Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour de cassation
Thématique : Télétravail : l’obligation d’indemniser le salarié
→ RésuméLe télétravail impose à l’employeur des obligations spécifiques, notamment la prise en charge des coûts liés à cette modalité de travail. Dans l’affaire de Mme [O] [W] épouse [J], la Cour de cassation a annulé un arrêt de la cour d’appel, soulignant que l’employeur n’avait pas respecté ses obligations, justifiant ainsi la requalification de la rupture de contrat en licenciement sans cause réelle et sérieuse. La salariée a demandé des indemnités pour l’utilisation de son domicile à des fins professionnelles, ainsi que pour les frais liés au télétravail, mettant en lumière l’importance d’un encadrement adéquat.
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L’absence de toute indemnisation des coûts et de la sujétion spécifique du télétravail ainsi que l’absence de tout encadrement et surveillance de l’organisation et du volume horaire de la salariée en télétravail, justifient la requalification de la prise d’acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Lorsque les parties sont convenues d’une exécution de tout ou partie de la prestation de travail par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié.
Pour rappel, selon l’article L.1222-10 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige (introduit dans le code du travail que par la loi du 22 mars 2012):
« Outre ses obligations de droit commun vis-à-vis de ses salariés, l’employeur est tenu à l’égard du salarié en télétravail :
1° De prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ;
2° D’informer le salarié de toute restriction à l’usage d’équipements ou outils informatiques ou de services de communication électronique et des sanctions en cas de non-respect de telles restrictions ;
3° De lui donner priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles et de porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature ;
4° D’organiser chaque année un entretien qui porte notamment sur les conditions d’activité du salarié et sa charge de travail ;
5° De fixer, en concertation avec lui, les plages horaires durant lesquelles il peut habituellement le contacter.»
Mme [O] [W] épouse [J] a été engagée par la société Continental Foods France en 2006 et a pris acte de la rupture de son contrat de travail en 2016. Elle a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier pour requalification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que pour des indemnités liées au télétravail. Le conseil de prud’hommes a jugé que la prise d’acte produisait les effets d’une démission, mais a condamné la société à verser une indemnité de travail partiellement à domicile. La cour d’appel de Montpellier a confirmé cette décision, mais a annulé l’indemnité pour télétravail. La Cour de cassation a cassé cet arrêt en raison du non-respect par l’employeur des obligations légales liées au télétravail. L’affaire a été renvoyée à la cour d’appel de Nîmes. Mme [O] [W] épouse [J] demande la requalification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que des dommages et intérêts et indemnités diverses. La société GB Foods France conteste ces demandes, arguant de l’absence de manquements de sa part et du souhait de la salariée de quitter l’entreprise. L’affaire est en attente d’audience.
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
18 juin 2024
Cour d’appel de Nîmes
RG n°
23/03800
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/03800 – N° Portalis DBVH-V-B7H-JAU5
COUR DE CASSATION DE PARIS
13 septembre 2023
RG:22-12.827
[J]
C/
S.A.S. GB FOODS FRANCE FOODS FRANCE
Grosse délivrée le 18 JUIN 2024 à :
– Me YEHEZKIELY
– Me VAJOU
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 18 JUIN 2024
Décision déférée à la Cour : Arrêt du Cour de Cassation de PARIS en date du 13 Septembre 2023, N°22-12.827
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président,
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère,
Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 5ème chambre sociale, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l’audience publique du 15 Mai 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 18 Juin 2024.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANTE :
Madame [O] [J]
née le 21 Janvier 1981 à [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Natacha YEHEZKIELY, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMÉE :
S.A.S. GB FOODS FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LX NIMES, avocat au barreau de NIMES
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 18 Juin 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour.
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Mme [O] [W] épouse [J] a été engagée en qualité de chef de secteur grande distribution le 21 août 2006 par la société Continental Foods France, devenue la société GB Foods qui exploite les marques Liebig et Royco. Elle a été promue au poste de comptes clés logistique le 1er août 2010.
Mme [O] [W] épouse [J] travaillait deux jours par semaine en télétravail. Par avenant du 4 décembre 2015, son temps de travail a été réduit à 60%.
Mme [O] [W] épouse [J] a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 15 juin 2016.
Par requête du 4 juillet 2016, Mme [O] [W] épouse [J], saisissait le conseil de prud’hommes de Montpellier aux fins de requalification de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnisations au titre de cette rupture et indemnisation en réparation des préjudices subis du fait de la mise en oeuvre d’un télétravail sans encadrement et surveillance du temps de travail.
Par jugement contradictoire du 29 janvier 2018, le conseil de prud’hommes de Montpellier a :
– Dit et jugé l’absence de manquement imputable à la SAS Continental Foods France ;
– Dit que la prise d’acte de Mme [O] [W], épouse [J], produit les effets d’une démission ;
– Condamné la SAS Continental Foods France, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à Mme [O] [W] épouse [J], la somme de 3 600 euros au titre de l’indemnité de travail partiellement à domicile ;
– Débouté Mme [O] [W] épouse [J] du surplus de ses demandes ;
– Condamné la SAS Continental Foods France à verser à Madame [O] [W] épouse [J] la somme de 1 000 euros au ttire de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné la SAS Continental Foods France aux entiers dépens.
Statuant sur l’appel interjeté par Mme [O] [W] épouse [J], la cour d’appel de Montpellier, suivant arrêt en date du 5 janvier 2022, a :
– Confirmé le jugement rendu le 29 janvier 2018 par le conseil de prud’hommes de Montpellier, sauf en ce qu’il a condamné la SAS Continental Foods France à payer à Mme [O] [J] la somme de 3 600 euros à titre de dommages et intérêts pour télétravail ;
Statuant à nouveau de ce chef,
– Débouté Mme [O] [J] de sa demande de dommages et intérêts pour télétravail ;
Y ajoutant,
– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné Mme [O] [J] aux dépens d’appel.
Sur pourvoi de Mme [O] [W] épouse [J], la Cour de cassation a, par arrêt du 13 septembre 2023, cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 janvier 2022, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier, aux motifs suivants :
‘Vu l’article L.1222-10, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et l’article L.1231-1 du code du travail :
15. Selon le premier de ces textes, l’employeur est tenu à l’égard du salarié en télétravail :
1° De prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ;
2° D’informer le salarié de toute restriction à l’usage d’équipements ou outils informatiques ou de services de communication électronique et des sanctions en cas de non-respect de telles restrictions ;
3° De lui donner priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles et de porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature ;
4° D’organiser chaque année un entretien qui porte notamment sur les conditions d’activité du salarié et sa charge de travail ;
5° De fixer, en concertation avec lui, les plages horaires durant lesquelles il peut habituellement le contacter.
16. Pour écarter tout manquement de l’employeur au titre du télétravail, l’arrêt retient que la salariée travaillait selon les mêmes modalités depuis 2006, ce qui ne l’avait pas empêchée d’obtenir une promotion. Il ajoute que ce mode de travail qu’elle avait elle-même sollicité lui convenait puisqu’elle avait refusé de venir travailler au siège de l’entreprise.
17. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l’employeur avait respecté les obligations légales mises à sa charge par l’article L. 1222-10 précité, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.’
Par acte du 8 décembre 2023, Mme [O] [W] épouse [J], a saisi la cour d’appel de Nîmes désignée comme juridiction de renvoi.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 6 février 2024, Mme [O] [W] épouse [J] demande à la cour de :
– Déclarer recevable et bien fondé sa saisine du 8 décembre 2023, enregistrée le 11 décembre 2023, sur renvoi de la cour de cassation par arrêt rendu le 13 septembre 2023, qui a cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel de Montpellier le 5 janvier 2022 ;
– Réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Montpellier le 29 janvier 2018, en application de l’arrêt de la cour de cassation du 13 septembre 2023 ;
Et statuant à nouveau,
– Requalifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail du 15 juin 2016 en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
– Condamner la SAS GB Foods France à verser à Mme [W] épouse [J] les montants suivants, étant précisé que les sommes indemnitaires seront fixées nettes de CSG CRDS ;
– 50 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 15 112 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– Condamner la SAS GB Foods France à verser à Mme [W] épouse [J] la somme de 15 000 euros à titre d’indemnisation de l’utilisation d’une partie du domicile personnel de la salariée pour les besoins de son activité professionnelle, ainsi que des frais inhérents liés à ce télétravail.
– Condamner la SAS GB Foods France à verser à Mme [J] la somme de 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
– Débouter la SAS GB Foods France de toute demande reconventionnelle comme injuste et mal fondée.
Elle soutient que :
– les premiers juges se sont fondés sur des propos qu’elle aurait tenus lors d’un entretien totalement informel, entretien qui n’a fait l’objet d’aucun compte rendu écrit, propos rapportés par l’employeur, seul, en tout état de cause à supposer qu’une rupture conventionnelle ait été envisagée, il n’y a pas été donné de suite et elle n’a jamais manifesté sa volonté de quitter l’entreprise,
– dès lors la recherche d’un remplaçant par son employeur était inopportune,
– elle fonde sa prise d’acte aux torts de la société Continental Foods sur les griefs suivants :
– refus d’un retour à temps plein, après avoir fait le constat de l’impossibilité en pratique d’assumer ses fonctions avec les objectifs commerciaux y afférents dans le cadre d’une activité à temps partiel ;
– refus d’indemnisation du télétravail reconnu constant depuis de nombreuses années ;
– son éviction par l’absence de responsable hiérarchique affecté et au fait de son activité spécifique, et le recrutement d’un autre salarié à son même poste de travail, qui aurait constitué un doublon, l’empêchant de surcroît de bénéficier de ses résultats commerciaux et donc de la rémunération y attachée totale ;
– pression exercée sur elle par menace de défaut de rémunération si elle n’acceptait pas la modification de son contrat de travail par une activité totale au siège, et refus de toute indemnisation de l’occupation partielle de son domicile personnel pour les besoins de son activité professionnelle.
En l’état de ses dernières écritures en date du 8 avril 2024 contenant appel incident, la SAS GB Foods France demande à la cour de :
– confirmer l’intégralité du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de MONTPELLIER le 29 janvier 2018, sauf en ce qu’il a condamné la Société CONTINENTAL FOODS à verser à Madame [J] la somme de 3.600 euros au titre de l’indemnité de travail partiellement à domicile.
– faisant droit à l’appel incident de la concluante, infirmer ledit jugement du 29 janvier 2018 de ce dernier chef. Et ainsi :
‘ A titre principal :
– Juger qu’il y a une absence de manquement imputable à l’employeur ;
– Juger que la prise d’acte de la Salariée produit les effets d’une démission ;
– Juger que Madame [J] n’a subi aucun préjudice en raison de l’exécution de son travail à domicile ;
En conséquence :
– Débouter Madame [J] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
‘ A titre subsidiaire :
– Juger qu’il y a une absence de préjudice résultant de la perte d’emploi ;
En conséquence :
– Réduire à minima le montant des dommages et intérêts sollicités au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
‘ En tout état de cause :
– Condamner Madame [J] à payer à la Société la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, de Première Instance, d’appel exposés devant la première Cour d’Appel et devant la Cour de céans.
– Débouter Madame [O] [W] épouse [J] de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires.
Elle fait valoir que :
– Mme [J] ne rapporte pas la preuve des manquements qu’elle reproche à son employeur en sorte que sa prise d’acte doit produire les effets d’une démission,
– Mme [J] a manifesté à plusieurs reprises son souhait de quitter l’entreprise,
– la salariée travaillait à son domicile depuis très longtemps et jamais, au cours de cette période, elle n’a alerté la société sur un manque d’encadrement qui lui serait préjudiciable.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par avis en date du 11 décembre 2023, l’affaire était appelée à l’audience du 15 mai 2024.
MOTIFS
Sur la rupture du contrat de travail
La prise d’acte est un acte par lequel le salarié prend l’initiative de rompre son contrat de travail, en imputant la responsabilité de cette rupture à son employeur, en raison d’un manquement de ce dernier à ses obligations. Ces manquements doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. Cette rupture produit soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, lorsque les faits invoqués la justifiaient, soit d’une démission dans le cas contraire.
La charge de la preuve des manquements de l’employeur incombe au salarié.
Il convient d’examiner l’ensemble des griefs invoqués par la salariée au soutien de sa prise d’acte.
Lorsque les parties sont convenues d’une exécution de tout ou partie de la prestation de travail par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié.
En l’espèce, Mme [J] fonde sa prise d’acte aux torts de la société Continental Foods sur les griefs suivants :
– refus d’un retour à temps plein, après avoir fait le constat de l’impossibilité en pratique d’assumer ses fonctions avec les objectifs commerciaux y afférents dans le cadre d’une activité à temps partiel ;
– refus d’indemnisation du télétravail reconnu constant depuis de nombreuses années ;
– son éviction par l’absence de responsable hiérarchique affecté et au fait de son activité spécifique, et le recrutement d’un autre salarié à son même poste de travail, qui aurait constitué un doublon, l’empêchant de surcroît de bénéficier de ses résultats commerciaux et donc de la rémunération y attachée totale ;
– pression exercée sur elle par menace de défaut de rémunération si elle n’acceptait pas la modification de son contrat de travail par une activité totale au siège, et refus de toute indemnisation de l’occupation partielle de son domicile personnel pour les besoins de son activité professionnelle.
Il convient d’analyser chacun de ces griefs.
– Sur le refus d’un retour à temps plein, après avoir fait le constat de l’impossibilité en pratique d’assumer ses fonctions avec les objectifs commerciaux y afférents dans le cadre d’une activité à temps partiel :
Mme [W] épouse [J] développe qu’après la mise en ‘uvre du temps partiel mis en place à compter du 1er janvier 2016 à 60%, elle a constaté une incompatibilité entre les objectifs attachés à ses missions et son poste de travail, et un tel temps de travail réduit, que cette inadéquation entraînait un empiétement de son temps professionnel sur son temps privé, de surcroît non rémunéré, que sa responsable, Mme [N] avait quitté la société en ce même début d’année (annonce en janvier 2016), sans être remplacée ce qui a accru sa charge de travail d’où sa demande de repasser à temps plein en début d’année 2016.
Elle observe que la société a fait paraître au 1er avril 2016 une annonce pour un poste de Compte Clés Logistique, à temps plein.
Elle estime que le refus opposé à cette demande de retour à temps plein, n’était fondé sur aucune raison objective et professionnelle, sa prétendue volonté de « quitter l’entreprise dans 3-4 mois » est tout aussi infondée que diffamatoire.
Elle rappelle les dispositions de l’article L 3123-8 du code du travail alors applicable prévoyant que les salariés à temps partiel qui souhaitent occuper ou reprendre un emploi à temps complet dans le même établissement ou, à défaut, dans la même entreprise, ont priorité pour l’attribution d’un emploi ressortissant à leur catégorie professionnelle ou d’un même emploi équivalent, l’employeur porte à la connaissance de ses salariés la liste des emplois disponibles correspondants.
La SAS GB Foods France rétorque que cette demande de la salariée est intervenue à la suite de demandes répétées de celle-ci de quitter la société et en particulier à la suite d’un entretien en date du 16 mars 2016 au cours duquel la société a refusé la proposition de rupture conventionnelle de la salariée qui avait fait part de son souhait de quitter la société en juin ou juillet 2016 afin de réaliser un projet professionnel ce qui ressort de son courrier du 10 mai 2016.
En effet, Mme [W] épouse [J] ne démontre nullement que la réorganisation intervenue au début de l’année 2016 a induit une augmentation de sa charge de travail justifiant sa demande de retour à temps plein alors qu’elle a continué à travailler depuis son domicile avec l’autonomie qui était la sienne faisant observer, l’employeur faisant justement observer que Mme [W] épouse [J] n’apporte pas la preuve du surcroît de charge de travail qu’elle invoque.
Il convient de rappeler que c’est Mme [W] épouse [J] qui a sollicité de passer à temps partiel en premier lieu selon des modalités qu’elle a elle-même fixées (60% et mercredi et vendredi non travaillés) en décembre 2015.
Dès lors, aucune obligation ne pesait sur l’employeur afin de répondre au souhait de Mme [W] épouse [J] en sorte qu’aucun manquement n’est caractérisé.
Quand bien même l’article L 3123-8 du code du travail prévoyait que les salariés à temps partiel qui souhaitent occuper ou reprendre un emploi à temps complet dans le même établissement ou, à défaut, dans la même entreprise, ont priorité pour l’attribution d’un emploi ressortissant à leur catégorie professionnelle ou d’un même emploi équivalent, il n’est pas démontré qu’un tel emploi ait existé de surcroît concernant le poste occupé par Mme [W] épouse [J], l’employeur s’étant organisé depuis pour fonctionner selon le temps partiel choisi par la salariée.
Le refus opposé par l’employeur ne présente donc rien de fautif quand bien même la perspective d’un départ prochain de Mme [W] épouse [J] sous-tendrait ce refus.
Les parties avaient souscrit un avenant le 4 décembre 2015 ramenant le temps de travail de Mme [W] épouse [J] à 60 % et cette dernière n’était pas fondée à exiger de son l’employeur de revenir sur cet accord.
– Sur le refus d’indemnisation du télétravail reconnu constant depuis de nombreuses
années :
Selon l’article L.1222-10 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige :
« Outre ses obligations de droit commun vis-à-vis de ses salariés, l’employeur est tenu à l’égard du salarié en télétravail :
1° De prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ;
2° D’informer le salarié de toute restriction à l’usage d’équipements ou outils informatiques ou de services de communication électronique et des sanctions en cas de non-respect de telles restrictions ;
3° De lui donner priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles et de porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature ;
4° D’organiser chaque année un entretien qui porte notamment sur les conditions d’activité du salarié et sa charge de travail ;
5° De fixer, en concertation avec lui, les plages horaires durant lesquelles il peut habituellement le contacter.»
Mme [W] épouse [J] soutient qu’elle n’a jamais été indemnisée pour son activité en télétravail ce que ne conteste pas l’employeur, qu’ainsi l’absence de toute indemnisation des coûts et de la sujétion spécifique du télétravail ainsi que l’absence de tout encadrement et surveillance de l’organisation et du volume horaire de la salariée en télétravail, justifient la requalification de la prise d’acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La SAS GB Foods France réplique que Mme [W] épouse [J] exerçait en télétravail depuis son recrutement en sorte que les manquements reprochés l’employeur n’ont jamais fait obstacle à la poursuite du contrat de travail et ne pouvaient davantage motiver une prise d’acte de rupture aux torts de ce dernier, Mme [W] épouse [J] rappelant qu’elle était en télétravail « de façon quasi permanente depuis de nombreuses années ».
En effet, il n’est pas discuté que le télétravail a été mis en place à la demande de Mme [W] épouse [J] et suivants les modalités choisies par celle-ci et qu’elle n’a jamais sur 10 ans de relations de travail soulevé le moindre grief à l’encontre de la société.
Ce n’est que dans le cadre du présent contentieux que Mme [W] épouse [J] produit des factures d’électricité, d’eau et de gaz datant respectivement de 2014, 2015 et 2016 sans pour autant que cela puisse déterminer le montant de l’éventuel surcoût engendré par le télétravail. Mme [W] épouse [J] demande le paiement d’une somme de «15.000 € à titre d’indemnisation de l’utilisation d’une partie du domicile personnel de la salariée pour les besoins de son activité professionnelle, ainsi que des frais inhérents liés à ce télétravail» sans produire les factures antérieures au télétravail qui aurait permis d’effectuer une comparaison avec les factures actuelles ni le plan de son domicile permettant de calculer l’espace occupé à titre professionnel ni aucun autre élément relatif aux frais qu’elle aurait engagés dans le cadre de son télétravail, elle ne produit ainsi aucune facture de matériel bureautique, de communication, d’abonnement, etc.
Au demeurant l’article L.1222-10 du code du travail n’a été introduit dans le code du travail que par une loi du 22 mars 2012.
La SAS GB Foods France note également que Mme [W] épouse [J] ne précise pas davantage quel préjudice elle aurait subi du fait de l’absence d’encadrement de son télétravail, que Mme [W] épouse [J] qui travaille à son domicile depuis très longtemps n’a jamais alerté la société sur un manque d’encadrement qui lui serait préjudiciable.
Par ailleurs il est reconnu par Mme [W] épouse [J] qu’elle avait obtenu une avance sur frais de 1.143,37 euros lors de son embauche.
La société rappelle qu’elle a toujours gardé à la disposition de Mme [W] épouse [J] un espace de travail dans ses locaux mais que cette dernière, pour convenance personnelle, a préféré télétravailler depuis chez elle.
Il est incontournable que Mme [W] épouse [J] n’a jamais interpellé son employeur sur une quelconque difficulté tenant à ses conditions d’emploi en télétravail en sorte qu’elle ne pouvait s’emparer subitement de ce motif pour rompre le contrat de travail aux torts de l’employeur.
– sur l’ éviction par l’absence de responsable hiérarchique affecté et au fait de son activité spécifique, et le recrutement d’un autre salarié à son même poste de travail, qui aurait constitué un doublon, l’empêchant de surcroît de bénéficier de ses résultats commerciaux et donc de la rémunération y attachée totale :
Mme [W] épouse [J] développe que suite au départ de sa responsable, Mme [N], et à la réorganisation de l’activité de la société, dans la première partie de l’année 2016, elle s’est retrouvée affectée à un service qui ne constituait qu’une partie de son activité, avec une responsable qui n’avait pas précisément notion de son activité, à telle enseigne qu’il lui était demandé de faire un récapitulatif de ses missions fin mai 2016, afin que sa hiérarchie cerne les contours de son activité effective, que Mme [M] [H], désignée comme sa nouvelle responsable en mars 2016, était pourtant intégralement remplacée par elle, en 2013, sans que ce remplacement de plusieurs mois ne donne lieu au moindre avenant, ni rémunération supplémentaire correspondante.
Mme [W] épouse [J] soutient qu’elle n’était pas prévue et n’avait pas de place dans la réorganisation du début d’année 2016, que le 1er avril 2016 la société faisait paraître une annonce de recrutement au seul poste d’Ingénieur Compte Clés de la société, qu’elle occupait à cette date.
Mme [W] épouse [J] fait observer que par mail du 22 mars 2016, sa nouvelle responsable RH, lui demandait de rembourser l’avance sur frais de 1 143,37 euros qui lui avait été consentie à son embauche, en août 2006 alors que cette reconnaissance de dette signée le 21 août 2006 prévoyait que cette somme serait restituée « en cas de départ, sur mon solde de tout compte », qu’ainsi à la date à laquelle il lui était demandé ce remboursement, elle n’avait absolument pas demandé à sortir des effectifs de la société, et encore moins son solde de tout compte.
Elle ajoute que sa responsable, Mme [H], fixait par courriel du 30 mai 2016, les réunions de service, désormais « chaque mercredi » alors que selon le dernier avenant en vigueur du 4 décembre 2015 passant la salariée à temps partiel, il était expressément prévu que le mercredi était une journée non travaillée, au titre de son temps partiel, la société poursuivant ainsi son ‘uvre d’éviction à son encontre.
La SAS GB Foods France explique que suite à la démission de sa responsable, Mme [N], Mme [W] épouse [J] a été rattachée à la responsable distribution, Mme [Z] [H], que dans ce contexte, il a été demandé à Mme [W] épouse [J] de fournir à sa nouvelle responsable un récapitulatif de ses missions, qu’elle devait ensuite présenter au nouveau directeur commercial, dans le but de cibler les actions logistiques et d’améliorer le budget, ce qui démontre bien son investissement au sein de la nouvelle organisation.
En effet, Mme [W] épouse [J] ne démontre pas en quoi la nomination de Mme [H] en qualité de responsable aurait affecté ses tâches et ses conditions de travail et, comme le retient à juste titre la société intimée, le fait que Mme [W] épouse [J] ait, par le passé, remplacé Mme [H] pour une partie logistique de son poste (ce qui correspond aux activités de Mme [W] épouse [J]) ne préjuge en rien sa prétendue éviction.
Rien ne permet de considérer que le changement de responsable hiérarchique de Mme [W] épouse [J] révèle la volonté de l’employeur de l’écarter de l’organisation interne.
Dans le courrier adressé à son conseil en avril 2016, la société a réitéré que Mme [W] épouse [J] avait tout à fait sa place au sein de la nouvelle organisation rappelant que Mme [W] épouse [J] a reçu avec sa paie du mois de mars 2016, soit au moment de sa demande de rupture conventionnelle, une prime exceptionnelle de 1 500 euros.
Le souhait de Mme [W] épouse [J] de quitter l’entreprise, outre qu’il résulte de sa demande de conclure une convention de rupture, a été par la suite concrétisé par la conclusion dès le mois d’août 2016 d’un nouveau contrat de travail aux mêmes fonctions de compte clé logistique avec la société Saint Mamet sous la responsabilité hiérarchique de Mme [N], son ancienne responsable au sein de la SAS GB Foods France ce qui apparaît à la consultation de la pièce n° 34 article 1 de l’appelante.
Mme [W] épouse [J] a réalisé son projet professionnel en créant en février 2017 une société de conseil pour les affaires et autres conseils de gestion.
Il ne peut être reproché à la SAS GB Foods France d’avoir entamé un processus de recrutement à compter du 1er avril 2016 afin d’assurer son remplacement et la continuité du service alors que Mme [W] épouse [J], lors de son entretien du 16 mars 2016, avait exprimé son souci d’assurer la formation de son successeur.
En tout état de cause, Mme [W] épouse [J] ne pouvait s’emparer prématurément de cette circonstance pour rompre le contrat de travail, seul le recrutement effectif d’une autre personne sur son même poste aurait pu justifier une telle rupture.
De même si la demande de remboursement de l’avance sur frais qui lui avait été consentie à son embauche a été présentée de manière anticipée, cela ne constituait un manquement suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat de travail.
Enfin, le choix de Mme [H] de fixer des réunions de service le mercredi ne découle pas nécessairement d’une volonté d’évincer Mme [W] épouse [J] qui ne travaillait pas non plus le vendredi en sorte que la marge de manoeuvre était réduite étant rappelé qu’il n’appartenait pas à l’ensemble du service concerné de s’adapter aux seules contraintes de Mme [W] épouse [J].
– Sur la pression exercée sur la salariée par menace de défaut de rémunération si elle n’acceptait pas la modification de son contrat de travail par une activité totale au siège, et refus de toute indemnisation de l’occupation partielle de son domicile personnel pour les besoins de son activité professionnelle :
Mme [W] épouse [J] expose que l’obligation faite à un salarié de passer d’une situation de travail à domicile même partiel à un travail en présentiel total, constitue une modification de son contrat de travail (même en cas de travail à domicile non contractualisé), qui nécessite par conséquent son accord exprès et préalable, que c’est au lendemain de la dénonciation par le conseil de la salariée auprès de la société, d’un défaut d’encadrement et de surveillance de son temps de travail et donc de repos, que la société a soudainement entendu modifier son contrat en lui intimant l’ordre de poursuivre ses fonctions en intégralité au siège de la société, c’est-à-dire totalement en présentiel, qu’elle a donc expressément refusé une telle modification de son contrat, que l’employeur a poursuivi ses man’uvres de pression en la menaçant d’opérer des retenues sur son salaire si elle n’obtempérait pas à cette modification unilatérale à compter du 17 mai 2016, qu’elle a continué a travaillé en télétravail, après le 17 mai 2016, sans que la société ne retienne finalement son salaire, comme pourtant annoncé ce qui démontre qu’il s’agissait d’une mesure de rétorsion, qu’en effet, ses plannings démontrent qu’elle a continué à travailler de chez elle après le 17 mai, et notamment les 17, 19, 24, 26, 30 et 31 mai ; idem en juin.
La SAS GB Foods France fait observer que, contrairement à ce qu’affirme la salariée elle n’a jamais modifié unilatéralement son contrat de travail en l’obligeant à revenir travailler dans les locaux de la société, qu’en effet, de l’aveu même de Mme [W] épouse [J], celle-ci a continué à effectuer son travail à domicile jusqu’à l’issue de son préavis sans qu’aucune retenue sur son salaire ne soit opérée ce qui est exact en sorte que la salariée ne pouvait se prévaloir d’un tel manquement en juin 2016.
La SAS GB Foods France retrace les aménagements concédés à la salariée :
– l’organisation de son travail à domicile qui a été acceptée pour s’adapter aux convenances personnelles de la salariée et l’élection de son domicile à [Localité 6] dont elle est la seule à bénéficier,
– sa demande de passage à temps partiel qui a été acceptée et dont les termes relèvent davantage de l’information sur ses nouvelles conditions de travail (temps partiel 60% et jours non travaillés les mercredis et vendredis) que d’une véritable demande.
Enfin, elle précise que Mme [W] épouse [J] a continué à exercer à l’issue de sa prise d’acte, durant son préavis, son travail à domicile de sorte que cette prétendue « pression par la modification unilatérale de son contrat de travail » ne justifie pas la requalification de la prise d’acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il résulte de la chronologie des événements de 2006 à 2016 qu’aucun incident n’a émaillé les relations entre les parties et que l’employeur a toujours satisfait aux demandes de la salariée, que suite à la demande de Mme [W] épouse [J] de bénéficier d’une rupture conventionnelle à laquelle s’est opposé l’employeur ( cf pièce n°3 de l’employeur «concernant l’entretien du 16 mars 2016 « Bonjour [F], Je souhaite avancer sur ma demande de rupture conventionnelle. Quelles sont tes disponibilités ‘ » »), Mme [W] épouse [J] a pris acte de la rupture de son contrat de travail afin de réaliser un projet professionnel comme elle l’indiquait dans son courrier du 10 mai 2016 ce que les événements postérieurs ont confirmé.
Il convient tant pour les motifs qui précèdent que ceux non contraires des premiers juges de confirmer de ce chef le jugement déféré.
Sur l’indemnisation de l’utilisation d’une partie du domicile personnel de la salariée pour les besoins de son activité professionnelle, ainsi que des frais inhérents liés à ce télétravail
Mme [W] épouse [J] sollicite au dispositif de ses écritures la condamnation de la SAS GB Foods France à lui payer la somme de 15.000 euros à titre d’indemnisation de l’utilisation d’une partie du domicile personnel de la salariée pour les besoins de son activité professionnelle, ainsi que des frais inhérents liés à ce télétravail.
Dans la partie discussion de ses conclusions elle ne développe aucun argument au soutien de cette demande.
Elle indique seulement que la société intimée n’a pas pris en charge les coûts découlant de l’exercice du télétravail qu’il s’agisse du coût des matériels, logiciels, abonnements, communication et outils, ainsi que de la maintenance de ceux-ci.
Elle ne fournit aucun décompte précis et conforté par des éléments matériels.
Il est indiscutable que Mme [W] épouse [J] a travaillé depuis son domicile pour le compte de son employeur ce qui ouvre droit à indemnisation.
C’est par une saine appréciation des faits de l’espèce que les premiers juges ont fixé le montant de cette indemnisation à la somme de 3.600,00 euros.
L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en l’espèce.
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