Cour d’appel de Nîmes, 20 janvier 2025, RG n° 25/00061
Cour d’appel de Nîmes, 20 janvier 2025, RG n° 25/00061

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Nîmes

Thématique : Prolongation de la rétention administrative d’un ressortissant tunisien après interdiction de territoire.

Résumé

Interdiction de territoire et placement en rétention

M. [W] [I], de nationalité tunisienne, a été condamné par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 5 juin 2023 à une interdiction définitive du territoire français. Suite à un contrôle d’identité le 18 novembre 2024, il a été placé en rétention administrative le 19 novembre 2024, avec notification de cette décision à 15h50.

Prolongations de la rétention administrative

Le 23 novembre 2024, le magistrat du tribunal judiciaire de Nîmes a ordonné une prolongation de la rétention de M. [I] pour une durée de 26 jours. Par la suite, le Préfet des [Localité 3] a demandé une nouvelle prolongation de 30 jours, accordée le 19 décembre 2024 et confirmée par la cour d’appel le 23 décembre 2024. Une troisième prolongation a été sollicitée le 17 janvier 2025, pour une durée maximale de 15 jours.

Appel de l’ordonnance de prolongation

M. [I] a interjeté appel de l’ordonnance de prolongation le 18 janvier 2025, arguant que les perspectives d’éloignement n’étaient pas établies et que son comportement ne représentait pas une menace pour l’ordre public. L’audience a vu la présence de son avocat et d’un représentant du Préfet.

Recevabilité de l’appel

L’appel de M. [I] a été jugé recevable, ayant été interjeté dans les délais légaux. Les moyens soulevés en appel ont également été considérés comme recevables, conformément aux dispositions du Code de procédure civile.

Éléments nouveaux et situation personnelle

Le juge a examiné les éléments nouveaux présentés par M. [I], notamment son absence de documents d’identité et son opposition à un retour en Tunisie. Il a également été noté qu’il avait un permis de conduire français valide et qu’il avait une adresse stable en France.

Menace pour l’ordre public

La cour a souligné que la condamnation de M. [I] pour des faits d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers, ainsi que l’interdiction judiciaire du territoire, caractérisaient une menace pour l’ordre public. La prolongation de sa rétention administrative a été justifiée par la nécessité de procéder à son éloignement.

Confirmation de l’ordonnance

La cour a confirmé l’ordonnance de prolongation de la rétention administrative, considérant que toutes les conditions légales étaient remplies et que la situation de M. [I] ne permettait pas une assignation à résidence. La décision a été rendue publique et notifiée aux parties concernées.

Ordonnance N°58

N° RG 25/00061 – N° Portalis DBVH-V-B7J-JOM7

Recours c/ déci TJ Nîmes

17 janvier 2025

[I]

C/

LE PREFET DES [Localité 3]

COUR D’APPEL DE NÎMES

Cabinet du Premier Président

Ordonnance du 20 JANVIER 2025

(Au titre des articles L. 742-4 et L 742-5 du CESEDA)

Nous, Mme Marine KARSENTI, Conseillère à la Cour d’Appel de Nîmes, désignée par le Premier Président de la Cour d’Appel de Nîmes pour statuer sur les appels des ordonnances du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative, rendues en application des dispositions des articles L 742-1 et suivants du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit de l’Asile (CESEDA), assistée de Mme Ellen DRÔNE, Greffière,

Vu l’interdiction définitive de territoire français prononcée le 05 juin 2023 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence et notifiée le même jour, ayant donné lieu à une décision de placement en rétention en date du 19 novembre 2024, notifiée le même jour à 15h50 concernant :

M. [W] [I]

né le 1er Août 1976 à [Localité 6]

de nationalité Tunisienne

Vu l’ordonnance en date du 23 novembre 2024 rendue par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative portant prolongation du maintien en rétention administrative de la personne désignée ci-dessus ;

Vu la requête reçue au greffe du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative le 17 janvier 2025 à 09h27, enregistrée sous le N°RG 25/00307 présentée par M. le Préfet des [Localité 3] ;

Vu l’ordonnance rendue le 17 Janvier 2025 à 15h51 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes en charge du contentieux de la rétention administrative sur troisième prolongation, à titre exceptionnel qui a :

* Déclaré la requête recevable ;

* Ordonné pour une durée maximale de 15 jours commençant à l’expiration du précédent délai de 30 jours déjà accordé, le maintien dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, de M. [W] [I] ;

* Dit que la mesure de rétention prendra fin à l’expiration d’un délai de 15 jours à compter du 18 janvier 2025 à 15h50 ;

Vu l’appel de cette ordonnance interjeté par Monsieur [W] [I] le 18 Janvier 2025 à 15h05 ;

Vu l’absence du Ministère Public près la Cour d’appel de Nîmes régulièrement avisé ;

Vu la présence de Monsieur [R] [K], représentant le Préfet des [Localité 3], agissant au nom de l’Etat, désigné pour le représenter devant la Cour d’Appel en matière de Rétention administrative des étrangers, entendu en ses observations ;

Vu l’assistance de Monsieur [J] [V] interprète en langue arabe inscrit sur la liste des experts de la cour d’appel de Nîmes ;

Vu la comparution de Monsieur [W] [I], régulièrement convoqué ;

Vu la présence de Me Frederic ORTEGA, avocat de Monsieur [W] [I] qui a été entendu en sa plaidoirie ;

Déclare qu’il est opposé à tout retour en Tunisie, qu’il veut régulariser sa situation en France et rester en France pour travailler, qu’il est arrivé en France en 2000, qu’il réside à [Localité 4], qu’il a travaillé après son incarcération en tant qu’apiculteur, qu’il dispose d’une copie de son passeport valide dont l’original se trouve au Portugal ainsi que d’un permis de conduire français,

Sollicite l’infirmation de l’ordonnance critiquée et sa remise en liberté immédiate.

Son avocat soutient le moyen tiré de l’absence de perspectives d’éloignement.

Le Préfet requérant pris en la personne de son représentant demande la confirmation de l’ordonnance dont appel.

SUR LA RECEVABILITE DE L’APPEL :

L’appel interjeté par Monsieur [I] sur une ordonnance rendue par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes a été relevé dans les délais légaux et conformément aux dispositions des articles L.743-21 et R.743-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Il est donc recevable.

SUR LES MOYENS NOUVEAUX ET ÉLÉMENTS NOUVEAUX INVOQUÉS EN CAUSE D’APPEL :

L’article 563 du Code de Procédure Civile dispose que « pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves. »

L’article 565 du même code précise : « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ».

Sauf s’ils constituent des exceptions de procédure, au sens de l’article 74 du code de procédure civile, les moyens nouveaux sont donc recevables en cause d’appel.

Pour être recevables en appel, les exceptions de nullité relatives aux contrôles d’identité, conditions de la garde à vue ou de la retenue et d’une manière générale celles tenant à la procédure précédant immédiatement le placement en rétention doivent avoir été soulevées in « limine litis » en première instance.

Le contentieux de la contestation de la régularité du placement en rétention (erreur manifeste d’appréciation de l’administration ou défaut de motivation) ne peut être porté devant la cour d’appel que s’il a fait l’objet d’une requête écrite au magistrat du siège de la première instance dans les 4 jours du placement en rétention, conformément aux dispositions de l’article R.741-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

L’article L.743-11 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose en outre que « à peine d’irrecevabilité, prononcée d’office, aucune irrégularité antérieure à une audience à l’issue de laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé la mesure ne peut être soulevée lors d’une audience ultérieure ».

En l’espèce, tous les moyens soulevés sont recevables.

SUR LE FOND :

L’article L. 742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que, «A titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours. »

 

L’article L.741-3 du même code dispose quant à lui qu’il appartient au juge judiciaire d’apprécier la nécessité du maintien en rétention et de mettre fin à la rétention administrative, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient : « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration exerce toute diligence à cet effet. »

En l’espèce, la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée, il appartient donc à l’administration sollicitant la prolongation d’établir que la délivrance des documents de voyage doit intervenir à bref délai.

Monsieur [I] était dépourvu au moment de son contrôle de l’original de son passeport en cours de validité ainsi que de tout document d’identité.

Le consulat de Tunisie dont Monsieur [I] se déclare ressortissant, a été saisi d’une première demande d’identification et de laissez-passer consulaire le 20 novembre 2024. La copie du passeport valide de Monsieur [I] a été jointe à la demande. M. [I] a déclaré ne pas avoir été entendu le 19 décembre 2024 par les autorités tunisiennes, comme cela était initialement prévu. L’audition consulaire a dû être reportée en raison de la comparution de M. [I] devant le magistrat du siège de première instance statuant sur la requête préfectorale de seconde prolongation. Une relance a été adressée aux autorités tunisiennes le 2 janvier 2025.

En dépit de l’absence de réponse des autorités consulaires, une copie du passeport valide de M.[I] leur a été transmise le 2 janvier 2025, ce qui permet d’établir la délivrance de documents de voyages à bref délai.

L’administration peut donc se fonder sur le 3° de l’article L. 742-5 du code précité pour solliciter une prolongation.

Sur la menace à l’ordre public :

S’il convient de rappeler que la commission d’une infraction pénale n’est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public, la réalité de la menace doit être appréciée à la date considérée. Cette menace est caractérisée dès lors qu’elle survient au cours de la prolongation exceptionnelle, sans qu’il soit nécessaire de rechercher si un trouble à l’ordre public nouveau est intervenu au cours de la dernière période de rétention. En effet, ce n’est pas l’acte troublant l’ordre public qui est recherché, mais bien la réalité de la menace.

En l’espèce, Monsieur [I] a été condamné par arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence en date du 5 juin 2023 à la peine complémentaire d’interdiction définitive du territoire national ainsi qu’à 18 mois d’emprisonnement pour des faits d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers. Il a été incarcéré du 3 septembre 2022 au 3 mars 2024.

Le prononcé récent de l’interdiction judiciaire du territoire français, conjugué à la nature des faits pour lesquels l’intéressé a été définitivement condamné, caractérisent, en l’absence de toute manifestation de réhabilitation, la réalité et l’actualité de la menace pour l’ordre public au sens de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

L’ordonnance querellée ne peut qu’être confirmée.

SUR LA SITUATION PERSONNELLE DE MONSIEUR [I] :

Monsieur [I], présent irrégulièrement en France est dépourvu de passeport et de pièces administratives pouvant justifier de son identité et de son origine de telle sorte qu’une assignation à résidence judiciaire est en tout état de cause exclue par les dispositions de l’article L743-13 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il est titulaire d’un permis de conduire français valide produit à l’audience.

Il justifie d’une adresse stable en France, au [Adresse 2], il démontre une activité professionnelle antérieure à son placement en rétention et produit des bulletins de salaire datés de l’année 2024 établi par la société « Welljob ». Il a déclaré, sans en justifier, que son épouse et son enfant malade vivent en Tunisie. Il a été condamné à la peine de 18 mois d’emprisonnement pour des faits d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers en France. Il a déclaré que l’original de son passeport se trouvait au Portugal chez un cousin. Il est opposé à un retour en Tunisie.

Il est l’objet d’une mesure d’éloignement en vigueur, telle que précitée, et qui fait obstacle à sa présence sur le sol français.

La prolongation de sa rétention administrative se justifie afin de procéder à son éloignement.

Il convient de confirmer l’ordonnance querellée en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort,

Vu l’article 66 de la constitution du 4 octobre 1958,

Vu les articles L.741-1, L742-1 à L743-9 ; R741-3 et R.743-1 à L.743-19 et L.743-21 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu le décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 pris pour l’application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux ;

CONSTATANT qu’aucune salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n’est disponible pour l’audience de ce jour ;

DECLARONS recevable l’appel interjeté par Monsieur [W] [I] ;

CONFIRMONS l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;

RAPPELONS que, conformément à l’article R.743-20 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile, les intéressés peuvent former un pourvoi en cassation par lettre recommandée avec accusé de réception dans les deux mois de la notification de la présente décision à la Cour de cassation [Adresse 1].

Fait à la Cour d’Appel de Nîmes,

Le 20 Janvier 2025 à

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,

‘ Notification de la présente ordonnance a été donnée ce jour au Centre de rétention administrative de [Localité 5] à M. [W] [I], par l’intermédiaire d’un interprète en langue arabe.

Le à H

Signature du retenu

Copie de cette ordonnance remise, ce jour, par courriel à :

Monsieur [W] [I], pour notification par le CRA,

Me Frederic ORTEGA, avocat,

Le Préfet des [Localité 3],

Le Directeur du CRA de [Localité 5],

Le Ministère Public près la Cour d’Appel de Nîmes,

Le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Nîmes.

 


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