à Monsieur A de publier sur ses pages Tipee et Facebook, sa chaîne Youtube, son
compte Instagram et son compte Twitter, le communiqué suivant :
« Par ordonnance du 11 mai 2020, le président du tribunal judiciaire d’Avignon a jugé diffamatoire la publication de Monsieur D A intitulée : « Apprenez à voir 3.2 ‘ La secte Nxium en France »
Son retrait a été ordonné sous astreinte et Monsieur A a été condamné par provision au titre de cette publication. »
— ordonné la publication ou ‘…. du même communiqué aux frais de Monsieur A dans le quotidien régional « La Provence » et rejeté la demande de publication dans d’autres quotidiens (nationaux),
— débouté Monsieur A de sa demande concernant la communication des noms, prénoms et adresse de la personne sous le pseudonyme « Sam » apparaissant « codirecteur de la page du groupe privé Facebook « L’heure de se réveiller »,
— condamné Monsieur A à payer au requérant la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné Monsieur A aux dépens, outre le coût de différents constats d’huissier.
Cette décision a été signifiée à Monsieur A, par acte d’huissier en date du 14 mai 2020 délivré à l’étude de l’huissier instrumentaire.
Par déclaration en date du 18 mai 2020, Monsieur A a interjeté appel de cette décision, à l’exception des dispositions déboutant les requérants de leur demande à lui faire défense à l’avenir de publier, diffuser ou permettre l’accès à la présentation ou le visionnage de contenus audiovisuels visant les requérants, sous quelque forme que ce soit et par quelque moyen que ce soit, et ce, sous astreinte.
Par conclusions reçues par RPVA le 10 juillet 2020, Monsieur A demande :
— que l’ordonnance dont appel soit infirmée,
— que le retrait des vidéos litigieuses soit constaté,
— que le dépôt de plainte pour « harcèlement » soit constaté,
— qu’il soit dit que les propos retenus en première instance ne sont pas diffamatoires,
— que les parties intimées soient condamnées à lui verser une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir in limine litis que l’assignation qui lui a été délivrée en application de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 doit être déclarée nulle, du fait de l’absence d’indication des textes applicables et de l’absence de précision des passages effectivement poursuivis dans l’article litigieux, étant observé que cette question processuelle est d’ordre public et peut être soulevée d’office par le juge civil, et même le juge des référés.
A titre subsidiaire, au fond, il souligne :
— que, dans la mesure où tous les liens dans lesquels pouvait se trouver le reportage vidéo critiqué ont été supprimés (cf. constat d’huissier du 15 mai 2020), il n’y a plus urgence à saisir le juge des référés et la cause de l’assignation disparaît,
— qu’en sa qualité de journaliste indépendant, engagé et lanceur d’alerte, fondateur du site d’information « L’heure de se réveiller », il revendique les libertés d’expression et d’information,
— qu’il a déposé plainte pour harcèlement à l’encontre des intimés auprès du commissariat de Courbevoie le 29 avril 2020.
Dans leurs dernières écritures du 25 avril 2021, Monsieur et Madame X, Monsieur Z, la société Athal Education Group et la société Athal Hospitality demandent :
— de confirmer l’ordonnance rendue le 11 mai 2020,
— de dire et juger que les nouvelles publications du contenu audiovisuel créé, édité et publié par Monsieur A, en sa qualité d’auteur et de responsable de publication, comportent des propos et des éléments diffamatoires à leur encontre,
— de dire et juger que ces publications portent à nouveau atteinte à l’honneur ou à la considération des requérants,
— et partant, de condamner Monsieur A à verser une provision de 20 000 € à chacun des requérants,
— d’ordonner à Monsieur A :
— de retirer par tout moyen le contenu audiovisuel intitulé :
« Apprenez à voir 3. 2 – la secte NXIVM en France ‘ », sous astreinte d’un montant de 5 000 € par jour de retard et par infraction constatée, à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir,
— de prendre toute mesure technique et d’engager toute diligence auprès de tout hébergeur et de toute personne ayant partagé ce contenu pour que ce contenu ne puisse plus être consulté ou ne puisse plus être partagé et ne puisse plus circuler de quelque manière que ce soit sur l’Internet,
— de justifier de l’accomplissement de ses diligences dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance,
— de faire défense à Monsieur A de publier, diffuser ou permettre l’accès à la représentation ou le visionnage du contenu audiovisuel visant les intimés sous quelque forme que ce soit et par quelque moyen que ce soit, même sous une forme dubitative, et ce, sous quelque forme que ce soit et ce, sous astreinte de 50 000 € par infraction constatée,
— ordonné à Monsieur A de publier sous astreinte de 5 000 € par jour de retard à compter de la signification de l’ordonnance intervenir, sur ses pages Tipee et Facebook, sa chaîne Youtube, son blog https://lhdsr.tv/, son compte Instagram et son compte Twitter, le texte suivant :
« Par ordonnance du 26 mai 2020 et par arrêt du ‘., le président du tribunal judiciaire d’Avignon, puis la cour d’appel de Nîmes, ont jugé diffamatoire la publication de Monsieur D A intitulée : « Apprenez à voir 3.2 ‘ La secte Nxium en France ‘ »
Son retrait a été ordonné sous astreinte et Monsieur A a été condamné par provision au titre de cette publication. »
— ordonné la publication du communiqué ci-dessus aux frais de Monsieur A dans une publication nationale dans au moins l’un des titres suivants : le Monde, le Figaro ou Libération, et au moins une publication régionale « La Provence »,
— condamné Monsieur A à payer au requérant la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné Monsieur A aux dépens, dont le coût de différents constats d’huissier des 16, 17 et 26 février 2020, des 28 et 30 mars 2020 et 28 mai 2020.
Ils soutiennent :
— que M. A n’a pas exécuté les condamnations prononcées à son encontre, mais a rendu possible l’accessibilité à sa publication par de nouveaux liens (cf. constat d’huissier du 28 mai 2020) et que la pièce n°3 qu’il qualifie de constat d’huissier est mensongère, M. A se rendant ainsi coupable d’une tentative d’escroquerie au jugement,
— que la demande de nullité de l’assignation n’est pas recevable, dès lors qu’elle a été présentée après que M. A eut déjà conclu, et n’est pas fondée, car les passages des publications critiqués sont précisément mentionnés dans l’acte d’huissier,
— que l’appelant n’a pas supprimé les publications critiquées, contrairement à ses affirmations,
— que le contenu audiovisuel en cause a été publié le 24 janvier 2020 sur Tipee, Facebook et Youtube, anonymisé, par M. A, directeur de publication, sous le pseudonyme « L’heure de se réveiller » ; qu’il s’est propagé de manière virale jusqu’à être publié par M. C, candidat aux élections municipales d’Apt,
— que la responsabilité de M. A est engagée en qualité d’auteur de la vidéo, de directeur de publication et titulaire des comptes en cause,
— qu’il y a urgence à faire cesser cette diffusion,
— que M. A présente :
— M. et Mme X comme membre d’une secte se livrant à des expérimentations sur des enfants, ayant tissé des liens et recevant le soutien d’organisations terroristes,
— la société Athal Hospitality comme exploitante du «[…]», en utilisant des images détournées et intégrées aux minutages 6’12 », 39’45 » et 41’50 »,
— la Société Athal Education Group et son représentant, M. Z, identifié et identifiable par la mention de l’Ecole des Romarins, ancienne école communale d’Apt qui a été louée par la ville d’Apt,
— que la tonalité et les multiples sujets associés de cette vidéo sont destinés à jeter l’opprobre sur l’ensemble des concluants, qui sont par ailleurs des personnes importantes et connues, à leur nuire en les accusant de commettre sur le territoire français des agissements illicites et de se livrer à des pratiques pénalement répréhensibles,
— que cette publication, qui inonde internet et qui a été visionnée par des centaines de milliers de personnes a justifié la saisine du juge des référés, au visa de l’urgence et du trouble manifestement excessif,
— que l’appelant ne produit aucune preuve de l’exactitude de ses accusations, ni de la réalisation d’une enquête sérieuse.
SUR CE,
– Sur la nullité de l’assignation :
L’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Monsieur A fait valoir, dans la partie « discussion » de ses conclusions, in limine litis, que l’assignation qui lui a été délivrée en application de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 doit être déclarée nulle, du fait de l’absence d’indication des textes applicables et de l’absence de précision des passages effectivement poursuivis dans l’article litigieux, étant observé que cette question processuelle est d’ordre public et peut être soulevée d’office par le juge civil, et même le juge des référés.
En l’espèce, la demande de nullité de l’assignation formulée dans les motifs n’est pas reprise dans le dispositif des conclusions de M. A, une demande de nullité n’étant pas assimilable à un moyen d’irrecevabilité. Il n’y a dès lors pas lieu à statuer de ce chef.
– Sur le trouble manifestement illicite :
La demande de Monsieur et Madame X, Monsieur Z, la société Athal Education Group et la société Athal Hospitality, est fondée sur les dispositions de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, qui donne au juge des référés le pouvoir de prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite, même en présence d’une contestation sérieuse.
En l’espèce, les intimés reprochent à M. A d’avoir mis en ligne une vidéo intitulée « Apprenez à voir 3.2 ‘ La secte Nxium en France ‘ », contenant des propos, relevés ci-dessus, qualifiés d’erronés et portant atteinte à leur honneur et leur considération.
Ils visent, à l’appui de leurs prétentions, l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 L’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse dispose que :
«Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés».
En application de l’article 35 de la même loi, la présomption de mauvaise foi qui s’attache de plein droit aux imputations diffamatoires peut être combattue par la vérité des faits.
Une allégation ou une imputation diffamatoire doit comporter l’imputation à une personne identifiable d’un fait précis susceptible de faire sans difficulté l’objet d’une preuve. Un simple jugement de valeur ne constitue pas une allégation diffamatoire.
M. A ne conteste pas être l’auteur de cette publication audiovisuelle et de sa diffusion sur le net. Les propos tenus sont ainsi retranscrits :
3’30 » : « cet angle vise à comprendre comment tout un réseau de compromission et de consommation d’esclaves sexuels mineurs agit en toute impunité à travers le monde »,
16’54 » : mention de B I dans un organigramme présenté comme nommant les membres d’un réseau pédocriminel,
17′ : « l’implication de cette famille au sein de cette secte fut décisive »,
35’17 » : «J X qui se voyait déjà président libyen’a tissé des liens plus que douteux avec la société des Frères musulmans et reçoit même le soutien de personnages terroristes et le soutien de l’organisation terroriste Al Qaïda »,
42’53 » :« comment se fait-il que le groupe Athal lié à la secte Nxium, contrôlé par des membres ayant embrassé les enseignements du gourou pédocriminel (et visualisation simultanée d’une page Internet intitulée : « les dévots de la secte sexuelle liés à des écoles expérimentales pour enfants toujours opérationnels à l’international »), comment se fait-il que ces dévots aient pu reprendre l’école des Romarins ‘ »,
43’44 » : « Ce message s’adresse à F et B, je ne sais pas pour quelles raisons vous continuez à appliquer cette expérimentation sur des enfants’ vous reproduisez chez nous ce qui est déjà extrêmement préoccupant pour Londres, les États-Unis et le Mexique »,
Ceux-ci permettent d’identifier M. et Mme X, d’une part, et d’autre part, le groupe Athal, soit la société Athal Education Group et la société Athal Hospitality, mais pas M. Z.
Ils associent ces personnes physiques et morales à un réseau pédocriminel. Ils présentent Mme X, s’ur de K I, comme membre d’une secte sexuelle et marié à un conjoint ayant des accointances avec des terroristes d’Al Qaïda. Ils laissent entendre que le Groupe Athal est lié à la secte Nxium et que les époux X se livrent à des expérimentations déviantes à l’école des Romarins.
Ils constituent effectivement des allégations et imputations de faits qui portent atteinte à l’honneur ou à la considération de M. et Mme X, de la société Athal Education Group et la société Athal Hospitality.
Pour sa défense, M. A soutient, d’une part, qu’il a fait supprimer tous les liens existants, ainsi qu’en atteste un constat d’huissier en date du 15 mai 2020, et que dès lors, il n’y a plus lieu de statuer. Il s’avère que, en matière de référé, la cour statue à la date à laquelle le premier juge a rendu sa décision. Or, la suppression alléguée est postérieure à la date du prononcé de l’ordonnance dont appel. Ce moyen n’a donc aucune incidence en l’espèce.
D’autre part, il revendique sa qualité de journaliste indépendant et lanceur d’alerte, lui permettant de disposer d’une liberté d’expression et d’information.
Si M. A peut effectivement se prévaloir de ce droit fondamental, garanti juridiquement par nombre de textes nationaux et internationaux, il ne peut opposer à l’accusation pesant sur lui que l’exception de vérité ou l’exception de bonne foi, la qualité de « journaliste indépendant » ou de « lanceur d’alerte » étant sans emport.
Or, il ne rapporte pas la preuve de l’authenticité des faits mis en exergue par cette accusation, d’autant que la preuve de la vérité de ces faits doit être totale, parfaite, complète et liée aux imputations diffamatoires dans toute leur portée. Le simple lien de famille existant entre Mme B I épouse X et Mme L I, qui aurait plaidé coupable dans un scandale d’esclaves sexuelles selon un article du média « La Presse » et dont le nom est cité dans un article de Match relatif à la secte NXIVM publié le 19 juin 2019, est notablement insuffisant à établir les accusations proférées par M. A sur internet contre les intimés.
Il n’allègue pas sa bonne foi, la conviction de défendre un but légitime n’étant pas suffisante si les propos tenus ne sont pas fondés sur une enquête sérieuse, étayée par des faits concrets et prouvés, et non simplement par des informations de qualité variable glanées sur internet.
Enfin, le harcèlement évoqué par M. A ayant justifié un dépôt de plainte contre les intimés au commissariat de Courbevoie le 29 avril 2020 ne présente aucun intérêt dans le cadre de la présente instance.
Dans ces conditions, l’ordonnance rendue le 11 mai 2020 sera confirmée en ce qu’elle a déclaré diffamatoires les propos tenus par M. A dans la vidéo intitulée « Apprenez à voir 3.2 ‘ La secte Nxium en France ‘». A ce titre, le juge des référés, après avoir constaté le trouble manifestement illicite, avait le pouvoir d’ordonner toute mesure conservatoire ou de remise en état destinée à y mettre fin.
Ainsi, seront confirmées, à défaut de critiques les concernant, la condamnation de M. A à enlever cette vidéo sur les trois sites visés dans l’assignation, sous astreinte, la condamnation de M. A à prendre toute mesure technique destinée à arrêter la circulation de cette vidéo sur le net et l’obligation de faire publier sur différents supports internet et médias, précisés, une information concernant cette condamnation.
L’obligation de M. A de réparer le préjudice subi par M. et Mme X, la société Athal Education Group et la société Athal Hospitality n’étant pas sérieusement contesté, ni contestable, l’indemnisation allouée à chacun des demandeurs sera confirmée.
Il en sera de même s’agissant de la condamnation de M. A au paiement d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que le rejet des autres demandes dont la cour est saisie.
– Sur les demandes nouvelles :
Les intimés soutiennent en cause d’appel que de nouvelles publications sont intervenues. Ils présentent ainsi des demandes similaires à celles soumises au premier juge s’appliquant à ces nouvelles publications.
Ces demandes ne sont pas irrecevables en application de l’article 564 du code de procédure civile, s’agissant de prétentions résultant de la révélation ou la survenance d’un fait nouveau.
Il résulte du constat d’huissier en date du 28 mai 2020 qu’une vidéo similaire à celle du 24 janvier 2020 est accessible sur Youtube, dorénavant intitulée « Apprenez à voir 3.2 ‘ La secte NXIVM en France, la richesse ‘ ». Son contenu audio est identique à celle du 24 janvier 2020, selon les mentions de l’huissier et l’enregistrement associé. Des liens existent sur d’autres sites présentant la vidéo intitulée « La secte NXIVM en France ‘ Apprenez à voir 3.2 ». L’auteur de ces vidéos et de leur publication n’est pas contestable.
Ce nouveau trouble manifestement illicite donne compétence à la cour, statuant avec les pouvoirs du juge des référés, d’intervenir pour faire cesser ces atteintes et prendre toutes mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent.
Dans ces conditions, il y a lieu d’entrer en voie de condamnation et de prévoir que M. A devra :
— retirer par tout moyen le contenu audiovisuel intitulé : « apprenez à voir 3. 2 – la secte NXIVM en France ‘ » sur les sites figurant dans le constat d’huissier en date du 28 mai 2020, dans les 8 jours à compter de la signification de la présente décision, sous peine d’astreinte de 500 euros par jour de retard, passé ce délai,
— de prendre toute mesure technique et d’engager toutes diligences auprès des hébergeurs, ainsi identifiés, pour que ce contenu ne puisse plus être consulté ou partagé et ne puisse plus circuler de quelque manière que ce soit sur Internet,
— de justifier de l’accomplissement de ses diligences dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance.
Dans la mesure où une première publication de la teneur de la décision dont appel a été effectuée, suite au prononcé de l’ordonnance de référé, il n’apparaît pas opportun d’ordonner une nouvelle publication sur internet ou dans les journaux, en considération des faits de la cause et de la victimisation susceptible d’en résulter pour M. A, prompt à rechercher du soutien sur les réseaux sociaux.
Il n’est pas justifié de prévoir qu’il sera fait « défense à Monsieur A de publier, diffuser ou permettre l’accès à la représentation ou le visionnage du contenu audiovisuel visant les intimés sous quelque forme que ce soit et par quelque moyen que ce soit, même sous une forme dubitative, et ce, sous quelque forme que ce soit, et ce, sous astreinte de 50 000 € par infraction constatée », cette interdiction étant trop générale pour ne pas porter atteinte à la liberté d’expression.
En considération du préjudice causé à Monsieur et Madame X, la société Athal Education Group et la société Athal Hospitality, il sera mis à la charge de M. A le paiement d’une somme provisionnelle de 3 000 euros, à titre de dommages et intérêts, à verser à chacun des intimés, excepté M. Z.
Les dépens de cette procédure seront à la charge de M. A. Il sera alloué à Monsieur et Madame X, la société Athal Education Group et la société Athal Hospitality, ensemble, la somme de 3 000 euros en contrepartie des frais irrépétibles engagés par eux dans l’instance, en ce, compris le coût du constat en date du 28 mai 2020.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par ordonnance contradictoire et mise à disposition au greffe,
Dit n’y avoir lieu de statuer sur la nullité de l’assignation de première instance,
Confirme la décision de première instance dans son intégralité,
Y ajoutant,
Condamne M. A à retirer, par tout moyen, le contenu audiovisuel intitulé : « Apprenez à voir 3. 2
– la secte NXIVM en France ‘ » sur les sites figurant dans le constat d’huissier en date du 28 mai 2020, dans les 8 jours à compter de la signification de la présente décision, sous peine d’astreinte de 500 euros par jour de retard, passé ce délai,
Dit que l’astreinte est fixée pour une durée maximale d’un an au terme de laquelle il devra être à nouveau statué,
Condamne M. A à prendre toute mesure technique et à engager toutes diligences auprès des hébergeurs, ainsi identifiés, pour que ce contenu ne puisse plus être consulté ou partagé et qu’il ne puisse plus circuler de quelque manière que ce soit sur Internet,
Condamne M. A à justifier de l’accomplissement de ses diligences dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance au conseil des intimés,
Condamne M. A à payer à Monsieur et Madame X, la société Athal Education Group et la société Athal Hospitality, une somme de 3 000 euros chacun, à titre provisionnel, en réparation du préjudice causé par ces nouvelles publications,
Condamne M. A à payer à Monsieur et Madame X, la société Athal Education Group et la société Athal Hospitality, ensemble, une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette les autres demandes, dont celles présentées par M. Z, en son nom personnel,
Condamne Monsieur A aux dépens de la procédure d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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